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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-2, 3 décembre 2024, n° 24/00444

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 24/00444

3 décembre 2024

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 51C

Chambre civile 1-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 03 DECEMBRE 2024

N° RG 24/00444 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WJTJ

AFFAIRE :

S.A. ENGIE

C/

[I] [Y]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Novembre 2023 par le Tribunal de proximité d'ASNIERES SUR SEINE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 1123000449

Expéditions exécutoires

Copies certifiées conformes délivrées

le : 03/12/24

à :

Me Ondine CARRO

Me Aurélie GOUAZOU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TROIS DECEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANTE

S.A. ENGIE (appelante et intimée)

Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Ondine CARRO, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C212

Plaidant : Me Karim-Alexandre BOUANANE du cabinet LEGITIA, avocat au barreau de PARIS

****************

INTIMÉS

Monsieur [I] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale

Représentant : Me Aurélie GOUAZOU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 701

Madame [R] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Aurélie GOUAZOU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 701

Monsieur [O] [Y] (intimé et appelant)

Chez M. [I] et Mme [R] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale

Représentant : Me Aurélie GOUAZOU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 701

Madame [D] [Y]

Chez M. [I] et Mme [R] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale

Représentant : Me Aurélie GOUAZOU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 701

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 octobre 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne THIVELLIER, Conseillère chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe JAVELAS, Président,

Madame Anne THIVELLIER, Conseillère,

Madame Agnès PACCIONI, Vice-présidente placée,

Greffière lors des débats : Madame Céline KOC,

Greffière placée lors du prononcé : Madame Gaëlle RULLIER,

EXPOSE DU LITIGE

Suivant convention d'occupation précaire du 9 avril 2010 à effet au 1er mai 2010, la société Gdf Suez, aujourd'hui dénommée Engie, a mis à disposition de M. [I] [Y] un pavillon situé à [Localité 4], [Adresse 2], moyennant une indemnité mensuelle de 500 euros.

Par acte de commissaire de justice du 30 mars 2023, la société Engie a assigné M. [I] [Y], Mme [R] [Y], M. [O] [Y], et Mme [D] [Y] devant le juge des contentieux et de la protection du tribunal de proximité d'Asnières-sur-Seine aux fins d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- à titre principal, la validation du congé signifié le 7 janvier 2021 à effet du 18 janvier 2021et en conséquence, la condamnation de M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] à restituer le local à usage d'habitation situé à [Localité 4], [Adresse 2],

- à titre subsidiaire, le prononcé de la résiliation judiciaire de la convention d'occupation en application des dispositions des articles 1184 et 1741 du code civil pour non-respect des dispositions contractuelles de la convention d'occupation précaire et ce, aux torts exclusifs de M. [I] [Y] et Mme [R] [Y],

- en tout état de cause, l'expulsion de M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] et celle de tous occupants de leur chef, notamment M. [O] [Y] et Mme [D] [Y], avec le concours de la force publique,

- la suppression du bénéfice du délai de deux mois prévu à l'article L. 412-l du code des procédures civiles d'exécution,

- l'autorisation de séquestrer les biens et objets se trouvant éventuellement dans les lieux loués lors de l'expulsion dans tel garde-meuble ou local de son choix, aux frais, risques et périls du cité, sous réserve des dispositions des articles 65 et 66 de la loi du 9 juillet 1991,

- la condamnation solidaire de M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] à lui payer :

* la somme de 5 732,59 euros au titre des indemnités d'occupation dues, échéance de novembre 2022 incluse, selon décompte arrêté au 4 novembre 2022,

* une indemnité d'occupation égale au loyer du logement litigieux majoré de 50 %, à compter du 31 octobre 2021 jusqu'à libération des lieux et remise des clés,

* la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* les entiers dépens qui comprendront les frais du procès-verbal de constat.

