CJUE, 6e ch., 12 décembre 2024, n° C-436/23
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Question préjudicielle
PARTIES
Demandeur :
Belgische Staat / Federale Overheidsdienst Financiën
Défendeur :
Volvo Group Belgium NV
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. von Danwitz (vice-président)
Juges :
M. Kumin, Mme Ziemele (rapporteure)
Avocat général :
M. Emiliou
Avocats :
Me Lauwers, Me Bricout, Me Decordier
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 49 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Belgische Staat/Federale Overheidsdienst Financiën (État belge/Service public fédéral Finances) à Volvo Group Belgium NV, une filiale d'une société non-résidente, établie en Belgique, au sujet des conséquences pour Volvo Group Belgium de la législation nationale consistant à imposer une fairness tax aux filiales résidentes des sociétés non-résidentes.
Le cadre juridique
Le droit de l'Union
3 L'article 49 TFUE dispose :
« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre.
La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux. »
Le droit belge
4 Le wetboek van de inkomstenbelastingen 1992 (code des impôts sur les revenus 1992) a été modifié par la wet houdende diverse bepaligen (loi portant des dispositions diverses), du 30 juillet 2013 (Belgisch Staatsblad, 1er août 2013). Le chapitre 15 de cette loi comporte une section 2, dont la sous-section 1re est intitulée « Fairness Tax ». Cette sous-section est composée des articles 43 à 51 de ladite loi, qui modifient les articles 198, 207, 218, 219 ter, 233, 246, 275 et 463 bis de ce code.
5 Aux termes de l'article 198, paragraphe 1, 1°, du code des impôts sur les revenus 1992, tel que modifié par la loi portant des dispositions diverses, du 30 juillet 2013 :
« Ne sont pas considérés comme des frais professionnels :
1° l'impôt sur les sociétés, y compris les cotisations distinctes dues en vertu des articles 219 bis et 219 ter, les sommes versées à valoir sur l'impôt des sociétés et le précompte mobilier supporté par le débiteur du revenu à la décharge du bénéficiaire en méconnaissance de l'article 261, mais à l'exclusion de la cotisation distincte due en vertu de l'article 219 ».
6 L'article 207, deuxième alinéa, de ce code prévoit :
« Aucune de ces déductions ou compensation avec la perte de la période imposable ne peut être opérée sur la partie du résultat qui provient d'avantages anormaux ou bénévoles visés à l'article 79, ni sur les avantages financiers ou de toute nature reçus visés à l'article 53, 24°, ni sur l'assiette de la cotisation distincte spéciale établie sur les dépenses ou les avantages de toute nature, non justifiés conformément à l'article 219, ni sur la partie des bénéfices qui sont affectés aux dépenses visées à l'article 198, § 1er, 9° et 12°, ni sur la partie des bénéfices provenant du non-respect de l'article 194 quater, § 2, alinéa 4 et de l'application de l'article 194 quater, § 4, ni sur les plus-values visées à l'article 217, 3°, ni sur les dividendes visés à l'article 219 ter. »
7 L'article 219 ter dudit code dispose :
« § 1er. Pour la période imposable au cours de laquelle des dividendes sont distribués au sens de l'article 18, alinéa 1er, 1° à 2° bis, une cotisation distincte est instaurée et calculée suivant les dispositions des paragraphes suivants ci-après.
Cette cotisation distincte est indépendante de, et est, le cas échéant, complémentaire à d'autres impositions qui sont dues en vertu d'autres dispositions du présent Code ou, le cas échéant, dans le cadre de la mise en œuvre de dispositions légales particulières.
§ 2. La base de cette cotisation distincte est constituée de la différence positive entre, d'une part, les dividendes bruts distribués pour la période imposable, et, d'autre part, le résultat imposable final qui est en fait soumis au taux d'impôt sur les sociétés visé aux articles 215 et 216.
§ 3. La base imposable ainsi établie est réduite de la partie des dividendes distribués qui est prélevée de réserves taxées antérieurement, et au plus tard au cours de l'exercice d'imposition 2014. Pour l'application de cette réduction, la prise en compte de réserves déjà taxées se fera en priorité sur les dernières réserves introduites.
