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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 10, 2 décembre 2024, n° 22/11606

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/11606

2 décembre 2024

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 10

ARRÊT DU 02 DECEMBRE 2024

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/11606 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGABD

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 13 Mai 2022 - Juge de la mise en état de PARIS - RG n° 21/01065

APPELANT

Monsieur [X] [S] [I]

[Adresse 2]

[Localité 7]

représenté par Me Bertrand DE CAMPREDON de la SELARL GOETHE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS,

Assisté par Me Iris FEDERICO Avocat du barreau de PARIS

INTIMES

Maître [W] [R] Notaire

[Adresse 10]

[Localité 5]

représenté par Me Herve-bernard KUHN de la SCP KUHN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0090

S.A. ADVENIS

[Adresse 4]

[Localité 9]

représentée par Me Sarah SALESSE, avocat au barreau de PARIS

S.A.S. BREMENS

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 8]

N° SIRET : 342 444 783

représentée par Me Hervé-Bernard KUHN de la SCP KUHN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0090

S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE DE RHONE ALPES

La CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE DE RHONE ALPES,

représentée par ses dirigeants légaux,

[Adresse 1]

[Localité 6] / FRANCE

N° SIRET : 384 00 6 0 29

représentée par Me Aude MANTEROLA de la SELAS Fiducial Legal by LAMY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0193,

assistée par Me Emmanuelle BRET avocat du barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Octobre 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Monsieur Edouard LOOS, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente

Monsieur Xavier BLANC, Président

Monsieur Edouard LOOS, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christine SIMON- ROSSENTHAL, Présidente et par Sylvie MOLLÉ, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

En 2013, un programme immobilier a été lancé pour la rénovation de l'ancien hôpital [12], à [Localité 13] à vocation à la fois de création de logements individuels et d'un hôtel.

Cet ancien hôpital a été acquis par la société Duca.

Le programme immobilier était présenté comme permettant de réaliser une opération de défiscalisation fondée sur le dispositif appelé 'Malraux nouveau', s'agissant de la réhabilitation d'un monument historique, permettant d'accéder à une réduction d'impôt sur le revenu suivant les dépenses de rénovation du bâtiment.

La société Aupera est intervenue en qualité de contractant général pour le marché de travaux qui lui a été consenti par l'association syndicale libre Hôtel [11] (ASL), constituée des divers investisseurs.

Les investisseurs de la partie hôtel ont conclu, en outre, un bail commercial au profit de M. [P] et M. [G], agissant pour le compte de la société en formation Ducatel, qui devait exploiter l'hôtel.

M. [X] [I] a acquis, auprès de la société Duca, par acte authentique dressé par Maître [W] [R] le 27 décembre 2013, le lot n° 2048 de l'ensemble immobilier suivant deux contrats de prêts consentis par la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes en date du 25 décembre 2013.

Des difficultés sont apparues pour la commercialisation de la partie hôtel en 2016, 9 lots ne trouvant pas preneur. Par ailleurs, un conflit est né entre l'ASL Hôtel [11] et la société Aupera sur l'état d'avancement du chantier, conduisant à la résiliation du contrat en juin 2018

Se plaignant pour l'essentiel que la livraison des lots était intervenue le 1er juin 2019 au lieu du second trimestre 2015, que la quote-part des travaux à la charge des adhérents de l'ASL ait augmentée, du retard de la prise d'effet des baux et de la perte de revenu locatifs sur trois ans, outre l'impossibilité de défiscaliser le montant de travaux non prévus, des investisseurs ont fait assigner la SA Advenis, afin de mettre en jeu sa responsabilité en qualité de commercialisateur, de conseiller en gestion et conseiller en investissement financier, ainsi que le notaire instrumentaire, notamment en réparation du préjudice résultant de la perte de chance d'avoir souscrit un autre investissement répondant aux délais et engagements financiers présentés.

C'est dans ce cadre que par exploits en date des 21, 22 et 23 décembre 2020, M. [I] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris, la SA Advenis, la SAS Bremens, Maître [W] [R] et la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes.

