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Décisions

Cass. 1re civ., 16 décembre 2020, n° 19-20.948

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme BATUT

Avocats :

SCP Le Griel, Me Carbonnier

Paris, du 18 décembre 2018

18 décembre 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2018), l'enfant P... N... est née le [...] 2014 à Paris de Mme N..., de nationalité marocaine, sans filiation paternelle établie. Le 28 avril 2015, celle-ci, agissant en qualité de représentante légale de sa fille, a assigné M. X... devant le tribunal de grande instance de Meaux en recherche de paternité.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. X... fait grief à l'arrêt d'écarter la loi marocaine pour contrariété à l'ordre public international et, faisant application de la loi française, de déclarer recevable l'action en recherche de paternité exercée par Mme N... au nom de sa fille P... et d'ordonner une expertise biologique, alors :

« 1° / que la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit ne peut être écartée que si elle est contraire à l'ordre public international français ; qu'en l'espèce, la cour a admis qu'il y avait lieu, en principe, de faire application de la loi marocaine, en l'occurrence le Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant code de la famille, la mère de l'enfant étant marocaine ; que, pour juger que cette loi était contraire à l'ordre public international français, la cour, par motifs adoptés, a retenu, au regard des textes qu'elle a visés, que « le droit marocain ne reconnaît la filiation que dans le cadre du mariage, sauf aveu du père et rapports sexuels "par erreur" (relation illégitime entre la femme et l'homme lorsque celui-ci croit à la légitimité de la relation suite à une erreur en ce qui concerne le fait, la personne ou la règle du chraâ comme dans le mariage vicié) ; qu'il n'admet pas ainsi librement le concubinage et la filiation qui pourrait en découler » ; que, cependant, la cour a ainsi elle-même constaté que, par les exceptions citées, la loi marocaine rendait possible la reconnaissance de la filiation paternelle pour des enfants conçus hors mariage ; qu'en jugeant le contraire, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 3 et 311-14 du code civil ;

2°/ que la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit ne peut être écartée que si elle est contraire à l'ordre public international français ; qu'en l'espèce, pour juger qu'il en était ainsi de la loi marocaine, qui prévoit pourtant différentes hypothèses dans lesquelles la filiation paternelle d'un enfant né hors mariage peut être établie (aveu du père, rapports sexuels par erreur, mariage vicié, reconnaissance de paternité), la cour a retenu que cette loi n'admet pas « librement » (?) le concubinage et la filiation qui peut en découler ; que, cependant, le concubinage n'est pas la seule situation où un enfant peut naître hors mariage, et son absence de reconnaissance par la loi marocaine n'a aucune incidence sur la réalité des droits qu'elle prévoit pour établir la « filiation paternelle », dans les cas qu'elle énumère, d'un enfant né hors mariage ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à justifier sa décision, la cour a violé les articles 3 et 311-14 du code civil ;

3°/ que le juge, appelé à déterminer le contenu de la loi étrangère par application de la règle de conflit, ne doit pas la dénaturer ; qu'en l'espèce, le Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant code de la famille, loi marocaine ici applicable, dispose que la filiation paternelle est présumée découler, non seulement des « rapports conjugaux », mais aussi « de l'aveu du père » et des « rapports sexuels par erreur », hypothèses se rapportant toutes deux à la conception d'enfants nés hors mariage (art. 152, 156, 158) ; qu'elle peut être établie par « l'aveu du père, le témoignage de deux adoul, la preuve déduite du ouï-dire, et par tout moyen légalement prévu, y compris l'expertise judiciaire » (art. 158) ; que l'article 157 ajoute que « lorsque la filiation paternelle est établie même à la suite d'un mariage vicié, de rapports sexuels par erreur ou d'une reconnaissance de paternité, elle produit tous ses effets » ; qu'ainsi, selon ces dispositions claires et dénuées d'ambiguïté, la loi marocaine admet avec certitude la reconnaissance de paternité pour des enfants conçus hors mariage ; qu'en jugeant le contraire, pour retenir que ces dispositions ne permettraient pas l'établissement de la paternité de l'enfant P... « à l'égard d'un homme non marié à sa mère » et que, partant, elles seraient contraires à l'ordre public international français, la cour a dénaturé cette loi étrangère, en violation de l'article 3 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. Il résulte des articles 3 et 311-14 du code civil que, si la filiation est en principe régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant, la loi étrangère qui ne permet pas l'établissement d'une filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l'ordre public international lorsqu'elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d'établir sa filiation.

4. Ayant relevé, par une appréciation souveraine de la loi étrangère exempte de dénaturation, que la loi marocaine, loi nationale de la mère, ne reconnaissait, s'agissant de la filiation paternelle, que la filiation légitime, ce qui rendait l'action de Mme N... en recherche de paternité hors mariage irrecevable, la cour d'appel en a exactement déduit que cette loi devait être écartée comme contraire à la conception française de l'ordre public international et qu'il convenait d'appliquer la loi française.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. X... et le condamne à payer à Mme N... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille vingt.