Par jugement réputé contradictoire du 21 novembre 2023, le tribunal de proximité d'Asnières-sur-Seine a :

- prononcé la résiliation judiciaire de la convention d'occupation liant les parties à compter de la décision,

- ordonné en conséquence l'expulsion de M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] et celle de tous occupants de leur chef, notamment de M. [O] [Y] et Mme [D] [Y], à défaut de libération volontaire des lieux pris à bail, avec au besoin l'assistance de la force publique,

- dit que le sort des meubles se trouvant dans les lieux sera réglé conformément aux articles 65 et 66 de la loi du 9 juillet 1991 et 200 et suivants du décret du 31 juillet 1992,

- accordé un délai d'un an à compter de la signification du jugement à M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] pour quitter les lieux,

- condamné M. [I] [Y], Mme [R] [Y], M. [O] [Y] et Mme [D] [Y] à payer à la société Engie une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du loyer qui aurait été dû en cas de non-résiliation de la convention d'occupation, à compter de sa décision et jusqu'à la libération effective des lieux,

- condamné M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] à payer à la société Engie la somme de 1 000 euros au titre de l'arriéré dû arrêté au 4 avril 2023, échéance d'avril 2023 incluse,

- débouté la société Engie de sa demande de condamnation au titre de la 'refacturation eaux',

- condamné M. [I] [Y], Mme [R] [Y], M. [O] [Y] et Mme [D] [Y] aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toute autre demande,

- rappelé l'exécution provisoire de sa décision.

Par déclaration reçue au greffe le 18 janvier 2024, la société Engie a relevé appel de ce jugement.

Par déclaration reçue au greffe le 14 février 2024, M. [O] [Y] a relevé appel de ce jugement.

Par ordonnance du 22 mars 2024, les deux procédures ont été jointes dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

Aux termes de ses conclusions signifiées le 2 octobre 2024, la société Engie, appelante, demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en ses écritures,

- débouter les consorts [Y] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement en date du 21 novembre 2023 en ce qu'il a :

* prononcé la résiliation judiciaire de la convention d'occupation liant les parties portant sur un logement pavillon situé à [Localité 4], [Adresse 2], à compter de la décision,

* ordonné en conséquence l'expulsion de M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] et de tous occupants de leur chef, notamment de M. [O] [Y] et Mme [D] [Y] à défaut de libération volontaire des lieux pris à bail, avec au besoin l'assistance de la force publique,

* dit que le sort des meubles se trouvant dans les lieux serait réglé conformément aux articles 65 et 66 de la loi du 9 juillet 1991 et 200 et suivants du décret du 31 juillet 1992,

* condamné M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'arriéré dû arrêté au 4 avril 2023, échéance d'avril 2023 incluse,

* condamné M. [I] [Y], Mme [R] [Y], M. [O] [Y] et Mme [D] [Y] aux dépens,

- infirmer le jugement en date du 21 novembre 2023 en ce qu'il a :

* accordé un délai d'un an à compter de la signification du jugement aux locataires pour quitter les lieux,

* condamné M. [I] [Y], Mme [R] [Y], M. [O] [Y] et Mme [D] [Y] à lui payer une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du loyer qui aurait été dû en cas de non-résiliation de la convention d'occupation, à compter de la présente décision et jusqu'à la libération des lieux,

Statuant à nouveau,

- ordonner l'expulsion sans délai de M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] et celle de tous occupants de leur chef, notamment M. [O] [Y] et Mme [D] [Y],

- condamner M. [I] [Y], Mme [R] [Y], M. [O] [Y] et Mme [D] [Y] à lui payer une indemnité mensuelle d'occupation égale à la valeur locative, soit la somme de 2 000 euros, à compter de la présente décision et jusqu'à la libération des lieux,

Y ajoutant,

- condamner in solidum M. [I] [Y], Mme [R] [Y], M. [O] [Y] et Mme [D] [Y] à lui régler la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'appel.

Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 24 septembre 2024, M. [O] [Y], appelant, M. [I] [Y], Mme [R] [Y] et Mme [D] [Y], intimés et appelants à titre incident, demandent à la cour de:

In limine litis,

- déclarer irrecevables les prétentions nouvelles de la société Engie formulées dans ses conclusions du 29 juillet 2024, n'apparaissant pas dans ses conclusions d'appelant du 16 avril 2024 ni dans sa déclaration d'appel du 18 janvier 2024, par application des dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile, tendant nouvellement à :

1. l'infirmation du jugement en ce qu'il les a condamnés à payer à la société Engie une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du loyer qui aurait été dû en cas de non-résiliation de la convention d'occupation, à compter de sa décision et jusqu'à la libération effective des lieux,

2. effectuer une demande tendant à les condamner à lui payer une indemnité mensuelle d'occupation égale à la valeur locative, soit la somme de 2 000 euros, à compter de la présente décision et jusqu'à la libération des lieux,

- déclarer recevable la demande de requalification de la convention d'occupation précaire formulée par M. [I] [Y] laquelle tend aux mêmes fins que celles de première instance, la longévité de l'occupation des lieux par M. [I] [Y] ayant été expressément soulevée pour contester la demande d'expulsion,

Si la cour venait à considérer que M. [I] [Y] formule une prétention ne tendant pas aux mêmes fins que celles de première instance :

- déclarer recevable la demande de requalification de la convention d'occupation précaire formulée par M. [I] [Y] comme constituant l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire à la contestation de la demande d'expulsion de la société Engie,

Sur leur appel principal et leur appel incident:

- infirmer le jugement rendu le 21 novembre 2023 en ce qu'il a :

* prononcé la résiliation judiciaire de la convention d'occupation liant les parties portant sur un logement pavillon situé à [Localité 4], [Adresse 2], à compter de la présente décision,

* ordonné en conséquence l'expulsion de M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] et celle de tous occupants de leur chef, notamment M. [O] [Y] et Mme [D] [Y], à défaut de libération volontaire des lieux pris à bail, avec au besoin l'assistance de la force publique ;

* dit que le sort des meubles se trouvant dans les lieux sera réglé conformément aux articles 65 et 66 de la loi du 9 juillet 1991 et 200 et suivants du décret du 31 juillet 1992 ;

* les a condamnés à payer à la société Engie une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du loyer qui aurait été dû en cas de non-résiliation de la convention d'occupation, à compter de sa décision et jusqu'à la libération effective des lieux,

* condamné M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] à payer à la société Engie la somme de 1 000 euros au titre de l'arriéré dû arrêté au 4 avril 2023, échéance d'avril 2023 incluse,

* les a condamnés aux dépens,

* rejeté toute autre demande,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- requalifier la convention d'occupation précaire du 13 octobre 2003, ainsi que celle du 9 avril 2010 à effet du 1er mai 2010, conclues entre la société Engie et M. [I] [Y] en bail d'habitation soumis aux dispositions de la loi d'ordre public n°89-462 du 6 juillet 1989,

En conséquence :

- prononcer la nullité du congé délivré en date du 28 juillet 2021 en l'absence d'indication du motif du congé et en l'absence de proposition de relogement à M. [I] [Y], âgé de 84 ans au jour de la délivrance du congé,

- déclarer irrecevable la demande en expulsion formulée par la société Engie dans son assignation du 30 mars 2023 pour défaut de dénonciation au préfet des Hauts-de-Seine,

A titre subsidiaire,

- constater l'absence d'infraction aux dispositions de la convention d'occupation par M. [I] [Y] et en conséquence infirmer le jugement ayant fondé la résiliation sur ce motif,

En tout état de cause,

- constater l'absence d'arriéré locatif de M. [I] [Y],

- débouter la société Engie de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Engie aux entiers dépens, y compris de première instance.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 octobre 2024.

