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Décisions

Cass. com., 20 novembre 2024, n° 23-13.608

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Schmidt

Avocat général :

Mme Guinamant

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° S 23-13.608 et T 23-13.609 sont joints.

Exposé du litige

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 janvier 2023), en 2006, M. [U] a cédé les 99,57 % du capital de la société Creal, laquelle contrôlait les sociétés Color Azur, Creal aluminium, Creal fermetures et Creal plast.

3. La cession a été consentie à la société Financière Creal, constituée pour les besoins de l'opération, par la société Activa capital, représentant le fonds commun de placement à risque Activa capital Fund (le FCPR) à hauteur de 56,40 % du capital, et par M. [F], dirigeant des sociétés du groupe Creal, à hauteur de 29,10 %, M. [U] à hauteur de 8,95 % et deux autres personnes physiques.

4. Cette cession a été financée pour partie par un prêt consenti le 13 avril 2006 par la société Banque Palatine à la société Financière Creal et l'émission par celle-ci d'obligations convertibles en actions (OCA).

5. La société Banque Palatine a cédé une partie des droits et obligations nés du contrat de prêt aux sociétés Banque cantonale de [Localité 11] France, BNP Paribas, CIC Lyonnaise de banque, Société Générale et Caisse régionale de crédit agricole mutuel de [Localité 15] et d'Ile-de-France (les banques).

6. Le 17 octobre 2012, la société Creal et ses filiales (le groupe Creal) ont chacune été mises en redressement judiciaire. A la suite de l'adoption d'un plan de cession de leurs actifs, elles ont chacune été mises en liquidation judiciaire.

7. Le 22 mars 2013, la société Financière Creal a été mise en liquidation judiciaire.

8. La société JSA, agissant en sa qualité de liquidateur des sociétés du groupe Creal et de la société Financière Creal, a assigné en responsabilité pour insuffisance d'actif M. [F], en sa qualité de dirigeant de droit de la société Financière Creal et de la société Creal de 2006 à 2009 et M. [Z], qui a lui a succédé du 14 janvier 2009 à avril 2011, ainsi que la société Activa capital, prise à titre personnel et en tant que représentante du FCPR et les banques, le liquidateur les tenant pour dirigeantes de fait.

Moyens

Examen des moyens

Sur les deuxièmes, troisièmes et quatrièmes moyens, des pourvois n° S 23-13.608 et T 23-13.609, rédigés en termes identiques, réunis

Motivation

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Moyens

Sur le premier moyen du pourvoi n° S 23-13.608 et le premier moyen du pourvoi n° T 23-13.609 rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

10. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, en ce qu'elles sont dirigées contre les banques alors :

1°/ qu'est dirigeant de fait d'une société, la personne morale qui, sans être dirigeant de droit, a exercé en fait, par l'intermédiaire d'une personne physique qu'elle a choisie et qui a agi sous son emprise, des pouvoirs de direction sur la société, en définissant les modalités du fonctionnement financier et économique de la société ainsi que ses perspectives d'avenir, en étant consultée régulièrement par le dirigeant de droit dans une relation de dépendance et de soumission, ces circonstances révélant que la personne morale a eu un rôle positif décisionnel majeur ; que la cour d'appel a constaté que le contrat de prêt du 13 avril 2006 comportait une clause de limitation des investissements, l'interdiction de tout endettement financier pour toute société du groupe, l'interdiction pour les sociétés du groupe de faire de la trésorerie en ayant recours à des cessions de créance, l'interdiction de céder des immobilisations pour plus de 200 000 euros par an, l'interdiction de modifier l'activité, l'obligation de placer la trésorerie dans des produits non spéculatifs, l'obligation d'opter pour le régime de l'intégration fiscale, et l'obligation d'organiser une réunion annuelle, la clause interdisant de solliciter des procédures de prévention sans autorisation des banques ; qu'en écartant cependant la qualification de dirigeant de fait à l'égard des banques, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;

2°/ qu'est dirigeant de fait d'une société, la personne morale qui a exercé en fait des pouvoirs de gestion et de direction sur la société, en définissant les modalités du fonctionnement financier et économique de la société ainsi que ses perspectives d'avenir, en étant consultée régulièrement par le dirigeant de droit dans une relation de dépendance et de soumission, peu important que ces agissements s'inscrivent dans un cadre contractuel et qu'ils soient de l'intérêt du dirigeant de fait ; que la cour d'appel a constaté que le contrat de prêt du 13 avril 2006 comportait une clause de limitation des investissements, l'interdiction de tout endettement financier pour toute société du groupe, l'interdiction pour les sociétés du groupe de faire de la trésorerie en ayant recours à des cessions de créance, l'interdiction de céder des immobilisations pour plus de 200 000 euros par an, l'interdiction de modifier l'activité, l'obligation de placer la trésorerie dans des produits non spéculatifs, l'obligation d'opter pour le régime de l'intégration fiscale, et l'obligation d'organiser une réunion annuelle, la clause interdisant de solliciter des procédures de prévention sans autorisation des banques ; qu'en retenant, pour dire que les banques n'avaient pas la qualité de dirigeant de fait, que ces agissements s'inscrivaient conformément aux clauses du contrat librement consenties entre les contractants, usuelles dans ce genre de montage aux fins de garanties du prêteur, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant et a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;

