Livv
Décisions

CA Versailles, ch.protection soc. 4-7, 21 novembre 2024, n° 23/03040

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 23/03040

21 novembre 2024

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 88A

Ch.protection sociale 4-7

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 21 NOVEMBRE 2024

N° RG 23/03040 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WFB2

AFFAIRE :

[T] [L]

C/

CPAM DU VAL D'OISE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Août 2023 par le pôle social du tribunal judiciaire de PONTOISE

N° RG : 21/00281

Copies exécutoires délivrées à :

Me Christine TERRIAT

Me Sophie TASSEL

Copies certifiées conformes délivrées à :

[T] [L]

CPAM DU VAL D'OISE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT ET UN NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [T] [L]

[Adresse 1]

[Adresse 5]

[Localité 4]

représenté par Me Christine TERRIAT, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 98

APPELANT

****************

CPAM DU VAL D'OISE

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Sophie TASSEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0173

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Septembre 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Bénédicte JACQUET, conseillère, faisant fonction de présidente, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Bénédicte JACQUET, conseillère, faisant fonction de présidente,

Madame Aurélie PRACHE, présidente de chambre,

Madame Charlotte MASQUART, conseillère,

Greffière, lors des débats et du prononcé : Madame Juliette DUPONT,

EXPOSÉ DU LITIGE

Salarié en qualité de comptable de M. [O], M. [T] [L] (l'assuré) a perçu de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise (la caisse) des indemnités journalières d'assurance maladie entre le 10 février 2014 et le 31 août 2015.

A la suite d'un contrôle, la caisse a informé l'assuré qu'elle avait fait usage de son droit de communication auprès de ses établissements bancaires et que des ressources apparaissaient, susceptibles de remettre en cause le bénéfice des indemnités journalières versées du 9 juillet 2014 au 31 août 2015.

Le 6 mai 2019, la caisse a notifié à l'assuré un indu d'indemnités journalières d'un montant de 21 804,36 euros pour la période du 20 février 2014 au 17 mai 2015, à l'exception des journées d'hospitalisation des 2 et 3 juin 2014 et 9 et 10 mars 2015.

L'assuré a saisi d'un recours la commission de recours amiable de la caisse qui a rejeté sa demande dans sa séance du 16 février 2021.

Saisi par l'assuré, par jugement du 11 août 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Pontoise a :

- dit le recours de l'assuré recevable mais mal fondé et l'en a débouté ;

- confirmé la décision de la commission de recours amiable rendue le 16 février 2021 et notifiée le 2 mars 2021, maintenant la décision de la caisse ayant fixé à la somme de 21 804,36 euros l'indu dont il était redevable au titre des indemnités journalières versées à tort du 20 février 2014 au 17 mai 2015 ;

- confirmé la décision de la caisse du 6 mai 2019 fixant à la somme de 21 804,36 euros le montant des indemnités journalières versées à tort du 20 février 2014 au 17 mai 2015 ;

- condamné l'assuré à payer à la caisse la somme de 21 804,36 euros correspondant aux indemnités journalières perçues entre le 20 février 2014 et le 17 mai 2015 à l'exception des journées d'hospitalisation ;

- dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 10 mai 2019 ;

- débouté l'assuré de sa demande de délai de paiement ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- condamné l'assuré à verser à la caisse la somme de 600 euros au titre des dispositions de l'article 42 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- condamné l'assuré en tous les dépens.

Par déclaration du 18 octobre 2023, l'assuré a interjeté appel et les parties ont été convoquées à l'audience du 26 septembre 2024.

Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, l'assuré demande à la cour de :

à titre principal :

- d'annuler le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Pontoise rendu le 11 août 2023 ;

à titre subsidiaire :

- d'infirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Pontoise ;

à titre infiniment subsidiaire :

- de lui accorder les délais de paiement les plus larges ;

en tout état de cause,

- de verser à Maître [X] [N] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique.

Par conclusions écrites déposées et soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la caisse demande à la Cour :

- de la recevoir en ses conclusions ;

- de la déclarer bien fondée ;

- de rejeter les demandes d'annulation du jugement rendu le 11 août 2023 par le pôle social du tribunal judiciaire de Pontoise, formées sur le fondement des dispositions de l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 16 du code de procédure civile ;

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 août 2023 par le pôle social du tribunal judiciaire de Pontoise ;

statuant à nouveau,

- de condamner l'assuré à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 42 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'annulation du jugement

L'assuré sollicite l'annulation du jugement pour violation de l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le tribunal ayant écrit que la matérialité de la fraude n'était plus contestée par l'assuré, ce qui porte atteinte au droit à un procès équitable alors que tant les écrits de l'assuré que les observations orales de son conseil à l'audience montraient qu'il n'y avait aucun acquiescement à l'audience à laquelle l'assuré était absent.

