CA Versailles, ch. civ. 1-1, 26 novembre 2024, n° 22/05213
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Manes
Conseillers :
Mme Cariou, Mme Du Crest
Avocats :
Me Cals, Me Blondel, SELARL Antoine Christin Avocat, Me Revers, Me Leproux
FAITS ET PROCÉDURE
A la suite de différentes cessions intervenues entre les associés, la composition du capital de la société civile immobilière familiale ACR (ci-après la société ACR), qui est propriétaire d'un appartement avec parking sis à [Localité 9] (Hauts-de-Seine), est la suivante :
- M. [R] [O], co-gérant, est propriétaire de 750 parts,
- Mme [E] [O] épouse [Z], co-gérante, est propriétaire de 750 parts.
Faisant état d'une situation de blocage dans le fonctionnement de la société et d'une mésentente grave entre ses associés, Mme [E] [O] épouse [Z], autorisée à assigner à jour fixe par ordonnance rendue sur requête le 14 octobre 2021 sur le fondement de l'article 840 du code de procédure civile, a, par acte d'huissier de justice du 20 octobre 2021, fait assigner M. [R] [O] et la société ACR devant le tribunal judiciaire de Nanterre aux fins de voir prononcer la dissolution anticipée de la société.
Par un jugement contradictoire rendu le 22 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
Prononcé la dissolution de la société civile immobilière ACR ayant son siège social [Adresse 4] à [Localité 7] ;
Dit que cette dissolution anticipée entraîne la liquidation de la société ;
Désigné Maître [U] [V], mandataire judiciaire ([Adresse 5]), avec mission de procéder aux opérations de liquidation dans les conditions des articles 1844-8 et suivants du code civil et notamment de :
réaliser les opérations de liquidation ;
procéder au recouvrement ou à la cession des créances ;
établir les comptes de la société ;
résilier tous contrats ;
réaliser tous les éléments de l'actif social, payer le passif et répartir le solde en numéraire entre les associés en proportion de leurs droits respectifs ;
remplir toutes formalités afférentes ou corrélatives à la dissolution de la société ;
continuer l'exploitation sociale jusqu'au jour de la réalisation de l'actif en entreprenant toutes opérations nouvelles nécessaires au maintien de la valeur de réalisation des éléments d'actif ;
faire tous les actes d'administration, représenter la société dissoute vis à vis des tiers, délivrer et certifier tous comptes et documents sociaux de toute nature ;
vendre de gré à gré ou aux enchères publiques, selon qu'il avisera, sans aucune formalité de justice, en bloc ou en détail, aux prix, charges et conditions qu'il jugera convenables, tous les biens et droits mobiliers ou immobiliers composant l'actif social ;
en tant que de besoin, faire tous dires, déclarations, réserves, additions, modifications et rectifications à tous cahiers des charges et procès-verbaux d'enchères ;
accepter de tous adjudicataires ou de tous autres qu'il appartiendra toutes garanties mobilières ou immobilières offertes, pour assurer le paiement des prix ainsi que le transport de toutes indemnités d'assurances au cas d'incendie et autres ;
remettre ou se faire remettre tous titres et pièces, en donner ou retirer décharge ;
recevoir toutes sommes dues à la société, payer ce qu'elle peut devoir, négocier tous règlements par anticipation, accorder toutes prorogations de délai ;
de toutes sommes et valeurs reçues ou payées, donner ou retirer toutes quittances et décharges ;
accomplir les formalités légales de publicité de la liquidation ;
Dit que la rémunération du liquidateur sera employée en frais de liquidation par préférence et priorité ;
Fixé la provision à valoir sur les honoraires du liquidateur à la somme de trois mille euros (3 000,00 euros), qui sera payée par la SCI ASR dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, sous peine de caducité de la désignation ;
Autorisé Mme [E] [Z] à consigner en lieu et place de la SCI ASR, charge au liquidateur d'intégrer la dépense faite par l'intéressée dans les comptes de liquidation à intervenir ;
Constaté que les demandes de révocation de leur mandat respectif de co-gérant formulée par Mme [E] [Z] et par M. [R] [O], ainsi que la demande de Mme [E] [Z] d'être autorisée à se retirer de la société ACR sont sans objet ;
Débouté Mme [E] [Z] de sa demande de dommages-intérêts pour perte de chance d'obtenir une distribution de dividendes à concurrence de la somme de 23 701,32 euros ;
Rejeté tout autre demande plus ample ou contraire ;
Débouté les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles ;
Partagé les dépens de l'instance à hauteur d'un tiers à la charge de M. [R] [O], un tiers à la charge de Mme [E] [Z] et un tiers à la charge de la société civile immobilière ACR ;
Ecarté l'exécution provisoire.
