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Décisions

CA Riom, 1re ch., 26 novembre 2024, n° 22/02032

RIOM

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Acna (SARL)

Défendeur :

Groupama Rhone Alpes Auvergne (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Valleix

Conseillers :

M. Acquarone, Mme Cirotte

Avocats :

SCP Collet de Rocquigny Chantelot Brodiez Gourdou & Associés, SCP Terriou Radigon Furlanini, SCP Treins-Poulet-Vian et Associés

TJ Clermont-Ferrand, du 3 oct. 2022, n° …

3 octobre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SARL AUVERGNE CENTRE DE NETTOYAGE AUTOMATIQUE (ACNA) a fait construire en février et mars 2011 la zone d'activité dite [Adresse 6], sur le territoire de la commune de [Localité 7] (Puy-de-Dôme), une station de lavage automatique pour véhicules composée de deux pistes avec lavage haute pression et d'une piste à portique automatique rouleau,. Conformément à une facture établie le 11 mars 2011 moyennant le prix de 14.044,54 € TTC, la construction du dallage en béton de cette station a été confiée à M. [H] [R], artisan maçon-carreleur, assuré auprès de la société CAISSE RÉGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES GROUPAMA RHÔNE-ALPES AUVERGNE. Cette facture a été entièrement réglée. Ces travaux ont été achevés en février et mars 2011 et la station de lavage a été mise en service en mai 2011.

Le montage sur la dalle de la structure mobile de nettoyage et des différents équipements techniques a été réalisé par la société ACNA à partir d'une station rachetée d'occasion.

Arguant d'une détérioration évolutive de ce dallage, occasionnant des creusements avec délitements de matières et compromettant l'ancrage des chevilles de fixation sous les rails du portique ainsi que des pannes à répétition de ce portique, la société ACNA a saisi les 18 et 23 octobre 2017 le Président du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand qui, suivant une ordonnance de référé rendue le 28 novembre 2017, a ordonné sur ce dallage une mesure d'expertise judiciaire confiée à M. [J] [I], architecte expert près la cour d'appel de Riom. Après avoir rempli sa mission, l'expert judiciaire commis a établi son rapport le 18 janvier 2019.

En lecture de ce rapport d'expertise judiciaire, la société ACNA a assigné en réparation les 14 et 18 juin 2022 M. [R] et la société GROUPAMA devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand qui, suivant un jugement n° RG-21/03875 rendu le 3 octobre 2022, a :

- débouté la société ACNA de toutes ses demandes ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société ACNA aux entiers dépens de l'instance ;

- rappelé que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Par déclaration formalisée par le RPVA le 19 octobre 2022, le conseil de la société ACNA a interjeté appel du jugement susmentionné. L'effet dévolutif de cet appel y est ainsi libellé :

« L'appel tend à la nullité du jugement et à tout le moins à son infirmation en ce qu'il a : - débouté la société ACNA de toutes demandes - dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de Procédure Civile - condamné la société ACNA aux entiers dépens de la procédure. »

' Par dernières conclusions d'appelant notifiées par le RPVA le 11 juin 2024, la SARL AUVERGNE CENTRE DE NETTOYAGE AUTOMATIQUE (ACNA) a demandé de :

- au visa de l'article 1792 du Code civil et subsidiairement de l'article 1231-1 du même code ;

- [à titre principal] ;

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 3 octobre 2022 du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand ;

- juger que M. [R] a engagé sa responsabilité décennale ;

- condamner in solidum M. et la société GROUPAMA à payer à la société ACNA les sommes suivantes :

* réfection des dallages, soit : 52.020,60 € ;

* réfection du centre de lavage automatique/ 2 pistes et du portique reconditionné, soit : 192.212,99 € ;

* perte de marge pendant les travaux, soit : 7.740,00 € ;

* coût de publicité, soit : 1.126,80 € ;

* pompage des fosses, soit : 495,00 € ;

* remboursement facture Sigmabéton, soit : 120,00 € ;

* soit au total la somme de 253.715,39 € ;

- condamner in solidum M. [R] et la société GROUPAMA à payer à la société ACNA la somme de 83.000,00 € en réparation de son préjudice immatériel de perte de chiffre d'affaires suivant arrêtés de comptes au 31 octobre de l'année 2017 à l'année 2022 ;

- condamner in solidum M. [R] et la société GROUPAMA à lui payer la somme de 57,00 € par jour au titre de la perte totale de productivité dû à l'arrêt définitif de fonctionnement du portique depuis juillet 2022 ;

- à titre subsidiaire ;

- juger que M. [R] a engagé sa responsabilité contractuelle de droit commun sur le fondement de la théorie des vices intermédiaires ;

- condamner M. [R] à lui payer les mêmes sommes qu'à titre principal en réparation de l'ensemble de ses préjudices matériels et immatériels ;

- [en tout état de cause] ;

- condamner in solidum M. [R] et la société GROUPAMA à lui payer une indemnité de 3.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum M. [R] et la société GROUPAMA aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Collet - De Rocquigny - Chantelot - Brodiez - Gourdou & Associés, avocats associés au barreau de Clermont-Ferrand.

