CA Rennes, 4e ch., 5 décembre 2024, n° 23/01917
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Maisons Cap Ouest (SARL)
Défendeur :
Akbat Constructions (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Desalbres
Conseillers :
Mme Malardel, M. Belloir
Avocats :
Me Matel, SCP Tattevin-Derveaux
EXPOSE DES FAITS
La société à responsabilité limitée Maisons Cap Ouest est un constructeur de maisons individuelles.
Elle a eu recours à de nombreuses reprises, depuis un contrat de sous-traitance conclu le 8 février 2016, aux services de M. [D] [N], notamment pour les opérations de gros-'uvre-maçonnerie. Plus de cinquante chantiers, entre le mois de janvier 2017 et le mois de décembre 2020, ont été ainsi réalisés par celui-ci pour le compte de l'entrepreneur principal.
Sur chaque facture apparaissait la retenue de garantie de 5% qui a représenté la somme totale de 55 996,70 euros.
Le 25 novembre 2020 M. [N] a cédé ses droits et obligations à la SARL Akbat Constructions dont il a pris la gérance.
Répondant à la mise en demeure adressée le 15 décembre 2021 par la SARL sous-traitante afin d'obtenir le paiement du solde des factures représentant les 5% susvisés, moins la somme de 13 670,33 euros qui avait entre-temps été acquittée par l'entrepreneur principal, ce dernier a justifié son refus de procéder au paiement par la faible qualité de sa prestation.
Par acte du 26 avril 2022, la société Akbat Constructions a assigné le SARL Maisons Cap Ouest devant le tribunal de commerce de Vannes afin d'obtenir le paiement de la somme de 42 326,37 euros ainsi que le versement de dommages et intérêts. Dans ses dernières conclusions, elle a sollicité en outre la nullité du contrat de sous-traitance.
Le jugement rendu le 10 février 2023 par le tribunal de commerce de Vannes a :
débouté la SARL Maisons Cap Ouest de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Prononcé la nullité du sous-traité avec toutes conséquences de droit ;
Déclaré l'action de la société Akbat Constructions recevable et bien fondée ;
Condamné la SARL Maisons Cap Ouest à payer à la société Akbat Constructions les sommes de :
- 42 326,37 euros en principal, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 15 décembre 2021 et jusqu'à parfait paiement, intérêts capitalisés, pour les causes sus-énoncées ;
- 4 232 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 15 décembre 2021 et jusqu'à parfait paiement, intérêts capitalisés, pour les causes sus-énoncées ;
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamné la SARL Maisons Cap Ouest au paiement des entiers dépens de l'instance ;
Débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusion ;
Arrêté et liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 60,22 euros TTC.
La SARL Maisons Cap Ouest a relevé appel de cette décision le 24 mars 2023.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 juillet 2024.
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions du 23 juin 2023, la SARL Maisons Cap Ouest demande à la cour, au visa des articles 110-4 du Code de commerce, 2059 du Code civil :
A titre principal :
D'infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;
De rejeter comme étant irrecevables la demande en nullité et les demandes de condamnation formulées par la société Akbat Constructions ;
Rejeter comme étant infondées les demandes de condamnation formulées par la sous-traitante ;
A titre reconventionnel :
Condamner la société Akbat Constructions au paiement :
De la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
De la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
De l'intégralité des dépens d'appel.
Suivant ses dernières conclusions du 19 septembre 2023, la société Akbat Constructions demande à la cour de :
La déclarer recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions ;
Débouter l'appelante de son appel et de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
Confirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise ;
Y ajoutant :
Dire et juger que les émoluments facturés par l'huissier seront mis à la charge de l'appelante (A 444-32 du Code de commerce) ;
Condamner la SARL Maisons Cap Ouest au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile devant la cour et des entiers dépens en ce compris les dépens d'exécution, les émoluments facturés par l'huissier en application des dispositions de l'article A 444-32 du Code de commerce resteront à la charge de l'appelante.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les parties s'accordent sur :
L'application du contrat de sous-traitance à la société Akbat Constructions à la suite de la création de celle-ci par M. [N] ;
le solde du montant de la retenue de garantie non perçu par la société Akbat Constructions, soit la somme de 42 326,37 euros.
