CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 12 décembre 2024, n° 21/16134
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Luxottica Group Spa (Sté), Luxottica France (Sasu), Luxottica Srl (Sté), Sunglass Hut Ireland Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maitrepierre
Conseillers :
M. Barbier, Mme Fenayrou
Avocats :
Me Boccon-Gibod, Me Saint-Esteben, Me Rameau, Me Gérard
FAITS ET PROCÉDURE
I. LE SECTEUR
A. Les produits concernés : montures de lunettes de vue et lunettes de soleil
1.Les pratiques ayant donné lieu à la décision de l'Autorité de la concurrence (ci-après, « l'Autorité ») n° 21-D-20 du 22 juillet 2021 « relative à des pratiques mises en 'uvre dans le secteur des lunettes et montures de lunettes » (ci-après, « la décision attaquée »), portent sur les montures de verres correcteurs et les lunettes de soleil, produits qui font l'objet d'opérations de marketing à destination des consommateurs par le biais de la valorisation de marques.
2.Il est notoire, dans ce secteur économique, que les opérations de promotion commerciale destinées aux consommateurs sont importantes et fréquentes (2ème paire offerte, par exemple).
3.Les pratiques en cause ne concernent pas les verres correcteurs.
B. Le fournisseur : le groupe Luxottica
4.Le fournisseur sanctionné par l'Autorité est le groupe italien Luxottica. Il s'agit du premier fournisseur mondial et européen de lunettes.
5.Le groupe Luxottica a à sa tête la société Luxottica Group SpA, holding du groupe qui détient, notamment, directement ou indirectement, l'intégralité de :
' la société Luxottica France SASU ' anciennement Luxottica France SA jusqu'au 10 avril 2002, puis Luxottica France SARL jusqu'au 29 juin 2007 ' qui est chargée de l'« exploitation de tous fonds de commerce de vente en gros de lunettes, de toute opération commerciale, d'importation ou d'exportation ayant trait à la fabrication, à l'achat ou à la vente de lunettes comportant des métaux précieux et/ou des gemmes » depuis au moins 1999 ;
' la société Sunglass Hut Ireland Limited, qui a absorbé la société Luxottica Trading & Finance Limited le 1er décembre 2016, qui était elle aussi détenue intégralement par la société Luxottica Group SpA depuis 2005 ; et
' la société Luxottica SpA ' devenue Luxottica Srl le 26 juillet 2001 ' depuis au moins 1999.
6.L'ensemble de ces sociétés seront dénommées ci-après, collectivement, « Le groupe Luxottica » ou plus simplement « Luxottica ». Les groupes Luxottica et Essilor ont fusionné pour former le groupe EssilorLuxottica postérieurement aux pratiques ayant donné lieu aux pratiques en cause.
C. Les marques : Chanel, Ray-ban et autres
7.Luxottica détient, fabrique et commercialise en propre des marques à forte notoriété, telles que Ray-Ban (depuis 1999), Persol (depuis 1995) et Oakley (depuis 2007). Le groupe dispose également d'un portefeuille important de marques de luxe, comme Chanel, sous contrat de licence, ou encore Armani, Michael Kors et Valentino.
8.La situation de la marque Chanel appelle quelques commentaires.
9.Comme la décision attaquée le précise (§ 49 à 51), Chanel est une maison de luxe, présente dans plusieurs secteurs d'activité (haute couture, prêt-à-porter, parfums et cosmétiques, accessoires, etc.). La branche lunettes du groupe Chanel est gérée en France par la société Chanel Coordination SAS. Les lunettes Chanel sont fabriquées à titre principal par la société Luxottica depuis 1999 et, à l'exception de quelques modèles directement vendus dans les boutiques propres de Chanel, sont distribuées dans le cadre d'un réseau de distribution sélective mis en place par Luxottica. La société Chanel Coordination SAS est chargée de la formation de la « force de vente » chez Luxottica, s'agissant de l'image, de la culture, de l'histoire de la marque et de la réalisation d'audits relatifs à la qualité des magasins.
D. Les réseaux de distribution et les opticiens indépendants
10.Les distributeurs de montures de lunettes de vue et de lunettes de soleil se répartissent entre opticiens, en relation directe avec les consommateurs, et réseaux d'opticiens, en contact avec une partie des précédents.
11.Il résulte de la décision attaquée (§ 72 à 79), non critiquée sur ce point, qu'il existe cinq réseaux d'opticiens principaux.