' Par dernières conclusions d'intimé notifiées par le RPVA le 19 juin 2024, la société CAISSE RÉGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES GROUPAMA RHÔNE-ALPES AUVERGNE a demandé de :

- au visa des articles 1792 et suivants, 1231-1 et 1315 du Code Civil ;

- [à titre principal] ;

- confirmer le jugement déféré, après avoir considéré que l'appelante ne démontre pas l'existence de désordres de nature décennale survenus au cours du délai d'épreuve, dès lors qu'elle n'a jamais cessé d'exploiter sa station de lavage, et qu'elle ne démontre pas en tout état de cause pas l'imputabilité de ces désordres à M. [R] ni la faute prétendument commise par celui-ci ;

- débouter la SARL ACNA de l'intégralité de ses prétentions, fins et conclusions ;

- à titre subsidiaire ;

- débouter M. [R] de sa demande subsidiaire de condamnation de la société GROUPAMA à le garantir des prétentions indemnitaires dirigées à son encontre ;

- ordonner un partage de responsabilités par moitié ;

- [en tout état de cause] ;

- débouter en toute hypothèse la société ACNA de ses prétentions indemnitaires en ce qu'elles excèdent la somme de 30.372,74 € telle que chiffrée par l'expert judiciaire dans son rapport au titre des travaux réparatoires ;

- débouter la société ACNA de sa demande en paiement de la somme journalière de 57,00 € en allégation de perte totale de productivité consécutive à l'arrêt définitif du fonctionnement du portique depuis juillet 2022 ;

- débouter la société ACNA de ses demandes plus amples ou contraires ;

- condamner la société ACNA à lui payer une indemnité de 5.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter les entiers dépens de l'instance ;

' Par dernières conclusions d'intimé notifiées par le RPVA le 19 juin 2024, M. [H] [R] a demandé de :

- au visa des articles 1792 et suivants,1103, 1104, 1231, 1231-1 et 1792-4-3 du Code civil, des articles L113-1 et suivants du code des assurances et des articles 1188 et suivants du Code civil ;

- à titre principal ;

- confirmer les dispositions du jugement déféré ;

- débouter en conséquence la société ACNA de l'ensemble de ses demandes ;

- à titre subsidiaire ;

- débouter en tout état de cause, la société ACNA de ses prétentions indemnitaires, en ce qu'elles excèdent la somme de 30.372,74 € telle que chiffrée par l'expert judiciaire au titre des travaux réparatoires ;

- débouter la société ACNA de ses prétentions plus amples ou contraires ;

- ordonner un partage de responsabilités par moitié ;

- condamner la société GROUPAMA à le garantir de toutes condamnations, de quelque nature que ce soit, qui pourraient être mises à sa charge, au besoin par l'allocation de dommages-intérêts équivalents à celles-ci.

- au cas où la garantie de la société GROUPAMA ne lui serait pas acquise, condamner cette dernière à lui payer des dommages-intérêts équivalant au montant de l'ensemble des condamnations qui seraient mises à sa charge, de quelque nature que ce soit, en allégation de manquements à ses devoirs de conseil et d'information ;

- en tout état de cause ;

- condamner la société ACNA ou toute autre partie succombante à lui payer une indemnité de 4.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société ACNA ou toute autre partie succombante aux entiers dépens de l'instance, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Laurie Furlanini, avocat au barreau de Clermont-Ferrand.

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par les parties à l'appui de leurs prétentions sont directement énoncés dans la partie MOTIFS DE LA DÉCISION.