Sur la nullité du contrat de sous-traitance
Aux termes des dispositions de l'article L231-13 du Code de la construction et de l'habitation, le constructeur est tenu de conclure par écrit les contrats de sous-traitance avant tout commencement d'exécution des travaux à la charge du sous-traitant. Ces contrats comportent les énonciations suivantes : (')
g) La justification de l'une ou l'autre des garanties de paiement prévues à l'article 14 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ou de toute autre garantie, délivrée par un établissement de crédit, une société de financement ou une entreprise d'assurance, de nature à garantir le paiement des sommes dues au titre du sous-traité.
L'article 14 précité, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose qu'à peine de nullité du sous-traité, les paiements de toutes les sommes dues par l'entrepreneur au sous-traitant, en application de ce sous-traité, sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l'entrepreneur d'un établissement qualifié, agréé dans des conditions fixées par décret. Cependant, la caution n'aura pas lieu d'être fournie si l'entrepreneur délègue le maître de l'ouvrage au sous-traitant dans les termes de l'article 1275 du code civil, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant.
Sur la prescription de l'action en nullité
Après avoir assigné la SARL Maisons Cap Ouest en paiement du solde en exécution du contrat de sous-traitance du 8 février 2016, la société Akbat Constructions a réclamé au cours de la première instance, dans des conclusions du 8 juillet 2022, la nullité de ce contrat, en se fondant sur les dispositions des deux textes précités.
En conséquence, l'entrepreneur principal ne peut considérer que cette demande a été formulée par voie d'exception à une demande en paiement. Sa recevabilité n'est donc pas contestable.
L'appelante estime de nouveau que cette dernière prétention est irrecevable en raison de sa prescription par application des dispositions de l'article 2224 du Code civil.
Ce texte dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Plus de cinq années se sont effectivement écoulées entre la date de signature du contrat et la première demande en nullité présentée par l'intimée.
Cependant, ce n'est qu'à la date de communication par la SARL Maisons Cap Ouest du justificatif de la caution réclamé par la société Akbat Constructions que cette dernière a connu les faits permettant d'exercer l'action en nullité, s'agissant de la possible absence de garantie durant la première année de la période de sous-traitance et de l'éventuelle violation des dispositions de l'article L 231 13 G du Code de la construction et de l'habitation.
Il ne peut être reproché au sous-traitant, qui n'en a juridiquement pas l'obligation, d'avoir tardé à exiger de l'entrepreneur principal la communication des documents afférents à la garantie de paiement.
En conséquence, l'action en nullité du contrat n'est pas prescrite de sorte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action du sous-traitant.
Sur le bien-fondé de la demande d'annulation du sous-traité
La sous-traitante estime que l'entrepreneur principal lui a fourni tardivement, soit au cours du mois d'août 2020, un document en date du 11 août 2020 valant certificat de garantie de la part de la société Euler Hermes France. Elle considère que les règles d'ordre public relatives à la sous-traitance ont été méconnues par son cocontractant de sorte que la nullité du contrat du 8 février 2016 doit être prononcée.
Bien que s'opposant à la nullité du contrat, la SARL Maisons Cap Ouest n'est pas en mesure de produire une garantie antérieure au 4 septembre 2017, date de l'attestation rédigée par la société Euler Hermes France,
Il doit être constaté que ce document ne précise pas la date à laquelle la garantie a été souscrite par le constructeur de maisons individuelles.
L'appelante ne justifie donc pas avoir respecté son obligation prévue par les textes susvisés entre le 8 février 2016 et le 4 septembre 2017.
Ces éléments ne peuvent que motiver le jugement déféré ayant prononcé la nullité du contrat de sous-traitance en raison de la violation d'une règle d'ordre public.