12.Le Groupement d'achats des opticiens lunetiers (ci-après « GADOL »), connu sous l'enseigne Optic 2000, est une société anonyme coopérative à capital variable de commerçants détaillants, ayant pour activité les achats en commun de produits d'optique-lunetterie. Il détient notamment les enseignes Optic 2000 et Lissac.
13.La société Krys Group Services SA (ci-après, « Krys ») était dénommée Guildinvest jusqu'en 2011. Elle constitue un acteur important de la distribution de produits optiques en France et est détenue à 87,48 % par la Guilde des Lunetiers, une société anonyme coopérative à conseil d'administration dont les membres sont les opticiens des enseignes Krys, Vision Plus, Lynx Optique et Opticien Lun's.
14.Krys détient la centrale d'achat dénommée Centrale des opticiens (CDO), à destination d'opticiens indépendants, ainsi que 99,9 % de la société Codir qui exerce une activité de centrale d'achat et de revente pour le compte des adhérents des enseignes du groupe.
15.La société GrandVision SA, compte depuis 2011 les divisions Générale d'Optique et Grand Optical, auparavant constituées sous forme de sociétés indépendantes. Elle est la filiale à 100 % du groupe éponyme, l'un des leaders européens et mondiaux de la distribution au détail de produits d'optique-lunetterie. Ce groupe a fusionné, postérieurement aux pratiques en cause, avec les groupes Essilor et Luxottica.
16.La société Alain Afflelou Franchiseur SA est la société opérationnelle en France du groupe Alain Afflelou. Elle exerce une activité de centrale de référencement et de paiement des fournisseurs pour le compte du réseau des magasins franchisés exploités sous les enseignes Alain Afflelou (772 en 2015). Elle exploite par ailleurs, par le biais de sa filiale l'Opticien Afflelou, quelques magasins succursalistes situés en France.
17.La société Optical Center a été créée en 1991. Elle comptait 280 magasins franchisés et 98 succursales en 2013.
18.Nombre d'opticiens sont indépendants et ne dépendent pas des réseaux précités.
19.Une étude intitulée « Le panorama du marché » (cote 28 548, annexe 619), parue en 2012 dans le hors-série du magazine édité par l'Observatoire de l'optique intitulé « Les chiffres du marché 2012 », menée au cours de la période des pratiques reprochées, donne une vue d'ensemble des distributeurs.
20.Les données issues de cette étude, non critiquée, permettent de distinguer les enseignes selon le circuit de distribution : succursales et franchises ; centres mutualistes ; enseignes coopératives ; indépendants, enseignes locales et micro chaines.
21.Ces données permettent ainsi de connaître, pour l'année 2012, le nombre de magasins (11 874) et le chiffre d'affaires du secteur (6 277 M €), ainsi que de déterminer la part de marché de chaque enseigne ou groupe, en nombre de magasins et en chiffre d'affaires.
22.Il en ressort que les cinq groupes de réseaux d'opticiens précités réalisaient 57 % du chiffre d'affaires du secteur en exploitant 38 % des points de vente. Les distributeurs qui ne dépendaient pas de ces réseaux (indépendants, enseignes locales, micro chaines, etc.) représentaient, corrélativement, près de 62 % des magasins, et réalisaient près de 43 % du chiffre d'affaires du marché de la distribution optique (pour 2012).
23.Les relations contractuelles qui s'établissent entre les différents acteurs du marché peuvent être synthétisées dans le schéma qui suit, repris de la notification de griefs du 13 février 2015, § 38, et non critiqué.
Schéma des relations contractuelles (NG 2015 ; § 38)
II. PROCÉDURE
A. Déroulement de la procédure
24.À la suite d'enquêtes administratives, l'Autorité a procédé à des opérations de visites et saisies le 24 juin 2009 qui ont concerné les principaux fabricants, dont Luxottica France, et les réseaux d'opticiens précités.
25.L'Autorité s'est saisie d'office de pratiques mises en 'uvre dans le secteur des lunettes et montures de lunettes par une décision 10-SO-05 du 9 septembre 2010. Par une autre décision 11-SO-04 du 29 avril 2011, l'Autorité s'est saisie de pratiques mises en 'uvre dans le secteur de l'optique-lunetterie de détail à la Réunion. Ces deux saisines ont été jointes par décision du 9 janvier 2013 (cote 24188).
26.Deux notifications de griefs ont été établies, les 13 février 2015 et 28 mars 2019, la première ayant fait l'objet d'une rectification le 3 juin 2015 qui ne concerne pas Luxottica.
27.L'existence de deux notifications de griefs en 2015 et en 2019 s'explique par la décision du collège de l'Autorité de renvoyer l'affaire aux services de l'instruction (décision n° 17-S-01 du 24 février 2017).
