Cass. com., 27 novembre 2024, n° 22-23.244
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme de Lacaussade
Avocat :
SARL Gury & Maitre
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 15 septembre 2022), MM. [U] et [M] sont bénéficiaires économiques de deux sociétés de participation financières de droit luxembourgeois, la SA Petrolog Investments, dont chacun détient un tiers des titres et SA Sp soc Investment, dont ils se partagent à parité le capital (les Soparfi).
2. Jusqu'à mi 2010, la SA Petrolog Investments détenait 90 % de la société par actions Petrolog (la société Petrolog) et la SA Sp soc Investment détenait 51 % de la société par actions simplifiée International cargo airline (la société Icar).
3. Par actes sous seing privé du 10 janvier 2007, MM. [U] et [M] se sont donné réciproquement mandats pour mener toute action nécessaire pour chacune des Soparfi.
4. Les 31 juillet et 18 août 2010, des augmentations de capital par création d'actions ont été votées par les actionnaires de la société Petrolog réunis en assemblée générale extraordinaire, de telle sorte que la participation de la SA Petrolog Investments dans cette dernière a été ramenée à 14 %.
5. Les 17 juin et 23 juillet 2010, des augmentations de capital par création d'actions ont été votées par les actionnaires de la société Icar réunis en assemblée générale extraordinaire, de telle sorte que la participation de la SA Sp soc Investment dans cette dernière a été ramenée à 8 %.
6. Le 18 octobre 2010, l'assemblée générale extraordinaire des sociétés Petrolog et Icar a inséré dans les statuts de chacune des entités concernée une clause d'exclusion de plein droit en cas de refus de tout associé personne morale de justifier sur première demande du président l'identité précise de ses propres associés personnes physiques au terme d'une éventuelle chaîne de participations.
7. Le 28 décembre 2010, l'assemblée générale extraordinaire de la société Petrolog a constaté l'exclusion de plein droit de la SA Petrolog Investments de son actionnariat en exécution de la clause statutaire d'exclusion puis a décidé la sortie du capital de la société Petrolog de la SA Petrolog Investments par rachat puis l'annulation de ses actions, matérialisée par une réduction du capital de la société Petrolog. A l'expiration du délai d'opposition, ce rachat a été constaté par décision du président de la société du 7 février 2011, publiée le 2 mars 2011 au registre du commerce et des sociétés.
8. De même, début 2011, la SA Sp soc Investment a été exclue de l'actionnariat de la société Icar à la suite du rachat de ses actions.
9. Le 9 juillet 2015, M. [U] (le mandant) a révoqué les mandats consentis à M. [M].
10. Les 26 et 29 février 2016, M. [U] a assigné M. [M] en responsabilité.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
11. M. [M] fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action, alors « que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'en l'espèce, pour rejeter l'exception tirée de la prescription de l'action en responsabilité contractuelle engagée par M. [U] soulevée par M. [M], la cour a considéré que M. [U] n'avait pas eu connaissance des décisions concernant la société Petrolog avant leur publication au registre du commerce et des sociétés, le 2 mars 2011, et énoncé, s'agissant de la société Icar, qu'il n'avait pas été établi que les décisions relatives à cette société avaient été adoptées puis publiées au RCS ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher si, en l'état des graves dissensions existant entre M. [M] et M. [U] depuis juin 2010, M. [U], à la fois bénéficiaire économique en tant que porteur de titres des deux sociétés de participation financière, et titulaire de deux mandats de gestion des sociétés luxembourgeoises consentis par M. [M], avait manqué à une vigilance élémentaire sur le fonctionnement de ces sociétés en se désintéressant de leur gestion jusqu'en juin 2015, et s'il en résultait dès lors qu'il aurait dû avoir connaissance des décisions prises en 2010, de sorte que la prescription quinquennale avait commencé à courir à compter de ces décisions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
12. Vu l'article 2224 du code civil :
13. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
14. Pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription, l'arrêt, après avoir énoncé que, si le dommage invoqué par M. [U] s'est réalisé à la date à laquelle les deux Soparfi dans lesquelles il détenait des titres ont été exclues du capital social des deux sociétés françaises, le délai de prescription court à compter du jour où M. [U] en a eu connaissance, retient que ce dernier n'a eu connaissance de ces exclusions, s'agissant de la société Petrolog, qu'à partir de la publication, le 2 mars 2011, au registre du commerce et des sociétés de la décision de son président constatant l'expiration du délai d'opposition à la réduction de son capital, la réalisation de la condition suspensive et l'annulation des actions appartenant à la société Pretolog Investments, et, s'agissant de la société Icar, en l'absence de publication d'une décision d'assemblée générale relative à l'exclusion ou d'une décision du président actant le « rachat des parts » qu'à compter de la réunion du 9 juillet 2015 avec l'administrateur des Soparfi, au cours de laquelle les mandats ont été révoqués.
15. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, dans le contexte de la forte dégradation des relations entre les deux associés et du désintérêt de M. [U] pour la gestion des deux Soparfi, celui-ci n'aurait pas dû faire preuve d'une vigilance élémentaire qui lui aurait permis de prendre connaissance, dès qu'elles ont été adoptées, de la teneur des décisions génératrices des dommages dont il demande réparation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.