CA Bordeaux, 4e ch. com., 2 décembre 2024, n° 22/05370
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Haxe Direct (SARL)
Défendeur :
L'E-Dclix (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Masson, Mme Jarnevic
Avocats :
Me Auffret de Peyrelongue, Me Descamps, Me Gonder, Me Para
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Haxe Direct est spécialisée dans le commerce de caisses enregistreuses, solutions informatiques de gestion, ainsi que dans la monétique et la vidéo-surveillance.
La SARL E-Dclix exploite un fonds de commerce sur la commune de [Localité 3], sis [Adresse 2] dans lequel elle exerce une activité de bar-brasserie.
Le 21 juin 2019, la société E-Dclix a conclu un contrat de fourniture et d'installation de matériels informatiques pour un montant total de 70'775 euros.
Le matériel a été livré et installé mais ne répond pas aux attentes de la société E-Dclix qui met en avant des retards de mise en service et des dysfonctionnements.
Après plusieurs mises en demeure, la société E-Dclix a assigné la société Haxe Direct devant le tribunal de commerce de Nimes aux fins de se voir rembourser la somme globale en principal de 27'999 euros au titre du matériel installé qu'elle estime non conforme, et à la perte d'exploitation qui en résulterait.
Le 07 décembre 2021, le tribunal de commerce de Nîmes, saisi in limine litis d'une exception d'incompétence par la société Haxe Direct, s'est déclaré incompétent et a renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Bordeaux.
Par jugement du 17 novembre 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué comme suit :
- Condamne la société Haxe Direct SARL à payer à la société E-Dclix SARL la somme de 17'640 euros ;
- Déboute la société E-Dclix de sa demande de voir la société Haxe Direct SARL condamnée à lui payer la somme de 10'359 euros au titre d'une perte d'exploitation ;
- Condamne la société E-Dclix SARL à payer à la société Haxe Direct la somme de 1'668 euros TTC ;
- Condamne la société Haxe Direct SARL à payer à la société E-Dclic SARL la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Dit que l'exécution provisoire est de droit ;
- Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
- Condamne la société Haxe Direct SARL aux entiers dépens.
Par déclaration au greffe du 26 novembre 2022, la SARL Haxe Direct a relevé appel du jugement aux chefs expressément critiqués, intimant la société l'E Dclix.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières écritures notifiées par message électronique le 20 avril 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Haxe Direct demande à la cour de :
Vu les articles 1103 et 1104 du code civil ;
Vu les pièces versées aux débats ;
Vu la jurisprudence ;
- Juger la société Haxe Direct recevable et bien fondée en ses demandes ;
- Juger que la société Haxe Direct a parfaitement rempli ses obligations contractuelles ;
- Juger que la société E-Dclix n'administre pas la preuve des désordres allégués ;
- Juger que la société E-Dclix n'administre pas la preuve du préjudice allégué et de son quantum,
En conséquence,
- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 17 novembre 2022 en ce qu'il a condamné la société Haxe Direct à régler à la société E-Dclix les sommes suivantes :
* 17.640,00 euros en principal ;
* 2.000,00 euros au titre des frais irrépétibles, outre les dépens.
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 17 novembre 2022 en ce qu'il a
* débouté la société E-Dclix de sa demande reconventionnelle à hauteur de 10.359,00 euros ;
* condamné la société E-Dclix à régler la somme de 1.668,00 euros à la société Haxe Direct.