La SA Advenis a saisi le juge de la mise en état d'un incident, aux fins de voir déclarer irrecevable l'action en responsabilité engagée par M. [I] pour défaut d'intérêt et de qualité à agir et, à titre subsidiaire, en raison de la prescription de leur action.

La SAS Bremens et Associés, et Maître [W] [R] et la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes ont également soulevé la prescription de l'action des demandeurs.

M. [I] a conclu au débouté des demandes des défenderesses.

Par ordonnance du 13 mai 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a statué comme suit :

« Déclarons irrecevable l'action engagée par Monsieur [X] [I] à l'encontre de la SA Advenis ;

Déclarons irrecevable l'action engagée par Monsieur [X] [I] à l'encontre de la SAS Bremens et Associés et Maître [W] [R] ;

Déclarons irrecevable l'action engagée par Monsieur [X] [I] à l'encontre de la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes ;

Condamnons Monsieur [X] [I] aux dépens, dont distraction au profit de Maître Laurent Burgy et de Maître Aude Manterola ;

Condamnons Monsieur [X] [I] à verser la somme de 1 000 euros à la SA Advenis en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamnons Monsieur [X] [I] à verser à la SAS Bremens et Associés et Maître [W] [R], ensemble, la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamnons Monsieur [X] [I] à verser à la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboutons les parties du surplus de leurs demandes. »

M. [I] a relevé appel de cette ordonnance le 20 juin 2022.

Par dernières conclusions signifiées le 12 septembre 2024, M. [I] demande à la cour, au visa des articles 2224 du code civil et 30, 31 et 789 - 6 du code de procédure civile, de :

- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 13 mai 2022 (RG n° 21/01065), en ce qu'il a déclaré l'action introduite par M.[I] prescrite donc irrecevable à l'encontre de la SAS Bremens et Associés, Maître [W] [R], la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance et la société Advenis et l'action mal dirigée donc irrecevable à l'encontre de la société Advenis et condamné M. [I] à 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile (1 000 eux par défendeur) et aux entiers dépens ;

Et, statuant à nouveau :

- Dire non prescrite et bien dirigée l'action indemnitaire diligentée par M. [I] à l'égard des intimées ;

En conséquence :

- Juger recevable l'action formée par M. [I] à l'encontre de la SAS Bremens et Associés, Maître [W] [R] et la société Advenis SA ;

- Déclarer irrecevables l'intégralité des prétentions formulées par la SAS Bremens et Associés, Maître [W] [R], la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance et de la société Advenis SA ;

- Condamner in solidum la SAS Bremens et Associés, Maître [W] [R], la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance et la société Advenis au règlement de la somme de 2 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner les intimés aux entiers dépens ;

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par dernières conclusions signifiées le 24 septembre 2024, la société Advenis demande à la cour, au visa des articles 31, 122 et 789 du code de procédure civile et 2224 du code civil, de :

- Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance en date du 13 mai 2022 rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris,

- Condamner M. [I] à verser à la société Advenis SA la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [I] aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel.

Par dernières conclusions signifiées le 15 septembre 2022, la société Bremens Associés et Maître [W] [R] demandent à la cour, au visa de l'article 2224 du code civil, de :

- Confirmer l'ordonnance rendue le 13 mai 2022 par le juge de la mise en état,

- Juger prescrite l'action engagée par M. [I] à l'encontre de Maître [W] [R] et de la SAS Bremens & Associés ;

- Débouter M. [I] de ses prétentions en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de Maître [W] [R] et de la SAS Bremens & Associés ;

- Condamner M. [I] à payer à Maître [W] [R] et la SAS Bremens & Associés la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner Monsieur [X] [I] aux entiers dépens de l'instance, ces derniers distraits au profit de Maître Kuhn, avocat postulant au Barreau de Paris.