M. [R] [O] a interjeté appel de ce jugement le 4 août 2022 à l'encontre de Mme [E] [O] et la société ACR.
Par dernières conclusions notifiées le 29 mars 2024, M. [R] [O] demande à la cour de :
Vu l'article 1844 - 7 du code civil
Vu l'alinéa 2 de l'article 1851 du code civil
Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile
Confirmer le jugement rendu le 22 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre (RG n°21/08483) en ce qu'il a :
« *Constaté que la demande de révocation de mandat de co-gérant formulée par Mme [E] [Z] est sans objet ;
* Débouté Mme [E] [Z] de sa demande de dommages-intérêts pour perte de chance d'obtenir une distribution de dividendes à concurrence de la somme de 23 701,32 euros ;
* Rejeté tout autre demande plus ample ou contraire de Mme [E] [Z] ;
* Débouté Mme [E] [Z] de leurs demandes au titre des frais irrépétibles ;
* Partagé les dépens de l'instance à hauteur d'un tiers à la charge de M. [R] [O], un tiers à la charge de Mme [E] [Z] et un tiers à la charge de la société civile immobilière ACR » ;
Réformer le jugement rendu le 22 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre (RG 21/08483), en ce qu'il a :
* Prononcé la dissolution de la société civile immobilière ACR ayant son siège social [Adresse 4] à [Localité 7] (RCS Nanterre n° 444 168 983);
* Dit que cette dissolution anticipée entraîne la liquidation de la société ;
* Désigné Maître [U] [V], mandataire judiciaire ([Adresse 5]), avec mission de procéder aux opérations de liquidation dans les conditions des articles 1844-8 et suivants du code civil, et fixé sa mission
* Fixé la provision à valoir sur les honoraires du liquidateur
* Autorisé Mme [E] [Z] à consigner en lieu et place de la SCI ACR,
* Constaté que la demande, formulée par M. [R] [O], de révocation du mandat de co-gérant exercée par Mme [E] [Z] est sans objet ;
Et réformer le jugement rendu le 22 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre, en ce qu'il a débouté M. [R] [O] de ses demandes tendant à :
* Révoquer Mme [E] [O] épouse [Z] de son mandat de cogérant pour causes légitimes avec effet immédiat
* Condamner Mme [Z] à verser à M. [R] [O] la somme de 20.000euros pour procédure abusive en raison de sa mauvaise foi
* Condamner Mme [E] [O] épouse [Z] aux entiers dépens ainsi qu'à verser à M. [R] [O] la somme de 10.000 euros exposée pour sa défense au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau sur le fond :
Ordonner le retrait judiciaire de Mme [E] [Z] de la SCI ACR ;
Débouter Mme [E] [O] épouse [Z] de sa demande de dissolution anticipée de la Société SCI ACR (RCS Nanterre n° 444 168 983) ;
A titre infiniment subsidiaire,
Ordonner qu'il soit sursis à la mise en vente du bien jusqu'au 1er octobre 2025 et ordonner la résiliation du bail en cours au terme de celui ci ;
Débouter Mme [E] [O] épouse [Z] de l'ensemble de ses demandes ;
Révoquer Mme [E] [O] épouse [Z] de son mandat de co-gérant pour causes légitimes avec effet immédiat ;
Condamner Mme [Z] à verser à M. [R] [O] la somme de 20 000 euros pour procédure abusive en raison de sa mauvaise foi ;
Condamner Mme [E] [O] épouse [Z] aux entiers dépens ainsi qu'à verser à M. [R] [O] la somme de 10 000 euros exposée pour sa défense au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 2 avril 2024, Mme [E] [O] demande à la cour de :
Vu les articles 1844-7, 1851 et 1869 du code civil,
Vu les articles 18, 21 et 25 des statuts de la SCI ACR (pièce [O] n°2) ;
Vu les articles 514 et suivants, 696, 700 et 910-4 du code de procédure civile,
À titre principal :
Confirmer le jugement rendu le 22 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre (RG n°21/08483) en ce qu'il a :
« *Prononcé la dissolution de la société civile immobilière ACR ayant son siège social [Adresse 4] à [Localité 7] ;
* Dit que cette dissolution anticipée entraîne la liquidation de la société ;
* Désigné Maître [U] [V], mandataire judiciaire ([Adresse 5]), avec mission de procéder aux opérations de liquidation dans les conditions des articles 1844-8 et suivants du code civil et notamment de :
