CA Toulouse, 3e ch., 20 novembre 2024, n° 23/01137
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Si Immo (SARL)
Défendeur :
Laabas (SASU), Axa France IARD (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Defix
Conseillers :
M. Vet, M. Asselain
Avocats :
Me Nabet-Martin, Me Dingli
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
En 2012, Mme [V] [M] et la Sarl Chapi ont fait réaliser des travaux sur un ensemble immobilier constitué de deux immeubles situés au [Adresse 2] à [Localité 4] par la société Comminges Bâtiment, consistant notamment en la création d'un toit-terrasse.
En 2018 et en 2020, des infiltrations d'eau sont apparues et ont donné lieu à des travaux de réparation par la société Comminges Bâtiment.
Par acte du 15 juin 2020, Mme [V] [M] et la Sarl Chapi ont vendu à Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo, dont elle est gérante, l'ensemble immobilier.
Dès l'année 2020, les acquéreurs se sont plaints de la réapparition de désordres similaires à ceux ayant donné lieu aux travaux de 2018 et 2020 et de vices cachés aux venderesses.
Par actes du 5 et 8 mars 2021, elles ont fait assigner Mme [V] [M], la Sarl Chapi, la Sas Comminges Bâtiment et son assureur, la Smabtp devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse afin que soit ordonnée une expertise judiciaire.
Par ordonnance du 25 mai 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse a fait droit à cette demande et désigné un expert judiciaire, M. [J] [E], architecte, afin notamment de déterminer l'origine des vices. Le 17 mai 2022, une ordonnance du magistrat chargé du contrôle a ordonné l'extension de la mission.
Par ordonnance du 14 décembre 2021, le juge des référés a déclaré les opérations d'expertise opposables aux sociétés Alpha Baie, Victoire, Maaf Assurances à la demande de la Sas Comminges Bâtiment et de la Smabtp.
Arguant qu'il aurait été constaté au cours des opérations d'expertise que l'absence d'étanchéité du toit terrasse réalisé en 2012 pouvait être due à une mauvaise conception initiale, en plus de défauts d'exécution, Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo ont, par acte d'huissier du 11 janvier 2023, fait assigner, afin que les opérations d'expertise leurs soient rendues communes et opposables, :
- M. [Z] [T], architecte intervenu en 2012, ancien gérant de la société Ping Pong Architectures, société absorbée par la Sas Puig-Pujol en 2012, afin 'd'obtenir copie des plans d'exécution et d'études initiales, ou tout autre document listé par l'expert, pour vérifier si les instructions ont été respectées lors des rénovations réalisées par Mme [V] [M] (...). Ensuite, si sa responsabilité juridique peut en effet être écartée, afin de permettre à l'expert de connaître les circonstances du projet de rénovation',
- la Sasu Laabas, représentée par Mme [G] [I], architecte qui serait intervenue en 2018 pour diriger les travaux de réparation réalisés cette année, afin de connaître les circonstances du sinistre et les reprises réalisées,
- la société Axa France iard, pour obtenir les copies du rapport réalisé suivant les sinistres de 2018 et 2020, afin de démontrer la connaissance des venderesses de ces rapports, de leurs causes et des travaux de reprise préconisés.
Les défendeurs, M. [Z] [T], la Sasu Laabas et la société Axa France IARD n'ont pas comparu.
Par ordonnance réputée contradictoire du 10 mars 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse, au visa des articles 145 et 331 du code de procédure civile, a :
- débouté Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo de leur demande d'appel en cause,
- condamné Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo au paiement des entiers dépens.
Par déclaration du 27 mars 2023, Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo ont interjeté appel de cette décision en en critiquant l'ensemble des dispositions.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par leurs dernières conclusions du 8 mai 2024, Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo demandent à la cour, au visa des articles 145, 264 et 331 et suivants du code de procédure civile, de :
- déclarer recevable et bien-fondé le présent recours,
- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du 10 mars 2023 du tribunal judiciaire de Toulouse ayant débouté Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo de leur demmande d'appels en cause et les ayant condamnées aux entiers dépens,
- déclarer étendues, communes et opposables aux parties requises (la Sasu Laabas, M. [Z] [T] et la société Axa) les opérations d'expertise confiées à M. [J] [E] suivant les décisions précitées, dont l'ordonnance initiale du 25 mai 2021, et suivant les mêmes modalités, aux parties susvisées et régulièrement appelées dans la cause,
- dire que l'expert notifie ses constatations et vérifications réalisées aux parties nouvelles et recueillera auprès d'elles tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission, en dressera l'inventaire et poursuivra les opérations d'expertise conformément à sa mission,
- ordonner la jonction et dire que le suivi de cette extension par le juge chargé de la surveillance des expertices s'effectuera dans le cadre du dossier initial auquel la présente instance est jointe,
- déclarer toutes mises hors de cause comme prématurées,
- ordonner en tant que de besoin la production aux débats de tous justificatifs d'assurances effectifs sur la période des faits,
- condamner in solidum les parties appelées en cause aux dépens et à verser aux appelantes la somme de 1 000 euros HT soit 1 200 euros TTC sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, seulement au titre des frais d'appel.
