CA Toulouse, 2e ch., 12 novembre 2024, n° 23/03722
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
Mme Martin de la Moutte, Mme Moulayes
Avocats :
Me Carles, Me Thevenot, Me Vivequain
Exposé des faits et procédure :
La SCI [8] a pour objet l'acquisition par voie d'achat ou d'apport, la propriété, la mise en valeur, la transformation, la construction, l'aménagement, l'administration et la location de tous biens et droits immobiliers, de tous biens et droits pouvant constituer l'accessoire, l'annexe ou le complément des biens et droits immobiliers en question.
Elle a été constituée le 5 janvier 2009 par M. [V] [I] et Mme [H] [X], co-gérants et associés de la SCI [8] à concurrence de 50% chacun. La SCI [8] a acquis divers biens immobiliers.
Madame [X] et M. [I] se sont séparés en 2017 après plusieurs années de vie commune.
Selon procès-verbal de l'assemblée générale des actionnaires en date du 30 juin 2020, M.[V] [I] a été désigné liquidateur amiable.
Par exploit en date du 19 août 2021, M. [V] [I] a fait assigner Madame [X] devant le tribunal judiciaire de Toulouse aux fins de la voir condamner avec exécution provisoire, à lui verser la somme totale de 17.145 €, décomposée comme suit :
- 12.645 € au titre de son obligation de contribution aux dettes sociales de la SCI [8] pour moitié ;
- 1.500 € au titre de sa résistance abusive ;
- 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans le cadre de cette instance, Madame [X] exerçant l'action sociale ut singuli au visa des articles 1843-5 et 1850 du code civil dans l'intérêt de la SCI [8] à l'encontre de M. [I], a conclu le 11 mai 2022 pour demander au tribunal de reconnaître la responsabilité de M. [I] du fait des fautes de gestion dont il s'est rendu coupable dans le cadre de son mandat de gérant de la SCI [8] et de le condamner à payer à la société la somme de 62.117,94 € correspondant à des dépenses injustifiées qui ont été comptabilisée au crédit du compte-courant d'associé de M. [I].
Elle visait les dépenses suivantes :
- 4 341,60 € en avril 2009 ;
- 1 841,42 € en septembre 2009
- 4 393.92 € en décembre 2010
- 2 300 € en juin 2012 ;
- 5 122,11 € en janvier 2013 I
- 5 170,81 € en avril 2013 ;
- 5 910.30 € en février 2014 :
- 4 368.86 € en juillet 2014 ;
-14 334,10 € en septembre 2014
- 3 734,10 € en octobre 2015 ;
- 5 200 € en novembre 2015 :
- 1 800 en décembre 2015 :
- 3 600 € en juin 2016.
M.[I] a saisi le juge de la mise en d'une demande tendant à voir l'action sociale ut singuli exercée par Mme [X] déclarée irrecevable comme prescrite.
Par ordonnance du 14 septembre 2023, le juge de la mise en état a déclaré l'action ut singuli introduite par Mme [H] [X] irrecevable comme prescrite.
Par déclaration en date du 30 octobre 2023, Madame [X] a relevé appel de ce jugement à l'encontre de M.[I].
Par déclaration en date du 30 novembre 2023, elle a relevé appel à l'encontre de la SCI [8].
Ces procédures ont été jointes.
Par ordonnance du 12 décembre 2023, le président du tribunal a désigné la SCP [7], prise en la personne de Me [L] [K], à l'effet de représenter la SCI [8] en justice, notamment dans le cadre de la procédure pendante devant le tribunal judiciaire de Toulouse et de la procédure pendante devant la cour d'appel.
La déclaration d'appel régularisée à l'encontre de la SCI [8] lui a été signifiée par acte du 14 décembre 2023.
La clôture est intervenue le 10 juin 2024.
Prétentions et moyens des parties :
Vu les conclusions notifiées le 5 juin 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Madame [J] [X] demandant, au visa des articles 1843-5, 1850 et 2224 du Code civil demandant à la cour de :
- Infirmer l'ordonnance rendue par le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Toulouse en ce qu'elle a déclaré l'action ut singuli introduite par Mme [X] irrecevable comme prescrite.
En conséquence,
- Débouter M. [I] de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription et de l'ensemble de ses demandes à ce titre ;
- Déclarer Mme [X] recevable en son action sociale en responsabilité à l'encontre de M. [I] ;
- Débouter M. [I] de sa demande de voir prononcer l'irrecevabilité de l'action sociale ut singuli exercée par Mme [X] en ce qu'elle serait dirigée contre le liquidateur de la SCI [8] puisqu'elle est dirigée à l'encontre de M. [I] en sa qualité d'ancien gérant ;
- Condamner M. [I] à régler à Mme [X] et à la SCI [8] représentée par la SCP [7], prise en la personne de Me [L] [K], la somme de 5.000 € chacune en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Vu les conclusions notifiées le 23 janvier 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de M. [V] [I] demandant au visa des articles1843-5 du code civil et 122 du code de procédure civile de
- Confirmer l'ordonnance rendue par le Juge de la mise en état le 14 septembre 2023 en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action sociale en responsabilité initiée par Madame [X] contre Monsieur [I] ;
- Condamner Madame [X] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile outre les dépens de l'instance ;
La SCI [8] a constitué avocat mais n'a pas conclu.