- réaliser les opérations de liquidation ;
- procéder au recouvrement ou à la cession des créances ;
- établir les comptes de la société ;
- résilier tous contrats ;
- réaliser tous les éléments de l'actif social, payer le passif et répartir le solde en numéraire entre les associés en proportion de leurs droits respectifs ;
- remplir toutes formalités afférentes ou corrélatives à la dissolution de la société ;
- continuer l'exploitation sociale jusqu'au jour de la réalisation de l'actif en entreprenant toutes opérations nouvelles nécessaires au maintien de la valeur de réalisation des éléments d'actif ;
- faire tous les actes d'administration, représenter la société dissoute vis à vis des tiers, délivrer et certifier tous comptes et documents sociaux de toute nature ;
- vendre de gré à gré ou aux enchères publiques, selon qu'il avisera, sans aucune formalité de justice, en bloc ou en détail, aux prix, charges et conditions qu'il jugera convenables, tous les biens et droits mobiliers ou immobiliers composant l'actif social ;
- en tant que de besoin, faire tous dires, déclarations, réserves, additions, modifications et rectifications à tous cahiers des charges et procès-verbaux d'enchères ;
- accepter de tous adjudicataires ou de tous autres qu'il appartiendra toutes garanties mobilières ou immobilières offertes, pour assurer le paiement des prix ainsi que le transport de toutes indemnités d'assurances au cas d'incendie et autres ;
- remettre ou se faire remettre tous titres et pièces, en donner ou retirer décharge ;
- recevoir toutes sommes dues à la société, payer ce qu'elle peut devoir, négocier tous règlements par anticipation, accorder toutes prorogations de délai ;
- de toutes sommes et valeurs reçues ou payées, donner ou retirer toutes quittances et décharges ;
- accomplir les formalités légales de publicité de la liquidation ;
* Dit que la rémunération du liquidateur sera employée en frais de liquidation par préférence et priorité ;
* Fixe la provision à valoir sur les honoraires du liquidateur à la somme de trois mille euros (3 000,00 euros), qui sera payée par la SCI ASR dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, sous peine de caducité de la désignation ;
* Autorise Mme [E] [Z] à consigner en lieu et place de la SCI ASR, charge au liquidateur d'intégrer la dépense faite par l'intéressée dans les comptes de liquidation à intervenir ; »
À titre subsidiaire :
Constater la disparition de l'affectio societatis et donc l'existence d'un juste motif de retrait ;
Et, par conséquent,
Autoriser Mme [E] [Z] à se retirer de la SCI ACR, société civile immobilière au capital social de 1 500,00 euros, RCS Nanterre 444 168 983, siège social : [Adresse 4] ;
Rappeler que l'associé qui se retire a droit au remboursement de ses parts dont la valeur, à défaut d'accord amiable, sera fixée par expertise judiciaire ;
En tout état de cause :
Infirmer le jugement rendu le 22 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre (RG n°21/08483) en ce qu'il a :
« *Constaté que les demandes de révocation de leur mandat respectif de co-gérant formulée par Mme [E] [Z] et par M. [R] [O], ainsi que la demande de Mme [E] [Z] d'être autorisée à se retirer de la société ACR sont sans objet ;
* Débouté Mme [E] [Z] de sa demande de dommages-intérêts pour perte de chance d'obtenir une distribution de dividendes à concurrence de la somme de 23 701,32 euros ;
* Rejeté tout autre demande plus ample ou contraire ;
* Débouté les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles ;
* Partagé les dépens de l'instance à hauteur d'un tiers à la charge de M. [R] [O], un tiers à la charge de Mme [E] [Z] et un tiers à la charge de la société civile immobilière ACR » ;
Puis, statuant à nouveau,
Dire et juger que M. [R] [O] a commis des fautes de gestion en procédant à des remboursements complaisants de comptes-courants d'associés (ceux de ses parents ; le sien) alors que les justificatifs produits à ce titre étaient amplement insuffisants et que l'exécution de bonne foi de ses obligations de gérant aurait dû le conduire a minima à consulter les organes sociaux ;