Par ses dernières conclusions du 31 mai 2023, la Sasu Laabas demande à la cour de :
- déclarer irrecevable les demandes nouvelles formées par Mme [A] [H] et de la Sarl SI immo à l'encontre de la Sasu Laabas au titre des frais irrépétibles et des dépens,
- rejeter l'appel formée par Mme [A] [H] et de la Sarl SI Immo à l'encontre de l'ordonnance de référé du 10 mars 2023,
- rejeter l'ensemble des demandes de Mme [A] [H] et de la Sarl SI Immo dirigées à l'encontre de la Sasu Laabas,
- confirmer l'ordonnance de référé du 10 mars 2023, en toutes ses dispositions,
en conséquence,
- débouter Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo de leur demande en appel en cause de la Sasu Laabas,
- condamner in solidum Mme [A] [H] et de la Sarl SI Immo à verser à la Sasu Laabas une somme provisionnelle de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles en appel,
- condamner in solidum Mme [A] [H] et de la Sarl SI Immo aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Isabelle Dingli et de la Selas ATCM.
Par ses dernières conclusions du 1er juin 2023, M. [Z] [T] demande à la cour, au visa des articles 1792 et suivants du code civil, 564 et 145 du code de procédure civile, de :
- déclarer irrecevable l'appel et l'action de Mme [A] [H] et de la Sarl SI Immo à l'encontre de M. [Z] [T] pris en sa qualité d'ancien gérant de la Sarl Ping Pong, radiée,
en conséquence,
- prononcer la mise hors de cause de M. [Z] [T],
subsidiairement,
- déclarer irrecevable l'appel et les demandes formées par Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo à l'encontre de M. [Z] [T], pour cause de prescription,
très subsidiairement,
- déclarer irrecevables les demandes nouvelles formées par Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo à l'encontre de M. [Z] [T] au titre des frais irrépétibles et des dépens,
- rejeter l'appel formé par Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo à l'encontre de l'ordonnance de référé du 10 mars 2023,
- rejeter l'ensemble des demandes de Mme [A] [H] et de la Sarl SI Immo à l'encontre de M. [Z] [T],
- confirmer l'ordonnance de référé du 10 mars 2023, en toutes ses dispositions,
en conséquence,
- débouter Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo de leur demande en appel en cause de M. [Z] [T],
- condamner in solidum Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo à verser à M. [Z] [T] une somme provisionnelle de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles en appel,
- condamner in solidum Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Isabelle Dingli de la Selas ATCM.
La société Axa France iard qui a reçu signification de la déclaration d'appel en la personne d'une hôtesse ayant déclaré être habilitée à recevoir l'acte, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 mai 2024.
L'affaire a été appelée à l'audience du 1er juillet 2024.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
1. Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
1.1. L'article 331 du code de procédure civile dispose quant à lui qu'un tiers peut être mis en cause aux fins de condamnation par toute partie qui est en droit d'agir contre lui à titre principal. Il peut également être mis en cause par la partie qui y a intérêt afin de lui rendre commun le jugement.
1.2. Si le juge tire de l'article 145 du code de procédure civile le pouvoir d'ordonner des mesures d'instruction avant tout litige au fond, au rang desquelles figurent notamment l'expertise judiciaire, d'une part, et l'injonction de production forcée de pièce, d'autre part, la mesure sollicitée doit être nécessaire et proportionnée à l'objectif recherché.
2. En l'espèce, il convient en premier lieu de souligner qu'il est indifférent que les demandes formulées interviennent en réaction au refus de la société Comminges Bâtiment, partie à l'expertise judiciaire, de communiquer des éléments demandés par l'expert judiciaire, dès lors que l'appel en cause d'un tiers n'a pas pour finalité d'obtenir des éléments de preuve que refusent de communiquer une partie, à l'égard de laquelle est d'ailleurs ouverte la procédure de communication forcée.
3. En deuxième lieu, les appelantes font valoir que les éléments de preuve qu'elles tentent d'obtenir par la demande d'intervention forcée de M. [Z] [T] et la société Axa seraient nécessaires à la solution d'un litige 'plausible et crédible' qui oppose d'ores et déjà les appelantes aux venderesses.
3.1. Il convient de relever à cet égard que l'existence d'un tel contentieux n'établit pas en quoi sont réunies les conditions d'intervention forcée à l'égard de M. [Z] [T] et de la sociétété Axa.
3.2. Il sera a fortiori relevé que les appelantes reconnaissent elles-mêmes qu'il 'n'a jamais été soutenu [que M. [Z] [T]] pourrait être responsable juridiquement', mais que leur demande tend seulement à ce qu'il 'puisse être présent et éclairer les opérations d'expertise', de sorte qu'il n'est aucunement soutenu que l'appel en cause puisse permettre à terme d'agir à son encontre à titre principal, ni que les requérantes aient un quelconque intérêt à ce que l'expertise lui soit rendue commune.