Pour l'exercice d'imposition 2014, des dividendes distribués au cours de ce même exercice d'imposition ne peuvent jamais être pris en considération comme réserves taxées de ce même exercice d'imposition.
§ 4. Le solde obtenu est ensuite limité selon un pourcentage qui exprime le rapport entre :
– d'une part, au numérateur, la déduction des pertes reportées effectivement opérée pour la période imposable et la déduction pour capital à risque effectivement opérée pour la même période imposable, et,
– d'autre part, au dénominateur, le résultat fiscal de la période imposable à l'exclusion des réductions de valeur, provisions et plus-values exonérées.
§ 5. La base déterminée conformément aux paragraphes précédents ne pourra être limitée ou réduite d'aucune autre manière.
§ 6. La cotisation distincte est égale à 5 p.c. du montant ainsi calculé.
§ 7. Les sociétés qui, sur base de l'article 15 du Code des sociétés, sont considérées comme petites sociétés pour l'exercice d'imposition lié à la période imposable au cours de laquelle les dividendes sont distribués, ne sont pas soumises à ladite cotisation. »
8 L'article 233, troisième alinéa, du même code énonce :
« En outre, une cotisation distincte est établie selon les règles prévues à l'article 219 ter. Pour l'application de cette mesure, en ce qui concerne les établissements belges, on entend par “dividendes distribués”, la partie des dividendes bruts distribués par la société qui correspond à la partie positive du résultat comptable de l'établissement belge dans le résultat comptable global de la société. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
9 Au cours des années 2015 et 2016, Volvo Group Belgium a été soumise à des cotisations d'impôt sur les sociétés d'un montant de 1 056 466,18 euros, dont 1 052 467,14 euros procédaient de la fairness tax, au titre de l'exercice d'imposition de 2015 et d'un montant de 773 573,17 euros, dont 769 881,87 euros procédaient de la fairness tax, au titre de l'exercice d'imposition de 2016.
10 Dans le courant de l'année 2016, cette société a introduit des réclamations contre les décisions ayant établi ces cotisations en faisant valoir que la fairness tax était contraire aux règles de droit de l'Union, aux conventions tendant à éliminer la double imposition ainsi qu'à la Constitution belge. À cet égard, elle a fait observer qu'un recours en annulation était alors pendant devant le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle, Belgique) et que des questions préjudicielles avaient été posées par cette dernière à la Cour au sujet de la fairness tax et de sa compatibilité avec la liberté d'établissement consacrée à l'article 49 TFUE.
11 Par un arrêt du 1er mars 2018 de la Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle), les dispositions relatives à la fairness tax, à savoir les articles 43 à 49 et l'article 51, premier et deuxième alinéas, de la loi portant des dispositions diverses, du 30 juillet 2013, ont été annulées. À la suite de cet arrêt, les réclamations introduites par Volvo Group Belgium ont été rejetées comme étant non fondées par des décisions du 9 décembre 2019, eu égard au maintien, par cette dernière juridiction, des effets des dispositions annulées pour les exercices d'imposition 2014 à 2018.
12 Le 12 février 2020, Volvo Group Belgium a saisi le rechtbank van eerste aanleg Oost-Vlaanderen, afdeling Gent (tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand, Belgique), lequel, par un jugement du 4 février 2022, a annulé les décisions ayant établi les cotisations d'impôt sur les sociétés pour les exercices d'imposition 2015 et 2016 dans la mesure où elles imposaient une fairness tax à Volvo Group Belgium.
13 C'est contre ce jugement que l'État belge/Service public fédéral Finances a interjeté appel devant le hof van beroep te Gent (cour d'appel de Gand, Belgique), qui est la juridiction de renvoi.
14 La juridiction de renvoi s'interroge sur le point de savoir si la décision de la Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) de maintenir les effets des dispositions de la loi portant des dispositions diverses, du 30 juillet 2013, qu'elle avait annulées porte atteinte à la liberté d'établissement consacrée à l'article 49 TFUE dans la mesure où cette décision ne s'applique qu'aux filiales de sociétés non-résidentes, alors que les sociétés non-résidentes disposant d'un établissement stable en Belgique ne sont pas concernées par ce maintien et ne sont, par conséquent, pas soumises à la fairness tax.
