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Décisions

CA Riom, ch. com., 20 novembre 2024, n° 23/01341

RIOM

Arrêt

Autre

CA Riom n° 23/01341

20 novembre 2024

COUR D'APPEL

DE [Localité 25]

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°

DU : 20 Novembre 2024

N° RG 23/01341 - N° Portalis DBVU-V-B7H-GBR4

ACB

Arrêt rendu le vingt Novembre deux mille vingt quatre

décision dont appel : Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 24], décision attaquée en date du 28 Juin 2023, enregistrée sous le n° 19/00195

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Sophie NOIR, Conseiller

Madame Anne Céline BERGER, Conseiller

En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et du prononcé

ENTRE :

M. [S] [Z] [U] [T]

[Adresse 13]

[Localité 1]

Représentant : Me Christine BAUDON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

Mme [Y] [K] [M]

[Adresse 13]

[Localité 1]

Représentant : Me Christine BAUDON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

La société dénommée 'SCI VP [T]'

SCI immatriculée au RCS d'Avignon sous le n° 813 538 055

[Adresse 19]

[Localité 16]

Représentant : Me Christine BAUDON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

APPELANTS

ET :

La SCI DE LAVAULT SAINT ANNE, SCI radiée le 24 mai 2016, initialement immatriculée au RCS de Créteil sous le n° 302 610 845, dont le siège social était sis [Adresse 20]

prise en la personne de Maître [L] [D], mandataire ad hoc

[Adresse 6]

[Localité 15]

désignée à ces fonctions par ordonnance de Monsieur le Président du Tribunal

judiciaire de [Localité 21] en date du 1er décembre 2017

Représentants : Me Barbara GUTTON PERRIN de la SELARL LX RIOM-CLERMONT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et Me Jonathan AYACHE, avocat au barreau de PARIS (plaidant)

La société KL ASSOCIES,

SAS immatriculée au RCS de Paris sous le n° 325 775 955

[Adresse 5]

[Localité 14]

venant au droits de la SCP Gildas LE GONIDEC DE KERHALIC Alain KOENIG Chantal GAUDRY Christophe CHEVAL Gilles BONNET

Représentants : Me Thierry GESSET de la SELARL AUVERJURIS, avocat au barreau de MONTLUCON (postulant) et Me Thomas RONZEAU de la SCP INTERBARREAUX RONZEAU ET ASSOC, avocat au barreau de PARIS (plaidant)

La société [E] [A] ET [O] [G] [I], notaires associés

SCP immatriculée au RCS de Montluçon sous le n° 323 490 078

[Adresse 8]

[Localité 2]

Représentant : Me Thierry GESSET de la SELARL AUVERJURIS, avocat au barreau de MONTLUCON

INTIMÉES

DÉBATS :

Après avoir entendu en application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, à l'audience publique du 02 Octobre 2024, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame DUBLED-VACHERON et Madame BERGER, magistrats chargés du rapport, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré.

ARRET :

Prononcé publiquement le 20 Novembre 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige :

Par acte notarié du 23 juin 2015, sous l'égide de la SCP notariale devenue aujourd'hui la SAS K.L Associés, est intervenu un compromis de vente entre, d'une part, la SCI [Localité 22], vendeur, représentée par Mme [J] [X], spécialement habilitée à cet effet par M. [N] [F], gérant de ladite société et, d'autre part, M [S][T] et Mme [Y] [M] épouse [T] pour un bien situé à [Adresse 23], cadastré section AD n°[Cadastre 9]-[Cadastre 10]-[Cadastre 11]-[Cadastre 12]-[Cadastre 17]-[Cadastre 18] et section AE n°[Cadastre 3] et [Cadastre 4], pour une superficie de 2 hectares 51 ares et 26 centiares moyennant un prix de vente de 51 000 euros. Ce compromis était signé sous la seule réserve des conditions suspensives de droit commun.

Cet acte a été réitéré par acte authentique du 2 octobre 2015 en l'étude de Maître [E] [A] et [O] [G]-[I], notaires à Montluçon représentant les intérêts de la SCI VP [T] et en présence de la SAS K.L Associés, notaire rédacteur du compromis.