28.La notification de griefs de 2015 comportait un premier grief portant sur la liberté tarifaire. Ce grief a été retenu par la décision attaquée.
29.La notification de griefs de 2019 comportait trois griefs. Le deuxième grief portait également sur la liberté tarifaire. Il n'a pas été retenu par la décision attaquée, qui précise ce qui suit (§ 779 s.) :
« (') il n'y a pas lieu de retenir le grief notifié le 28 mars 2019 à Chanel et à Luxottica portant sur la restriction de la liberté tarifaire des distributeurs agréés pour la marque Chanel. »
« S'agissant de la période du 17 avril 2005 au 1er octobre 2014, il a été établi que Luxottica a mis en 'uvre une entente avec l'ensemble de ses distributeurs, y compris donc avec les détaillants agréés pour les marques précitées, visant à maintenir un certain niveau de prix dans son réseau de distribution sur le fondement, notamment, des pièces mentionnées ci-avant (voir les paragraphes 742 et 743 ci-dessus). Dès lors que ces faits ont déjà été qualifiés au regard des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE, il est inutile de rechercher s'ils peuvent recevoir une seconde qualification au titre des mêmes dispositions ».
S'agissant de la période du 2 octobre 2014 au 28 mars 2019, également visée par le grief n° 2 notifié le 28 mars 2019, il apparaît que les clauses contractuelles sur lesquelles se sont appuyés les services d'instruction ne suffisent pas, à elles seules, à démontrer l'existence d'une entente verticale en vue de, comme libellé dans le grief, 'limiter et/ ou interdire les promotions tarifaires appliquées et/ou envisagées par les distributeurs agréés pour les marques précitées, ce qui a restreint la liberté tarifaire de ces derniers et constitue ainsi une pratique anticoncurrentielle en tant que telle'. Par ailleurs, le dossier ne comporte aucun autre indice suffisamment probant relatif à cette période.
Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de retenir le grief du 28 mars 2019 portant sur une entente entre Luxottica et certains de ses distributeurs agréés. »
30.Le premier des griefs de la notification de 2019 ne concernait pas Luxottica. Le troisième de ces griefs portait sur l'interdiction de vendre en ligne et a été retenu par la décision attaquée.
B. Les griefs retenus par la décision attaquée
' Le grief relatif à la restriction tarifaire
31.Ce grief est ainsi rédigé (soulignement ajouté) :
« Il est fait grief aux sociétés Luxottica France SASU, (') en tant qu'auteure et à Luxottica Group SpA, (') en tant que société mère de s'être entendues, depuis au moins 2005 jusqu'à aujourd'hui [13 février 2015], avec l'ensemble de ses distributeurs, pour fixer le prix de vente aux consommateurs et faire obstacle à la libre fixation des prix par le libre jeu de la concurrence, en violation des dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce et de l'article 101, paragraphe 1 du TFUE.
Cette pratique n'entre pas dans le champ d'exemption du règlement n° 2790/1999 de la Commission du 22 décembre 1999, règlement concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité (article 101, paragraphe 1 du TFUE) à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées ni du règlement n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010, concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées. »
' Le grief relatif à l'interdiction de vente par correspondance
32.Ce grief comprend deux branches et est ainsi rédigé :
' 1ère branche
« Il est fait grief à :
- Chanel SAS (N° R.C.S : 542 052 766 00012 Nanterre) sise [Adresse 6] - [Localité 15] - France, de 1999 à 2014 en tant qu'auteure,
- Chanel Coordination SAS (RCS : 393068 077) sise [Adresse 4], [Localité 10]-France, en tant qu'auteure,
- Chanel International BV, société de droit néerlandais (enregistrée sous le numéro 005631701) sise [Adresse 18], [Localité 2], Pays-Bas en tant que société mère,
- Arnam Sarl, société de droit luxembourgeois (RCS : B73680), sise [Adresse 9], [Localité 5] - Luxembourg, en tant que société mère, et
- Luxottica France SASU (anciennement Luxottica France SA, puis Luxottica SARL) (N° R.C.S : 334 705 332 Grasse) sise [Adresse 13] - [Localité 1] - France, en tant qu'auteure,
- Luxottica S.p.a, devenue Luxottica Sri, société de droit italien (enregistrée sous le numéro 00064820251) sise [Localité 8] (BL) [Adresse 22] [Localité 8] Italie, en tant qu'auteure.