Par dernières conclusions signifiées le 2 novembre 2023, la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes demande à la cour, au visa des articles 2224 et 122 du code civil, de :

Dire et juger mal fondé l'appel formé par M. [I] à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris le 13 mai 2022 ;

En conséquence le rejeter,

Confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en e'tat du tribunal judiciaire de Paris le 13 mai 2022 en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action engagée par M. [I] à l'encontre de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes ;

Et statuant à nouveau,

Dire et juger que l'action en responsabilité diligentée par M. [I] à l'encontre de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes est prescrite ;

En conséquence, dire et juger irrecevable l'action de M. [I] à l'encontre de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes ;

Déclarer irrecevables l'intégralité' des prétentions formulées par M. [I] à l'encontre de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes ;

Condamner M. [I] a' payer a' la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers de'pens dont ceux d'appel étant distraits au profit de Maître Aude Manterola, avocat sur son affirmation de droit.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties visées ci-dessus pour l'exposé du surplus de leurs prétentions et de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le défaut d'intérêt et de qualité à agir de M. [I] contre la société Advenis, venant aux droits de la société Avenir France

Moyens des parties

M. [I] soutient que la société Advenis est intervenue en nom propre dans l'investissement et qu'il a apporté la preuve d'une confusion entre la société Advenis SA et sa filiale Advenis Gestion Privée qui justifie qu'elle soit tenue des agissements de sa filiale. Il soutient que la société Advenis est responsable de la conception et du montage hautement risqué de l'opération d'investissement ensuite commercialisée par le biais de sa filiale Advenis Gestion Privée et réalisée par le biais de la société Aupera, autre filiale ainsi que, de concert avec ses filiales, des actes de ces dernières ; que la société Advenis Gestion privée est responsable de concert avec la société mère d'un défaut d'information et de conseil au niveau de la commercialisation de l'opération et seule en sa qualité propre de conseiller de gestion de patrimoine, d'un défaut de conseil et d'information auprès de chaque investisseur « conseillé ».

Il fait valoir que le PV d'AG de l'ASL Hôtel [11] du 15 avril 2016 atteste de l'investissement direct d'Advenis par le biais de son président directeur général, M. [M] qui s'est présenté afin de faire le point quant à la commercialisation des lots.

Il ajoute qu'Advenis n'a pas répondu à la mise en demeure qui lui a été adressée et que son silence vaut acquiescement de son implication.

Il invoque également la théorie de l'apparence et de l'immixtion des agissements de ses filiales.

Il fait valoir que la plaquette commerciale qui leur a été présentée est estampillée « Avenir Finance » ; que les adresses utilisées par les agents du groupe Avenir Finances auprès des demandeurs sont « @avenirfinance.com » ou « @advenis.com » ; que le logo est identique pour chaque société du groupe. Il en déduit que l'investisseur a pu légitimement croire qu'il avait affaire à la société mère Advenis.

Il fait également valoir que le groupe Advenis se présente comme une entité unique, dont les dirigeants sont également uniques et dont les postes clés tels que le directeur juridique, le directeur financier, sont au niveau du groupe et non pas des filiales, ce qui atteste d'une unité au niveau du contrôle et de la prise de décisions. Il ajoute qu'à l'époque de la commercialisation, Advenis avait le même siège social que l'ensemble de ses filiales ; que si elle n'a pas de carte professionnelle et ne figure pas au fichier ORIAS, elle se présente ouvertement comme étant une société en charge de gérer le patrimoine et propose sur internet des investissements avec son propre logo (et non pas celui d'une de ses filiales).

La société Advenis indique être une société holding qui n'a aucune activité de conseil, à la différence des filiales qu'elle anime. Elle relève qu'elle n'est jamais mentionnée sur les documents versés aux débats, notamment sur l'étude personnalisée, et qu'elle n'a jamais donné aucun conseil. Elle est dépourvue du statut de courtier en assurance, de celui de conseil en investissements financiers, ou de mandataire en opération de banques et services de paiement.

Elle fait valoir l'absence de tout élément probant permettent d'engager sa responsabilité, que ce soit en raison de sa prétendue activité, d'une influence exercée sur les filiales ou encore d'une confusion au titre de la théorie de l'apparence.

Elle rappelle que la présomption d'influence ne joue, le cas échéant, qu'en droit de la concurrence, et que rien ne permet de faire jouer la théorie de l'apparence au cas présent. Quant à l'argument de déloyauté, elle estime que le faire prospérer revient à nier le principe du droit de la défense au cas présent.

