Cass. com., 11 décembre 2024, n° 23-15.744
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Champ
Avocats :
SCP Marlange et de La Burgade, SARL Gury & Maitre
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 30 janvier 2023), le 28 mars 2017, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Charente-Périgord (la banque) a consenti à la société CB Investissement deux prêts, garantis par le cautionnement solidaire, dans une certaine limite, de sa gérante, Mme [H] (la caution).
2. Les échéances des prêts n'ayant pas été payées à leur terme, la banque a assigné en paiement la société CB Investissement et la caution.
3. Le 29 juillet 2021, la société CB Investissement a été mise en liquidation judiciaire et la société [X], prise en la personne de M. [W] [X], désigné liquidateur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a manqué à son devoir de mise en garde vis-à-vis de la société CB Investissement et de la condamner à lui payer une somme à titre de dommages et intérêts, alors « que l'obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l'égard d'un emprunteur non averti avant de lui consentir un prêt ne porte que sur l'inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l'emprunteur et sur le risque de l'endettement qui résulte de son octroi et non sur l'opportunité ou les risques de l'opération financée ; que dès lors, en prenant en compte la « faisabilité du projet » et la « fragilité du projet » parmi les éléments sur lesquels la banque aurait dû mettre en garde la société CB Investissement, cependant qu'il n'appartenait en aucun cas à la banque d'alerter la société CB Investissement sur l'opportunité ou la faisabilité de son projet, la cour d'appel a violé l'article 1231-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1231-1 du code civil :
5. Il résulte de cet article que l'obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l'égard d'un emprunteur non averti avant de lui consentir un prêt ne porte que sur l'inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l'emprunteur et sur le risque de l'endettement qui résulte de son octroi et non sur l'opportunité ou les risques de l'opération financée.
6. Pour retenir que la banque avait manqué à son devoir de mise en garde, l'arrêt énonce qu'il ne résulte d'aucune pièce versée aux débats que la banque se soit renseignée d'une manière ou d'une autre sur la situation financière de la société GTS dont la société CB Investissement gérée par Mme [H] avait racheté les parts sociales ni sur la faisabilité du projet, ni sur le risque d'endettement.
7. En statuant ainsi, alors qu'il n'incombait pas à la banque d'alerter la société CB Investissement sur l'opportunité ou la faisabilité de son projet, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La banque fait grief à l'arrêt de fixer ses créances au passif de la société CB Investissement à hauteur de diverses sommes, alors « que pour modérer le montant de la clause pénale, le juge doit se fonder sur la disproportion manifeste entre la peine stipulée et le préjudice effectivement subi ; qu'en l'espèce, pour limiter le montant des indemnités forfaitaires de recouvrement conventionnellement prévues, la cour d'appel s'est bornée à affirmer qu'« au regard des échéances réglées, du montant des emprunts, des circonstances particulières de la défaillance, et de l'intérêt que l'exécution partielle du contrat a procuré à la banque, il y a lieu de réduire à 3.000 euros pour le premier prêt et 5.000 euros pour le second les clauses pénales contractuellement prévues » ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à établir le caractère manifestement excessif du montant de la clause pénale par rapport au préjudice effectivement subi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1231-5 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1231-5 du code civil :
9. Selon ce texte, le juge peut, même d'office, modérer une clause pénale contractuelle si elle est manifestement excessive.
10. Pour modérer le montant des clauses pénales, l'arrêt retient qu'au regard des échéances réglées, du montant des emprunts, des circonstances particulières de la défaillance, et de l'intérêt que l'exécution partielle du contrat a procuré à la banque, il y a lieu de réduire à 3 000 euros pour le premier prêt et 5 000 euros pour le second les clauses pénales contractuellement prévues.
11. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir le caractère manifestement excessif du montant de la clause pénale par rapport au préjudice effectivement subi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
12. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ que le jugement qui ouvre la liquidation judiciaire arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels et tous intérêts de retard et majoration, à l'exception des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ; qu'en l'espèce, pour juger que le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire avait arrêté le cours des intérêts et la capitalisation des intérêts, la cour d'appel a retenu que « le jugement de liquidation judiciaire arrêtant le cours des intérêts, la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil sera en ordonnée pour la période courant du 24 janvier 2020 pour les deux prêts au 29 juillet 2021, date du jugement de liquidation judiciaire » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le jugement de liquidation judiciaire n'avait pas arrêté le cours des intérêts s'agissant d'emprunts conclus pour une durée de plus d'un an, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 622-28 et L. 641-3 du code de commerce ;
3°/ qu'il ressort des dispositions des articles L. 622-28 et L. 641-3 du code de commerce que la capitalisation des intérêts se poursuit en cas de liquidation judiciaire s'agissant des intérêts résultant des contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an dont le cours n'est pas affecté par le jugement d'ouverture ; qu'en l'espèce, pour juger que le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire avait arrêté le cours des intérêts et la capitalisation des intérêts, la cour d'appel a retenu que « le jugement de liquidation judiciaire arrêtant le cours des intérêts, la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil sera en ordonnée pour la période courant du 24 janvier 2020 pour les deux prêts au 29 juillet 2021, date du jugement de liquidation judiciaire » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la capitalisation des intérêts se poursuivait postérieurement à la date du jugement de liquidation judiciaire s'agissant des intérêts résultant des contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an dont le cours n'avait pas été affecté par le jugement d'ouverture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 622-28 et L. 641-3 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
13. Il résulte des articles L. 622-28, alinéa 1er et L. 641-3 du code de commerce que le jugement ouvrant une procédure de liquidation judiciaire n'arrête pas le cours des intérêts résultant de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an, lesquels peuvent produire eux-mêmes des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil.
14. Pour fixer la créance d'intérêts aux seuls intérêts échus à la date du jugement d'ouverture et limiter leur capitalisation jusqu'à cette date, l'arrêt énonce que le jugement de liquidation judiciaire a arrêté le cours des intérêts.
15. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les intérêts résultaient d'emprunts conclus pour une durée supérieure à un an, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le cinquième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
16. La banque fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a manqué à son devoir de mise en garde vis-à-vis de la caution et de rejeter ses demandes formées à son encontre, alors « que l'ensemble des biens et revenus de la caution au jour de son engagement doivent être pris en compte pour apprécier l'existence d'une éventuelle disproportion manifeste de cet engagement ; qu'en se bornant à prendre en compte les éléments figurant sur la fiche de renseignement remplie par la caution pour juger que l'engagement de caution de Mme [H] était disproportionné au regard de ses revenus et patrimoine, sans tenir compte des parts sociales de la société CB Investissement dont Mme [H] était également propriétaire au jour de la souscription de son engagement de caution comme le faisait valoir la banque dans ses écritures, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 343-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 343-4 du code de la consommation :
17. Il résulte de cet article qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, la disproportion de cet engagement s'appréciant au regard de ses biens et revenus en ce compris les parts qu'elle détient dans le capital de la société cautionnée, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
18. Pour retenir la disproportion du cautionnement, l'arrêt relève qu'il ressort de la fiche de renseignement remplie par la caution lors de son engagement que celle-ci a déclaré bénéficier de revenus mensuels [lire annuels] de 52 196 euros pour des charges de crédits [annuelles] de 6 250 euros, disposer d'un patrimoine immobilier de 150 000 euros grevé d'un crédit d'un capital restant dû de 44 940 euros, d'une épargne de 28 000 euros.
19. En se déterminant ainsi, sans prendre en compte les parts sociales que détenait la caution au sein de la société CB Investissement à leur valeur à la date de son engagement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.