Par ordonnance rendue le 20 juin 2024, le Conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de cette procédure. Lors de l'audience civile collégiale du 1 juillet 2024 à 14h00, au cours de laquelle cette affaire a été évoquée, chacun des conseils des parties a réitéré et développé ses moyens et prétentions précédemment énoncés. La décision suivante a été mise en délibéré au 8 octobre 2024, prorogée novembre 2024, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1/ Sur la responsabilité

Les travaux litigieux n'ont donné lieu à aucune réception formalisée entre les parties. C'est pourquoi cette réception devra être déterminée de manière tacite à la date de mai 2011 en raison de la mise en exploitation du site après paiement intégral de la facture de construction du 11 mars 2011. Compte tenu de cette réception tacite au plus tard le 31 mai 2011, de l'assignation en référé aux fins d'expertise judiciaire initiée à compter du 18 octobre 2017 et de la date du d'assignation au fond à compter du 14 juin 2022 en lecture du rapport d'expertise judiciaire du 18 janvier 2019, il importe de constater que l'action initiée par la société ACNA à l'encontre de M. [R] et de la société GROUPAMA a été diligentée dans le respect du délai décennal d'épreuve prévu à l'article 1792-4-1 du Code civil.

L'examen du rapport d'expertise judiciaire du 18 janvier 2019 de M. [J] [I] amène notamment à constater et à retenir que :

' les travaux de maçonnerie et de génie civil rendus nécessaires pour la réalisation du terrassement et de la dalle ont été entièrement exécutés par l'entreprise de M. [R], le montage de la structure et des différents équipements techniques ayant été réalisés par la société ACNA à partir des éléments d'une station de lavage automatique rachetée d'occasion, celle-ci comportant trois pistes dont deux couvertes avec nettoyeurshaute pression et une à l'air libre comprenant un automate à rouleaux ;

' cette station a été mise en service en mai 2011 avec apparition dès les premières années des dégradations signalées et évolution de ces désordres de délitements et de gravillonnages affectant la dalle du portique, les désordres étant marqués comme peu évolutifs au fil des visites de l'expert judiciaire ;

' les bétons utilisés, susceptibles d'être incriminés au regard de leur qualité, ont été fournis par des sociétés tierces à la procédure (SARL PBC Mathieu, société Pouzzolanes et Bétons du Centre) ;

' un rapport d'expertise du 3 août 2015 (M. [U] [S]) réalisé à la demande de l'assureur de protection juridique de la société ACNA (société Allianz) peut être entériné sur le fait que « (') les désordres qui affectent l'installation concernent essentiellement la détérioration de la couche d'usure avec un creusement du béton de l'ordre de 5 à 15 mm, la piste la plus affectée étant celle sur laquelle évolue l'automate de lavage des véhicules. / Aucune dalle ne présente de désordres structurels consécutifs à des mouvements différentiels, rupture etc. » ;

' au cours de ces précédentes opérations d'expertise d'assurance, un rapport d'essai d'un bureau d'études techniques (société Sigmabéton) mentionne qu'un carottage pratiqué sur la dalle le 12 août 2014 a donné un résultat correct par rapport aux valeurs limites pour la compression et les propriétés du béton en fonction de la classe d'exposition (résultats de 41,2 à 42,6 Mpa, soit une moyenne de 41,9 Mpa) ;

' un second rapport de bureau d'études techniques (société Alpha BTP Nord) peut également être entériné sur le fait que des résultats d'essai n'ont montré aucun problème d'adhérence entre le béton et la cheville, alors que le béton présente de bonnes caractéristiques massiques malgré une altération superficielle et des fissures localement importantes, l'origine des altérations étant à rechercher ailleurs (gel de la surface du béton ayant été mise en 'uvre par temps froid, altération par les produits de lavage utilisés, formulation du béton potentiellement inadaptée à des agents chimiques agressifs suivant une classe d'agressivité à définir ;

' le produit shampooing utilisé pour les voitures procède d'une solution neutre n'attaquant pas le béton (EV 12 Evopur Shampoo) tandis que les produits d'entretien utilisés sont peu acides (EV 6 Evopur Perfect Finish + EV 6 Evopur Dry Wax), ces produits étant fournis par une société tierce à la procédure (société Flowey) ;

' trois rapports d'expertise d'assurance de responsabilité civile décennale des 3 mars 2015, 31 juillet 2015 et 3 février 2017 (M. [T] [F]) confirment pour le premier d'entre eux que les caractéristiques du béton analysé sont bonnes sans risque pour la solidité de l'ouvrage et pour les deux autres que les désordres superficiels qui sont de 5 à 10 mm sont soumis aux intempéries et ne cessent d'affecter la surface des dalles ;

' le facteur intempérique est sensible, compte tenu du fait que cette station de lavage est située à 800 m d'altitude dans un secteur très exposé en hiver ;