La veille de la signature de l'acte, après questionnement de M. [T] sur l'existence de deux taxes foncières, le vendeur a affirmé par courrier électronique qu'il y avait deux taxes foncières, l'une classique pour laquelle la quote-part de l'acquéreur était de 595 euros, l'autre pour un côté industriel qui ne la concernait pas. Finalement, il s'est avéré que la SCI VP [T], acquéreur, était assujettie aux deux taxes foncières.

Par divers actes d'huissier des 14 et 20 février 2018 et 8 mars 2018, la SCI VP [T] et les époux [T] ont assigné la SCI [Localité 22] aux fins de dire et juger qu'elle a manqué à son devoir d'obligation dont elle était débitrice lors de la vente du bien immobilier, de la voir condamner au paiement d'une somme de 130.080 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'à la somme de 30.000 euros de dommages et intérêts à chacun des deux associés de la SCI VP [T], et enfin, de se voir allouer 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCI [Localité 22] a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 14 mai 2016. Par ordonnance 1er décembre 2017, Maître [L] [D] a été désignée en qualité de mandataire ad hoc aux fins de représenter la SCI [Localité 22] dans le cadre de la présente instance judiciaire pour une durée de deux ans. Par ordonnance du 15 décembre 2023, sa mission a été prorogée pour 24 mois soit jusqu'au 1er décembre 2025.

L'affaire a été réinscrite le 8 mars 2019 après radiation intervenue le 07 février 2019 pour défaut de communication des pièces du demandeur.

Le 3 juillet 2019, la SCI Lavault Saint Anne a assigné en intervention forcée la SCP notariale dite société KL Associés afin qu'elle soit condamnée à la garantir contre toute somme à laquelle elle serait condamnée à l'égard de la SCI VP [T], de M. [T] et de Mme [M].

Par ordonnance du 5 septembre 2019, le juge de la mise en état a ordonné la jonction des deux affaires.

Par acte d'huissier du 16 décembre 2019, la SCI [Localité 22], constatant qu'à l'époque de l'assignation, la SCP notariale n'était pas encore constituée et avait pour forme sociale une SAS, a réitéré sa démarche en visant cette fois la SAS KL Associés.

Par ordonnance du 2 avril 2020, le juge de la mise en état a ordonné la jonction de ce nouveau dossier avec les deux précédents.

Par acte d'huissier du 1er octobre 2020, la SCI VP [T], M. et Mme [T] ont fait assigner leur propre notaire, la SCP [A] et [G]-[I], rédacteur de l'acte litigieux avec le concours de la SAS KL Associés, faisant valoir qu'elle a manqué à son obligation d'information et de conseil dont elle était débitrice. Ils ont sollicité sa condamnation solidaire avec la SCI [Localité 22] au paiement de la somme de 130.080 euros à titre de dommages et intérêts et de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts à chacun des associés de la SCI VP [T] résultant de leur préjudice moral.

Par ordonnance du 4 mars 2021, le juge de la mise en état a ordonné la jonction de ce nouveau dossier avec les précédents.

Par jugement du 28 juin 2023, le tribunal judiciaire de Montluçon statuant publiquement et contradictoirement a :

- condamné la SCI [Localité 22] à payer à la SCI VP [T] une somme de 7.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des manquements contractuels de cette dernière ;

- débouté M. et Mme [T] de leurs demandes de réparation de préjudice moral';

- débouté la SCI [Localité 22] de son action en responsabilité à l'encontre de la SAS KL Associés ;

- débouté la SCI VP [T] de son action à l'encontre de la SAS KL Associés et de la SCP [A] et [G]-[I] ;

- condamné la SCI [Localité 22] à payer à la SCI VP [T] une somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté toute demande plus ample ou contraire ;

- dit que le présent jugement est assorti de l'exécution provisoire ;

- condamné la SCI [Localité 22] aux entiers dépens.

