CJUE, 10e ch., 5 décembre 2024, n° C-606/23
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Question préjudicielle
PARTIES
Demandeur :
« Tallinna Kaubamaja Grupp » AS, « KIA Auto » AS
Défendeur :
Konkurences padome
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gratsias
Juges :
M. Jarukaitis, M. Csehi (rapporteur)
Avocat général :
Mme Kokott
Avocat :
Me Azanda
LA COUR (dixième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « Tallinna Kaubamaja Grupp » AS et « KIA Auto » AS au Konkurences padome (conseil de la concurrence, Lettonie) au sujet d’une amende infligée en raison de la conclusion d’un accord vertical prévoyant des limitations relatives à la garantie automobile.
Le cadre juridique
3 Aux termes de l’article 11, paragraphe 1, du Konkurences likums (loi sur la concurrence), du 4 octobre 2001 (Latvijas Vēstnesis, 2001, no 151) :
« Sont interdits et nuls dès leur conclusion les accords entre opérateurs ayant pour objet ou pour effet d’entraver, de limiter ou de fausser la concurrence sur le territoire de la Lettonie, y compris les accords relatifs :
[...]
7) à des actes (ou à une abstention) obligeant un autre opérateur à abandonner un marché déterminé ou entravant l’arrivée d’un autre opérateur potentiel sur un marché déterminé. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
4 KIA Auto, une société de droit estonien, est le seul importateur agréé de véhicules de la marque KIA en Lettonie. Cette société sélectionne et approuve les représentants agréés qui commercialisent les voitures KIA et les réparent dans le cadre de la garantie octroyée par le constructeur ou l’importateur.
5 Par décision du 7 août 2014, le conseil de la concurrence a infligé à KIA Auto, en raison d’une violation de l’article 11, paragraphe 1, point 7, de la loi sur la concurrence, une amende de 134 514,43 euros, dont 96 150,92 euros ont été imposés conjointement et solidairement à Tallinna Kaubamaja Grupp, sa société mère.
6 Le conseil de la concurrence a considéré que KIA Auto, en tant qu’importateur agréé par le constructeur de voitures de marque KIA, ainsi que les concessionnaires et réparateurs agréés de voitures de marque KIA (ci-après les « représentants agréés ») s’étaient accordés sur des conditions de garantie obligeant ou incitant les propriétaires de voitures, pour continuer à bénéficier de la garantie automobile, à faire effectuer auprès desdits représentants agréés, pendant la période de garantie, tous les entretiens périodiques prévus par le constructeur KIA et les réparations non couvertes par la garantie, ainsi qu’à utiliser des pièces de rechange d’origine KIA lors des entretiens périodiques et des réparations effectués pendant la période de garantie.
7 Le conseil de la concurrence a ainsi constaté l’existence d’un accord vertical sur les conditions de garantie au sein du réseau KIA, accord entravant, d’une part, l’accès des réparateurs indépendants, hors garantie, au marché letton pendant la période de garantie des services de réparation et, d’autre part, l’accès des fabricants de pièces de rechange indépendants au marché de la distribution desdites pièces en Lettonie, et limitant la concurrence entre les distributeurs de pièces de rechange.
8 Le conseil de la concurrence a qualifié l’accord constaté comme étant restrictif de concurrence par effet, en soulignant à cet égard que le niveau de preuve applicable n’exigeait pas la démonstration d’effets réels. En effet, selon le conseil de la concurrence, les effets négatifs sur la concurrence découleraient de la nature même des clauses restrictives, et il ne serait pas nécessaire de démontrer les effets qui se sont effectivement produits.
9 Les requérantes au principal ont formé un recours contre la décision leur infligeant une amende devant l’Administratīvā apgabaltiesa (cour administrative régionale, Lettonie), la juridiction de renvoi, qui a rejeté ledit recours par un arrêt du 10 mars 2017.
10 Les requérantes au principal ont introduit un pourvoi en cassation devant le Senāta Administratīvo lietu departaments (Cour suprême, département des affaires administratives, Lettonie), qui a annulé l’arrêt de la juridiction de renvoi par un arrêt du 22 décembre 2021 et a renvoyé l’affaire devant cette juridiction pour qu’elle statue de nouveau.
11 Le Senāta Administratīvo lietu departaments (Cour suprême, département des affaires administratives) a considéré que la juridiction de renvoi, en examinant si la décision infligeant l’amende aboutissait valablement à la conclusion que l’accord était interdit en raison de ses effets, s’était fondée sur des critères d’évaluation inexacts au regard de ceux qu’il convient de prendre en compte en cas d’effets restrictifs. Dans ces conditions, la juridiction suprême a jugé que la juridiction de renvoi n’avait pu apprécier correctement si cette décision était suffisamment motivée.