Elle fait valoir que la société Advenis Gestion Privée est visée dans le PV d'AG de 2015 comme simple commercialisateur à l'exclusion de la société Advenis, contrairement à la société Duca, promoteur de l'opération mais également exploitant de l'hôtel à l'origine du montage ; que la plaquette commerciale est estampillée « Avenir Finance gestion privée » ; qu'aucune confusion n'est possible ; que sur la page internet d'Advenis, les filiales sont clairement présentées en première page ; que la société Advenis Gestion Privée possède son propre site internet ; qu'il n'existe aucune confusion de son patrimoine avec Advenis Gestion Privée

Elle souligne que M. [I] a engagé une action à l'encontre de la société Advenis Gestion Privée qui est pendante devant le tribunal judiciaire de Paris.

La société Bremens et Me [R] indiquent, dans la motivation de leurs conclusions, qu'il soit statué ce que de droit sur ce point.

Réponse de la Cour

Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile : « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »

L'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration du bien-fondé de l'action.

Dans le cadre d'une action en responsabilité, l'existence de la faute et du préjudice invoqués par le demandeur n'est pas une condition de recevabilité de son action mais du succès de celle-ci.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que la société Advenis SA, venant aux droits de la société Avenir Finance, et la SAS Advenis Gestion privée, anciennement Avenir Finance Gestion Privée, sa filiale, sont deux personnes morales distinctes du groupe Advenis, aux patrimoines séparés.

Or, dans le cadre de la présente action, M. [I] recherche, d'une part, la responsabilité délictuelle de la première pour son rôle propre dans la conception et le montage de l'opération d'investissement, commercialisée par la seconde, qui serait à l'origine du préjudice qu'il invoque, ainsi que pour avoir contribué aux actes de ses filiales impliquées en dictant les politiques commerciales et financières.

D'autre part, en se prévalant de l'apparence et de l'immixtion de la société Advenis dans la commercialisation et l'exécution de ladite opération, M. [I] invoque une confusion avec la SAS Advenis Gestion Privée qui l'aurait légitimement amené à croire qu'Advenis agissait en tant que conseiller en gestion de patrimoine pour l'opération.

Au vu de ces éléments et abstraction faite du bien-fondé de l'action de M. [I] indifférent à ce stade, l'intérêt personnel et direct ainsi que la qualité de ce dernier à agir contre la société Advenis, venant aux droits de la société Avenir Finance, sont caractérisés.

Dès lors, l'ordonnance du juge de la mise en état sera infirmée en ce qu'elle a déclaré irrecevable son action pour absence d'intérêt à agir.

La fin de non-recevoir de cette société, tirée du défaut d'intérêt et de qualité à agir de M. [I], sera rejetée.

Sur la prescription de l'action de M. [I]

Moyens des parties

M. [I] soutient que le point de départ de la prescription est à compter du jour où le préjudice se révèle à la victime et qu'en matière de responsabilité du notaire la jurisprudence fait courir la prescription à compter de la connaissance du dommage pour la victime et non à la date de la commission de la faute. Il fait valoir que s'agissant d'un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour l'acquéreur ne peut résulter que de faits susceptibles de lui révéler l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat.

Il soutient qu'au cas particulier, il a agi sur le fondement de l'obligation d'information et de conseil en ce qu'il n'avait pas été informé que l'opération avait été conçue de sorte que l'achèvement du chantier dépendait de la commercialisation de l'intégralité des lots et qu'à défaut de commercialisation de tous les lots, l'opération ainsi qu'elle était conçue échouait et le chantier ne pouvait pas être achevé.

Il fait valoir que les intervenants à l'opération n'ont jamais alerté l'appelant quant au fait que l'opération serait mise en échec en cas de défaillance de la commercialisation et du contractant général et qu'aucune garantie d'achèvement n'était prévue afin d'y remédier. Ce n'est qu'en 2017 que les risques se sont réalisés et que le demandeur a pu prendre conscience de son préjudice de perte de chance.