Au visa de l'article 1112-1 du code civil reprenant les anciens articles 1134, 1135 et 1147 et suivants du code civil, le tribunal a jugé que la SCI [Localité 22] a failli par négligence ou incompétence au devoir d'information qu'elle devait à son cocontractant ; que celle-ci ne pouvait, en effet, méconnaître qu'après plusieurs années, elle devait régler entre les mains du Trésor Public deux taxes foncières.

Il a également considéré que la SAS KL Associés n'avait pas manqué à son devoir d'information et de conseil étant entendu que les notaires n'ont pas accès à cette information fiscale en l'absence de fichier central référentiel ; que, de même, la SCP [A] et [G]-[I] ne pouvait être mise en cause au motif qu'il ne lui appartenait pas de procéder à des vérifications qui n'étaient pas de son ressort et qui se heurtaient à des difficultés importantes ; qu'au surplus au jour de la signature de l'acte aucune difficulté n'a été soulevée quant au montant de la taxe foncière, le problème apparaissant avoir été réglé au regard des explications données par Mme [X] ; que le préjudice établi s'analysait en une perte de chance d'éviter une transaction défavorable ou de contracter à des conditions plus avantageuses.

Par déclaration du 17 août 2023, la SCI VP [T], M. [T] et Mme [M] ont interjeté appel de cette décision.

Par acte d'huissier délivré le 27 février 2024, la SCI [Localité 22] a formé un appel provoqué contre la SAS KL Associés.

Par ordonnance du 4 juillet 2024, la présidente de la troisième chambre civile et commerciale a ordonné la jonction des dossiers n°23/01341 et n°23/01458.

Par conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 9 septembre 2024, la SCI VP [T], M. [T] et Mme [M], appelants à titre principal, demandent à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Montluçon du 28 juin 2023 en toutes ses dispositions ;

- juger que la SCI [Localité 22] a commis des man'uvres dolosives ayant conduit la SCI CP [T] à contracter ;

- juger que la SCP [A] et [G]-[I], notaires associés et la société KL Associés ont commis des fautes de nature à engager leur responsabilité ;

- condamner la SCI [Localité 22] à payer à la SCI VP [T] à hauteur de 99% de la somme de 130.080 euros à titre de dommages et intérêts ;

- condamner solidairement la SCP [A] et [G]-[I], notaires associés et la SA KL Associés à payer à la SCI VP [T] à hauteur de 99% la somme de 130.080 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de leurs manquements contractuels ;

- condamner la SCI [Localité 22] à payer à M. [T] et à Mme [M] la somme de 30.000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral ;

- condamner solidairement la SCP [A] et [G]-[I], notaires associés, et la société KL Associés à payer à M. [T] et à Mme [M] la somme de 30.000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral ;

- condamner toute partie succombante aux entiers dépens de l'instance, ainsi qu'au paiement d'une somme de 5.000 euros au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées et notifiées le 9 septembre 2024, la SAS KL Associés demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [T], Mme [M] et la SCI VP [T] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions à son égard ;

- dire et juger qu'aucun manquement ne saurait lui être reproché ;

- dire et juger que les préjudices allégués par M. [T], Mme [M] et la SCI VP [T] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions à son égard ne sont pas justifiés et ne présentent aucun lien de causalité avec les faits qui lui sont reprochés ;

- débouter M. [T], Mme [M] et la SCI VP [T] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions à son égard ;

- condamner in solidum M. [T], Mme [M] et la SCI VP [T] à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum M. [T], Mme [M] et la SCI VP [T] aux entiers dépens.

Par conclusions déposées et notifiées le 29 juillet 2024, la SCP [A] et [G]-[I] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Montluçon du 28 juin 2023 en ce qu'il a écarté sa responsabilité ;

- débouter la SCI VP [T], M. [T] et Mme [M] de toutes autres demandes, fins et conclusions ;

- condamner la SCI VP [T], M. [T] et Mme [M] à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par conclusions déposées et notifiées le 23 février 2024, la SCI [Localité 22] demande à la cour de :

- juger recevable son appel incident et son appel provoqué ;

- à titre principal :

- débouter la SCI VP [T], M. [T] et Mme [M] de toutes leurs prétentions en cause d'appel ;

- infirmer le jugement, mais seulement en ce qu'il l'a :

- condamnée à payer à la SCI VP [T] une somme de 7.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de ses manquements contractuels ;

- déboutée de son action en responsabilité à l'encontre de la SAS KL Associés ;

- condamnée à payer à la SCI VP [T] une somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamnée aux entiers dépens.

