Cass. com., 11 décembre 2024, n° 23-13.554
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Riffaud
Avocat général :
M. de Monteynard
Avocats :
SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Piwnica et Molinié
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 11 janvier 2023), un jugement du 8 octobre 2020 a mis la société Fibre excellence Tarascon (la société FET), spécialisée dans la fabrication de pâte à papier, en redressement judiciaire. La société Egide et la société Rey et associés, devenue la société BDR et associés, ont été désignées en qualité de mandataires judiciaires et les sociétés CBF et associés et [W] et Rousselet, en qualité d'administrateurs.
2. Saisis par des fournisseurs de demandes en revendication de bois qu'ils prétendaient avoir vendus sous réserve de propriété, les administrateurs ont acquiescé à ces demandes puis ont demandé au juge-commissaire, conjointement avec ces fournisseurs, l'autorisation de payer immédiatement le prix de ces bois sur le fondement de l'article L. 624-16, alinéa 4 du code de commerce.
3. Le tribunal ayant converti la procédure en liquidation judiciaire le 2 juillet 2021, les sociétés Egide et BDR et associés, désignées en qualité de liquidateurs, sont intervenues volontairement à l'instance d'appel formée par les mandataires judiciaires contre le jugement ayant autorisé le paiement immédiat des fournisseurs.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Les liquidateurs font grief à l'arrêt d'autoriser le paiement immédiat des créances des fournisseurs alors :
« 1°/ qu'il n'y a pas lieu à revendication si, sur décision du juge-commissaire, le prix est payé immédiatement ; que lorsque le juge-commissaire est saisi d'une demande d'autorisation de paiement, il doit nécessairement trancher l'opposabilité de la clause de réserve de propriété avant de statuer sur l'opportunité d'autoriser le paiement ; que l'arrêt attaqué a retenu que les administrateurs avaient acquiescé sans équivoque aux revendications et avaient reconnu par là même l'opposabilité à la procédure collective des clauses de réserve de propriété dont se prévalaient les fournisseurs, de sorte que le juge-commissaire n'avait pas à se prononcer sur cette opposabilité, mais à s'interroger exclusivement sur le point de savoir si le paiement des fournisseurs se justifiait par la poursuite de l'activité de la société, au regard des dispositions des articles L. 624-16 et L. 624-17 du code de commerce ; qu'en statuant comme elle l'a fait quand elle constatait que les administrateurs et les fournisseurs avaient saisi le juge-commissaire d'une demande d'autorisation de paiement de chacun des fournisseurs, ce dont il se déduisait qu'il ne pouvait, par définition, y avoir revendication et a fortiori acquiescement à celle-ci, le juge-commissaire devant vérifier, avant d'autoriser le paiement, l'opposabilité de la clause de réserve de propriété, la cour d'appel a violé l'article L. 624-16, alinéa 4, du code de commerce ;
2°/ que les exposantes faisaient valoir que l'existence d'une clause de réserve de propriété opposable à la procédure collective n'était pas établie ; qu'aucune clause de réserve de propriété n'avait été stipulée dans les contrats de vente et les conditions générales des fournisseurs et que celles de la débitrice n'en contenaient pas davantage, que seul le modèle de conditions générales de la Fédération nationale du bois en visait une, mais les revendiquants n'établissaient pas s'être appropriés ces conditions générales ni les avoir portées à la connaissance du débiteur et, enfin, que ni l'existence d'un usage ni sa connaissance par les créanciers n'étaient établies ; qu'en se bornant à retenir que les administrateurs judiciaires avaient régulièrement acquiescé aux revendications et avaient reconnu par là même l'opposabilité à la procédure collective des clauses de réserves de propriété, sans répondre aux conclusions faisant ressortir qu'aucune clause de réserve de propriété opposable n'avait été stipulée, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en retenant qu'il ressortait des requêtes formées auprès du juge-commissaire que les administrateurs avaient acquiescé sans équivoque aux revendications, reconnaissant par là même l'opposabilité à la procédure collective des clauses de réserve de propriété, de sorte que le juge-commissaire n'avait pas à se prononcer sur l'opposabilité de ces clauses, quand il ressortait des termes mêmes des requêtes en cause, ainsi que le soulignaient d'ailleurs les exposantes, que les administrateurs faisaient part de leur incertitude quant à l'opposabilité de la clause de réserve de propriété, relevaient les positions divergentes des professeurs de droit consultés et la nécessité par conséquent d'un débat contradictoire, et soulignaient qu'en tout état de cause l'appréciation de la validité et l'opposabilité de la clause de réserve de propriété relev(ait) du juge-commissaire", la cour d'appel a dénaturé une pièce de procédure en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
4°/ que l'acquiescement doit être certain et non équivoque en réponse à une revendication exprimée de manière claire et univoque ; que les exposantes soutenaient que les administrateurs judiciaires n'avaient pas acquiescé aux revendications en bonne et due forme, dans les délais impartis, qu'ils avaient toujours adopté une position équivoque, résultant de leur incertitude quant à l'applicabilité en l'espèce du modèle des conditions générales de vente de la Fédération nationale du bois, ce qui les avaient amenés à demander des consultations de professeurs de droit qui s'étaient révélées divergentes et, enfin, qu'un acquiescement partiel était irrégulier, de sorte que les administrateurs ne pouvaient retenir un acquiescement à hauteur de 87,39 % des rondins et 88,65 % des plaquettes de scierie ; qu'en délaissant ces conclusions pour affirmer que les administrateurs avaient acquiescé sans équivoque aux revendications et avaient reconnu par là même l'opposabilité des clauses de réserves de propriété pour les autoriser à payer les fournisseurs de bois au prorata de leur demande, sans possibilité pour les mandataires judiciaires, désormais liquidateurs, de remettre en cause tant la forme des revendications que l'opposabilité des clauses de réserve de propriété et/ou l'existence et le bien-fondé de l'acquiescement donné par les administrateurs, la cour d'appel n'a pas satisfait aux prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. L'article L. 624-16 alinéa 4 du code de commerce n'a ni pour objet ni pour effet de dispenser le propriétaire de biens vendus avec une clause de réserve de propriété de faire reconnaître son droit dans les conditions prévues aux articles L. 624-9 et L. 624-17 de ce code mais permet à l'administrateur judiciaire de ne pas restituer ces biens en payant immédiatement leur prix sur autorisation du juge-commissaire.
6. C'est donc exactement que la cour d'appel, après avoir constaté, sans encourir le grief de dénaturation invoquée à la troisième branche, que dans leurs requêtes saisissant le juge-commissaire, les administrateurs avaient indiqué qu'ils considéraient que les clauses de réserve de propriété invoquées étaient valables et opposables à la procédure collective, a retenu que le juge-commissaire n'avait pas à se prononcer sur l'opposabilité de ces clauses mais devait uniquement rechercher si le paiement des fournisseurs se justifiait par la poursuite de l'activité.
7. Le moyen, inopérant en ses deuxième et quatrième branches, n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.