' dans la première travée pour lavage haute pression, des désordres sont constatés au droit des joints métalliques en Y disposés au contact des quatre formes de pente alors qu'il est constant que cette situation est préjudiciable pour la bonne tenue de l'ouvrage en raison des infiltrations qui s'y produisent et des épisodes de gel et de dégel des eaux infiltrées ;

' la surface de ce dallage commence à se déliter par éclatements superficiels, les mêmes dégradations se produisant au droit de la réservation destinée à la bonne mise en 'uvre de la grille qui recouvre le caniveau d'évacuation des eaux de lavage ;

' au droit de ce caniveau, on peut noter deux classes de béton entre l'épaisseur du dallage et le fond avec une usure anormale entre les deux ;

' il existe dans la deuxième travée pour lavage haute pression des désordres identiques à ceux de la première travée, quoique plus marqués ;

' le local technique de la station ne fait l'objet d'aucune dégradation particulière ;

' la troisième travée pour nettoyage automatique avec des rouleaux, non couverte et donc exposée aux intempéries, est affectée des dégâts les plus importants, celle-ci disposant d'un dallage aménagé de rails fixés au sol pour permettre le déplacement des rouleaux ainsi que de tuyauteries permettant de canaliser les véhicules ;

' cette travée est particulièrement affectée au droit des joints de dilatation et en surface courante, surtout au droit des zones de roulage des pneus, comportant par ailleurs visiblement une fissure transversale de structure ;

' il existe des dégradations au droit des parois verticales des caniveaux de cette troisième travée, entre le béton constituant la dalle de 15 cm et les parois inférieures, sans qu'il soit possible à cet endroit d'incriminer une usure mécanique avec peut-être dès lors un rôle causal de produits de nettoyage le cas échéant trop agressifs ;

' en de nombreux endroits de ce dallage de troisième travée, les fixations des rails ont disparu, accentuant ainsi des vibrations anormales, alors par ailleurs qu'en situation d'essai l'eau de lavage a beaucoup de mal à s'évacuer sous les rails de guidage et que cette difficulté engendre en hiver des dépôts de gel et de sel en surface ;

' les côtes de la profondeur de la fosse à boue ne sont pas conformes aux plans remis par l'entreprise de construction, alors par ailleurs que l'entrepreneur de travaux n'a pas jugé utile d'établir un plan d'exécution très précis à l'intention du maître d'ouvrage, du bureau d'études techniques et du fournisseur des équipements, notamment avec des côtes altimétriques, concernant les pentes, la position et la matière des joints ;

' les principales causes des désordres sont en définitive les suivantes :

* utilisation d'un béton non adjuvé en fonction de l'exposition et de l'utilisation (altitude, gel, sel, produits de lavage), alors qu'il aurait été judicieux de recourir à l'utilisation d'un béton C35xF4 ;

* absence de plan béton armé qui aurait précisément défini le ferraillage, de manière à éviter la fissure transversale, ainsi que la position et la nature des joints de dilatation ;

* sciage et bourrage sans recourir à un silicone adapté ;

* absence de mise en place de cornières qui auraient permis d'adapter finement la liaison béton-grilles afin d'éviter que les eaux de ruissellement stagnent au droit de la grille ;

* action de l'eau chargée de sel de déverglaçage pénétrant dans le béton et corrodant les aciers, qui dès lors se gonflent et font éclater le béton en un phénomène interne continuant à agir malgré le traitement de surface ;

' la résolution de ces désordres à long terme nécessite en conséquence de démolir les dalles et de les reconstruire après une étude béton et un plan d'exécution précis validé par le fournisseur de traitement, alors qu'un traitement simplement superficiel à base de résine ne résoudra pas le problème sans pour autant permettre des économies à terme ;

' ces désordres et malfaçons affectent cet ouvrage immobilier en compromettant sa solidité et en le rendant impropre à sa destination, la troisième zone de lavage automatique avec des rouleaux pouvant par ailleurs devenir dangereuse pour les utilisateurs du fait de la forte dégradation des fixations des rails pouvant provoquer une déstabilisation de l'ensemble ;

' le coût total de reprise de ces travaux, sur la base d'un devis d'une entreprise spécialisée en travaux publics et génie civil (ODPT43) peut être estimé à la somme de 36.636,38 € HT.

' Le délai d'exécution de ces travaux de reprise peut être estimé à deux mois comprenant la période de séchage, outre un mois supplémentaire pour le démontage et le remontage des installations, soit au total trois mois.