Condamner M. [R] [O] à payer à Mme [E] [Z] une somme de 23 701,32 euros au titre de la perte de chance d'obtenir une distribution de dividendes ;
Révoquer M. [R] [O] de son mandat de co-gérant de la SCI ACR pour causes légitimes avec effet immédiat ;
Débouter M. [R] [O] et la SCI ACR de l'ensemble de leurs prétentions, fins et conclusions ;
Condamner M. [R] [O] à payer à Mme [E] [Z] une somme de 17 000 euros à titre de contribution à ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Condamner M. [R] [O] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions notifiées le 3 février 2023, la société ACR demande à la cour de :
Vu les dispositions de l'article 1844 -7 du code civil,
Infirmer le jugement rendu le 22 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre (RG 21/08483), en ce qu'il a :
* Prononcé la dissolution de la société civile immobilière ACR ayant son siège social [Adresse 4] à [Localité 7] (RCS Nanterre n° 444 168 983);
* Dit que cette dissolution anticipée entraîne la liquidation de la société ;
* Désigné Maître [U] [V], mandataire judiciaire ([Adresse 5]), avec mission de procéder aux opérations de liquidation dans les conditions des articles 1844-8 et suivants du code civil, et fixé sa mission
* Fixé la provision à valoir sur les honoraires du liquidateur
* Autorisé Mme [E] [Z] à consigner en lieu et place de la SCI ACR.
Statuant à nouveau,
Débouter Mme [E] [O] épouse [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner Mme [E] [O] épouse [Z] à verser à la SCI ACR la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 25 avril 2024.
SUR CE, LA COUR,
Sur les limites de l'appel et à titre liminaire
Il résulte des écritures susvisées que le jugement est critiqué en toutes ses dispositions.
La cour rappelle par ailleurs que l'article 954 du code de procédure civile oblige les parties à énoncer leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions et que la cour ne statue que sur celles-ci.
Par prétention, il faut entendre, au sens de l'article 4 du code de procédure civile, une demande en justice tendant à ce qu'il soit tranché un point litigieux.
Par voie de conséquence, les « constater » et les « dire et juger » ne constituent pas des prétentions, mais en réalité des moyens qui ont leur place dans le corps des écritures, plus précisément dans la partie consacrée à l'examen des griefs formulés contre le jugement et à la discussion des prétentions et moyens, pas dans le dispositif. La cour ne répondra de ce fait aux « demandes » de Mme [Z] tendant à « Constater la disparition de l'affectio societatis et donc l'existence d'un juste motif de retrait » et « Dire et juger que M. [R] [O] a commis des fautes de gestion en procédant à des remboursements complaisants de comptes-courants d'associés (ceux de ses parents ; le sien) alors que les justificatifs produits à ce titre étaient amplement insuffisants et que l'exécution de bonne foi de ses obligations de gérant aurait dû le conduire a minima à consulter les organes sociaux » qu'à condition qu'ils viennent au soutien de la prétention formulée en appel et énoncée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif de son arrêt, mais dans ses motifs.
Sur la demande de dissolution de la SCI ACR
Après avoir caractérisé la mésentente entre les associés et la paralysie de fonctionnement de la société, en ce que l'opposition des parties avait d'ores et déjà pu mettre en péril la pérennité de la poursuite de l'objet social puisque le compte bancaire de la société a été dénoncé par l'établissement bancaire le 12 août 2021, et en ce qu'elle empêche la tenue d'assemblée générale et l'adoption de mesures propres à assurer la pérennité de la société, le tribunal a prononcé la dissolution de la société, dit que cette dissolution anticipée entraînait la liquidation de la société et désigné M. [V] en qualité de mandataire judiciaire.