3°/ qu'est dirigeant de fait d'une société, la personne morale qui exerce en fait des pouvoirs de gestion et de direction sur la société, en subordonnant à son accord préalable, à compter d'un seuil dérisoire, tout projet d'investissement que doit lui soumettre pour autorisation le dirigeant de droit ; que la cour d'appel a constaté l'existence dans le contrat de prêt du 13 avril 2006 d'une clause de limitation d'investissements par laquelle la holding de reprise emprunteuse, la société Financière Creal, se portait fort que les sociétés du groupe Creal ne procèdent pas à des investissements (y compris sous forme de crédit-bail ou location financière), hors opération de croissance externe, au-delà des montants autorisés sans l'accord préalable de la majorité des banques", le montant autorisé étant très faible ; qu'en se fondant sur le fait que les banques avaient à plusieurs reprises modifié le tableau fixant le seuil des investissements au-delà duquel leur accord devait être préalablement recueilli, pour juger que la clause ne traduisait pas une immixtion des banques dans la gestion et direction de la société Creal, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à exclure la qualification de dirigeant de fait des banques et a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;

4°/ qu'est dirigeant de fait d'une société, la personne morale qui exerce en fait des pouvoirs de gestion et de direction sur la société, en subordonnant à son accord préalable, à compter d'un seuil dérisoire, tout projet d'investissement que doit lui soumettre pour autorisation le dirigeant de droit ; que le liquidateur faisait valoir que, compte tenu du seuil dérisoire du plafond des investissements susceptibles d'être effectués sans l'accord des banques, les investissements ne pouvaient se faire en toute indépendance par le dirigeant de droit et dépendait de la seule volonté des banques, qui étaient de facto les décisionnaires dans la gestion financière et économique du groupe Creal, ainsi qu'il résultait du courriel de la Banque Palatine du 4 août 2006 (pièce n° 72) démontrant que les banques avaient évalué l'intérêt et l'opportunité de la création d'une unité de production à [Localité 14] et donné leur autorisation au groupe Creal pour réaliser le projet, sans laquelle le projet ne pouvait avoir lieu ; qu'en retenant, pour dire que la clause ne traduisait pas une immixtion des banques dans la gestion et direction de la société, qu'elles avaient à plusieurs reprises modifié le seuil de déclenchement de l'autorisation des banques, sans rechercher s'il ne résultait pas de ce dispositif décisionnel et de contrôle, illustré par le courriel du 4 août 2006, qu'il appartenait aux banques d'apprécier l'opportunité de réaliser ou non des projets et investissements, en toute indépendance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce. »

Motivation

Réponse de la Cour

11. Après avoir relevé que la stipulation et l'application des clauses litigieuses librement consenties par les cocontractants étaient usuelles dans ce type de montage financier eu égard au montant du prêt, l'arrêt retient que le montant des investissements a été relevé à plusieurs reprises avec l'accord des banques qui n'ont jamais usé de la faculté d'exiger le remboursement anticipé du prêt et que celles-ci ne se sont pas opposées aux demandes des dirigeants de bénéficier de procédures de prévention, accordant même à la société Creal une ouverture de crédit pour lui permettre de procéder aux investissements nécessaires au succès de sa restructuration à l'occasion de l'accord de conciliation du 29 juillet 2010, homologué par le tribunal de commerce. Il ajoute que la clause de réunion annuelle pour faire le point sur la situation, l'évolution du groupe Creal et son environnement permet aux banques de se tenir informées de la situation économique du groupe, l'information, qui ne signifie pas la direction, étant nécessaire dans une opération de cette nature. Elle en déduit qu'il n'est pas démontré que lesdites clauses ont permis la confiscation des pouvoirs par les établissements bancaires, le contrôle et l'information n'étant pas l'équivalent de l'immixtion dans la gestion.

12. Par ces appréciations souveraines de la portée des clauses litigieuses et de leur application par les banques, faisant ressortir que celles-ci n'avaient pas excédé l'exercice du contrôle et de la surveillance de leur risque, la cour d'appel a pu exclure leur immixtion dans la gestion des sociétés du groupe Creal et, partant, écarter leur qualité de dirigeant de fait.

13. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Dispositif

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.