- statuant à nouveau de ces chefs :

- débouter la SCI VP [T], M. [T] et Mme [M], de toutes leurs prétentions ;

- condamner les parties succombantes aux dépens, et à lui payer la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

- confirmer le jugement pour le surplus ;

- à titre subsidiaire :

- infirmer le jugement, mais seulement en ce qu'il l'a déboutée de son action en responsabilité à l'encontre de la SAS KL Associés ;

- statuant à nouveau de ce chef :

- condamner la SAS KL Associés à la garantir des condamnations prononcées contre elle au profit de la SCI VP [T], de M. [T] et de Mme [M] et ce faisant, condamner la SAS KL Associés à lui payer toutes les sommes auxquelles cette dernière serait condamnée en réparation des préjudices allégués par la SCI VP [T], de M. [T] et de Mme [M].

Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 septembre 2024.

MOTIFS :

Sur la responsabilité de la SCI [Localité 22] :

M et Mme [T] et la SCI VP [T] soutiennent que :

- la volonté dolosive de la SCI [Localité 22] est établie dès lors que celle-ci avait parfaitement connaissance de la double imposition portant sur l'ensemble immobilier ;

- elle ne pouvait ignorer que le bail commercial contracté avec la SAS Moulin Fayol avait été résilié quelques mois auparavant de sorte que c'était la SCI qui allait devenir redevable des deux impositions ;

- la SCI [Localité 22] ne peut se retrancher derrière le principe de l'unicité de la taxe foncière dès lors qu'il existait deux avis d'imposition distincts au nom de chacun des propriétaires et alors que les constructions édifiées sur le sol d'autrui font l'objet d'une double imposition : une au nom du propriétaire et l'autre au nom du locataire ;

- la venderesse ne peut se prévaloir d'une simple erreur ou d'une négligence de sorte que l'information délivrée le 1er octobre 2015 était nécessairement mensongère ;

- les correspondances entre le gérant de la SCI acquéreur et la venderesse à propos de la taxe foncière démontraient le caractère déterminant de cette information ;

- aucune cause étrangère ne peut être invoquée, cette argumentation étant dépourvue de tout fondement et de tout sérieux.

En réplique, la la SCI [Localité 22] soutient qu'elle n'a commis aucune faute et que sa responsabilité ne peut être engagée dès lors que' :

- elle s'est fiée à la doctrine de l'administration fiscale en ce qu'il n'existe qu'un seul et unique avis de taxe foncière par propriétaire et par commune ; qu'elle n'a été démentie ni par l'acquéreur, ni par le notaire de l'acquéreur, ni par le notaire du vendeur, le notaire n'ayant formulé aucune observation ;

- aucune faute ne peut être retenue à son encontre ;

- que dans l'hypothèse où la négligence serait retenue, elle peut se prévaloir d'une cause d'exonération résultant :

- de l'erreur des services fiscaux qui n'ont pas réuni sur le même avis de taxe foncière, toutes ses propriétés ;

- de l'erreur de l'acquéreur qui bien qu'informé de l'existence de deux avis de taxe n'a pas poussé plus avant ses propres investigations, ni cherché à obtenir de son notaire confirmation de ses propos ;

- de la faute des notaires ayant une obligation renforcée de conseil et de mise en garde et qui auraient dû alerter leur client respectif sur les éventuelles incohérences ou vérifications à conduire sur le sujet de la taxe foncière expressément porté à leur attention.