Il a ensuite considéré que les demandes tendant à voir révoquer M. [O] et Mme [Z] de leur fonction de gérant, et la demande subsidiaire de retrait de la société présentée par Mme [Z], étaient sans objet.
Moyens des parties
Poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la dissolution de la société, M. [O] sollicite le rejet de cette demande au motif que la paralysie des organes sociaux n'est pas constituée.
Il explique que la clôture du compte bancaire Crédit Mutuel de la société est exclusivement dû au refus de Mme [Z] qu'il soit procédé au remboursement partiel des avances par lui faites à hauteur de 15 000 euros, et précise qu'elle s'est ensuite opposée à l'ouverture d'un nouveau compte bancaire dans cette même banque puis auprès de la banque Qonto. Il en déduit qu'étant à l'origine de la mésentente entre associés, elle ne peut solliciter la dissolution de la société.
En outre, il fait valoir que la seule disparition de l'affection societatis n'est pas suffisante, en l'absence de paralysie des organes de la société. Or, selon lui, la société ACR ne voit pas son fonctionnement entravé : elle a remboursé son prêt et perçoit normalement ses loyers, ses quelques charges sont couvertes par le loyer perçu dans la mesure où le prêt est remboursé. Il ajoute que les statuts permettent de prendre des décisions collectives par consultation écrite.
Il soutient que le remboursement des avances effectuées au profit de la société par M. [C] [O] et Mme [H] [O], leurs parents, ne constitue ni un abus de confiance ni une faute de gestion, mais le remboursement d'une dette dans l'intérêt social.
Par ailleurs, au fondement de l'article 1844-7 5° du code civil, il conteste ne pas avoir exécuté ses obligations d'associé et estime que Mme [Z] n'apporte aucun élément probant de ce que, à supposer ce manquement établi, il aurait entraîné une paralysie de fonctionnement de la société.
A titre infiniment subsidiaire, compte tenu du loyer en cours jusqu'en septembre 2025, il demande qu'il soit sursis à la mise en vente du bien jusqu'au 1er octobre 2025 et ordonné la résiliation du bail en cours au terme de celui-ci.
Poursuivant également l'infirmation du jugement sur ce point, la société ACR sollicite le rejet de la demande de dissolution et fait valoir que :
Mme [Z] est à l'origine de la mésentente de sorte qu'elle n'est pas recevable à invoquer la dissolution ;
Qu'elle ne participe pas aux assemblées générales et n'exerce aucune activité contributive à la gestion de la société ;
Qu'elle échoue à démontrer une paralysie de la société puisque la société dispose d'un actif important (bien sis à [Localité 9] évalué à environ 900 000 euros), d'un passif nul, et de revenus générés par des loyers récurrents.
Mme [Z] demande à la cour, au fondement de l'article 1844-7 5° du code civil, la confirmation du jugement en ce qu'il a ordonné la dissolution de la société ACR, dit que cette dissolution anticipée entraînait la liquidation de la société et désigné M. [V] en qualité de mandataire judiciaire.
A l'appui de sa demande, elle fait valoir que la paralysie de la société est caractérisée et qu'il existe une inexécution de ses obligations par M. [O] :
M. [O] refuse de participer aux assemblées générales qu'elle souhaite organiser ;
Aucune décision en commun n'est possible ;
L'approbation des comptes doit être adoptée à l'unanimité, unanimité qui est, compte tenu des conflits existants, inatteignable ;
M. [O] aurait commis plusieurs fautes de gestion : en virant à ses parents la somme de 47 402,64 euros le 30 décembre 2020 au prétexte de rembourser des comptes courant d'associés dont la consistance est, selon elle, contestable, en épuisant la trésorerie de la société et sans l'accord de sa co-associée, alors que cette somme a servi en réalité à payer la condamnation exécutoire par provision des époux [O] à l'égard de diverses parties dans une affaire impliquant la SCI ASR (bien détenu à Sèvres) ; en tentant de procéder à un virement de 15 000 euros sur son compte personnel en juillet 2021 au prétexte, selon elle, de rembourser des sommes avancées au profit de la société ; en tentant de procéder à un nouveau virement de 14 500 euros le 8 octobre 2021, auquel elle s'est opposée, vers le nouveau compte bancaire de la société chez la banque Qonto ; en tentant de procéder à un nouveau virement à son profit de 10 000 euros le 11 octobre 2021 ; en faisant régler ses frais d'avocat par les fonds des SCI familiales ;
Le compte courant d'associé des parents [O], lesquels ont cédé leurs parts sociales en 2014, n'a jamais été évoqué dans aucune convocation d'assemblée générale ni aucun document jusqu'en 2020 ;
Le tableur excel produit par M. [O] et établi par lui-même ne démontre rien.