En l'occurrence, il n'est pas contestable que M. [R], professionnel du bâtiment qui s'est vu intégralement confier la conception et la construction de la dalle litigieuse, a du fait de ces travaux la qualité de constructeur envers la société ACNA, par application des dispositions des articles 1792 et 1792-2 du Code civil. Il n'est pas davantage contestable que l'ensemble du bétonnage et de la maçonnerie du dallage de cette station de lavage automatique constitue un ouvrage au sens des dispositions législatives précitées.

En lecture du rapport d'expertise judiciaire et en application des dispositions des articles 1792 et 1792-2 du Code civil, la compromission de la solidité de cet ouvrage ainsi que son impropriété à sa destination résultent effectivement, de manière imputable à M. [R] :

- concernant l'ensemble des trois travées et compte tenu de la qualité inappropriée du béton utilisé, des effets généralisés de délitement et de gravillonnage sur toutes les surfaces béton du dallage dont l'aménagement initial en balayage rustique tend ainsi à disparaître et à ne plus assurer la fonction antidérapante, compromettant de ce fait la sécurité des utilisateurs et des servants de cette station automatique de lavage, provoquant en outre des redémarrages patinants de voitures sur des surfaces devenant de plus en plus lisses ;

- concernant le dallage de l'ensemble de l'ouvrage, des pénétrations d'eau chargées de sel de déglaçage du fait des défauts de raccordement des surfaces béton avec les joints métalliques, cumulées dans cette zone d'altitude à des épisodes récurrents de gel et de dégel, qui corrodent les aciers de ferraillage, qui provoquent ainsi des gonflements constituant des causes supplémentaires de fragilisation et de délitement et qui surtout ne peuvent plus être rattrapées par les traitements qui ne peuvent désormais porter que sur les surfaces de l'ouvrage ;

- concernant la troisième travée équipée sur dalle-support à ciel ouvert de rouleaux automates de nettoyage, de l'importante fragilisation de la surface de béton (beaucoup plus que dans les deux autres travées du fait de son exposition aux intempéries), consécutivement aux mêmes effets de délitement du béton aggravés ici par les difficultés d'évacuation d'eau et donc par des stagnations d'eau sous les rails de guidage, compromettant en conséquence la fiabilité et la solidité des fixations des rails de guidage des rouleaux automates et par conséquent la pérennité de toute la structure mobile du dispositif de lavage, avec notamment des accentuations de vibrations anormales, des déplacements de rouleaux dodelinants qui ne sont plus linéaires et des déclenchements d'un certain nombre de pannes sur ces cheminements décalés, ces conditions de fonctionnement dégradées portantes également atteintes à la sécurité des utilisateurs ;

- concernant l'ensemble de l'ouvrage du choix d'utilisation d'un béton non adjuvé en fonction de l'exposition aux critères notamment d'altitude, de gel, de sel et de produits de lavage, avec en outre absence de réalisation d'un plan de béton armé qui aurait précisément et plus judicieusement défini le ferraillage et manifestement évité la fissure transversale de l'ouvrage ainsi que les mauvais choix de positionnement et de nature des joints de dilatation, outre absence de mise en place de cornières qui auraient permis d'adapter plus finement la liaison entre le béton et les grilles de manière à éviter que les eaux de ruissellement stagnent au droit des grilles ;

- du constat enfin suivant lequel la seule solution de travaux de reprise consiste selon l'expert judiciaire en une démolition intégrale des dalles existantes et en une reconstruction de cet ensemble dans les règles de l'art et dans un meilleur choix de la qualité du béton, au terme d'une étude de béton confiée à un bureau d'études techniques et de l'élaboration de plans plus précis d'exécution, excluant dès lors tout traitement qui ne serait que de surface.

M. [R] conteste avoir utilisé un béton non adjuvé, disant avoir utilisé un béton armé de 12 cm d'épaisseur dosé à 350 kg de ciment PMES tel que cela résulte de sa facture générale du 11 mars 2011 d'un montant total de 14.044,64 € TTC. Il ajoute que ce matériau correspond au béton C35XF4 préconisé par l'expert judiciaire. Pour autant, il n'établit pas la preuve que l'expert judiciaire se serait trompé sur ce chef d'appréciation, faute de produire la facture de fourniture de ce matériau. Dès lors qu'il ne documente pas lui-même l'origine du béton réellement employé, l'expert judiciaire doit être crédité dans son appréciation en dépit de la simple documentation technique communiquées en la matière par le fournisseur de M. [R]. L'expert judiciaire ne relève par ailleurs aucune anomalie particulière quant aux travaux postérieurs de percement et d'aménagement de cette dalle en vue du montage de la structure de lavage automatique. Aucuns autres travaux n'ont été réalisés depuis lors sur cette station de lavage automatique. Le choix par le maître d'ouvrage de mettre en 'uvre par souci d'économie une structure mobile reconditionnée et non neuve n'a eu aucune incidence particulière sur la solidité et la fiabilité du support suivant les constatations de l'expert judiciaire.