12 La juridiction de renvoi, en s’appuyant sur les observations additionnelles déposées par le conseil de la concurrence à la suite de l’arrêt de la juridiction suprême, fait observer que les enseignements de cet arrêt diffèrent substantiellement de ceux de la jurisprudence de la Cour, de sorte que le contenu de la restriction de concurrence par effet et le niveau de preuve qui en découle ne sauraient être considérés comme étant évidents. Aussi la juridiction de renvoi estime‑t‑elle nécessaire de saisir la Cour à titre préjudiciel afin de clarifier les questions relatives à la preuve des ententes par effet.
13 En particulier, ainsi qu’il ressortirait des observations du conseil de la concurrence, il conviendrait d’adopter une approche analogue à celle retenue par le Tribunal de l’Union européenne dans l’arrêt du 10 novembre 2021, Google et Alphabet/Commission (Google Shopping) (T‑612/17, EU:T:2021:763), qui portait sur une infraction à l’article 102 TFUE, aux fins de l’application et de l’interprétation de l’article 101 TFUE et, par conséquent, de l’article 11 de la loi sur la concurrence. Dans cet arrêt, le Tribunal aurait relevé que la Commission européenne n’est pas tenue de démontrer la réalisation effective de conséquences possibles de l’élimination ou de la restriction de la concurrence, mais qu’il lui suffit d’établir l’existence d’effets potentiels. Ainsi, il découlerait dudit arrêt que, lors de l’évaluation des effets d’un accord sur la concurrence, il n’y a pas lieu de réduire la totalité des circonstances pertinentes du cas d’espèce à la constatation d’effets négatifs spécifiques et mesurables sur la concurrence, puisqu’une telle approche éliminerait de facto la possibilité pour l’autorité de concurrence concernée de mettre fin à des restrictions de la concurrence qui n’auraient pas encore produit d’effets négatifs matériellement identifiables.
14 Dans ces conditions, l’Administratīvā apgabaltiesa (cour administrative régionale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 101, paragraphe 1, TFUE impose-t-il à l’autorité de concurrence qui procède à l’examen d’une entente prévoyant des limitations de la garantie automobile qui obligent ou incitent les propriétaires d’automobiles à les faire réparer et entretenir auprès des seuls représentants agréés du constructeur automobile ainsi qu’à utiliser les pièces de rechange d’origine du constructeur automobile pour l’entretien périodique afin que la garantie automobile demeure valable, de démontrer l’existence d’effets restrictifs concrets/réels sur la concurrence (actual/real restrictive effects on competition) ?
2) Suffit-il, conformément à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, que l’autorité de concurrence qui procède à l’examen d’une entente visée à la première question démontre uniquement les effets restrictifs potentiels sur la concurrence (potential restrictive effects) ? »
Sur la compétence de la Cour
15 La juridiction de renvoi fait observer que l’application de l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence ne doit pas être différente de celle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, puisque ces deux dispositions établissent un cadre juridique, en substance, analogue. Il conviendrait, par conséquent, de tenir compte des considérations de la Cour en ce qui concerne l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
16 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C‑306/20, EU:C:2021:935, point 42 et jurisprudence citée).
17 Toutefois, il est également de jurisprudence constante qu’il appartient à la Cour d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (arrêt du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C‑306/20, EU:C:2021:935, point 43 et jurisprudence citée).
18 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour s’est, à maintes reprises, déclarée compétente pour statuer sur les demandes de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d’application direct de ce droit, pour autant que lesdites dispositions avaient été rendues applicables par la législation nationale, laquelle se conformait, pour les solutions apportées à des situations purement internes, à celles retenues par le droit de l’Union (arrêt du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C‑306/20, EU:C:2021:935, point 44 et jurisprudence citée).
19 Une telle compétence est justifiée par l’intérêt manifeste, pour l’ordre juridique de l’Union, à ce que, afin d’éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme (arrêt du 13 octobre 2022, Baltijas Starptautiskā Akadēmija et Stockholm School of Economics in Riga, C‑164/21 et C‑318/21, EU:C:2022:785, point 35 ainsi que jurisprudence citée).