Appréciation de la cour
L'article 1844-7, 5° du code civil dispose que la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.
La disparition de l'affectio societatis consacre la disparition d'un élément essentiel du contrat de société, l'affectio societatis étant compris comme la volonté de collaborer à une 'uvre commune et à se conduire comme des associés.
Le plus souvent, l'absence d'affectio societatis ne suffit pas à obtenir le prononcé d'une dissolution judiciaire de la société, car il convient d'éviter toute confusion entre cette notion et la mésentente justifiant la dissolution judiciaire pour justes motifs. La simple volonté d'une des parties de ne plus avoir l'intention de s'associer ne justifie pas qu'une société puisse disparaître. Elle doit être complétée par la paralysie de la société qui constitue l'élément essentiel, pour aboutir à la dissolution de la société (Cass. 3e civ., 16 mars 2011, n° 10-15.459).
En l'espèce, il n'est pas contesté que la société ACR a remboursé son crédit immobilier, qu'elle perçoit régulièrement des loyers et est à jour de ses charges. Au terme de l'année 2020, le résultat net de la société s'élevait à 28 322 euros (pièce 10 appelant). Au 30 novembre 2020, son compte bancaire présentait un solde positif à 45 409,05 euros. Au 31 décembre 2020, le solde de son compte bancaire s'élevait à 688,71 euros (pièce 10 appelant, pièce 9 intimée). Aucune pièce comptable ou bancaire plus récente n'a été produite. Toutefois, les parties ne contestent pas que la société ACR est bénéficiaire, puisqu'elle a soldé son prêt.
Cependant, ainsi que l'ont constaté les premiers juges, le compte bancaire de celle-ci a été unilatéralement dénoncé par la banque Crédit mutuel le 12 août 2021. Cette dénonciation fait suite à l'opposition de Mme [Z] à des virements opérés par M. [O], selon lui, en remboursement d'avances qu'il aurait faites au profit de la société. Il ne justifie pas de ces avances dans la présente procédure. Sont seulement produits par Mme [Z] des convocations à des assemblées générales en 2019, 2020 et 2021 qui font état d'avances effectuées par M. [O] pour le paiement des charges, des intérêts d'emprunt ou des travaux de remise en état dans l'appartement (pièces 29, 31, 32, 33, 34, 38 Mme [Z]).
Il résulte en outre des échanges entre Mme [Z] et la banque que Mme [Z] ne s'attendait pas à cette décision de clôture du compte (pièces 8, 41 Mme [Z]).
Il s'ensuit qu'il ne peut être sérieusement conclu que Mme [Z] est exclusivement à l'origine de la fermeture du compte, laquelle résulte d'une décision unilatérale de la banque en raison de la mésentente des co-gérants associés.
Il est en revanche établi que cet incident a mis en péril l'intérêt social puisque la société ACR a pour objet la gestion d'un bien immobilier et la perception de loyers, rendant indispensable l'usage d'un compte bancaire.
Par ailleurs, la mésentente entre associés est telle qu'il a été procédé à l'ouverture d'un nouveau compte bancaire à la banque Qonto par M. [O], seul, Mme [Z] ne disposant pas, dans un premier temps, d'accès à ce compte (pièces 8, 11 et 47 intimée ; pièce 16 appelant).
L'organisation d'assemblée générale est impossible puisque chaque associé refuse de participer aux assemblées générales organisées par l'autre (pièce 16 intimée : refus de Mme [Z], pièce 21 intimée : refus de M. [O]).
Par ailleurs, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, il résulte des écritures des parties que chacune s'oppose avec une quasi-systématicité aux décisions proposées par l'autre.