Sur ce,

L'article 1134 du code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

L'article 1112-1 du code civil dispose que celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation. Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie. Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir. Outre , la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que, par mail du 1er octobre 2015, M. [T] s'inquiétait auprès de la SCI du montant de la taxe foncière qui semblait pouvoir lui être réclamé au titre de la proratisation sur l'exercice 2015 dans les termes suivants : 'suite à mon mail d'hier est-il possible que mon notaire n'ait pas retiré les autres bâtiments de Montluçon que vous avez déjà vendu ' Et qu'il ait pris la totalité de la taxe de votre SCI ce qui expliquerait la différence.' Mme [X], directrice juridique de la SCI [Localité 22], lui répondait dans un premier mail du même jour que cela ne lui paraissait pas possible et qu'elle se renseignait puis dans un deuxième mail toujours du 1er octobre elle lui écrivait : ' j'ai fini par avoir l'explication': il y a 2 taxes foncières. L'une au nom de la SCI pour 2 413 euros pour laquelle votre quote-part est de 595 euros. L'autre pour la société Moulin Fayol pour le côté industriel qui ne vous concerne pas. Vous avez bien fait de vérifier car je ne l'avais pas remarqué...!!. J'en informe mon notaire' (pièce 2 des appelants).

L'acte authentique de vente a alors été signé par les parties le 2 octobre 2015 sur les déclarations du vendeur. Le paragraphe 'impôts et taxes' (page 9) mentionne de façon classique 'l'acquéreur règle ce jour au vendeur qui le reconnaît, par la comptabilité de l'officie notarial, le prorata de taxe foncière et, le cas échéant, de taxe d'enlèvement des ordures ménagères, déterminé par convention entre les parties sur le montant de l'imposition de l'année 2015".

Si aucun montant n'est précisé dans l'acte, il est acquis aux débats au regard de la quote-part versée par l'acquéreur que seule la première taxe foncière relative à l'habitation principale pour un montant de 2 413 euros a été prise en compte dans l'acte de vente.

La SCI VP [T] reproche à la SCI [Localité 22] de lui avoir communiqué une mauvaise information déterminante de son consentement afin de forcer sa confiance et la contraindre à la signature de l'acte authentique au regard des longues négociations qui avaient déjà eu lieu.

Il convient de rappeler que la bonne foi est présumée et qu'il appartient à celui qui invoque des manoeuvres dolosives de les prouver.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la SCI [Localité 22] a transmis avant la vente à l'acquéreur par l'intermédiaire de leurs notaires respectifs les deux avis taxes foncières pour l'année 2015 à savoir :

- un avis au nom de la SCI [Localité 22] adressé au [Adresse 13] (pièce 8)

- un avis au nom de la SAS Moulin Fayol adressé au [Adresse 7] à [Localité 24] (pièce 9).

De surcroît, comme retenu à juste titre par le premier juge, la teneur des échanges entre les parties avant la signature de l'acte établit qu'il n'existait aucune volonté de la venderesse de dissimuler une information liée aux taxes foncières, étant relevé que celle-ci ne s'acquittait chaque année que de la taxe foncière de 2 413 euros, l'autre taxe foncière étant payée par la SAS Moulin Fayol dans le cadre du bail commercial.

La SCI [Localité 22] a immédiatement communiqué, en toute transparence, sa réponse à son notaire en lui demandant d'en informer également sa consoeur.

Enfin, aucun élément ne permet d'établir que la SCI [Localité 22] aurait cherché à précipiter l'acte de vente.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté une volonté dolosive.

En revanche, il est manifeste que la SCI [Localité 22] a commis une négligence et un défaut de sérieux dans sa réponse à l'acquéreur en lui fournissant une information erronée sans se renseigner de façon plus précise auprès des services fiscaux , et ce, alors que la résiliation du bail commercial le 31 mars 2015 entraînait une situation juridique nouvelle et qu'elle aurait dû s'interroger sur le devenir de cet impôt foncier. Elle a ainsi, alors qu'elle était interrogée spécialement sur ce point par l'acquéreur avant la réitération de l'acte de vente, manqué à son obligation d'information qu'elle devait à son cocontractant. A cet égard, elle ne pouvait ignorer que cet élément était déterminant pour l'acquéreur.