15 Dans ces conditions, le hof van beroep te Gent (cour d'appel de Gand) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L'article 49 [TFUE] doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale telle que celle qui est contestée devant la cour d'appel (à savoir celle qui a été annulée par la Cour constitutionnelle mais dont les effets ont été maintenus, au mépris cependant de la liberté d'établissement en sorte que la réglementation nationale maintenue doit être laissée inappliquée à l'égard des bénéfices distribués par des sociétés établies dans un autre État membre ayant un établissement stable belge), et aux termes de laquelle
– un impôt est dû sur la distribution de bénéfices qui n'ont pas été inclus dans le résultat finalement imposable d'une société résidente envers laquelle une société établie dans un autre État membre exerce sur sa gestion une influence telle qu'elle peut déterminer ses activités,
– alors que cet impôt n'est pas dû sur les bénéfices en question, si cette société établie dans un autre État membre exerçait ses activités en Belgique par l'intermédiaire d'un établissement stable ou d'une succursale ? »
Sur la question préjudicielle
16 Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à la réglementation d'un État membre en vertu de laquelle une filiale résidente d'une société non-résidente est assujettie à un impôt dit « fairness tax » portant sur la distribution de bénéfices qui, en raison de l'utilisation de certains avantages fiscaux prévus par le régime fiscal national, ne se retrouvent pas dans le résultat imposable final de cette filiale, tandis qu'une société non-résidente exerçant une activité économique dans cet État membre par l'intermédiaire d'un établissement stable ou d'une succursale n'est pas assujettie à cet impôt.
17 À titre liminaire, il convient de relever que le gouvernement belge indique, dans ses observations écrites, que, à la différence de ce que ferait valoir la juridiction de renvoi, le maintien des effets de la fairness tax décidé par le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) peut concerner non seulement les filiales des sociétés non-résidentes mais également les établissements stables de ces dernières. En effet, cette juridiction aurait maintenu la fairness tax pour les exercices d'imposition 2014 à 2018 de manière générale, la seule exception étant la situation dans laquelle une filiale étrangère distribue des bénéfices à une société mère belge qui entre dans le champ d'application de la directive 2011/96/UE du Conseil, du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents (JO 2011, L 345, p. 8).
18 À cet égard, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier l'étendue de la décision de maintien des effets de la fairness tax prise par le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle). Cependant, il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre du système de coopération judiciaire établi à l'article 267 TFUE, de vérifier ou de remettre en cause l'exactitude de l'interprétation du droit national faite par le juge national, cette interprétation relevant de la compétence exclusive de ce dernier. Aussi, la Cour doit-elle, lorsqu'elle est saisie à titre préjudiciel par une juridiction nationale, s'en tenir à l'interprétation du droit national qui lui a été exposée par ladite juridiction (voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 2022, Instituto do Cinema e do Audiovisual, C‑411/21, EU:C:2022:836, point 16 et jurisprudence citée).
19 Ainsi, il convient, dans le cadre de l'examen de la question préjudicielle et conformément à l'interprétation fournie par la juridiction de renvoi, de partir de la prémisse que le maintien des effets de la fairness tax s'applique non pas aux établissements stables des sociétés non-résidentes mais uniquement aux filiales de ces dernières, telles que Volvo Group Belgium.
20 La liberté d'établissement, que l'article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants de l'Union européenne, comporte pour eux l'accès aux activités non salariées et l'exercice de celles-ci ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l'État membre d'établissement pour ses propres ressortissants. Elle comprend, conformément à l'article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union, le droit d'exercer leur activité dans l'État membre concerné par l'intermédiaire d'une filiale, d'une succursale ou d'une agence (arrêt du 17 mai 2017, X, C‑68/15, EU:C:2017:379, point 39 et jurisprudence citée).