Les intimés ayant communiqué une pièce n°29 intitulée 'billet retour (départ mai 2023) juillet 2023 [I] [Y]' la veille de la clôture, les parties ont été autorisées à faire valoir leurs observations sur cette pièce en cours de délibéré, ce qu'a fait la société Engie par note transmise via le RPVA le 16 octobre et les intimés le 28 octobre 2024 selon les mêmes modalités.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens soutenus par les parties, la cour se réfère à leurs écritures et à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité des demandes

* des intimés au titre de la requalification de la convention d'occupation en bail d'habitation, de la nullité du congé et de l'irrecevabilité de la demande de résiliation judiciaire du bail

La société Engie demande à la cour de déclarer irrecevables les demandes des intimés de requalification de la convention d'occupation précaire en bail d'habitation, de nullité du congé et d'irrecevabilité de la demande en résiliation judiciaire du bail au motif que les consorts [Y] ne les avaient pas formées devant le premier juge et qu'elles ne sont ni l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge.

Elle relève que devant le premier juge, M. [I] [Y] s'était limité à contester le défaut d'occupation et la cession illicite ainsi que le montant de la dette locative, sans jamais remettre en cause le caractère précaire de la convention d'occupation. Elle affirme que les intimés ne peuvent donc prétendre que leur demande de requalification de la convention en bail d'habitation tendrait aux mêmes fins que celle visant à contester la demande d'expulsion ni qu'elle serait son complément nécessaire. Elle ajoute qu'il n'appartenait pas au premier juge de requalifier la convention d'occupation en bail d'habitation sauf à statuer ultra petita.

Les consorts [Y] soutiennent que leurs demandes sont recevables en ce que M. [I] [Y] a argué devant le premier juge qu'il n'occupait pas de façon précaire le logement mis à disposition par la société Engie, et que ses prétentions relevaient de son occupation ancienne et régulière du bien. Ils affirment que la demande de requalification, à la lumière de la législation d'ordre public applicable en la matière, tend donc exactement aux mêmes fins que les prétentions de première instance qui visaient à contester la demande d'expulsion et en constitue au surplus le complément nécessaire.

Ils ajoutent que les consorts [Y] ont fait valoir en première instance la longévité de l'occupation du logement par M. [I] [Y] ce qui aurait dû alerter le juge des contentieux et de la protection qui aurait dû d'office requalifier la convention en bail d'habitation sur le fondement de l'article 12 du code de procédure civile eu égard au caractère d'ordre public de la loi du 6 juillet 1989.

Sur ce,

En application de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

En l'espèce, force est de constater que les demandes des consorts [Y] de requalification de la convention d'occupation en bail d'habitation, de nullité du congé et d'irrecevabilité de la demande d'expulsion tendent à faire écarter les prétentions adverses visant à mettre un terme à la convention d'occupation et à ordonner l'expulsion des occupants.

Elles doivent donc être déclarées recevables.

* de l'appelante au titre des indemnités d'occupation

Les consorts [Y] demandent à la cour de déclarer irrecevable la demande de la société Engie visant à voir fixer le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 2 000 euros au motif qu'elle ne figurait pas dans ses premières conclusions d'appelante notifiées le 16 avril 2024, sans qu'il s'agisse de répliquer aux conclusions et pièces adverses.

Ils relèvent qu'en outre, la société Engie n'a pas interjeté appel de ce chef du jugement et qu'elle avait demandé en première instance la fixation d'une indemnité d'occupation égale au loyer majoré de 50 %.

La société Engie ne répond pas sur ce point.

Sur ce,

En application de l'article 910-4 du code de procédure civile dans sa version applicable au jour de la déclaration d'appel, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

En l'espèce, il apparaît que dans ses premières conclusions d'appelante notifiées le 16 avril 2024, la société Engie a demandé la confirmation du chef du jugement ayant fixé l'indemnité d'occupation au montant du loyer qui aurait été dû en cas de non résiliation de la convention d'occupation et n'a demandé l'infirmation de celui-ci que dans ses conclusions notifiées le 29 juillet 2024, soit postérieurement au délai fixé par l'article 908 du code de procédure civile.