20 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence prévoit un cadre juridique identique à celui institué à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et que ledit article 11, paragraphe 1, reçoit, dans l’ordre juridique letton, la même interprétation que celle qui est donnée de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En outre, il convient de rappeler que la Cour s’est déjà déclarée compétente pour statuer sur des demandes de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE dans des situations dans lesquelles l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence trouvait à s’appliquer indépendamment de la question de savoir s’il existait une incidence sur le commerce entre les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C‑306/20, EU:C:2021:935, point 47 et jurisprudence citée).
21 Il s’ensuit que la Cour est compétente pour statuer, dans la présente affaire, sur les questions relatives à l’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
Sur les questions préjudicielles
22 Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il impose à l’autorité de concurrence d’un État membre qui examine si un accord prévoyant des limitations de la garantie automobile qui obligent ou incitent les propriétaires d’automobiles à les faire réparer et entretenir auprès des seuls représentants agréés du constructeur automobile ainsi qu’à utiliser les pièces de rechange d’origine du constructeur automobile pour l’entretien périodique afin que la garantie automobile demeure valable, peut être qualifié de restriction de la concurrence par effet, au sens de cette disposition, de démontrer l’existence d’effets restrictifs concrets et réels sur la concurrence, ou s’il lui suffit de démontrer l’existence d’effets restrictifs potentiels sur la concurrence.
23 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.
24 Pour pouvoir considérer, dans un cas donné, qu’un accord, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée relève de l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il est nécessaire, conformément aux termes mêmes de cette disposition, de démontrer soit que ce comportement a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, soit que ce comportement a un tel effet (arrêt du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission, C‑124/21 P, EU:C:2023:1012, point 98 et jurisprudence citée).
25 À cette fin, il convient de procéder, dans un premier temps, à l’examen de l’objet du comportement en cause. Dans l’hypothèse où, au terme d’un tel examen, ce comportement s’avère avoir un objet anticoncurrentiel, il n’est pas nécessaire de procéder à l’examen de son effet sur la concurrence. Ce n’est donc que dans l’hypothèse où ledit comportement ne peut être considéré comme ayant un tel objet anticoncurrentiel qu’il est nécessaire de procéder, dans un second temps, à l’examen de cet effet (arrêt du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission, C‑124/21 P, EU:C:2023:1012, point 99 et jurisprudence citée).
26 L’examen qu’il convient d’effectuer diffère selon qu’il porte sur le point de savoir si le comportement en cause a pour « objet » ou pour « effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, chacune de ces deux notions étant soumise à un régime juridique et probatoire distinct (arrêt du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission, C‑124/21 P, EU:C:2023:1012, point 100 et jurisprudence citée).
27 En l’occurrence, la juridiction de renvoi, qui part de la prémisse, dont il lui appartient de vérifier le bien-fondé, que l’accord en cause au principal n’a pas pour objet de restreindre la concurrence, indique qu’il lui incombe d’apprécier si celui-ci a un effet anticoncurrentiel.
28 À cet égard, il est de jurisprudence constante que la notion de comportement ayant un « effet » anticoncurrentiel englobe tout comportement qui ne peut être considéré comme ayant un « objet » anticoncurrentiel, à condition qu’il soit démontré que ce comportement a pour effet actuel ou potentiel d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, et cela de manière sensible (arrêt du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission, C‑124/21 P, EU:C:2023:1012, point 109 et jurisprudence citée).
29 À cette fin, il est nécessaire d’examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait en l’absence de l’accord, de la décision d’association d’entreprises ou de la pratique concertée en cause (arrêts du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C‑306/20, EU:C:2021:935, point 74, ainsi que du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission, C‑124/21 P, EU:C:2023:1012, point 110 et jurisprudence citée), en définissant le ou les marchés sur lesquels ce comportement a vocation à produire ses effets, puis en caractérisant ces derniers, qu’ils soient réels ou potentiels. Cet examen implique lui‑même de tenir compte de l’ensemble des circonstances pertinentes.
30 L’appréciation des effets d’un accord entre entreprises au regard de l’article 101 TFUE implique donc la nécessité de prendre en considération le cadre concret dans lequel l’accord s’insère, notamment le contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, la nature des biens ou des services affectés, ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché ou des marchés en question. Il s’ensuit que le scénario contrefactuel, envisagé à partir de l’absence dudit accord, doit être réaliste et crédible (arrêt du 27 juin 2024, Commission/Servier e.a., C‑176/19 P, EU:C:2024:549, point 341 ainsi que jurisprudence citée).
