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Décisions

Cass. 3e civ., 25 avril 2024, n° 24-10.256

COUR DE CASSATION

Arrêt

QPC autres

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Rapporteur :

M. Boyer

Avocat général :

Mme Vassallo

Avocats :

SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, SCP Marlange et de La Burgade

Nîmes, du 7 déc. 2023

7 décembre 2023

Faits et procédure

1. Par arrêté du 24 avril 2013, le préfet de l'Hérault a délivré à la société Energie renouvelable du Languedoc (la société ERL) un permis de construire pour édifier sept aérogénérateurs et un poste de distribution au lieu-dit « [Localité 4] », sur le territoire de la commune de [Localité 6].

2. Le 10 juillet 2015, la société ERL a déposé en mairie la déclaration d'ouverture du chantier, datée du 30 juin 2015.

3. Le 26 février 2016, elle a déposé sa déclaration, datée du 23 février précédent, attestant de l'achèvement des travaux et de leur conformité avec le permis de construire.

4. Le 19 juillet 2016, le préfet de l'Hérault a délivré le certificat de conformité.

5. Par arrêt du 26 janvier 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé le permis en raison de l'insuffisance de l'étude d'impact.

6. Par décision du 8 novembre 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a rejeté le pourvoi formé contre cette décision.

7. Le 27 juillet 2018, l'association Vigilance patrimoine paysager et naturel (VPPN) et l'Association protection des paysages et ressources de l'Escandorgue et du Lodévois (APPREL) ont assigné la société ERL en démolition du parc éolien sur le fondement de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme et en dommages-intérêts. L'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) est intervenue volontairement à l'instance.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

8. A l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt, rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 11 janvier 2023, pourvoi n° 21-19.778, publié) le 7 décembre 2023 par la cour d'appel de Nîmes, la société ERL a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L'article L. 480-13, 1°, du code de l'urbanisme, en ce qu'il permet la démolition d'une construction édifiée dans certaines zones conformément à un permis de construire, ultérieurement annulé, ne porte-t-il pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété, en méconnaissance de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi qu'une atteinte à la sécurité juridique, en méconnaissance de l'article 16 de cette même Déclaration, faute de réserver toute démolition lorsque le propriétaire dispose d'une autorisation administrative d'exploitation ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

9. La disposition contestée est applicable au litige, qui se rapporte aux conditions dans lesquelles le juge judiciaire peut ordonner la démolition d'une construction du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, lorsque celle-ci a été édifiée conformément à un permis de construire qui a fait l'objet d'une annulation pour excès de pouvoir.

10. Si, dans sa décision n° 2017-672 QPC du 10 novembre 2017, le Conseil constitutionnel, en jugeant conformes à la Constitution les mots « et si la construction est située dans l'une des zones suivantes : » figurant au premier alinéa du 1° et les a) à o) du même 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, s'est prononcé sur la conformité à la Constitution des dispositions de ce texte interdisant l'action en démolition en dehors des zones qu'il vise limitativement, cette décision ne s'est pas prononcée, dans les motifs et le dispositif, sur la possibilité ainsi ouverte au juge judiciaire d'ordonner la démolition lorsque le propriétaire des constructions litigieuses, situées dans une de ces zones, dispose, par ailleurs, d'une autorisation administrative d'exploiter délivrée en application d'une autre législation.

11. Ainsi, l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, en ce que celui-ci ne réserve pas, pour exclure la démolition, le cas des ouvrages dont le propriétaire dispose d'une autorisation administrative d'exploiter, n'a pas été déclaré conforme à la Constitution.

12. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

13. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

14. En effet, en premier lieu, l'autorisation de construire, qui se rapporte aux règles d'implantation et de construction d'un ouvrage, et l'autorisation d'exploiter, qui se rapporte aux conditions d'exploitation d'une activité, n'ont pas le même objet et relèvent de deux législations différentes.

15. Ainsi, alors que l'autorisation unique prévue, à titre expérimental, par l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014, valait, par application de l'article 2 de celle-ci, permis de construire au titre de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme, il résulte des dispositions de l'article L. 181-2 du code de l'environnement, issu de l'article 1er de l'ordonnance du 26 janvier 2017, que l'autorisation environnementale, contrairement à l'autorisation unique, ne tient pas lieu de permis de construire le cas échéant requis, les rédacteurs de cette ordonnance ayant souligné dans leur rapport au président de la République : « L'autorisation environnementale ne vaut pas autorisation d'urbanisme, celle-ci relevant d'une approche très différente dans ses objectifs, son contenu, ses délais et l'autorité administrative compétente ».

16. Il en résulte, de manière générale, que l'annulation d'une autorisation délivrée au titre d'une législation est, en tant que telle, sans incidence directe, sur l'autorisation délivrée au titre d'une législation distincte (CE, 22 septembre 2014, n° 367889, mentionné aux tables du Recueil Lebon).

17. En deuxième lieu, la condamnation à démolir susceptible d'être prononcée par le juge judiciaire sur le fondement de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme n'est pas subordonnée à la seule condition que le permis de construire délivré ait été annulé, mais exige du demandeur à l'action qu'il démontre avoir subi un préjudice personnel en lien de causalité directe, non pas avec la seule présence des constructions environnantes ne respectant pas les règles d'urbanisme ou les servitudes d'utilité publique, mais avec la violation de la règle d'urbanisme méconnue (3e Civ., 23 novembre 1982, pourvoi n° 81-14.817, publié ; 3e Civ., 11 janvier 2023, pourvoi n° 21-19.778, publié).

18. En troisième lieu et enfin, il relève de l'office du juge judiciaire, saisi d'une demande de démolition sur le fondement de ce texte, de vérifier si, à la date à laquelle il statue, la règle d'urbanisme dont la méconnaissance a justifié l'annulation du permis de construire est toujours opposable au pétitionnaire, et, le cas échéant, si celui-ci n'a pas régularisé la situation au regard de celles qui lui sont désormais applicables.

19. Il en résulte que la disposition contestée, qui ne méconnaît pas la sécurité juridique, ne porte pas non plus une atteinte excessive au droit de propriété de l'exploitant.

20. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.