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Cass. com., 4 décembre 2024, n° 23-14.137

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

PARTIES

Demandeur :

WRA (SARL), Injection et Régulation Marine (Sté)

Défendeur :

Ogepar moteur technologie (SAS), Anglo-Belgian corporation Nv (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Sabotier

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Boullez

Douai, 20 octobre 2022 et 2 février 2023

20 octobre 2022

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Injection et Régulation Marine (la société IRM) du désistement de son pourvoi.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Douai, 20 octobre 2022 et 2 février 2023), les 25 août 2017 et 19 novembre 2018, se plaignant du débauchage de son personnel et de la captation de son savoir-faire par la société Ogepar moteur technologie [Localité 4] (la société OMTD), dont l'associée unique est la société Anglo-Belgian corporation (la société ABC), la société IRM a assigné ces sociétés en concurrence déloyale.

3. En redressement judiciaire depuis le 23 mai 2017, la société IRM a été mise en liquidation judiciaire le 13 novembre 2018, la société WRA étant désignée liquidateur.

4. Par un arrêt du 20 octobre 2022, la cour d'appel a dit que la société OMTD avait fautivement débauché certains salariés et détourné des documents au détriment de la société IRM, a rejeté la demande de réparation de divers préjudices allégués de la société IRM, puis, avant dire-droit sur la demande d'indemnisation au titre du paiement des soldes de tout compte des salariés démissionnaires passés au service de la société OMTD, a ordonné la réouverture des débats aux fins de production des soldes de tout compte remis à ces salariés.

5. Par un autre arrêt du 2 février 2023, la cour d'appel a rejeté la demande d'indemnisation au titre des soldes de tout compte.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

6. La société WRA fait grief à l'arrêt du 20 octobre 2022 de rejeter ses demandes, alors :

« 2°/ que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que la cour d'appel a constaté que le débauchage fautif des salariés de la société IRM par la société OMTD, opéré en avril 2016, avait entraîné la désorganisation de la société IRM par l'usage de manœuvres déloyales" et que la main-d'œuvre compétente était limitée dans le secteur d'activité des deux entreprises, ce qui constituait un facteur aggravant puisqu'elle implique une plus grande difficulté à remplacer le personnel débauché" ; que cependant, la cour d'appel a conclu que la société WRA ne peut pas prétendre comme elle le fait que la situation financière de la société IRM était saine avant que les manœuvres de la société OMTD ne la conduise au redressement puis à la liquidation judiciaire. Le lien de causalité existant entre la faute retenue et le coût généré par sa mise en observation et le licenciement de ses derniers salariés n'est donc pas établi" ; qu'en statuant ainsi quand il résultait de ses constatations que la société OMTD avait à tout le moins contribué à désorganiser la société IRM en la privant de salariés qualifiés difficiles à remplacer, ce qui caractérisait son rôle causal, au moins partiel, dans les difficultés de cette dernière ayant abouti à l'ouverture d'une procédure collective, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en s'attachant à des considérations inopérantes tenant à l'existence de difficultés antérieures ou concomitantes aux fautes de la société OMTD, a violé les articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241, du code civil ;

3°/ qu'il s'infère nécessairement un préjudice du détournement de documents commerciaux ou organisationnels d'une société par une autre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la société OMTD avait détourné de tels documents appartenant à la société IRM ; qu'en refusant cependant toute indemnisation à la société IRM au prétexte que n'ont été retrouvés lors des opérations de constat que quelques documents épars, qui ne sauraient être qualifiés de 'savoir-faire résultant de plusieurs années de travail' et auxquels il ne peut être manifestement pas être attaché de caractère stratégique. La société WRA échoue donc totalement à démontrer que leur détention par la société OMTD a vidé la société IRM 'd'une part substantielle de son actif incorporel' et à rapporter la preuve d'un lien de causalité entre la faute retenue et le préjudice invoqué", la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1240 du code civil :

7. Pour rejeter les demandes indemnitaires de la société IRM et dire n'y avoir lieu à expertise, l'arrêt du 20 octobre 2022 retient, d'une part, que la faute de débauchage des salariés de la société IRM par la société OMTD à l'origine de la désorganisation de la société IRM est établie et que le manque de main d'œuvre qualifiée dans le secteur d'activité des deux sociétés concurrentes constitue un facteur aggravant de cette désorganisation, puisqu'elle implique une plus grande difficulté à remplacer le personnel débauché, mais que la société WRA ne peut toutefois prétendre que la situation financière de la société IRM était saine avant que les manœuvres de la société OMTD ne la conduise au redressement puis à la liquidation judiciaires, de sorte que le lien de causalité entre la faute retenue et le coût généré par sa mise en observation et le licenciement de ses derniers salariés n'est pas établi.

8. L'arrêt retient, d'autre part, que les éléments limités en provenance de la société IRM trouvés parmi les fichiers présents dans les ordinateurs utilisés par ses anciens salariés, MM. [D] et [K], au sein de la société OMTD, ne permettent pas de corroborer l'allégation d'un détournement complet du savoir-faire de la société IRM.

9. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants tirés des difficultés économiques de la société IRM antérieures au débauchage de son personnel par la société OMTD, dont elle avait constaté qu'il avait désorganisé la société IRM, et alors qu'un préjudice était susceptible de découler d'un détournement seulement partiel de son savoir-faire par la société OMTD, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le moyen relevé d'office

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 480 du code de procédure civile :

11. Selon ce texte, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.

12. Pour rejeter la demande d'indemnisation au titre des soldes de tout compte présentée par la société WRA, l'arrêt du 2 février 2023 retient que cette société ne démontre pas le préjudice allégué.

13. En statuant ainsi, alors que, dans son dispositif, l'arrêt du 20 octobre 2022 dit que la société OMTD a fautivement débauché MM. [K], [F], [U], [B], [R], [J] et [C] au détriment de la société IRM, ce dont il résulte que l'existence d'un préjudice, fût-il seulement moral, résultait nécessairement d'un tel acte de concurrence déloyale, la cour d'appel, qui a méconnu l'autorité de chose jugée qui s'attache à ce chef de dispositif, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils rejettent les demandes d'expertise, de dommages et intérêts provisionnels et d'indemnisation au titre du paiement des soldes de tout compte de MM. [Y] [K], [G] [F], [M] [U], [X] [B], [L] [R], [Y] [J] et [Z] [C], présentées par la société WRA, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Injection et Régulation Marine (IRM), et en ce qu'ils statuent sur les dépens, les arrêts rendus les 20 octobre 2022 et 2 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;

Condamne les sociétés Ogepar moteur technologie [Localité 4] et Anglo-Belgian corporation aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Ogepar moteur technologie [Localité 4] et Anglo-Belgian corporation et les condamne à payer à la société WRA, prise en sa qualité de liquidateur de la société Injection et Régulation Marine (IRM), la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des l'arrêts partiellement cassés ;