Enfin, la SCI [Localité 22] n'est pas fondée à se prévaloir d'une cause d'exonération. En effet, elle ne peut invoquer une erreur des services fiscaux au motif qu'ils n'auraient pas réuni sur le même avis de taxe foncière, toutes ses propriétés. En effet, elle n'ignorait pas cette double imposition et aurait dû, en sa qualité de directrice juridique, s'informer de façon plus précise sur le devenir de la taxe foncière de la société Moulin Fayol au besoin en demandant une attestation officielle des services fiscaux. De même, l'acquéreur, infographiste de profession et donc sans compétence juridique particulière, bien qu'informé de l'existence de deux avis de taxe, n'avait aucune raison de remettre en cause les informations données par Mme [X] dont la qualité de directrice juridique mentionnée dans son mail était de nature à le rassurer sur l'exactitude de la réponse juridique donnée.

La responsabilité de la SCI [Localité 22] se trouve donc engagée et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la responsabilité de la SAS K.L Associés et de la SCP [A] et [G]-[I]' :

M et Mme [T] et la SCI VP [T] font valoir que :

- le notaire ayant reçu la vente du bien immobilier aurait dû vérifier l'exactitude des déclarations faites par la venderesse et notamment celles s'agissant des conséquences fiscales ; qu'il existe un manquement évident de la part des sociétés [A] et [G]-[I] et KL Associés à leur devoir de conseil ; en effet les informations reçues par un tiers ne dispensent pas le notaire de son devoir de conseil ;

- la SCP [E] [A] et [O] [G]-[I], qui avait reçu la vente de l'immeuble précédant leur achat entre M. [R] et les Grands moulins de Paris, ne pouvait ignorer l'existence d'une seconde taxe foncière non déclarée au moment de la vente litigieuse';

- compte tenu de la désignation du bien composé de plusieurs éléments, de l'usage qui y est affecté et de la superficie vendue, les notaires auraient dû s'assurer que les déclarations faites par la venderesse, et notamment s'agissant des conséquences fiscales, étaient exactes

- la SCP [A] et [G]-[I] et la société KL Associés doivent répondre des conséquences dommageables de ce manque d'information sur les incidences de l'acte auquel elles ont prêté leur concours.

La SCP [A] et [G]-[I] réplique que :

- la SCI [Localité 22] aurait dû s'abstenir de toute fausse information et elle n' a pu démentir cette information n'ayant pas été en possession des messages échangés à ce titre entre les parties le 1er octobre 2015 ;

- la taxe foncière étant un impôt local, le notaire ne dispose pas, pour chaque vente de l'information directe sur les taxes foncières et il n'existe pas de fichier central de liaison des administrations territoriales en charge de la collecte de cet impôt accessible au notaire ;

- l'information repose donc sur le propriétaire et la mauvaise indication est imputable à la partie venderesse ;

- aucune manquement à son devoir de conseil ou au niveau de l'efficacité de l'acte ne peut lui être reproché.

La SAS K.L Associés soutient que :

- la responsabilité délictuelle du notaire pour manquement au devoir de conseil suppose d'établir une faute ou un manquement, un préjudice et un lien de causalité directe entre le préjudice et la faute du notaire ;

- les finances publiques ne transmettent pas les copies des taxes foncières aux études notariales de sorte qu'il était impossible pour le notaire de savoir que le montant était erroné ;

- elle a été tenu à l'écart des négociations relativement à la taxe foncière laquelle a été déterminée par convention entre les parties. Il ne peut donc lui être reproché aucune faute.

Sur ce,

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Le notaire, chargé d'assurer la validité et l'efficacité des actes qu'il authentifie est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention sur la portée et les effets des actes auxquelles il prête son concours afin d'assurer la sincérité et l'efficacité de l'acte qu'ils dressent. Il est tenu à ce titre d'un devoir de conseil et, le cas échéant, de mise en garde, dont le manquement est sanctionné sur le terrain de la responsabilité délictuelle.

En tant que rédacteur de l'acte, le notaire est tenu de prendre toutes dispositions utiles pour en assurer la validité et l'efficacité. Il est tenu de vérifier, par toutes investigations utiles, spécialement lorsqu'il existe une publicité légale, les déclarations faites par le vendeur et qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l'efficacité de l'acte qu'il dresse.