21 S'agissant du siège d'une société, au sens de l'article 54 TFUE, celui-ci sert à déterminer, à l'instar de la nationalité des personnes physiques, le rattachement de cette société à l'ordre juridique d'un État. Ainsi, l'application d'une législation fiscale nationale telle que celle en cause au principal à une société résidente, y compris une filiale résidente d'une société non‑résidente, d'une part, et à une succursale ou un établissement stable d'une société non‑résidente, d'autre part, concerne le traitement fiscal, respectivement, d'une société résidente et d'une société non-résidente (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, Cofidis, C‑340/22, EU:C:2023:1019, point 36 et jurisprudence citée).
22 Ainsi qu'il ressort de l'article 49, premier alinéa, seconde phrase, TFUE, une possibilité expresse est prévue pour les opérateurs économiques de choisir librement la forme juridique appropriée pour l'exercice de leurs activités dans un autre État membre. Ce libre choix ne doit pas être limité par des dispositions fiscales discriminatoires (arrêt du 21 décembre 2023, Cofidis, C‑340/22, EU:C:2023:1019, point 38 et jurisprudence citée).
23 La liberté de choisir la forme juridique appropriée pour l'exercice d'activités dans un autre État membre a ainsi, notamment, pour objet de permettre aux sociétés ayant leur siège dans un État membre d'ouvrir une succursale dans un autre État membre pour y exercer leurs activités dans les mêmes conditions que celles qui s'appliquent aux filiales (arrêts du 23 février 2006, CLT-UFA, C‑253/03, EU:C:2006:129, point 15 ; du 6 septembre 2012, Philips Electronics UK, C‑18/11, EU:C:2012:532, point 14 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 décembre 2023, Cofidis, C‑340/22, EU:C:2023:1019, point 39).
24 Or, selon une jurisprudence constante, doivent être considérées comme étant des restrictions à la liberté d'établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l'exercice de la liberté garantie à l'article 49 TFUE (arrêt du 7 septembre 2017, Eqiom et Enka, C‑6/16, EU:C:2017:641, point 54 ainsi que jurisprudence citée).
25 S'agissant plus particulièrement de dispositions fiscales, il résulte de la jurisprudence de la Cour qu'il appartient à tout État membre d'aménager, dans le respect du droit de l'Union, son système fiscal relatif à l'imposition de bénéfices, pour autant que ces bénéfices relèvent de la compétence fiscale de l'État membre concerné. Il en découle que l'État membre d'accueil est libre de déterminer le fait générateur de l'impôt, l'assiette imposable ainsi que le taux d'imposition qui s'appliquent aux différentes formes d'établissements des sociétés opérant dans cet État membre, sous réserve d'accorder aux sociétés non-résidentes un traitement qui ne soit pas discriminatoire par rapport aux établissements nationaux comparables (arrêt du 17 mai 2017, X, C‑68/15, EU:C:2017:379, point 41 et jurisprudence citée).
26 En l'occurrence, sous réserve d'une vérification à effectuer par la juridiction de renvoi, la décision de maintenir les effets de la fairness tax affecte les sociétés non-résidentes dans la mesure où elles exercent leurs activités économiques en Belgique par l'intermédiaire d'une filiale et non pas par l'intermédiaire d'un établissement stable ou d'une succursale. Il apparaît ainsi que le maintien des effets de la fairness tax ne permet pas aux filiales des sociétés non-résidentes d'exercer leurs activités dans les mêmes conditions que celles qui s'appliquent aux établissements stables de telles sociétés, de sorte que, au regard de la réglementation nationale, ces premières sont désavantagées par rapport aux seconds.
27 Dans ces conditions, une telle décision de maintien est susceptible de rendre moins attrayant, pour les sociétés ayant leur siège dans un autre État membre, l'exercice de leurs activités en Belgique par l'intermédiaire d'une filiale (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2017, Eqiom et Enka, C‑6/16, EU:C:2017:641, points 55 et 56).
28 Or, une différence de traitement de nature à limiter le libre choix de la forme juridique appropriée pour l'exercice d'une activité dans un autre État membre, au sens de la jurisprudence rappelée au point 22 du présent arrêt, est susceptible de constituer une restriction à la liberté d'établissement garantie aux articles 49 et 54 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, Cofidis, C‑340/22, EU:C:2023:1019, point 47).