L'objection suivant laquelle l'absence de cessation d'exploitation de la station de lavage automatique avant une date récente ferait par nature obstacle au constat d'impropriété de l'ouvrage à sa destination et de compromission de sa solidité est sans portée. Un fonctionnement simplement dégradé dans des conditions altérées de sécurité du fait de la disparition progressive des qualités antidérapantes du sol et dans des conditions occasionnellement dommageables pour la structure du fait des pannes occasionnées par la défixation progressive des rails de circulation des rouleaux automates suffit en effet à établir cette impropriété et cette compromission. Il est de plus établi, après objectivation du caractère évolutif des désordres de construction, que cette impropriété et cette compromission du fait des délitements et effritements étaient suffisamment graves et compromettantes avant même l'expiration du délai décennal d'épreuve ayant commencé à courir à compter du mois de mai 2011, pendant lequel l'exploitation commerciale du site a été exercée après prise de possession de l'ouvrage et paiement intégral de la facturation du 11 mars 2011. Cette cessation définitive d'activité est ainsi intervenue le 12 juin 2022 dans un bref délai après l'expiration du délai décennal d'épreuve pour des causes dûment identifiées avant même l'expiration de ce délai décennal d'épreuve. Il n'est en effet pas contesté que ce portique de lavage a définitivement cessé de fonctionner depuis le 12 juillet 2022, alors que la société ACNA disait ne plus parvenir à gérer ses pannes en raison du refus final de son prestataire (société Erfitim) de remettre en service ce dispositif au nom de la sécurité des utilisateurs. L'arrêt définitif de cette station de lavage est par ailleurs confirmée par constat d'huissier de justice du 31 mai 2024, pour les mêmes causes identifié antérieurement à l'expiration de ce délai décennal d'épreuve. Si la durée de vie moyenne d'un portique de lavage automatique peut être estimée autour de cinq ans en lecture de la documentation technique et commerciale consultables en la matière, il n'en est pas de même pour les dispositifs de guidage par rail de ce portique qui font partie intégrante avec leurs fixations du bâti constructif et relèvent donc de la garantie décennale.

Contrairement donc à ce qu'objectent la société GROUPAMA et M. [R], les griefs exprimés par la société ACNA en qualité de maître d'ouvrage reposent sur des éléments suffisamment graves et très largement communiqués avant l'expiration du délai décennal d'épreuve, ce délai d'épreuve ayant en réalité correspondu à une période de fonctionnement cette station de lavage automatique qui se dégradait au fil du temps jusqu'à son arrêt final d'activité pour les raisons de dysfonctionnements et de sécurité susmentionnées à compter du 12 juin 2022.

La société ACNA ne peut être traité en cette occurrence comme un professionnel de la construction, ses activités consistant uniquement à monter ou faire monter des structures mobiles de lavage de voiture sur des bases en béton préalablement maçonnées Le fait qu'elle puisse se voir le cas échéant reprocher des fautes en matière d'entretien et de maintenance sur la structure mobile de la station de nettoyage et le fait que celle-ci ait été achetée d'occasion apparaissent sans incidence dans la mesure où seuls sont en cause les dispositifs de fixation dans la masse de la dalle des rails de mobilité de cette structure qui à la longue et en très grande partie n'assurent plus leurs fonctions de stabilité de la station sur son support et ne permettent donc plus l'utilisation de cette station dans des conditions normales de sécurité des personnes et de pérennité du bien.

L'absence de couverture de la travée aménagée avec des rouleaux automates et qui comporte le plus de dégradations ne peut être reprochée au maître d'ouvrage. En effet, ce choix constructif sans couverture tel que désiré par le maître d'ouvrage, qui est totalement profane en matière de construction, avait pour corollaire à la charge du locataire d'ouvrage, soit la préconisation d'une couverture dans le cadre de son obligation d'information et de conseil, soit le choix de matériaux qui soient davantage adaptés et résistant aux intempéries. De même, il incombait seul au locateur d'ouvrage de tenir compte des contraintes spécifiques d'altitude du site de construction et du fait que le maître d'ouvrage allait nécessairement répandre sur les matériaux de construction des produits le cas échéant corrosifs comme des sels de déverglaçage ou des produits de nettoyage et d'entretien.