- Sunglass Hut Ireland Limited (enregistrée sous le n° 223263) (venant aux droits de Luxottica Trading and Finance, société de droit irlandais, (n° 411650)) sise [Adresse 21], [Localité 17], Irlande, en tant qu'auteure,
- Luxottica Group SpA, société de droit italien (en registrée sous le n° 00891030272 Milan) sise [Adresse 20] [Localité 7] - Italie en tant qu'auteure et mère ;
de s'être entendues, depuis le mois de mai 1999 jusqu'au 31 décembre 2014 pour interdire, aux distributeurs agréés pour la marque Chanel, la vente par correspondance ' laquelle inclut la vente sur internet ' des montures de lunettes et lunettes solaires sur le marché de détail.
Cette pratique est prohibée par l'article 81 paragraphe 1 du traité CE devenu 101, paragraphe 1 du TFUE, ainsi que par l'article L. 420-1 du code de commerce et n'entre pas dans le champ d'exemption du règlement n° 2790/1999 de la Commission du 22 décembre 1999, règlement concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité (article 101, paragraphe 3 du TFUE) à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées ni du règlement n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010, concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées ».
' 2ème branche
« Il est fait grief aux sociétés Luxottica France SASU, (N° R.C.S : 334 705 332 Grasse) sise [Adresse 13] - [Localité 1] - France en tant qu'auteure et Luxottica Group SpA, société de droit italien (immatriculée 00891030272 Milan) sise [Adresse 20]- [Localité 7] - Italie en tant que société mère,
de s'être entendues avec :
- les distributeurs agréés pour la marque Chanel depuis le 14 juin 2002 jusqu'au 11 février 2013,
- les distributeurs agréés pour la marque Prada/Prada Line Rosa depuis le 30 octobre 2006 jusqu'au 11 février 2013,
- les distributeurs agréés pour la marquer Dolce&Gabbana depuis le 5 mars 2008 jusqu'au 11 février 2013,
- les distributeurs agréés pour la marque Bulgari depuis le 16 mai 2008 jusqu'au 11 février 2013,
- pour interdire à ces distributeurs la vente par correspondance ' laquelle inclut la vente sur internet ' des montures de lunettes et lunettes solaires.
Cette pratique est prohibée par l'article 81 paragraphe 1 du traité CE devenu 101, paragraphe 1 du TFUE, ainsi que par l'article L. 420-1 du code de commerce et n'entre pas dans le champ d'exemption du règlement n° 2790/1999 de la Commission du 22 décembre 1999, règlement concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité (article 101, paragraphe 3 du TFUE) à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées ni du règlement n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010, concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées ».
C. La décision attaquée, n° 21-D-20 du 22 juillet 2021
' Sur le premier grief
33.Au titre du premier grief, l'Autorité a déclaré établie la pratique visant à limiter la liberté tarifaire de l'ensemble des distributeurs de Luxottica France SASU, s'agissant de la vente de lunettes solaires et des montures de lunettes de vue. Elle a retenu que cette pratique avait été mise en 'uvre du 17 mai 2005 au 1er octobre 2014 inclus (article 3).
34.Elle a prononcé solidairement contre Luxottica France SASU, en tant qu'auteure, et Luxottica Group SpA, en tant que mère, une amende de 124 477 000 euros (articles 3 et 9 du dispositif).
35.L'Autorité a également constaté la prescription des faits visés par ce grief s'agissant des réseaux de distribution précités, à savoir : la société Alain Afflelou Franchiseur SA, la société GADOL, les sociétés GrandVision France SAS et GrandVision SA, la société Krys Group Services SA et la société Optical Center (article 1).
' Sur le second grief
36.Au titre du second grief, l'Autorité a déclaré établies les pratiques :
' d'une part, consistant à avoir mis en 'uvre des pratiques visant à interdire la vente en ligne des lunettes solaires et des montures de lunettes de vue de marque Chanel, reprochée (notamment) à :
' Luxottica Srl, en tant qu'auteure, et Luxottica Group SpA, en tant que société mère, du 5 mai 1999 au 29 janvier 2008,
' Sunglass Hut Ireland Limited, Luxottica Group SpA en tant qu'auteures, et Luxottica Group SpA, en tant que société mère, du 30 janvier 2008 au 31 décembre 2014,
' Luxottica France SASU, en tant qu'auteure, et Luxottica Group SpA, en tant que société mère, du 5 mai 1999 au 31 décembre 2014 (article 7).