29 Pour que cette différence de traitement soit compatible avec les dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement, il faut, selon une jurisprudence constante, qu'elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu'elle soit justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général (arrêts du 21 décembre 2023, Cofidis, C‑340/22, EU:C:2023:1019, point 48, ainsi que du 2 septembre 2015, Groupe Steria, C‑386/14, EU:C:2015:524, point 21 et jurisprudence citée).
30 S'agissant de la comparabilité objective de situations, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu'il s'agit de comparer une situation transfrontalière avec une situation interne. Afin de distinguer une situation transfrontalière d'une situation interne, il convient de se référer au siège des sociétés en cause, lequel, ainsi que cela a été relevé au point 21 du présent arrêt, sert à déterminer le rattachement d'une société à l'ordre juridique d'un État. Il s'ensuit que l'application d'une législation fiscale nationale telle que celle en cause au principal à une filiale résidente d'une société non-résidente, d'une part, et à un établissement stable résident d'une telle société, d'autre part, concerne le traitement fiscal, respectivement, d'une société résidente et d'une société non-résidente (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2017, X, C‑68/15, EU:C:2017:379, points 35 et 36 ainsi que jurisprudence citée).
31 Cette comparaison objective est effectuée en tenant compte de l'objectif poursuivi par la législation fiscale nationale en cause (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2017, X, C‑68/15, EU:C:2017:379, point 51 et jurisprudence citée).
32 À cet égard, la Cour a relevé ce qui suit, en ce qui concerne la comparabilité des situations et l'objectif poursuivi par la législation belge sur la fairness tax, telle qu'elle était alors en vigueur. À l'égard d'une législation fiscale de l'État membre d'accueil tendant à éviter que les bénéfices générés dans cet État, en raison de l'utilisation de certains avantages fiscaux prévus par le régime fiscal national, ne soient distribués sans avoir été imposés au nom du contribuable, la situation d'un contribuable non-résident exerçant une activité économique dans ledit État membre par l'intermédiaire d'un établissement stable est comparable à celle d'un contribuable résident. En effet, dans les deux cas, cette législation fiscale vise à permettre à ce même État d'exercer son pouvoir d'imposition sur les bénéfices relevant de sa compétence fiscale (arrêt du 17 mai 2017, X, C‑68/15, EU:C:2017:379, point 52 et jurisprudence citée).
33 Or, dans l'affaire au principal, les établissements stables et les succursales des sociétés non-résidentes ne sont pas soumis à la fairness tax.
34 Il s'ensuit que, dans le cadre de la décision de maintien des effets de la fairness tax, telle qu'interprétée par la juridiction de renvoi, le Royaume de Belgique n'exerce plus son pouvoir d'imposition sur les bénéfices des établissements stables ou des succursales des sociétés non-résidentes. Partant, ces sociétés non-résidentes ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des sociétés résidentes, telles qu'une filiale d'une société non-résidente.
35 Par conséquent, dans une situation telle que celle en cause au principal, aucune restriction à la liberté d'établissement garantie à l'article 49 TFUE ne saurait être constatée.
36 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que l'article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à la réglementation d'un État membre en vertu de laquelle une filiale résidente d'une société non-résidente est assujettie à un impôt dit « fairness tax » portant sur la distribution de bénéfices qui, en raison de l'utilisation de certains avantages fiscaux prévus par le régime fiscal national, ne se retrouvent pas dans le résultat imposable final de cette filiale, tandis qu'une société non-résidente exerçant une activité économique dans cet État membre par l'intermédiaire d'un établissement stable ou d'une succursale n'est pas assujettie à cet impôt.
Sur les dépens
37 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
L'article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à la réglementation d'un État membre en vertu de laquelle une filiale résidente d'une société non-résidente est assujettie à un impôt dit « fairness tax » portant sur la distribution de bénéfices qui, en raison de l'utilisation de certains avantages fiscaux prévus par le régime fiscal national, ne se retrouvent pas dans le résultat imposable final de cette filiale, tandis qu'une société non-résidente exerçant une activité économique dans cet État membre par l'intermédiaire d'un établissement stable ou d'une succursale n'est pas assujettie à cet impôt.