Certes, les statuts du 3 juillet 2002 prévoient en leur article 24, une procédure de consultation écrite. En réalité, ces consultations écrites, dans lesquelles un associé qui ne répond pas est considéré comme s'étant abstenu, ne permettent pas l'adoption de décision puisque, d'après l'article 25, les décisions de gestion ordinaires doivent être adoptées par l'un ou plusieurs des associés représentant plus de la moitié du capital social, et d'après l'article 26, les décisions extraordinaires (modification des statuts notamment) doivent être adoptées par l'un ou plusieurs des associés représentant les deux tiers au moins du capital social ou à l'unanimité (pièce 2 appelant). Or, chaque associé de la société ACR possède la moitié des parts sociale. Par conséquent, la prise de décision écrite, hors assemblée générale, est impossible.
Dès lors, en dépit de la situation bénéficiaire de la société, la paralysie de ses organes de fonctionnement est parfaitement caractérisée.
C'est donc à juste titre que le tribunal a, par conséquent, prononcé la dissolution de celle-ci.
Dès lors, le jugement, en ce qu'il ordonné la dissolution de la société ACR, dit que cette dissolution anticipée entraînait la liquidation de la société et désigné M. [V] en qualité de mandataire judiciaire, sera confirmé.
Il s'ensuit que les demandes présentées par chaque partie aux fins de révocation du mandat de gérant de l'autre sont sans objet. La demande principale de M. [O] et subsidiaire de Mme [Z] aux fins de retrait de cette dernière est également sans objet. Le jugement sur ces points sera également confirmé.
Enfin, la demande subsidiaire présentée par M. [O] de surseoir à la vente du bien jusqu'au 1er octobre 2025 n'a pas été présentée dans ses premières conclusions notifiées le 4 novembre 2022 de sorte que, conformément à l'article 910-4 du code de procédure civile, elle sera déclarée irrecevable.
Sur la demande de dommages et intérêts formée par M. [O]
Moyens des parties
Poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande, M. [O] demande à la cour, au fondement de l'article 1240 du code civil, de condamner Mme [Z] à lui verser 20 000 euros de dommages et intérêts pour abus dans l'exercice du droit d'agir en dissolution de la société.
Mme [Z] ne développe pas de moyen de fait ni de droit, distinct de ceux soulevés à l'appui de sa demande en dissolution, au soutien du rejet de cette demande.
Appréciation de la cour
Le sens du présent arrêt conduit à rejeter cette demande, l'action en dissolution de Mme [Z] n'étant pas fautive.
Le jugement, en ce qu'il a rejeté cette demande, sera donc confirmé.
Sur la demande de condamnation de M. [O] au titre de la perte de chance d'obtenir une distribution de dividendes
Après avoir rappelé que l'associé d'une société est, sauf stipulation contraire, en droit d'exiger le remboursement de son compte courant à tout moment, sans nécessité d'une assemblée générale et même sans qu'il y ait obligation pour l'associé de se retirer ou de céder ses parts sociales, le tribunal a retenu que M. [O] n'avait pas commis de faute de gestion. Il a également considéré qu'il n'y avait pas lieu de reconstituer l'intégralité des avances consentis par M. [C] [O] et Mme [H] [D] puisqu'il était établi que les revenus de la société (loyers) ne lui permettaient pas de faire face à ses charges (emprunt notamment) et qu'aucune des parties ne revendiquaient avoir participé aux charges sur ses deniers personnels.
Il a donc rejeté la demande indemnitaire sollicitée par Mme [Z].
Surabondamment, il a retenu que les bénéfices d'une société pouvaient être affectés soit à la distribution de dividendes soit à la constitution de réserves et qu'en l'absence de décision quant à leur destination, il n'y avait pas lieu de considérer que les associés disposaient d'un droit acquis au versement de dividendes non votés, qui n'ont pas d'existence juridique avant la constatation de sommes distribuables par l'organe social compétent et la détermination de la part attribuée à chaque associé (Com., 28 novembre 2006, 04-17.486 ; Com., 13 septembre 2017, 16-13.674). Il a ajouté que Mme [Z] n'établissait pas qu'elle pouvait sérieusement prétendre à la distribution de dividendes (notamment étant donné les importants travaux projetés dans la copropriété).