Sa demande doit donc être déclarée irrecevable, étant ajouté qu'elle n'est pas destinée à répliquer aux conclusions et pièces adverses, les intimés n'ayant pas contesté le montant de l'indemnité d'occupation, ni à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Il convient en outre de relever que dans sa déclaration d'appel, la société Engie n'a visé que le chef du jugement ayant accordé des délais aux intimés pour quitter les lieux et n'a donc pas interjeté appel du chef du jugement relatif à l'indemnité d'occupation.

Sur la demande de requalification de la convention d'occupation précaire en contrat de bail

Les consorts [Y] demandent à la cour de requalifier la convention d'occupation précaire conclue entre M. [I] [Y] et la société Engie en contrat de bail d'habitation en faisant valoir que le principe même d'une telle convention est d'être de courte durée et qu'elle se justifie par l'existence d'un motif de précarité qui doit être clairement justifié, réel et objectif, à défaut de quoi, le régime d'ordre public de la loi du 6 juillet 1989 doit s'appliquer.

Ils expliquent que M. [I] [Y] a bénéficié de plusieurs logements dans le cadre de conventions d'occupation précaire liées à sa qualité de salarié de la société Engie. Ils indiquent que les deux dernières ont été conclues en 2003 et 2010, soit postérieurement à son départ à la retraite survenu en 1992. Ils en déduisent qu'à compter de cette date, leur relation contractuelle est devenue une relation de bail d'habitation indépendante de l'ancien statut de salarié de M. [I] [Y] et que les conventions conclues entre les parties les 13 octobre 2003 et 9 avril 2010 doivent recevoir la qualification de bail d'habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989.

La société Engie conclut au rejet des demandes des consorts [Y]. Elle indique que ce logement est normalement destiné à un de ses agents, ce que n'est plus M. [I] [Y] et que c'est précisément pour cette raison qu'il s'est vu consentir une convention d'occupation précaire et non un bail.

Sur ce,

Aux termes de l'article 2 de la loi du 6 juillet 1989, les dispositions du titre premier de cette loi sont d'ordre public. Le présent titre s'applique aux locations de locaux à usage d'habitation ou à usage mixte professionnel et d'habitation, et qui constituent la résidence principale du preneur, ainsi qu'aux garages, aires et places de stationnement, jardins et autres locaux, loués accessoirement au local principal par le même bailleur.

Ne sont pas toutefois soumises à ces dispositions les conventions d'occupation précaires par lesquelles les parties s'accordent sur la mise à disposition provisoire d'un logement en raison de l'existence, au moment de la signature de la convention, de circonstances objectives et indépendantes de leur seule volonté qui justifient que l'on ne puisse pas conclure un bail ordinaire et qui excluent donc toute volonté de fraude, comme l'a déjà jugé la Cour de cassation (civ. 3ème, 23 juin 2015 n°14-12.007, civ. 3ème, 6 mai 2021 n°20-10.992 notamment).

En l'espèce, il résulte du courrier du 9 avril 2010 de la société Gdf Suez, aujourd'hui dénommée Engie, adressé à M. [I] [Y], qu'elle a mis à sa disposition le pavillon situé à [Localité 4], [Adresse 2], à compter du 1er mai 2010. Il y est en outre précisé que :

- s'agissant d'un logement normalement destiné à un agent de Gdf Suez, ce relogement lui est accordé à titre précaire et révocable, et qu'elle peut ainsi à tout moment mettre fin à l'occupation sur préavis de 3 mois,

- il lui sera facturé une indemnité mensuelle de 500 euros,

- les lieux ne devront être employés qu'à son habitation personnelle et à celle de sa famille.

La société Engie a donné congé à M. [I] [Y] par courrier du 28 juillet 2021.

Il apparaît ainsi que la société Engie a justifié cette convention d'occupation précaire par le fait qu'il s'agissait d'un logement normalement destiné à ses agents, ce qui n'était déjà plus le cas de M. [Y], alors retraité. Il n'est donc pas établi qu'elle a été conclue pour des raisons indépendantes de la seule volonté des parties. En outre, il sera relevé que cette occupation a duré plus de 10 ans, ce qui apparaît antinomique avec le caractère de précarité d'une telle convention.