31 À cet égard, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que l’établissement du scénario contrefactuel a pour but d’établir les possibilités réalistes de comportement des acteurs économiques en l’absence de l’accord concerné et de déterminer ainsi le jeu probable du marché ainsi que la structure de celui-ci en l’absence de cet accord [arrêts du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 120, ainsi que du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C‑306/20, EU:C:2021:935, point 76].
32 Pour autant, le caractère à la fois réaliste et crédible du scénario contrefactuel ne remet pas en cause la possibilité de tenir compte des effets purement potentiels d’un accord entre entreprises pour rechercher s’il est constitutif d’une restriction de la concurrence par effet. À cet égard, la Cour a notamment jugé que le fait de considérer que, lorsqu’un accord entre entreprises a été mis en œuvre, il ne pourrait pas être tenu compte des effets potentiels de cet accord pour apprécier ses effets restrictifs de concurrence méconnaîtrait tout à la fois les caractéristiques de la méthode contrefactuelle inhérente à l’appréciation d’une restriction de concurrence par effet ainsi que la jurisprudence selon laquelle les effets restrictifs de concurrence peuvent être tant actuels que potentiels, mais doivent être suffisamment sensibles (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2024, Commission/Servier e.a., C‑176/19 P, EU:C:2024:549, points 345 à 353).
33 Il est ainsi suffisant, après un examen approprié du jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait à défaut de l’accord en cause, de pouvoir constater des effets restrictifs potentiels sur la concurrence qui sont suffisamment sensibles (voir, en ce sens, arrêts du 28 mai 1998, Deere/Commission, C‑7/95 P, EU:C:1998:256, points 77 et 78, ainsi que du 28 mai 1998, New Holland Ford/Commission, C‑8/95 P, EU:C:1998:257, points 91 et 92).
34 Dans ces conditions, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si le conseil de la concurrence a correctement examiné la manière dont la concurrence aurait joué dans le cadre réel où elle aurait eu lieu en l’absence des effets de l’accord en cause, en définissant les marchés sur lesquels cet accord produit des effets et en identifiant ces effets sensibles, qu’ils soient réels ou potentiels.
35 Par ailleurs, la Cour a jugé, aux points 65 et 66 de l’arrêt du 6 octobre 2015, Post Danmark (C‑23/14, EU:C:2015:651), que, afin d’établir le caractère abusif d’une pratique examinée sous l’angle de l’article 82 CE (devenu article 102 TFUE), l’effet anticoncurrentiel de celle-ci sur le marché doit exister, mais il ne doit pas être nécessairement concret, étant suffisante la démonstration d’un effet anticoncurrentiel potentiel de nature à évincer les concurrents au moins aussi efficaces que l’entreprise déjà en position dominante.
36 Ainsi, l’interprétation de l’article 101 TFUE, telle que retenue par la jurisprudence citée aux points 28 et 33 du présent arrêt, selon laquelle il suffit de démontrer l’existence d’effets anticoncurrentiels potentiels, notamment d’effets de nature à entraver l’arrivée de concurrents potentiels sur le marché, correspond à celle de l’article 102 TFUE retenue par la jurisprudence citée au point précédent du présent arrêt.
37 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions préjudicielles que l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas à l’autorité de concurrence d’un État membre qui examine si un accord prévoyant des limitations de la garantie automobile qui obligent ou incitent les propriétaires d’automobiles à les faire réparer et entretenir auprès des seuls représentants agréés du constructeur automobile ainsi qu’à utiliser les pièces de rechange d’origine du constructeur automobile pour l’entretien périodique afin que la garantie automobile demeure valable peut être qualifié de restriction de la concurrence par effet, au sens de cette disposition, de démontrer l’existence d’effets restrictifs concrets et réels sur la concurrence. Il suffit que cette autorité établisse, conformément à ladite disposition, l’existence d’effets restrictifs potentiels sur la concurrence, à condition qu’ils soient suffisamment sensibles.
Sur les dépens
38 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
L’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas à l’autorité de concurrence d’un État membre qui examine si un accord prévoyant des limitations de la garantie automobile qui obligent ou incitent les propriétaires d’automobiles à les faire réparer et entretenir auprès des seuls représentants agréés du constructeur automobile ainsi qu’à utiliser les pièces de rechange d’origine du constructeur automobile pour l’entretien périodique afin que la garantie automobile demeure valable peut être qualifié de restriction de la concurrence par effet, au sens de cette disposition, de démontrer l’existence d’effets restrictifs concrets et réels sur la concurrence. Il suffit que cette autorité établisse, conformément à ladite disposition, l’existence d’effets restrictifs potentiels sur la concurrence, à condition qu’ils soient suffisamment sensibles.