Le fait que le maître d'ouvrage n'ait pas spécifiquement recouru à un maître d''uvre dans cette opération de construction ne peut être en soi constitutif d'une immixtion fautive ou d'une quelconque autre faute, seul un acte positif d'immixtion dans un acte de construire pouvant en cette occurrence le cas échéant être retenu à l'encontre d'un maître d'ouvrage. L'absence de mise en cause d'autres intervenants de travaux ne peut être opposée au maître d'ouvrage, l'entrepreneur de maçonnerie et son assureur ayant eux-mêmes la possibilité d'appeler en cause et en garantie toutes personnes leur paraissant devoir assumer tout ou partie de la responsabilité de ces désordres de construction. La demande de mise hors de cause formée à titre principal et la demande partage de responsabilité avec le maître d'ouvrage formée à titre subsidiaire par la société GROUPAMA seront dans ces conditions rejetées.

En définitive, le jugement de première instance sera infirmé en ce qu'il a débouté la société ACNA de l'ensemble de ses demandes formé au titre de la responsabilité décennale prévu aux articles 1792 et suivants du Code civil, les demandes formées par cette dernière aux mêmes fins en cause d'appel à titre subsidiaire sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun devenant dès lors sans objet.

La société GROUPAMA ne conteste pas le principe de la mobilisation de la garantie contractuelle de la responsabilité civile décennale recherchée, ayant accepté la souscription de cette police d'assurance dans le cadre d'un contrat d'assurance multirisques professionnelle mêlant celle-ci dans un ensemble contractuel qui comporte une pluralité de polices d'assurance. M. [R] et la société GROUPAMA seront dès lors solidairement condamnés à assumer l'ensemble des conséquences dommageables de ces désordres de construction envers la société ACNA, M. [R] devant être par ailleurs contractuellement garanti par la société GROUPAMA de l'ensemble des condamnations pécuniaires prononcé à son encontre à l'occasion de cette instance.

2/ Sur les réparations

En ce qui concerne le préjudice matériel de reprise du dallage, la société ACNA exprime son accord avec l'estimation faite par l'expert judiciaire à hauteur de la somme totale de 36.636,38 € HT, demandant simplement l'actualisation de ce montant. Elle produit à ce sujet un devis estimatif actualisé ODTP 43 du 1er octobre 2021 d'un montant total de 43.350,50 € HT, soit 52.020,60 € TTC. Ce montant actualisé qui ne se rapporte qu'aux travaux de démolition de l'ancienne dalle et de reconstruction d'une nouvelle dalle n'apparaît pas sérieusement critiquable et sera dès lors entériné.

La société ACNA réclame par ailleurs la somme totale de 192.212,99 € correspondant au changement total du centre de lavage en deux pistes avec portique reconditionné. Il n'est effectivement pas contestable qu'il est nécessaire de démonter le portique et toute la station de lavage afin de remédier durablement aux causes du délitement du dallage. En cette occurrence, le maître d'ouvrage ayant initialement fait le choix de fournir et d'installer lui-même l'ensemble des dispositifs de lavage après avoir réceptionné le support-dalle, le principe de réparation intégrale qu'il invoque s'oppose précisément à ce ne soient pas les mêmes structures qui soient réinstallées après leur démontage et après la reconstruction de la dalle. Sa demande tendant au remplacement d'un autre dispositif de lavage, fût-il à nouveau d'occasion, n'apparaît dès lors pas acceptable. De plus, aucun élément ne permet d'inférer que les défauts de la dalle auraient provoqué des avaries sur le dispositif mobile de lavage, étant par ailleurs rappelé à ce sujet que le maître d'ouvrage avait seul l'obligation d'entretien périodique de sa station de lavage. Enfin, l'éventuel état de vétusté de la structure existante ne peut relever de la responsabilité du constructeur de la dalle et de son assureur. Or, la société ACNA ne présente, même à titre subsidiaire, aucune proposition de dédommagement ou de réparation sur le fait qu'elle aura eu en définitive à effectuer deux fois par elle-même le montage du portique et de la structure du centre de lavage. Dans ces conditions, ce poste de réclamation pécuniaire sera rejeté.

Le préjudice de perte de marge pendant la durée des travaux et d'immobilisation de la station de lavage, globalement estimée à trois mois par l'expert judiciaire, n'est pas contestable dans son principe, cet équipement ne pouvant aucunement fonctionner pendant cette période. À ce sujet, la demande formée à hauteur de 86,00 € par jour pendant les 90 jours de cette durée d'immobilisation sur la base d'une attestation comptable du 8 janvier 2018 apparaît raisonnablement calculée et sera donc entérinée à hauteur de la somme totale de 7.740,00 €.

