CA Versailles, ch. com. 3-1, 5 décembre 2024, n° 24/03030
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Télévision Française 1 (SA), TF1 Business Solutions (SAS)
Défendeur :
Eole Conseil (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubois-Stevan
Conseillers :
Mme Gautron-Audic, Mme Meurant
Avocats :
Me Dupuis, Me Moncorps, Me Dontot, Me Jakubowicz, SAS de Gaulle Fleurance & Associes, SC Jakubowicz & Associes
EXPOSE DES FAITS
A compter de septembre 1987, la chaîne TF1, dont l'éditeur est la société TF1, a diffusé un nouveau magazine « Ushuaïa, le magazine de l'extrême », produit initialement par la société Protecrea.
La marque « Ushuaïa » a été déposée auprès de l'INPI le 28 mars 1988. La société TF1 l'a par la suite rachetée puis a déposé plusieurs marques verbales ou semi-figuratives « Ushuaïa ».
La société Eole conseil a notamment pour objet la promotion de l'image de personnes physiques et morales dans les secteurs commerciaux et non commerciaux à travers l'utilisation du nom, de l'image et de la personne de [L] [N] par tous moyens appropriés et notamment la location, l'achat de tous matériels. Elle a été créée en 1990 sous la forme d'une SARL par M. [L] [N] puis transformée, le 16 mai 2017, en SAS ayant pour président M. [N], également associé à hauteur de 99 %.
Le 15 juillet 1994, les sociétés TF1, Protecrea, radiée ultérieurement, et TF1 Entreprises, devenue TF1 Business Solutions, d'une part, et la société Eole conseil, d'autre part, ont conclu un contrat, M. [N] y ayant été partie intervenante, aux termes duquel les sociétés du groupe TF1 se sont engagées « à reverser à la société Eole, en contrepartie de l'utilisation de la notoriété apportée par [L] [N] à la marque Ushuaïa, 25 % des recette brutes générées par l'exploitation de l'intégralité des produits L'Oréal commercialisés en utilisant le mot « Ushuaïa » ».
Parallèlement, par contrat du 1er juillet 1994, M. [N] a cédé à la société Eole conseil les droits liés aux exploitations directes ou indirectes, en France ou à l'étranger, de son nom, de son image, de sa personne et/ou de son interprétation, ainsi que les droits dérivés liés à ces exploitations.
Le contrat de rétrocession a pris effet rétroactivement à compter du 1er janvier 1994 pour une durée de dix années, reconductible par période de cinq ans.
Considérant que la notoriété de M. [N] ne contribuait plus à celle de la marque Ushuaïa et que la contrepartie au reversement d'une part des recettes brutes générées par l'exploitation des produits L'Oréal n'existait plus, la société TF1 a, par lettre du 29 juin 2022, dénoncé le contrat de rétrocession et la relation commerciale correspondante avec effet au 31 décembre 2023.
La société Eole conseil a contesté cette décision, considérant que l'objet de la rétrocession était de rémunérer sa « contribution passée à la notoriété de la marque » et que le contrat était à durée déterminée se poursuivant « tant que les produits label Ushuaïa L'Oréal feront l'objet d'une exploitation commerciale ».
Par lettre du 30 août 2022, la société TF1 a maintenu sa position.
Par actes séparés du 24 janvier 2023, la société Eole conseil a assigné les sociétés TF1 et TF1 Business Solutions devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de voir déclarer fautive la rupture du contrat de rétrocession, annuler cette rupture contractuelle, ordonner la poursuite du contrat tant que les produits label Ushuaïa L'Oréal feront l'objet d'une exploitation commerciale, et le paiement, sous astreinte, des rétrocessions dues.
Aux termes de ses dernières conclusions, la société Eole conseil a demandé, sur le fondement de la rupture fautive du contrat de rétrocession, la reprise du contrat de rétrocession à compter du 31 décembre 2023 et la poursuite de son exécution et le paiement, sous astreinte, des rétrocessions dues, à titre subsidiaire, le paiement de dommages et intérêts, sous astreinte.
Les sociétés TF1 et TF1 Business Solutions ont soulevé l'exception d'incompétence de la juridiction commerciale au profit du tribunal judiciaire de Nanterre en application de l'article L.716-5-II du code de la propriété intellectuelle qui prévoit la compétence de tribunaux judiciaires désignés par décret pour connaître des actions civiles et des demandes relatives aux marques qui ne relèvent pas de la compétence de l'INPI.
Par jugement du 30 avril 2024, le tribunal de commerce de Nanterre a dit les sociétés TF1 et TF1 Business Solutions recevables mais mal fondées en leur exception d'incompétence, s'est déclaré compétent pour connaître des prétentions de la société Eole conseil à leur encontre, a renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 24 mai 2024 à 10h30 et enjoint à toutes les parties de conclure à cette audience, dit qu'il n'y avait pas lieu à ce stade de la procédure de statuer sur les demandes des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné les sociétés TF1 et TF1 Business Solutions aux dépens.
Par déclaration du 17 mai 2024, les sociétés TF1 et TF1 Business Solutions ont fait appel de ce jugement et, par ordonnance du 31 mai 2024, elles ont été autorisées à assigner la société Eole conseil à l'audience du 22 octobre 2024, 9 h 00.
Par conclusions motivant leur appel, les sociétés TF1 et TF1 Business Solutions demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de déclarer le tribunal de commerce de Nanterre incompétent au profit du tribunal judiciaire de Nanterre pour connaître des demandes de la société Eole conseil, en toute hypothèse de condamner la société Eole conseil à leur payer la somme de 5.000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct.