Il convient en conséquence de requalifier cette convention d'occupation en bail d'habitation soumis aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989.

En revanche, la demande de requalification de la convention d'occupation précaire du 13 octobre 2003 sera rejetée en ce qu'elle est sans rapport avec l'objet du présent litige.

Sur la demande de nullité du congé

La cour relève que le chef du jugement ayant rejeté la demande de la société Engie aux fins de validation du congé est définitif, aucune des parties n'en ayant interjeté appel.

Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'examiner la demande de nullité du congé formée par les consorts [Y].

Sur la résiliation du bail

* Sur la recevabilité de cette demande

Les consorts [Y] soutiennent que la demande en résiliation du bail est irrecevable sur le fondement de l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989 au motif que la société Engie ne justifie pas de la dénonciation de l'assignation au Préfet.

L'appelante ne répond pas sur ce point.

Sur ce,

En application de l'article 24 III. et IV. de la loi du 6 juillet 1989, à peine d'irrecevabilité de la demande, l'assignation tendant au prononcé de la résiliation du bail, lorsqu'elle est motivée par l'existence d'une dette locative, est notifiée à la diligence de l'huissier de justice au représentant de l'Etat dans le département au moins deux mois avant l'audience.

Au cas d'espèce, la demande de résiliation du bail est fondée sur un manquement du locataire à son obligation d'occupation personnelle des lieux et non sur une dette locative, de sorte que la société Engie n'avait pas l'obligation de notifier l'assignation au Préfet.

Il convient en conséquence de débouter les consorts [Y] de leur demande visant à déclarer la demande en résiliation du bail irrecevable.

* Sur le fond

Le premier juge a prononcé la résiliation de la convention d'occupation pour défaut d'occupation personnelle des lieux de façon effective et durable aux motifs qu'il résulte du constat d'huissier du 10 novembre 2021 que le pavillon est occupé par M. [O] [Y] et Mme [D] [Y] et leur quatre enfants ; que M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] 'se trouvent actuellement au bled', Mme [D] [Y] déclarant ne pas avoir connaissance de leur date de retour et qu'ils n'ont pas commencé les démarches pour déménager attendant leur retour.

La société Engie demande la confirmation du jugement ayant résilié la convention d'occupation quand bien même la cour requalifierait celle-ci en contrat de bail sur le fondement des dispositions de l'article 2 de la loi du 6 juillet 1989.

Elle affirme que M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] n'ont pas respecté leur obligation d'occuper les lieux à titre de résidence principale au moins 8 mois par an; qu'elle démontre qu'ils étaient absents de leur logement depuis au moins le mois de novembre 2021, cette absence de longue durée étant confirmée par le procès-verbal de constat d'huissier de justice. Elle soutient que les justificatifs produits par les intimés en cause d'appel ne permettent pas d'établir qu'ils résidaient toujours dans les lieux au jour de l'assignation.

Elle observe que la photocopie du passeport de M. [I] [Y] permet d'établir qu'entre le 10 août 2021 et le 10 août 2022, il s'est absenté 6 mois et qu'il n'a donc pas occupé le logement plus de huit mois par an au titre de ces deux années. Elle indique également que les factures d'énergie ne permettent pas de justifier des occupants réels du bien, de même que l'adresse figurant sur les avis d'imposition est purement déclarative. Elle souligne que les documents médicaux produits sont postérieurs au mois de juillet 2022 et n'établissent un suivi médical et probablement un retour en France qu'à partir de cette date. Elle relève enfin que le billet d'avion produit ne permet pas d'établir que M. [I] [Y] demeurait dans le logement à titre de résidence principale plus de huit mois par an au jour de l'assignation.

Elle ajoute que M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] ont quitté les lieux en y installant M. [O] [Y] et Mme [D] [Y], et leurs enfants, ce qui est constitutif d'une cession illicite du droit au bail, ajoutant qu'ils n'établissent pas qu'ils ne pourraient pas trouver à se reloger dans des conditions normales.

