Cass. soc., 1 juillet 2009, n° 08-40.164
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mazars
Avocats :
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 14 novembre 2007), que M. X... et huit autres salariés travaillaient pour le compte de la société société Securitas Sicherheitsdienste jusqu'au 1er mars 2004, date de la reprise de leur contrat de travail par la filiale suisse Protectas ; qu'ils étaient affectés, depuis l'origine, en permanence à la sécurité du CERN, situé sur le territoire suisse ; que, se prévalant du défaut de respect du principe d'égalité de rémunération, ils ont saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de rappels de salaire ;
Attendu que les salariés font grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leurs demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que les juges ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis d'une loi étrangère ; que les dispositions de l'ordonnance fédérale suisse du 6 octobre 1986 "limitant le nombre des étrangers" comporte, en sa section 2 intitulée "Conditions requises pour l'exercice d'une activité lucrative", un article 9 aux termes duquel, d'une part : "Les autorisations ne peuvent être accordées que si l'employeur accorde à l'étranger les mêmes conditions de rémunération et de travail en usage dans la localité et la profession qu'il accorde aux Suisses" et d'autre part : "Pour déterminer les salaires et les conditions de travail en usage dans la localité et la profession, il y a lieu de tenir compte des prescriptions légales, des salaires et des conditions accordés pour un travail semblable dans la même entreprise et dans la même branche, ainsi que des conventions collectives et des contrats-types de travail. En outre, il importe de prendre en considération le résultat des relevés statistiques sur les salaires auxquels procède l'Office fédéral de la statistique tous les deux ans" ; qu'en relevant que ces dispositions étant destinées à favoriser "la priorité donnée aux indigènes" n'ont pas pour objet d'imposer à l'employeur le respect des dispositions de droit du travail applicables en Suisse aux salariés étrangers, et en refusant dès lors d'appliquer le principe précité d'égalité de rémunération, la cour d'appel a violé, par dénaturation, les articles 1134 du code civil et 9 de l'ordonnance fédérale suisse du 6 octobre 1986 ;
2°/ qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a encore dénaturé, violant ainsi l'article 1134 du code civil, les articles 1 et 2 de la loi fédérale du 8 octobre 1999 sur les conditions minimales de travail et de salaire applicables aux travailleurs détachés à titre temporaire en Suisse, selon lesquelles les employeurs doivent leur "garantir au moins les conditions … de salaire prescrites par les lois fédérales, ordonnances du Conseil fédéral, ordonnances de travail, conventions collectives déclarées de force obligatoire et contrats-types de travail en matière de rémunération minimale" ;
3°/ que l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes est entré en vigueur le 1er juin 2002 ; que l'ordonnance fédérale du 6 octobre 1986 prévoit, en son article 2, alinéa 5, que, pour les étrangers dont le séjour est régi par cet accord, ses dispositions ne sont applicables que dans la mesure où elles prévoient un statut juridique plus avantageux ou lorsque l'accord sur la libre circulation des personnes ne prévoit pas de dispositions dérogatoires ; qu'en relevant qu'à la suite de l'accord précité, le contrôle de la priorité des travailleurs indigènes ainsi que les conditions de rémunération et de travail pour les ressortissants des quinze anciens Etats membres de l'Union européenne entrant en Suisse, tels que prévus par l'ordonnance fédérale suisse du 6 octobre 1986, avait été supprimé, quand la société Securitas Sicherheitsdientse était tenue de respecter l'ordonnance de 1986 jusqu'à la mise en vigueur de l'accord du 21 juin 1999 au 1er juin 2002, puis de continuer de respecter cette ordonnance si l'accord était moins favorable, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part ;
4°/ que l'accord entre la Confédération suisse et la Communauté européenne et ses Etats membres sur la circulation des personnes prévoit, à l'alinéa 1 de son article 9 intitulé : "Egalité de traitement", qu'un travailleur salarié ressortissant d'une partie contractante ne peut, sur le territoire de l'autre partie contractante, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux salariés en ce qui concerne les conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération ; que la cour d'appel ne pouvait reprocher aux salariés exposants de n'avoir fourni aucun élément de nature à établir l'existence d'une discrimination salariale en raison de leur nationalité, sans s'expliquer sur leurs conclusions d'appel qui soutenaient que le principe d'égalité de traitement à leur égard n'avait pas été respecté en raison de leur nationalité dès lors qu'ils n'avaient pas bénéficié du salaire suisse moyen dans la branche d'activité du gardiennage et de la sécurité, tel qu'il est démontré, d'une part, par la grille de rémunération minimum prévue par l'annexe 1 de la convention collective de travail pour les employés des entreprises privées de services de sécurité travaillant sur le territoire de la Confédération suisse du 3 novembre 2000, en tant qu'illustration des conditions de rémunération en usage au sein des entreprises de gardiennage et de sécurité en Suisse et, d'autre part, par les études de l'Office fédéral suisse des statistiques concernant le niveau moyen des salaires dans le canton de Genève ; que la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 9, alinéa 1, de l'accord précité du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne et ses Etats membres sur la circulation des personnes ;
Mais attendu que s'il incombe au juge français, qui applique une loi étrangère, de rechercher et de justifier la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif de l'Etat concerné, l'application qu'il fait de ce droit étranger, quelle qu'en soit la source, légale ou jurisprudentielle, échappe, sauf dénaturation, au contrôle de la Cour de cassation ;
Et attendu que la cour d'appel a procédé à l'interprétation, laquelle est exclusive de dénaturation, de l'ordonnance fédérale suisse du 6 octobre 1986 de la loi fédérale du 8 octobre 1999 et de l'Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne et ses Etats membres sur la circulation des personnes au regard du droit suisse ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.