Motifs
Selon l'article 1843-5 du Code civil « un ou plusieurs associés peuvent intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants ».
Madame [X] reproche à M.[I] des dépenses effectuées en sa qualité de cogérant de la société entre 2009 et 2016.
M.[I] soutient en premier lieu que cette action est irrecevable en ce qu'elle est dirigée contre M.[I] dès lors que ce dernier a été désigné liquidateur amiable par procès-verbal de l'assemblée générale des associés en date du 30 juin 2020.
Néanmoins, la désignation de l'ancien gérant en qualité de liquidateur amiable ne prive pas un associé de la possibilité d'exercer l'action ut singuli contre cet ancien gérant dès lors que, comme c'est le cas en l'espèce, les manquements invoqués ont été commis alors qu'il était gérant.
M.[I] soutient en second lieu que l'action ut singuli est prescrite.
En l'absence de texte spécifique pour les sociétés civiles, l'action ut singuli se prescrit conformément aux dispositions de l'article 2224 du Code civil par 5 ans à compter du jour ou le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Au soutien de sa demande de constat de la prescription de l'action, M.[I] fait valoir que les dépenses qui lui sont reprochées au cours des années 2009 à 2016 ont été inscrites en compte et étaient connues de Madame [X].
Madame [X] soutient pour sa part ne pas avoir été tenue informée de ces dépenses qu'elle a par conséquent ignoré, que les comptes sociaux ont été établis avec retard par l'expert-comptable et n'ont pas été approuvés par l'assemblée générale. Elle estime n'avoir été informée de ces dépenses que lorsqu'il est apparu que M.[I], sommé de justifier des dépenses litigieuses, n'a pas répondu à cette demande, soit le 21 décembre 2021 ou subsidiairement à la date ou M.[I] a lui même saisi le tribunal judiciaire de Toulouse ou plus subsidiairement encore au 1er mai 2019.
Le premier juge a néanmoins relevé par des motifs pertinents que les dépenses litigieuses ont été inscrites en comptabilité.
Dès lors, co-gérante, investie des mêmes pouvoirs de gestion que M. [I], Madame [X] disposait dès le dépôt de chacun des comptes annuels, de l'information qui lui permettait d'agir en responsabilité contre le gérant.
Elle n'est pas fondée à soutenir que ces comptes n'ont pas été approuvés en assemblée générale dès lors qu'en sa qualité de gérante, il lui appartenait de veiller à la tenue de ces assemblées et qu'elle ne peut se prévaloir de sa propre inertie.
Rien ne démontre en revanche que la co-gérante a eu connaissance de ces dépenses avant la date de dépôt des comptes, ses fonctions n'impliquant pas un contrôle au jour le jour du livre journal et des comptes bancaires de la société.
Il résulte de la date d'édition portée sur les copies des comptes sociaux versés aux débats et il n'est pas contesté que les comptes de l'exercice 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009 ont été établis le 09 juin 2011, ceux de l'exercice du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010 ont été établis le 4 mai 2012, ceux de l'exercice 1er janvier 2011 au 31 décembre 2011 ont été établis le 4 juin 2013, ceux de l'exercice 1er janvier 2012 au 31 décembre 2012 ont été établis le 19 mai 2014, ceux de l'exercice 1er janvier 2013 au 31 décembre 2013 ont été établis le 26 juin 2015, ceux de l'exercice 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014 ont été établis le 27 mai 2016, ceux de l'exercice 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 ont été établis le 9 juin 2017, ceux de l'exercice 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016 ont été établis le 1er mars 2018.
Ainsi, Madame [X] a eu connaissance des opérations intervenues entre 2009 et 2014 dès l'établissement des comptes 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014, déposés plus de 5 ans avant l'action formée par conclusions du 11 mai 2022. Son action au titre de ces opérations est donc tardive.
En revanche, les demandes relatives aux dépenses effectuées en octobre, novembre et décembre 2015 et celle effectuée en juin 2016 n'ont été révélées à la co-gérante que lors de l'établissement des comptes 2015 et 2016 les 9 juin 2017 et 1er mars 2018, soit moins de 5 ans avant que l'action soit engagée. Elles ne sont donc pas prescrites
L'ordonnance déférée sera donc infirmée sur ce point.
Chacune des parties supportera la charge des dépens engagés en cause d'appel.
Il n'y a pas lieu d'accueillir la demande formée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
Confirme l'ordonnance déférée, sauf en ce qu'elle a dit prescrite l'action de Madame [X] en responsabilité de M.[I] en raison des dépenses engagées en 2015 et 2016,
Dit que l'action de Madame [X] en responsabilité de M.[I] en raison des dépenses engagées en 2015 et 2016 n'est pas prescrite,
Dit que chacune des parties supportera la charge des dépens engagés en cause d'appel.
Déboute les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.