Il est traditionnellement admis que le notaire, recevant un acte en l'état de déclarations erronées d'une partie quant aux faits rapportés, n'engage sa responsabilité que s'il est établi qu'il disposait d'éléments de nature à faire douter de leur véracité ou de leur exactitude (Cass civ.1ère 6 septembre 2017, n° 16-18.524). A cet égard, le rapporteur de cet arrêt, Mme [B], notait que l'accessibilité de l'information est déterminante puisque' un lien direct est établi entre la possibilité d'obtenir l'information nécessaire à l'efficacité de l'acte et l'obligation de vérification pesant sur le notaire'.

Enfin, il appartient aux juges du fond de caractériser les circonstances propres à démontrer que le notaire disposait d'éléments de nature à éveiller ses soupçons (Cass.1ère civ. 11 juillet 2018 n° 16-28.635).

En l'espèce, il convient ainsi de rechercher si les notaires avaient l'obligation de vérifier l'information qui leur était donnée s'agissant du montant de la taxe foncière due par l'acquéreur.

L'acte de vente précise, s'agissant de la clause relative à la taxe foncière, que le montant a été déterminé par convention entre les parties sur le montant de l'imposition de l'année 2015 et aucune somme précise n'est mentionnée. Dès lors, les notaires n'avaient pas un devoir d'investigation particulier à ce sujet. En tout état de cause, il convient de souligner que cette information n'était pas facilement accessible dès lors qu'il n'existe pas de fichier central de liaison des administrations territoriales en charge de la collecte de cet impôt accessible au notaire. Ainsi, comme relevé à juste titre par le premier juge, cette vérification se heurtait à des difficultés importantes.

Il ressort des échanges de mails versés aux débats que la SCP KL Associés a été effectivement avisée par sa cliente la SCI [Localité 22] de la difficulté soulevée par l'acquéreur concernant la taxe foncière. Cependant, dans le même temps, cette dernière lui a assuré avoir résolu la difficulté sans lui demander de vérifier l'information donnée (pièce 7 de la SCI [Localité 22] ). Dès lors, la SAS K.L Associés, qui n'avait pas de motif de douter de l'exactitude de cette réponse, n'avait pas à opérer des vérifications supplémentaires d'autant que le jour de la vente aucune difficulté à ce sujet n'a été soulevée ni par le vendeur, ni par l'acquéreur.

De même et a fortiori, la SCP [A] et [G]-[I] qui n'a pas eu connaissance de l'échange de mails entre les parties s'interrogeant sur une éventuelle double imposition au titre de la taxe foncière et qui n'a pas été interrogé à ce sujet par ses clients les époux [T] et la SCI VP [T], n'était pas tenue de procéder à des vérifications à ce titre lors de l'établissement de l'acte. A cet égard, le seul fait que l'étude ait instrumenté un acte concernant ce bien dans le passé n'est pas de nature à établir un manquement de sa part et alors qu'en tout état de cause il n'est pas établi qu' à cette date il existait une double imposition foncière qui était spécifiée.

Dès lors, le jugement qui a débouté M et Mme [T] et la SCI VP [T] de leurs demandes indemnitaires à l'encontre des deux sociétés notariales sera confirmé.

Sur le préjudice subi par M et Mme [T] et la SCI VP [T] :

M et Mme [T] et la SCI VP [T] font valoir que :

- suite à l'acquisition de ce bien, ils ont déménagé du sud de la France pour s'installer à [Localité 22] et il n'était pas envisageable pour eux de revendre ce bien où ils étaient désormais installés et avaient transféré leurs activités au jour où cette double imposition a été constatée ;

- en raison de l'investissement financier et humain réalisé pour réhabiliter l'ensemble immobilier, la SCI VP [T] n'a que d'autre choix que de continuer son projet ;

- du fait de la connaissance par la SCI [Localité 22] des deux taxes foncières le pourcentage à retenir au titre de la perte de chance ne saurait être inférieur à 99% de l'avantage qu'aurait procuré cette chance et donc de la perte financière ;

- un montant triple à celui annoncé était imprévisible d'autant que ce préjudice se renouvelle d'année en année ;

- leur préjudice doit être évalué en fonction de la durée de détention prévisible du bien (30 ans) à un montant de 130 080 euros (4 646 euros x 30);

- ils ont subi également un préjudice moral important se trouvant dans l'impossibilité de concrétiser leurs projets et de remplir leurs engagement en raison de l'impact causé par l'existence de cette seconde taxe foncière sur leur budget.