Elles soutiennent que, par ses demandes, la société Eole conseil entend se prévaloir des attributs des droits de propriété intellectuelle que la société TF1 détient sur la marque Ushuaïa en revendiquant la notoriété de la marque Ushuaïa et la contribution apportée par M. [N] à cette notoriété à la date de signature du contrat de rétrocession, le 15 juillet 1994, et en poursuivant comme but la conservation sans limitation dans le temps d'un revenu financier tiré de l'exploitation d'une marque dont la société Eole conseil et M. [N] n'ont aucune qualité à percevoir les fruits de son exploitation commerciale sans l'existence d'une contrepartie réelle dès lors qu'ils n'en sont ni titulaires ni licenciés, et qu'elles sont dès lors en droit de se défendre contre l'usurpation de leur droit de propriété afférent à la marque Ushuaïa.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 3 septembre 2024, la société Eole conseil demande à la cour de débouter les sociétés TF1 et TF1 Business Solutions de leur appel et de l'intégralité de leurs demandes, de confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris, y ajoutant de condamner solidairement les sociétés TF1 et TF1 Business Solutions à lui payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et, sous la même solidarité, aux dépens avec droit de recouvrement direct.
La société Eole conseil soutient que ses demandes n'impliquent pas l'application de dispositions relevant du droit des marques mais qu'elles portent sur un litige de pur droit contractuel entre commerçants, nécessitant le cas échéant l'interprétation du contrat, dès lors que sa demande est l'annulation de la rupture du contrat de rétrocession, que le tribunal est donc amené à statuer sur la régularité de la dénonciation du contrat et des relations commerciales, que son appréciation reposera sur la portée de l'article 2 du contrat relativement à son terme.
Elle ajoute qu'elle ne revendique aucun droit sur la marque Ushuaïa ou sur l'un quelconque de ses attributs et que statuer sur la notoriété apportée par [L] [N] au sens du contrat et sur la poursuite de son exécution ne suppose pas d'apprécier la portée des droits de la société TF1 et/ou de ses droits sur la marque Ushuaïa.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.
Sur ce,
Il n'a pas été fait appel du chef du jugement ayant dit les sociétés TF1 recevables en leur exception d'incompétence.
L'article L. 721-3 du code de commerce dispose que les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux engagements entre commerçants.
Aux termes du II de l'article L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle, les actions civiles et les demandes relatives aux marques autres que celles relevant de la compétence exclusive de l'Institut national de la propriété industrielle, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux judiciaires, déterminés par voie réglementaire, dont fait partie le tribunal judiciaire de Nanterre.
La qualité de commerçant des parties au litige n'est pas discutée, les sociétés Eole conseil, TF1 et TF1 Business Solutions étant des sociétés commerciales.
Dans son assignation du 20 janvier 2023, la société Eole conseil invoque le contrat du 15 juillet 1994 conclu entre elle, d'une part, et les sociétés TF1 et TF1 entreprises, devenue TF1 Business Solutions, d'autre part, et demande, sur le fondement des articles 1103, 1191, 1221 et 1341 nouveaux du code civil, l'annulation de sa résiliation, la poursuite de son exécution au-delà du 31 décembre 2023 comprenant le paiement de rétrocessions au titre des ventes des produits commercialisés par L'Oréal sous les marques comportant le nom « Ushuaïa ».
La société Eole conseil demande l'exécution forcée des engagements des sociétés TF1 et TF1 Business Solutions résultant de ce contrat du 15 juillet 1994 et conteste la résiliation qui lui a été notifiée le 29 juin 2022 avec effet au 31 décembre 2023, soutenant que les motifs de la résiliation reposent sur une dénaturation des stipulations contractuelles et de la volonté des parties quant au terme du contrat.
Le contrat du 15 juillet 1994 n'a pas pour objet les marques « Ushuaïa » détenues par la société TF1. Il oblige les sociétés TF1 et TF1 Business Solutions à reverser à la société Eole conseil une part des recettes brutes générées par l'exploitation des produits L'Oréal commercialisés sous le nom « Ushuaïa ». La licence d'exploitation des marques fait l'objet d'un contrat distinct auquel la société Eole conseil n'est pas partie et la société Eole conseil ne revendique aucun droit sur la marque ni n'en conteste la titularité.
Si le reversement d'une part de recettes générées par l'exploitation par L'Oréal du nom « Ushuaïa » est, aux termes du contrat, la contrepartie de l'utilisation de la notoriété apportée par [L] [N] à la marque Ushuaïa, l'appréciation de la notoriété de Mr [N], dont la disparation justifie selon les sociétés TF1 et TF1 Business Solutions la résiliation du contrat, est sans lien avec les droits sur la marque que la société Eole conseil ne revendique au demeurant nullement.
Ainsi l'action de la société Eole conseil en exécution forcée du contrat du 15 juillet 1994 n'est pas une action relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire de Nanterre.
Il s'ensuit que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions, y compris en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ajoutant au jugement, la cour condamnera solidairement les sociétés TF1 et TF1 Business Solutions aux dépens d'appel et au paiement d'une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés par la société Eole conseil en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant contradictoirement, dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions déférées à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne solidairement les sociétés TF1 et TF1 Business Solutions à payer à la société Eole conseil la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
Condamne solidairement les sociétés TF1 et TF1 Business Solutions aux dépens d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.