Statuant à nouveau,
- Debouter la société E-Dclix de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et prétentions ;
- Condamner la société E-Dclix à régler la somme de 1'668,00 euros à la société Haxe Direct ;
- Condamner la société E-Dclix à payer à la société Haxe Direct la somme de 3'500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société E-Dclix aux entiers dépens, dont le recouvrement pourra être opéré par Maître Océanne Auffret de Peyrelongue, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières écritures notifiées par message électronique le 14 avril 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société E-Dclix demande à la cour de :
Vu les articles 1104 et 1231-1 du code civil,
Vu les articles L217-4 et L217-5 du code de la consommation,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 17 novembre 2022
- Confirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné la société Haxe Direct à payer la somme de 17'640 euros au titre du remboursement du matériel défectueux,
- Confirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné la société Haxe Direct à payer la somme de 2'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure,
Et statuant à nouveau,
- Recevant l'appel incident, le disant bien fondé,
- Reformer le jugement en ce qu'il a débouté la société E-Dclix de sa demande
d'indemnisation pour la perte d'exploitation,
Par conséquent,
- Condamner la société Haxe Direct à payer à la société E-Dclix la somme de 10.359 euros correspondant à la perte d'exploitation subie,
- Debouter la société Haxe Direct de toute ses demandes
- Condamner la société Haxe Direct à payer 3'500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 07 octobre 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les obligations contractuelles de la société Haxe Direct
1 - La société Haxe Direct fait valoir qu'elle a respecté toutes ses obligations contractuelles. L'installation du matériel informatique est conforme et si elle a été retardée, c'est du fait de la société E-Dclix. Par ailleurs, chacune de ses interventions a fait l'objet d'un bon validé et signé par la société E-Dclix.
En outre, la société Haxe Direct allègue que le constat d'huissier n'est pas une preuve suffisante. Enfin, la société E-Dclix n'a jamais transmis le cahier des charges sollicité.
2 - La société E-Dclix réplique que les écrans tactiles n'ont jamais correctement fonctionné et que les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre des solutions techniques caractérisent un manquement à l'obligation de conseil et de délivrance conforme de la part de la société Haxe Direct.
Sur ce
- Sur la délivrance conforme
3 - L'intimée invoque l'application des articles L 217-4 et L 217-5 du code de la consommation.
Or, selon l'article L 217-1 du code de la consommation : 'Les dispositions du présent chapitre sont applicables aux contrats de vente de biens meubles corporels entre un vendeur professionnel, ou toute personne se présentant ou se comportant comme tel, et un acheteur agissant en qualité de consommateur ".
Il en résulte que les ventes entre professionnels ne donnent pas naissance à cette garantie et sont soumises aux règles du code civil. Dès lors, les textes du code de la consommation invoqués par l'intimée et relatifs à la délivrance conforme ne sont pas applicables.
- Sur le devoir de conseil
4 - L'article 1103 du code civil dispose : 'Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.'
L'article 1104 du code civil dispose : 'Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.'
L'article 1112-1 du code civil dispose : 'Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.'
5 - La société E-Dclix indique qu'elle souhaitait l'installation d'écrans permettant aux clients de commander et de régler les consommations à distance.
6 - La proposition commerciale, jointe au dossier par l'intimée, avant signature par la société E-Dclix, fait référence à un 'Projet caisse + libre service'.
Le dossier d'installation fait état de plusieurs interventions sur site de la société Haxe Direct entre juillet et septembre 2019. Contrairement à ce que celle-ci affirme, l'encart 'observations et conseils' des bons d'intervention n'est pas spécifiquement dédié aux réserves du client ; au contraire, cet encart est renseigné à plusieurs reprises par la société Haxe Direct elle-même. Dès lors, le fait que la société E-Dclix n'ait pas fait mention de réserves dans cet encart suite aux interventions des techniciens n'est pas de nature à prouver avec certitude qu'elle était satisfaite des prestations de la société Haxe Direct .
Dans un courrier du 25 février 2020 adressé à la société E-Dclix, la société Haxe Direct relève qu'elle est toujours en attente du cahier des charges de la part de sa co-contractante, reprenant 'le plan architecture, administration du logiciel, ainsi que les demandes spécifiques', alors que dans un courrier du 14 août 2019, la société Haxe Direct indique que lors du rendez-vous du 7 août 2019, la société E-Dclix lui a transmis un cahier des charges, portant notamment sur une interface libre service. Au surplus, dans un mail daté du 25 juillet 2019, M. [T], gérant de la société E-Dclix, communique à la société Haxe Direct les éléments sollicités par celle-ci pour mettre en place l'interface personnalisée.
7 - Or, un procès-verbal de constat, établi par un huissier de justice à la demande de l'intimée le 27 septembre 2019, fait état d'écrans et de lecteurs de carte qui ne sont pas branchés, ce qui tend à établir leur caractère non fonctionnel.