La SCI [Localité 22] réplique que :

- le surcoût de taxe foncière étant fondé sur le bâti industriel, la dépose de ce bâti permettrait de mettre fin à cette double imposition foncière ;

- il existe de nombreux motifs d'exonération dont les appelants peuvent bénéficier ce qui rend incertain la réalité de leur préjudice futur ;

- le préjudice futur ne saurait s'appliquer sur une durée de 30 ans, la durée moyenne de détention d'une maison s'élevant à 10 années ;

- leur préjudice est constitué par une perte de chance de ne pas voir pu négocier à des conditions plus avantageuses et ce préjudice ne peut aboutir à la négation du prix immobilier alors que la nullité de la vente n'est pas sollicitée ;

- leur préjudice moral n'est établi par aucune pièce probante.

Sur ce,

Le préjudice réparable d'un cocontractant qui a fait le choix de ne pas demander l'annulation du contrat correspond non à la perte de chance de ne pas contracter mais uniquement à la perte d'une chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses (Cass civ 10 juillet 2012 n° 11-21.954).

En l'espèce, compte tenu de l'augmentation substantielle du montant de la taxe foncière et au regard des échanges intervenus avant la vente il est manifeste que les acquéreurs auraient refusé de contracter s'ils avaient eu connaissance de cette double imposition ou à tout le moins auraient cherché à négocier une baisse du prix de vente.

M et Mme [T] et la SCI VP [T] ont fait le choix de ne pas demander la résolution de la vente au regard de l'investissement matériel et humain important qu'ils ont réalisé pour construire ce projet. Si ce choix leur appartient et ne peut leur être reproché, pour autant leur préjudice ne peut être chiffré dans les proportions sollicitées. En effet, en l'absence de résolution de la vente, leur préjudice s'analyse uniquement en une perte de chance de contracter de façon plus avantageuse. Or, compte tenu du prix de vente très modéré (51 000 euros) c'est à juste titre et par des motifs que la cour adopte que le tribunal a fixé les dommages-intérêts à la somme de 7 000 euros estimant à ce montant la décote qu'aurait subie cette valeur par la connaissance exacte du montant de la taxe foncière auquel le bien était assujetti.

Enfin, s'agissant de leur préjudice moral, si le sérieux de leur projet professionnel et de vie est établi, force est de constater qu'il n'est produit aucune pièce établissant les difficultés qu'ils auraient rencontrées pour le mener à bien au regard de l'impact financier qui s'en est suivi. A cet égard, la seule attestation de M. [W] [T], père de l'appelant, qui déclare aider financièrement le couple sans donner de précision sur le montant et la régularité de l'aide octroyée n'apparaît pas suffisante pour établir l'existence de ce préjudice. Le jugement sera donc également confirmé de ce chef.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

La SCI VP [T] et M et Mme [T], qui succombent, seront condamnés aux dépens de l'instance ainsi qu'à payer les sommes de 1 000 euros à la SCP [A] et [G]-[I] et la somme de 1 000 euros à la société KL Associés au titre de leurs frais irrépétibles.

En revanche, l'équité commande de débouter la SCI [Localité 22] de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

Confirme le jugement déféré ;

Y ajoutant,

Déboute la SCI [Localité 22] de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI VP [T], M. [S] [T] et Mme [Y] [M] épouse [T] à payer à la SCP [A] et [G]-[I] la somme de 1 000 euros et à la société KL Associés la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI VP [T], M. [S] [T] et Mme [Y] [M] épouse [T] aux dépens d'appel.

Le greffier, La présidente,