Le coût de publicité allégué à hauteur de 1.126,80 € n'apparaît pas fondé eu égard à l'arrêt total d'activité de cette station de lavage automatique depuis le 12 juin 2022. Ce poste de demande sera en conséquence rejeté.

Les frais supplémentaires allégués en matière de pompage des fosses et de consultation auprès du bureau d'études techniques Sigmabéton ne sont contestables ni dans leur principe ni dans leur montant et seront donc entérinés à hauteur du montant respectif de 495,00 € et de 120,00 €.

Aucune démonstration de cause à effet n'est comptablement établie entre l'érosion alléguée du chiffre d'affaires entre le 31 octobre 2017 et le 31 octobre 2022, et les conditions de fonctionnement même dégradées de la station de lavage, aboutissant selon la société ACNA à une perte de marge moyenne de 95 % estimée à 11.875,00 € par an sur 7 ans, soit à la somme totale de 83.825,00 € arrondie à 83.000,00 €. De plus, aucune indication n'est fournie sur la fréquence et la nature de ces avaries arguées de pannes à répétition ainsi que sur la fréquentation habituelle de ce centre de lavage par sa clientèle. La société ACNA procède ici par simple affirmation et sans aucune offre probatoire basée sur des documents comptables en alléguant que « Rien n'explique cette baisse autrement que par ces pannes, puisque le centre reste par ailleurs exploité. ». Dans ces conditions, ce poste de demande formé à hauteur de 83.000,00 € sera rejeté.

Il n'apparaît pas établi au terme des débats que cette station de lavage automatique, qui devenait simplement en mode de fonctionnement de plus en plus dégradé en raison du caractère évolutif des conséquences dommageables des désordres de construction, ait été pour autant en situation totale d'incapacité de fonctionnement et d'exploitation. Dans ces conditions, le poste de demande à hauteur de 57,00 € par jour depuis juillet 2022 sera rejeté.

3/ Sur les autres demandes

Par voie de conséquence de l'infirmation du jugement de première instance concernant le rejet de l'ensemble des demandes de la société ACNA, toutes les autres dispositions de ce jugement seront également rejetées.

Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de de la société ACNA les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager à l'occasion de cette instance et qu'il convient d'arbitrer à la somme de 3.000,00 €, à la charge solidairement de M. [R] et de la société GROUPAMA.

Enfin, succombant à l'instance du fait de l'admission d'une partie des demandes principales de la société ACNA et en tout cas de sa principale demande portant sur le préjudice matériel de reprise des travaux litigieux, M. [R] et la société GROUPAMA seront purement et simplement déboutés de leur demande respective de défraiement formée au visa de l'article 700 du code de procédure civile et en supporteront les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement n° RG-21/03875 rendu le 3 octobre 2022 par le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand.

Statuant de nouveau.

JUGE que M. [H] [R], sous la garantie contractuelle de la société CAISSE RÉGIONALE D'ASSURANCES MUTUELLES AGRICOLES GROUPAMA RHÔNE-ALPES AUVERGNE, est entièrement responsable envers la SARL AUVERGNE CENTRE DE NETTOYAGE AUTOMATIQUE (ACNA) de la survenance et de l'ensemble des conséquences dommageables des désordres de construction occasionnés à la dalle de la station de lavage automatique susmentionnée, en application des articles 1792 et suivants du Code civil.

REJETTE la demande de partage de responsabilité formée à l'encontre de la société ACNA.

CONDAMNE en conséquence solidairement M. [R] et la société GROUPAMA à payer au profit de la société ACNA les sommes suivantes :

- 52.020,60 € en réparation du préjudice matériel de réfection des dallages ;

- 7.740,00 € en réparation du préjudice immatériel de perte de marge pendant les travaux de reprise ;

- 495,00 € à titre de remboursement des frais de pompage des fosses ;

- 120,00 € à titre de remboursement de la facture Sigmabéton ;

CONDAMNE solidairement M. [R] et la société GROUPAMA à payer au profit de la société ACNA une indemnité de 3.000,00 € en dédommagement de ses frais irrépétibles prévus à l'article 700 du code de procédure civile.

REJETTE le surplus des demandes des parties.

CONDAMNE solidairement M. [R] et la société GROUPAMA aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Collet - De Rocquigny - Chantelot - Brodiez - Gourdou & Associés, avocats associés au barreau de Clermont-Ferrand.