Il demande l'annulation du jugement sur la violation de l'article 16 du code de procédure civile, le tribunal retenant 'qu'à l'audience, Monsieur [L] ne conteste plus la fraude' ; que l'assuré n'a pas comparu, que la juridiction a fait sienne les résultats de l'enquête diligentée par la caisse sans mentionner les moyens de défense et les pièces invoquées par lui dans ses correspondances des 16 juillet 2018 et 27 juin 2019.

En réponse, la caisse soutient que le juge a tiré les conséquences des moyens présentés dans les conclusions de première instance qui ne visaient que l'irrecevabilité de la demande en paiement au motif de l'acquisition de la prescription et l'octroi de délai de paiement.

Sur ce

Selon l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

L'article 16 du code de procédure civile dispose que :

' Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.'

En l'espèce, l'assuré reproche au tribunal d'avoir écrit dans son jugement que, à l'audience, l'assuré ne conteste plus la fraude et que la matérialité de la fraude n'est plus contestée par lui.

Le jugement précise bien que l'assuré n'était pas comparant à l'audience. L'emploi du nom de l'assuré signifie que son conseil le représentant à l'audience n'a pas contesté la matérialité de la fraude, ce que Maître [N] conteste.

Pourtant, la caisse soutient que les conclusions de première instance de l'assuré ne visaient que l'irrecevabilité pour prescription, outre une demande de délais de paiement, sans moyen de fond.

Aucune des parties ne produit ces conclusions mais ce point n'a pas été contesté par l'assuré.

La note d'audience ne fait état que de plaidoiries sur la prescription. Le juge a posé une question sur l'activité et sur le relevé financier à laquelle le conseil de l'assuré a répondu en détaillant sa version de l'application de la prescription.

Le conseil de l'assuré soutient qu'elle a visé les deux courriers de son client en date des 16 juillet 2018 et 27 juin 2019 et que ses observations orales n'ont pas été notées au dossier.

Néanmoins, en présence de conclusions écrites, il appartient au conseil d'une partie d'attirer l'attention du tribunal et du greffe sur des observations formulées oralement en surplus des écritures, le greffe ne pouvant matériellement inscrire sur les notes d'audience l'ensemble des paroles des avocats dans toutes les affaires du rôle.

C'est donc à juste titre que le premier juge a pu en déduire que l'assuré ne contestait pas la réalité de l'activité rémunérée durant son arrêt maladie, ce qui objective une fraude.

Il n'apparaît pas, à la lecture du jugement, que le juge ait tenu compte d'éléments qui n'étaient pas dans le débat.

Enfin, l'appel formé par l'assuré vise à rejuger la totalité de l'affaire et à reprendre la présentation des faits par les parties qui estiment n'avoir pas été suffisamment entendues en première instance.

En conséquence, la demande de nullité du jugement sera rejetée.

Sur la fraude

L'assuré conteste vivement l'existence d'une fraude. Il expose qu'il était associé minoritaire, que les formalités de constitution de la société ont été diligentées avant son arrêt de travail ; qu'il est devenu gérant à compter du 28 février 2014, date d'immatriculation de la société ; qu'il a subi deux opérations chirurgicales et n'a pu physiquement assurer la gérance, assurée de fait par M. [P] qui l'a attesté et qui a reçu procuration.

Il reconnaît avoir reçu diverses sommes de la part de la société créée mais qu'il ne s'agissait pas de rémunération mais de prêts qu'il a remboursés par chèques, virements ou espèces ; que la caisse n'établit ainsi pas la fraude.

De son coté, la caisse estime justifier de l'existence d'une activité rémunérée durant un arrêt de travail entraînant le versement d'indemnités journalières dont elle demande le remboursement.

Sur ce

Selon l'article L. 323-6 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, le service de l'indemnité journalière est subordonné à l'obligation pour le bénéficiaire de s'abstenir de toute activité non autorisée pendant la période de son interruption de travail et qu'en cas d'inobservation volontaire de ces obligations, le bénéficiaire restitue à la caisse les indemnités versées correspondantes.

Selon une jurisprudence constante, l'assuré ne peut exercer, pendant une prescription de repos, aucune activité, qu'elle soit rémunérée ou bénévole, ludique ou sportive, sans autorisation préalable du médecin traitant (2e Civ., 9 décembre 2010, n° 09-14.575, Bull. 2010, II ; 2e Civ., 9 avril 2009, n° 07-18.294).