Les consorts [Y] demandent l'infirmation du jugement ayant prononcé la résiliation de la convention d'occupation.

Ils font valoir que l'existence d'un bail n'empêche pas le locataire de partir en vacances ou de s'absenter momentanément pour raisons personnelles. Ils expliquent que M. [I] [Y] s'était rendu en vacances prolongées auprès de sa famille qu'il n'avait pu visiter depuis longtemps en raison de la crise sanitaire. Ils précisent que le constat d'huissier du 10 novembre 2021 démontre son absence sur une journée et pour cause de voyage à l'étranger.

Ils indiquent verser aux débats de nombreux documents administratifs et fiscaux pour démontrer que la résidence de M. [I] [Y] est en France où il est également médicalement suivi, ajoutant que son fils, M. [O] [Y], est demeuré vivre dans ce logement pour aider ses parents qui ont besoin d'une assistance au quotidien. Ils exposent également que M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] bénéficient de l'APA qui n'est accordée que sur justificatifs notamment de résidence et de contrôles stricts.

Ils en concluent que la société Engie est totalement défaillante, par la production d'un seul constat d'huissier de justice, dans la charge de la preuve qui lui incombe de démontrer que M. [I] [Y] n'aurait pas respecté son obligation d'occupation du logement.

Sur ce,

En application de l'article 7 b) de la loi du 6 juillet 1989, le locataire est obligé d'user paisiblement des locaux loués suivant la destination qui lui a été donnée par le contrat de bail.

L'article 2 de la loi du 6 juillet 1989 définit la résidence principale comme le logement occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à charge au sens du code de la construction et de l'habitation.

En application de l'article 1228 du code civil, le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts.

Dans le cadre de la résiliation d'un bail, il appartient au juge de vérifier si les manquements invoqués par le bailleur sont établis et s'ils sont suffisamment graves pour justifier la résiliation aux torts du locataire.

L'article 9 du code de procédure civile dispose qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

En l'espèce, la société Engie verse aux débats un constat d'huissier de justice réalisé le 10 novembre 2021 qui relate les propos de Mme [D] [Y] qui lui a indiqué que :

- ses beaux-parents, M. [I] [Y] et Mme [R] [Y], se trouvent actuellement 'au bled' et qu'elle n'a pas connaissance de leur date de retour,

- toute la famille réside dans les lieux: son mari, M. [O] [Y], elle-même et leur quatre enfants âgés de 2 à 14 ans ainsi que ses beaux-parents quand ils sont en France,

- ils n'ont pas commencé de démarches pour déménager et attendent le retour de ses beaux-parents.

Ainsi, il ressort de ce constat qu'à la date du 10 novembre 2021, M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] étaient absents de leur logement sans qu'il permette d'établir la date à laquelle ils étaient partis. Ce seul document, en l'absence de tout autre élément versé aux débats par la société Engie au soutien de ces allégations, ne permet donc pas d'établir qu'ils n'occupent pas personnellement les lieux au moins 8 mois par an en violation des dispositions légales susvisées alors que la charge de la preuve lui incombe.

Et ce d'autant plus qu'il ressort des documents versés aux débats par les consorts [Y] que M. [I] [Y] était domicilié fiscalement en France en janvier 2021, 2022 et 2023; qu'il est régulièrement suivi pour d'importants problèmes de santé en France depuis 2022 et qu'au vu de la copie de son passeport, il s'est absenté, par année civile, moins de 4 mois par an:

- en 2021: du 10 août au 7 décembre, soit durant presque 4 mois,

- en 2022: du 11 mai au 11 juillet, soit durant 2 mois,

- en 2023: du 30 mai au 31 juillet et du 14 novembre au 12 décembre, soit durant 3 mois.