Sur la demande en paiement présentée par la société Akbat Constructions
Après annulation du sous-traité, l'indemnisation du sous-traitant est effectuée en fonction du juste coût des prestations réalisées.
Aussi, la demande en paiement présentée par l'intimée ne peut se fonder sur les règles de l'enrichissement injustifié.
La SARL Maisons Cap Ouest ne conteste pas que la société Akbat Constructions a réalisé divers travaux pour son compte, ayant d'ailleurs acquitté les factures émises par celle-ci, défalquant simplement le montant de la retenue de garantie pour chacune d'entre-elles.
Pour s'opposer au versement de la somme réclamée, le constructeur de maisons individuelles oppose d'une part la prescription de certaines demandes en paiement et d'autre part la qualité médiocre de la prestation de la société Akbat Constructions justifiant les retenues financières effectuées.
S'agissant du premier point, les trois factures des 10 janvier 2017, 13 mars 2017 et 12 avril 2017 ont été effectivement émises plus de cinq ans avant la demande en paiement présentée devant le tribunal de commerce.
Cependant, la SARL Maisons Cap Ouest ne saurait invoquer la prescription quinquennale de l'action intentée à son encontre en application de l'article L110-4 du Code de commerce. En effet, comme le fait justement observer le sous-traitant, les sommes dues ne sont exigibles qu'à compter du délai d'un an après la date de l'émission des trois factures en application de l'article 2 de la loi n°71-584 du 16 juillet 1971.
La facture dont le paiement du solde la plus ancienne est datée du 10 janvier 2017 de sorte que le point de départ de la prescription doit être fixé au 10 janvier 2018. La demande en paiement par assignation en date du 26 avril 2022 a donc interrompu le délai quinquennal.
S'agissant de la contestation de la qualité des travaux effectuées par le sous-traitant qui est opposée par l'entrepreneur principal pour justifier l'absence de règlement des 5%, le dossier de cette dernière ne contient que des courriels épars qui invitaient, et parfois enjoignaient, à M. [N] de respecter les plans fournis ou de reprendre certaines prestations. Aucuns documents probants, qu'il s'agisse de comptes rendus de chantiers, de DGD ou de procès-verbaux de réception ne sont versés aux débats afin de caractériser des manquements graves de la part de M. [N] puis de sa société dans l'exécution de sa prestation qui eux-seuls pourraient justifier une exception d'inexécution de la part de l'appelante.
En conséquence, le jugement entrepris ne peut qu'être confirmé quant à la demande en paiement.
Le premier juge a parfaitement apprécié le préjudice subi par la société Akbat Constructions, les dommages et intérêts venant réparer l'opposition abusive de l'entrepreneur principal comme le prévoit l'article 2 de la loi n°71-584 du 16 juillet 1971.
Sur l'article 700 et les dépens
La décision entreprise sera confirmée sur ces points.
En cause d'appel, il y a lieu de condamner la SARL Maisons Cap Ouest à verser à la société Akbat Constructions la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter les autres demandes présentées sur ce fondement.
Les dépens d'appel seront à la charge de l'appelante.
Le rejet par le premier juge de la demande de la société Akbat Constructions relative à la condamnation de la SARL Maisons Cap Ouest à prendre en charge le coût des émoluments facturés par le commissaire de justice en application des dispositions de l'article A 444-32 du Code de commerce, texte dans sa rédaction en vigueur au présent litige, sera confirmé. Il en sera de même en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
- Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 février 2023 par le tribunal de commerce de Vannes ;
Y ajoutant :
- Condamne la société à responsabilité limitée Maisons Cap Ouest à verser à la société Akbat Constructions la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Rejette les autres demandes présentées sur ce fondement ;
- Rejette la demande présentée par la société Akbat Constructions tendant à la condamnation de la société à responsabilité limitée Maisons Cap Ouest à prendre en charge le coût des émoluments facturés par le commissaire de justice en application des dispositions de l'article A 444-32 du Code de commerce ;
- Condamne la société à responsabilité limitée Maisons Cap Ouest au paiement des dépens d'appel.