En l'espèce, il résulte des statuts de la SARL [6], déposés le 20 janvier 2014 et enregistrés le 28 février 2014 au greffe du tribunal de commerce de Versailles que l'assuré était associé minoritaire et gérant de droit de la société.

L'assuré a été par la suite désigné comme liquidateur à compter du 12 janvier 2016, soit après son arrêt de travail selon procès-verbal d'assemblée générale du même jour qui le désigne également comme gérant.

L'assuré produit un courrier non daté et sans avis de réception, mentionnant qu'il souhaite quitter définitivement ses fonctions de gérant qu'il n'exerce plus depuis le 26 décembre 2015.

Il s'en déduit que l'assuré avait donc la qualité de gérant durant toute la période de son arrêt maladie indemnisé. Le fait qu'il ait signé une procuration générale au profit de M. [P] est sans incidence sur la possibilité qu'il avait de gérer directement la société.

M. [P] a attesté que l'assuré a subi deux opérations chirurgicales suivies de longs arrêts de travail, que ce dernier n'a pas pu revenir pour accomplir sa mission de gérant, qu'il a géré lui-même avec le comptable les opérations de gestion après avoir obtenu procuration, et qu'il a été obligé de fermer la société et d'en créer une autre dont il est le gérant.

Néanmoins cette attestation, établie le 10 mai 2024 pour les besoins de la cause, n'est étayée par aucune pièce objective manifestant la gestion réalisée par M. [P] et non par l'assuré.

L'assuré précise avoir été opéré par deux fois des tympans mais il ne rapporte pas la preuve qu'il était dans l'incapacité d'effectuer la mission de gérant qui lui incombait.

Il apparaît donc que la société a fonctionné entre février 2014 et juillet 2015 et rien ne permet de constater que l'assuré ne l'a pas géré lui-même comme le prévoyaient les statuts.

M. [P] atteste encore que l'assuré passait par des périodes difficiles, qu'il lui demandait des sommes d'argent en attendant de recevoir ses indemnités journalières, et que toutes les sommes prêtées ont été remboursées à la société par virement, chèques ou espèces.

Cependant, là encore, ces affirmations ne reposent sur aucun document émanant de la société.

Il n'est pas expliqué les raisons pour lesquelles les prêts auraient été directement souscrits auprès de la société [6] et pas auprès d'un particulier comme les autres associés. Aucun compte de la société n'est produit pour justifier du prêt et de son remboursement, alors même que le compte de caisse permettrait de faire apparaître les versements en espèces.

Pour justifier des prêts, l'assuré soutient avoir effectué divers remboursements.

Il invoque :

- un virement le 11 avril 2014 sans qu'on puisse connaître le bénéficiaire,

- un chèque le 5 juin 2014, sans que le nom du bénéficiaire ne soit connu,

- divers retraits qui ne permettent pas de savoir à qui ont servi les espèces.

Pourtant, sur son compte CCP, des virements réguliers mensuels de 1 200 euros sont indiqués sous la référence 'VIREMENT DE INTER-PRIX', au mois de février à octobre 2014. Les versements en 2015 émanant de la société sont plus irréguliers et de montants différents.

En outre, le 3 septembre 2014, l'assuré a touché 2 400 euros, aucun versement n'ayant été réalisé en août, avec la mention 'VIR REMUNERATION GERANT'.

Il en ressort que l'assuré percevait une rémunération tirée de ses activités de gérant de la société.

En tout état de cause, l'absence d'une rémunération aurait été sans conséquence sur l'interdiction d'exercer une activité, qu'elle soit rémunérée ou pas.

Le manquement reproché à l'assuré est donc constitué, et aucun élément ne vient démontrer qu'il était autorisé à exercer l'activité en cause.

En conséquence, l'inobservation volontaire de ses obligations par l'assuré implique en elle-même la restitution à la caisse des indemnités versées correspondantes, soit la somme de 21 804,36 euros et le jugement sera ainsi confirmé en toutes ses dispositions.

Sur la demande de délais de paiement

C'est par des motifs pertinents que la Cour adopte que le tribunal a rejeté la demande de délai.

Sur les dépens et les demandes accessoires

L'assuré, qui succombe, sera condamné aux dépens éventuellement exposés en cause d'appel, et corrélativement déboutée de sa demande au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de la caisse les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens. Sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera donc également rejetée, compte tenu de la situation financière de l'assuré.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;

Y ajoutant,

Condamne M. [T] [L] aux dépens d'appel ;

Rejette les demandes des parties fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ;

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Marie-Bénédicte JACQUET, conseillère, faisant fonction de présidente, et par Madame Juliette DUPONT, greffière, à laquelle la magistrate signataire a rendu la minute.

La greffière La conseillère