Il soutient que le PV d'AG de 2015 n'indique à aucun moment que les travaux étaient en retard et n'impute pas ce retard au défaut d'adhésion de certains propriétaires mais se limite à dire que le contractant général a augmenté le montant de son marché de travaux dans la mesure où certains n'ont pas adhéré à l'ASL. Il souligne que les travaux supplémentaires ne sont pas dus au défaut d'adhésion à l'ASL. Le retard d'achèvement et le renchérissement des travaux ne peuvent pas à eux seuls révéler l'échec de l'opération pour le défaut de commercialisation de l'ensemble des lots.

Ce n'est que lors de l'AG d'avril 2016 que l'on commence à faire état des difficultés nées de la conception de cette opération. Mais il est également expliqué que le chantier poursuit et que le président de l'ASL procède à des avances de fonds pour ce faire et pour pallier le fait qu'ils restent encore 15 lots à commercialiser Ce n'est que lors du constat de l'échec définitif de la commercialisation en 2017 (9 lots ne trouveront pas d'acquéreurs) que les investisseurs ont découvert que l'opération telle qu'elle avait été conçue était également vouée à l'échec avec l'arrêt du chantier.

Il soutient que ce sont uniquement les informations communiquées à l'ensemble des copropriétaires à partir de l'AG de 2017 qui ont permis de révéler l'impossibilité définitive de leur livrer un projet immobilier terminé aux conditions convenues. La défaillance irrémédiable du projet n'a pu être constatée que, au mieux, lors de l'AG de 2017 ou lors de la résiliation du marché Aupera avec la refonte financière du projet et le définitif constat de l'échec du projet tel qu'il avait été vendu aux investisseurs.

Il fait valoir que la Cour de cassation fixe le départ du délai de 5 ans au moment du constat de l'échec de l'opération de défiscalisation dans sa globalité.

M. [I] considère que la responsabilité de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes est engagée pour en raison de l'absence d'information donne'e sur les aléas de l'opération et en raison de manquement à ses obligations de conseil et de mise en garde.

Il soutient que la banque a agi en qualité de prestataire de services d'investissement ; que l'opération litigieuse résultait d'un montage financier en plusieurs étapes.

La société Advenis soutient l'action de M. [I] est prescrite.

Elle fait valoir que le juge de la mise en état a, à bon droit, retenu que le procès-verbal de l'assemblée du 17 février 2015 contenait toutes les informations permettant au requérant d'engager la présente action avant décembre 2020, date de son assignation, car :

- il avait l'information du retard des travaux, lesquels devaient s'achever mi-2016,

- il a été voté un appel de fonds supplémentaire en raison du défaut d'adhésion des propriétaires de l'ensemble de lots dont la société Duca,

- la nécessité de travaux supplémentaires était exposée par la maîtrise d''uvre.

Elle rappelle que l'action en responsabilité pour manquement au devoir d'information, de conseil et de mise en garde, est soumise au délai de prescription quinquennale prévu à l'article 2224 du code civil ; qu'il est de principe, par ailleurs, que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

Elle fait valoir que M. [I] avait déjà connaissance des difficultés sur le chantier engendrant un retard de livraison le 17 février 2015, que cette connaissance résulte d'un procès-verbal d'assemblée générale d'ASL du 17 février 2015, assemblée à laquelle le requérant a été convoqué ; qu'à cette occasion, il a eu accès à l'ensemble des informations lui permettant d'introduire une action en justice aux fins d'indemnisation de son prétendu préjudice ; qu'il a eu connaissance du dommage qu'il prétend avoir subi, lors de cette assemblée, lorsque la maîtrise d''uvre a présenté les différentes causes du financement des travaux supplémentaires et du retard dans l'exécution des travaux et que l'interprétation du principe du point de départ « glissant » du requérant ou du « décalage » de ce point de départ, sera rejetée.

La SAS Bremens Notaire et Me [W] [R] soutiennent que l'action engagée par M. [I] est prescrite.

Ils font valoir qu'il résulte de l'exposé fait par l'appelant qu'il était parfaitement informé de l'ensemble des circonstances de l'opération projetée qui n'était pas plus risquée que n'importe quelle opération de promotion immobilière comportant une construction et une mise en location permettant une défiscalisation. Ils soulignent que dès l'assemblée générale de l'ASL du 17 février 2015, à laquelle il a assisté, les difficultés inhérentes à la vente des lots et à l'avance des travaux ont été évoqués.

La Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes fait valoir que, contrairement à ce qu'indique l'appelant, le point de de' part du de' lai de prescription quinquennale n'est pas fixe' à la date de livraison du bien, mais au jour où il a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer son action, ce jour pouvant tout à la fois coïncider avec le jour de conclusion du contrat, ou être fixé postérieurement, au jour où il aurait dû connaitre les faits pertinents.

Elle soutient que, dans une opération de défiscalisation, quand bien même il serait considéré que le point de départ du délai de prescription ne coïnciderait pas avec le jour de la souscription du prêt litigieux, il n'en demeurerait pas moins que ce délai commencerait, à tout le moins, à courir à partir du jour où l'emprunteur aurait dû avoir connaissance des faits, lui permettant d'exercer son action, c'est-à-dire dès qu'il avait conscience de sa situation financière, des modes de financement du projet et garanties attachées à l'opération : donc au jour de la souscription du prêt ou encore, au plus tard, dès les premiers évènements l'alertant d'une difficulté relative à la réalisation de l'opération.

Elle soutient qu'en l'espèce, l'action de M. [I] aux fins de voir reconnaître les prétendus manquements de la banque à son devoir de mise en garde et de conseil, engagée le 23 décembre 2020, soit plus de cinq ans après la conclusion des contrats de prêt, est prescrite, l'emprunteur ne disposant que d'un délai quinquennal pour agir, a' compter de l'octroi des crédits. Elle fait valoir que l'emprunteur avait parfaitement conscience de sa situation financière, des modes de financement du projet et des garanties attache'es a' l'opération au jour de la souscription du prêt ; que contrairement à ce prétend l'appelant, elle n'a pas agi en qualité de prestataire de services d'investissement dès lors qu'elle n'est jamais intervenue de manière active dans la commercialisation de l'opération litigieuse et que son rôle s'est limite' a' celui de prêteur de deniers.

Réponse de la Cour

L'article 2224 du code dispose : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »

La prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en n'avait pas eu précédemment connaissance.

La charge de la preuve du point de départ de ce délai incombe à celui qui invoque cette fin de non-recevoir.

En l'espèce, le compromis de vente entre la société Duca et M. [I] signé par ce dernier le 6 novembre 2013 mentionne que le vendeur s'est engagé à mettre à disposition les murs de l'hôtel, travaux terminés, au second semestre 2015, pour une mise en activité de l'exploitation en hôtel, à ce que l'ensemble des travaux sur les parties communes générales pour les lots de l'hôtel, notamment la toiture, les façades et la cour intérieure, soit réalisé au plus tard le 31 décembre 2015 et à ce que l'ensemble des travaux soit achevé au plus tard le 8 février 2017. En outre, le 28 février 2014, l'ASL Hôtel [11], à laquelle M. [I] a adhéré dès l'acquisition de son lot, a conclu une convention de contractant général avec la société Aupera, incluant les 43 premiers lots vendus sur 109, fixant le délai pour l'exécution des travaux à trente mois à compter de cette date, soit jusqu'au 28 août 2016.

Le procès-verbal de l'assemblée générale de l'ASL Hôtel [11] du 17 février 2015 mentionne que, selon le contractant général, les travaux doivent s'achever mi-2016 et que les sociétaires exposent leur satisfaction quant aux travaux en cours. Si le budget prévu est rehaussé au cours de cette assemblée générale, en raison de travaux supplémentaires demandés par l'équipe de maîtrise d''uvre, cette équipe précise, s'agissant de la date de livraison, que l'objectif est le deuxième trimestre 2016 qui permettrait l'ouverture de l'hôtel pour la coupe d'Europe de football, même si cette date ne peut être confirmée.

Par ailleurs, ce procès-verbal indique que tous les propriétaires des lots n'ont pas adhéré à l'ASL et que le contractant général a augmenté le montant de son marché de travaux mais ne fait pas état de difficultés de commercialisation de ces lots ni ne fait ressortir de lien entre ces éventuelles difficultés et la nécessité de travaux supplémentaires ou d'un rehaussement du budget pour la poursuite du chantier.