Moyens des parties
Poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande, Mme [Z] demande la condamnation de M. [O] à lui verser 23 701,32 euros au titre d'une perte de chance d'obtenir une distribution de dividendes. Elle considère que le virement du 30 décembre 2020 au profit des époux [O] constitue un détournement des fonds de la société, laquelle est bénéficiaire, de sorte qu'elle était en droit de prétendre à la distribution de dividendes. Elle ne précise pas le fondement juridique de sa demande.
M. [O] conteste avoir commis des fautes de gestion et fait valoir avoir procédé au remboursement de dettes dues par la société.
Appréciation de la cour
L'article 1231-1 du code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
En l'espèce, il est effectivement particulièrement troublant que le versement de 47 402,64 euros le 30 décembre 2020 au profit des époux [O] soit consécutif à leur condamnation à verser 47 000 euros prononcée dans une procédure distincte, concernant la SCI ASR, alors qu'un incident aux fins de radiation de leur appel contre ce jugement venait d'être notifié.
En outre, les éléments sur lesquels se fondent le jugement pour justifier de l'existence des avances qu'auraient effectuées les parents [O] ne sont pas produits à hauteur d'appel. Aucun élément de nature à établir la consistance de ces avances prétendues (hormis quelques attestations d'assurance au nom de « [H] [O] » ainsi qu'un tableau excel que M. [O] s'est constitué à lui-même et, partant, dépourvu de toute valeur probante (pièces 15-2 et 3 [O])) n'est versé au débat.
Le tribunal a constaté l'impossibilité pour la société de faire face à ses échéances d'emprunt lorsqu'elles étaient encore dues, les loyers perçus alors étant d'un montant insuffisant pour y faire face, et en a déduit que les parents [O] avaient participé aux charges de la société sur leurs deniers personnels.
Toutefois, s'agissant de simples suppositions, alors que les parents [O] ne sont plus associés depuis 2014 et qu'aucun des procès-verbaux d'assemblées générales successifs produits ne fait état de ces dépenses, la cour considère que l'existence d'un compte courant d'associé dont ils seraient encore bénéficiaires n'est pas établi. Le versement de 47 402,64 euros le 31 décembre 2020 de la SCI ACR au profit des parents [O] n'est par conséquent pas justifié et constitue une faute de gestion.
Cependant, ainsi que l'a à bon droit retenu le tribunal, par des motifs exacts, précis et circonstanciés, adoptés par la cour, les bénéfices d'une société peuvent être affectés soit à la distribution de dividendes soit à la constitution de réserves et, en l'absence de décision quant à leur destination, il n'y a pas lieu de considérer que les associés disposent d'un droit acquis au versement de dividendes non votés. Les dividendes n'ont pas d'existence juridique avant la constatation de sommes distribuables par l'organe social compétent et la détermination de la part attribuée à chaque associé (Com., 28 novembre 2006, 04-17.486 ; Com., 13 septembre 2017, 16-13.674 s'agissant d'une SCI).
En l'absence de toute décision en faveur de l'octroi de dividendes aux associés sur les bénéfices de l'année 2020, Mme [Z] ne pouvait sérieusement prétendre à la distribution de dividendes et par conséquent, elle ne disposait pas d'une chance certaine, même minime, d'en percevoir.
A hauteur d'appel, elle ne produit aucun élément probant supplémentaire de nature à établir le contraire.
Il s'ensuit que la perte de chance qu'elle allègue n'est pas établie et que le jugement, en ce qu'il a rejeté sa demande, sera confirmé.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement, en ce qu'il a partagé les dépens de première instance à hauteur d'un tiers à la charge de M. [R] [O], un tiers à la charge de Mme [E] [Z] et un tiers à la charge de la société civile immobilière ACR, sera confirmé.
Parties perdantes, M. [O] et la société ACR seront condamnés, chacun pour moitié, aux dépens d'appel. Leurs demandes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
L'équité commande de ne pas faire application de ces mêmes dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
DÉCLARE irrecevable la demande infiniment subsidiaire formée par M. [O] tendant à ordonner qu'il soit sursis à la mise en vente du bien jusqu'au 1er octobre 2025 et à ordonner la résiliation du bail en cours au terme de celui-ci ;
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [O] et la société ACR, chacun pour moitié, aux dépens d'appel ;
REJETTE leurs demandes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
DIT n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres demandes.