Le courrier du 2 août 2019 adressé par le conseil de la société E-Dclix au gérant de la société Haxe Direct indique que 'malgré de nombreuses tentatives de réglage de la part de vos techniciens, le système de commande à distance depuis les tables ne fonctionne toujours pas'. Au regard d'une photographie jointe au dossier de l'intimée, il apparaît que l'écran tactile a l'apparence d'une caisse enregistreuse.
Un courrier du 14 janvier 2020 adressé par le conseil de la société E-Dclix au gérant de la société Haxe Direct fait mention d'écrans tactiles qui n'ont jamais fonctionné ; la société Haxe Direct aurait par ailleurs récupéré les lecteurs RFID et les contrôleurs.
8 -.Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société E-Dclix souhaitait la mise en place d'une interface personnalisée permettant la commande en libre-service et le paiement des consommations.
La société Haxe Direct est un prestataire informatique et donc un professionnel averti dans ce domaine. Il lui incombait un devoir de conseil lors de la conclusion du contrat et il lui appartenait de définir les besoins de son client pour le projet concerné en recherchant les informations nécessaires.
Ainsi, il apparaît que le système informatique livré par l'appelante ne correspondait pas aux besoins de la société E-Dclix, ce qui caractérise un manquement au devoir de conseil de la part de la société Haxe Direct, susceptible d'engager sa responsabilité.
Ainsi, c'est à bon droit que le tribunal de commerce a jugé que la société Haxe Direct était un professionnel de la prestation informatique et devait s'attacher, lors de la conclusion du contrat, à faire émerger une analyse précise des besoins du client, tant en matière technique que graphique.
La décision sera confirmée de ce chef.
Sur les demandes dommages et intérêts
9 - La société E-Dclix sollicite le remboursement du prix des lecteur et des contrôleurs (5 400 euros HT) et des écrans (9 300 euros HT) qui n'ont pas fonctionné.
Elle sollicite également, dans le cadre de son appel incident, l'indemnisation de sa perte d'exploitation en raison du retard mis dans la mise en service du matériel. Elle explique que celle-ci était prévue du 7 au 12 juillet et qu'elle n'a été effective que le 1er août 2019. Au regard du chiffre d'affaires réalisé sur les mois d'août, septembre et octobre, elle évalue la perte à la somme de 10 359 euros.
10 - La société Haxe Direct fait valoir que le fonds de commerce a fait l'objet de travaux pendant plusieurs semaines, le rendant inaccessible. Par ailleurs, le contrat exclut toute responsabilité de sa part. Enfin, l'attestation de l'expert-comptable n'a pas valeur probante en l'absence de pièce d'identité.
Sur ce
11 - Selon l'article 1217 du code civil : 'La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- obtenir une réduction du prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.'
Selon l'article 1231-1 du code civil : 'Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.'
- Sur la demande de remboursement
12 - Au regard des manquements contractuels de la société Haxe Direct précédemment établis et des prix tels qu'ils sont indiqués dans le contrat signé le 21 juin 2019, la décision du tribunal de commerce sera confirmée en ce qu'elle a condamnée l'appelante à payer la somme de 17 640 euros TTC.
- Sur la perte d'exploitation
13 - Les photos produites par la société Haxe Direct et extraites d'un réseau social de la société E-Dclix montrent que le 6 juillet 2019, l'établissement était en travaux, et que le 7 août 2019, l'enseigne venait d'être posée.
Dès lors, c'est à bon droit que le tribunal a considéré que la société E-Dclix ne démontrait pas de façon certaine en quoi le retard pris dans l'installation du matériel informatique avait eu pour conséquence de décaler l'ouverture de l'établissement. La décision sera confirmée de ce chef.
Sur les demandes accessoires
14 - En équité, il convient de condamner la société Haxe Direct aux dépens d'appel et d'allouer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort :
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 17 novembre 2022,
Y ajoutant,
Condamne la société Haxe Direct à payer à la société E-Dclix la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Haxe Direct aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.