4. Néanmoins, concernant la société Axa, il ressort de l'acte de vente (pièce 1 de l'appelante, p. 25) que celle-ci est intervenue en qualité d'assureur de bien pour un dégât des eaux et a pris en charge financièrement les travaux de réparation, de sorte que sa mise en cause n'apparaît pas dépourvue de pertinence, d'autant plus qu'il ressort des pièces produites par l'appelante que l'assureur est intervenu volontairement à l'expertise le 12 janvier 2024 (pièce 15).
5. En dernier lieu, les appelantes font valoir à l'égard de la Sasu Laabas que celle-ci a dirigé les travaux de reprise de 2018, de sorte qu'elles souhaiteraient se réserver la faculté de la mettre en cause pour les défauts d'exécution des travaux réalisés sous sa direction et qui font l'objet de l'expertise.
5.1. La Sasu Laabas s'oppose à cette demande d'intervention forcée en soulignant que les appelantes n'apportent pas la preuve des propos qu'elles attribuent à l'expert qui indiqueraient que les désordres pourraient trouver leur cause dans l'intervention de 2018, pour laquelle elle reconnaît par ailleurs être intervenue. Elle souligne la tardiveté de cet appel en cause et que les éléments de preuve dont il est souhaité la communication ont en réalité été demandés par l'expert à d'autres sociétés.
5.2. Il convient de relever que, si les propos attribués à l'expert par les appelantes ne sont effectivement pas établis, l'appel en cause de la Sasu Laabas n'est pas dénué de pertinence, bien que tardif, au regard de l'objet de l'expertise ordonnée le 25 mai 2021 et de son rôle de direction des travaux de reprise de 2018, lequel est susceptible de rendre plausible une éventuelle action au fond à son encontre.
6. Par conséquent, l'ordonnance de référé du 10 mars 2023 du tribunal judiciaire de Toulouse sera infirmée en ce qu'elle a débouté Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo de leurs demandes d'appel en cause dirigées contre la société Axa France iard et la Sasu Laabas. Ladite ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a débouté Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo de leur demande d'appel en cause dirigée contre M. [Z] [T].
7. Il convient en conséquence d'ordonner que soient déclarées communes à la Sasu Laabas et à la société Axa les opérations d'expertise confiées à M. [J] [E] suivant l'ordonnance de référé du 21 mai 2021, étendues par l'ordonnance du 17 mai 2022, suivant les mêmes modalités.
8. Les intimés font valoir que les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens par les appelantes sont des demandes nouvelles, au moyen que celles-ci demandaient en première instance que ses sommes soient réservées au fond. Les appelantes soutiennent pour leur part que les demandes ont été réservées tandis que les défendeurs ne comparaissaient pas et qu'elles ne présentent pas de demandes relativement aux dépens et frais exposés en première instance, soulignant que les demandes formées concernent seulement les frais engagés en cause d'appel.
8.1. En application de l'article 491 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge des référés statue sur les dépens. Il y a lieu, en l'espèce, de laisser provisoirement les dépens de première instance et d'appel à la charge des appelantes en l'état des éléments du litige qui ne permettent pas de déterminer une obligation non sérieusement contestable à la charge de la Sasu Laabas et à la société Axa et que la mesure d'expertise étendue à ces dernières a justement pour objet d'instruire, les appelantes échouant par ailleurs en leurs demandes visant M. [Z] [T].
8.2. La demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile de Mme [A] [H] et de la Sarl SI Immo, tenues aux dépens, ne peut qu'être rejetée.
8.3. M. [Z] [T] est pour sa part en droit de réclamer aux appelantes l'indemnisation des frais non compris dans les dépens qu'il a dû exposer en appel. Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo seront condamnées à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile étant précisé que les sommes dues au titre des frais irrépétibles à l'occasion d'une procédure de référé ne le sont pas à titre provisionnel mais s'inscrivent dans le caractère provisoire attaché à la décision rendue en référé.
8.4. Il n'est en revanche par inéquitable en l'état de la procédure de laisser à la charge de la Sasu Laabas, les frais non compris dans les dépens qu'elle a pu exposer. Il convient de la débouter de sa demandes formée à ce titre.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et en dernier ressort,
Infirme l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Toulouse du 10 mars 2023 sauf en ce qu'elle a débouté Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo de leur demande tendant à voir déclarer commune à M. [Z] [T] l'expertise confiée à M. [J] [E] suivant l'ordonnance de référé du 21 mai 2021.
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Déclare communes à la Sasu Laabas et à la société Axa France IARD les opérations d'expertise confiées à M. [J] [E] suivant l'ordonnance de référé du 21 mai 2021, étendues par l'ordonnance du 17 mai 2022, suivant les mêmes modalités.
Met les entiers dépens de première instance et d'appel à la charge Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo.
Condamne Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo à payer à M. [Z] [T] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute la Sasu Laabas de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute Mme [A] [H] et la Sarl SI Immo de leur demande présentée sur le même fondement.