Faute d'établir que M. [I] [Y] aurait quitté les lieux, la société Engie échoue à établir une cession illicite du bail au profit de son fils et de sa famille, étant relevé qu'il n'est pas interdit au locataire d'héberger ses proches.

En conséquence, il convient de débouter la société Engie de sa demande de résiliation de la convention d'occupation requalifiée en bail d'habitation et de ses demandes subséquentes au titre de l'expulsion et des indemnités d'occupation, et d'infirmer le jugement de ces chefs.

Sur la demande au titre des arriérés de loyers

Le premier juge a condamné M. [I] [Y] et Mme [R] [Y] au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 4 avril 2023 (échéance d'avril 2023 incluse) en retenant que l'extrait de compte arrêté au 2 novembre 2022 mentionne un débit de 5 732,59 euros incluant une somme de 4 732,59 euros au titre de 'refacturation eaux', de sorte qu'ils étaient redevables de la somme de 1 000 euros.

Poursuivant l'infirmation de ce chef du jugement, les consorts [Y] concluent au débouté de la demande de la société Engie en faisant valoir l'absence d'arriéré locatif. Ils exposent qu'au jour de l'audience du 18 avril 2023, M. [I] [Y] avait déjà réglé le loyer du mois d'avril par chèque et qu'il n'existait donc aucun arriéré ainsi qu'il en résulte du décompte produit par la société Engie.

La société Engie qui demande la confirmation de ce chef du jugement ne fait valoir aucun moyen. En application de l'article 954 du code de procédure civile, elle est réputée s'approprier les motifs du jugement.

Sur ce,

La cour relève que le chef du jugement ayant rejeté la demande de la société Engie en paiement au titre de la 'refacturation eaux' est définitif, aucune des parties n'en ayant interjeté appel.

Il résulte de l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989 que le locataire est obligé de payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus.

Il ressort du décompte produit par la société Engie (pièce 7) qu'au 2 novembre 2022, le solde locatif était de 5 732,59 euros incluant la somme de 4 732,59 euros au titre de 'refacturation eaux' (pièce 9).

Le décompte arrêté au 11 avril 2024 (pièce 9) débute à la date du 1er janvier 2023 et mentionne à cette date un solde débiteur de 5 232,59 euros, solde non justifié, faute de production d'un décompte entre le 2 novembre 2022 et le 1er janvier 2023 qu'il convient donc de déduire du solde débiteur de - 6 232,59 euros au 31 mars 2023 incluant l'échéance du mois d'avril 2024.

Il résulte de la convention d'occupation que l'indemnité mensuelle de 500 euros est payable à terme échu par chèque. Ainsi, l'échéance d'avril n'était pas due au 31 mars 2023 et le solde locatif doit être fixé à 500 euros à cette date.

Par ailleurs, il apparaît qu'un chèque de 500 euros a été encaissé le 4 avril 2023, de sorte qu'à cette date, M. et Mme [Y] n'étaient pas débiteurs de la société Engie.

Il convient en conséquence de débouter la société Engie de sa demande en paiement et d'infirmer le jugement déféré de ce chef.

Sur les dépens

La société Engie, qui succombe, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle, les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens étant infirmées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

Déclare irrecevable la demande de la société Engie relative au montant de l'indemnité d'occupation ;

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions dévolues à la cour ;

Statuant à nouveau,

Requalifie la convention d'occupation précaire signée le 9 avril 2010 entre la société Engie et M. [I] [Y] en bail d'habitation soumis aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989 ;

Déboute les consorts [Y] de leur demande visant à déclarer la demande en résiliation du bail irrecevable ;

Déboute la société Engie de sa demande de résiliation de la convention d'occupation précaire requalifiée en bail d'habitation et de ses demandes subséquentes en expulsion et au titre des indemnités d'occupation ;

Déboute la société Engie de sa demande au titre de l'arriéré locatif arrêté au 4 avril 2023 ;

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes ;

Condamne la société Engie aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.

- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Philippe JAVELAS, Président et par Madame RULLIER, Greffière placée, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière placée, Le président,