En revanche, le procès-verbal de l'assemblée générale suivante, en date du 15 avril 2016, fait état, d'une part, de ce que l'ASL a été alertée par courrier du 10 mars 2016 d'un probable report de plusieurs mois de la date de réception, confirmé par l'architecte et la société Aupera, et de ce que, du fait du retard pris par le chantier, les intervenants s'autorisent à envisager une réception pour le second trimestre de l'année 2017.

D'autre part, ce procès-verbal mentionne que, pour tenir compte des difficultés de trésorerie rencontrées en raison de la non-commercialisation d'une quinzaine de lots, l'assemblée propose de donner pouvoir au président de l'ASL de régler des avances directement à la société Aupera, à concurrence des fonds disponibles, afin que le chantier ne s'arrête pas. II en ressort également qu'il reste 18 lots à commercialiser et que le fait que les fonds liés à ces lots ne seront probablement versés que vers la fin de l'année fait courir un risque important de manque de financement de l'avancement du chantier, devant se manifester vers la fin juin.

Il ressort de ces éléments qu'à la date du 17 février 2015, retenue par l'ordonnance du juge de la mise en état comme point de départ de la prescription quinquennale, le dommage invoqué par M. [I], tenant à la perte d'une chance de souscrire un autre investissement répondant aux délais et aux engagements financiers présentés et, en conséquence, de subir les pertes qu'il invoque, ne s'était pas réalisé. En effet, ce n'est que lors de l'assemblée générale du 15 avril 2016 qu'un retard certain dans l'exécution des travaux et la date de réception a été constaté par l'assemblée générale de l'ASL Hôtel [11]. Par ailleurs, il n'avait pas été fait état auparavant de difficultés de commercialisation des lots et des conséquences susceptibles d'en découler, en termes de trésorerie et de risque de non-achèvement du chantier, difficultés ayant conduit à des demandes de financement complémentaire de la société Aupera suivies de la résiliation de la convention de contractant général de cette société décidée par l'ASL le 5 février 2018 après mise en demeure de poursuivre le chantier, puis à la répartition entre les propriétaires de lots membres de l'ASL et la société Duca, en l'absence de commercialisation des neufs derniers lots, des travaux estimés nécessaires à l'achèvement de ce chantier, suivant protocole d'accord approuvé par consultation écrite de l'ASL du 18 avril 2018.

L'action de M. [I] ayant été engagée les 21, 22 et 23 décembre 2020, celle-ci ne saurait donc être déclarée prescrite.

L'ordonnance du juge de la mise en l'état sera par conséquent infirmée de ce chef.

La fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la SAS Bremens et Associés, Maître [W] [R], la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes ainsi que, subsidiairement, la société Advenis, venant aux droits de la société Avenir Finance, sera rejetée.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Compte tenu du sens de la présente décision, l'ordonnance du juge de la mise en état sera également infirmée en ce qu'elle condamne M. [I] aux dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SAS Bremens et Associés, Maître [W] [R], la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes ainsi que la société Advenis, qui succombent, seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel en vertu de l'article 696 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l'article 700 du même code, ces parties seront condamnées in solidum à verser à M. [I] la somme de 2000 euros.

Sur l'exécution provisoire

Le pourvoi en cassation n'ayant pas d'effet suspensif en vertu de l'article 579 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu à statuer sur la demande d'exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance du juge de la mise en état en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la SA Advenis, venant aux droits de la société Avenir Finance, tirée du défaut d'intérêt et de qualité à agir de M. [X] [I] à son encontre,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la SAS Bremens et Associés, Maître [W] [R], la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes et la SA Advenis, venant aux droits de la société Avenir Finance, tirée de la prescription,

Condamne in solidum la SAS Bremens et associés, Maître [W] [R], la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes et la SA Advenis, venant aux droits de la société Avenir Finance, aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne in solidum la SAS Bremens et associés, Maître [W] [R], la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes et la SA Advenis, venant aux droits de la société Avenir Finance, à payer la somme de 2 000 euros à M. [X] [I] en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande d'exécution provisoire de M. [X] [I],

Rejette le surplus des demandes.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE

S.MOLLÉ C.SIMON-ROSSENTHAL