' d'autre part, visant à interdire la commercialisation en ligne de lunettes solaires et des montures de lunettes de vue aux détaillants agréés par Luxottica pour les marques
a) Chanel, du 14 juin 2002 au 11 février 2013 ;
b) Prada et Prada Linea Rossa, du 30 octobre 2006 au 11 février 2013 ;
c) Dolce & Gabbana du 5 mars 2008 au 11 février 2013 ; et
d) Bulgari, du 16 mai 2008 au 11 février 2013 (article 8).
37.Elle a infligé les sanctions suivantes :
' 243 000 euros, solidairement aux sociétés Luxottica France SASU et Luxottica Group SpA (sanction figurant à l'article 11 au titre des pratiques visées aux articles 7 et art 8. a)) ;
' 86 400 euros, solidairement aux sociétés Luxottica Srl, en tant qu'auteure, et Luxottica Group SpA, en tant que société mère, et 70 600 euros, solidairement aux sociétés Sunglass Hut Ireland Limited et Luxottica Group SpA, en tant qu'auteures, et Luxottica Group SpA, en tant que société mère (sanction figurant à l'article 12 au titre des pratiques visées à l'article 7) ;
' 297 000 euros, solidairement aux sociétés Luxottica France SASU et Luxottica Group SpA (sanction figurant à l'article 13 au titre des pratiques visées à l'article 8 b), 8 c) et 8 d)).
D. Les recours
38.Les sociétés Luxottica France, Luxottica Group Spa, Luxottica Srl et Sunglass Hut Ireland Limited ont formé un recours contre cette décision de l'Autorité aux termes duquel elles demandent à la Cour :
Sur les articles 3 et 9 de la décision attaquée :
' de réformer la décision attaquée sur ces points ;
' statuant à nouveau, de juger que les conditions d'une interdiction au titre des articles 81 §1 du Traité CE puis 101 § 1 du TFUE, et L. 420-1 du code de commerce, ne sont pas réunies en l'espèce et,
' en conséquence, de juger n'y avoir lieu à quelconque sanction pécuniaire à l'encontre de Luxottica France SASU et Luxottica Group SpA ;
' de rappeler que l'arrêt de la Cour constitue un titre de restitution des fonds versés en application des dispositions reformées de la décision assortie de l'exécution provisoire ;
' d'ordonner la restitution des sommes acquittées par les requérantes sur le fondement de la décision attaquée avec intérêts au taux légal à compter de la notification de cette décision à Luxottica ;
' de juger que les intérêts échus produiront eux-mêmes des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,
Plus subsidiairement, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne :
' la question préjudicielle suivante : « Une entente entre un fournisseur et ses distributeurs ne portant pas sur un prix de revente fixe ou minimal déterminé mais sur un 'certain niveau de prix' lui-même indéterminé est-elle une restriction de concurrence par objet sur le fondement de l'article 101 § 1 TFUE ' »,
' ou, le cas échéant, celle qui suit : « La restriction caractérisée définie à l'article 4 a) du règlement (CE) n° 2790/99 et du règlement (UE) n° 339/2010 n'exclut-elle du bénéfice de l'exemption par catégorie que les ententes entre un fournisseur et ses distributeurs sur un prix de revente fixe ou minimal déterminé ou s'étend-elle aux ententes portant sur un 'certain niveau de prix' indéterminé ' »
' en conséquence, de surseoir à statuer sur le présent recours jusqu'à l'arrêt préjudiciel à intervenir de la Cour de justice de l'Union européenne ;
À titre infiniment subsidiaire,
' de réduire le montant de la sanction infligée à Luxottica France et Luxottica Group SpA,
' de rappeler que l'arrêt à intervenir constitue un titre de restitution des fonds versés en application des dispositions reformées de la décision attaquée assortie de l'exécution provisoire ;
' d'ordonner la restitution des sommes acquittées par les requérantes sur le fondement de la décision attaquée avec intérêts au taux légal à compter de la notification de cette décision à Luxottica ;
' de dire que les intérêts échus produiront eux-mêmes des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
Sur les articles 7, 8, 11, 12 et 13 de la décision attaquée :
' de réformer la décision attaquée sur ces points ;
' et, statuant à nouveau, de réduire le montant de la sanction infligée aux sociétés Luxottica France, Luxottica Group SpA, Luxottica Srl, Sunglass Hut Ireland Ltd et Luxottica Group SpA ;
' de rappeler que l'arrêt à intervenir constitue un titre de restitution des fonds versés en application des dispositions reformées de la décision assortie de l'exécution provisoire ;
' d'ordonner la restitution des sommes acquittées par les requérantes sur le fondement de la décision attaquée avec intérêts au taux légal à compter de la notification de cette décision à Luxottica ;
' de juger que les intérêts échus produiront eux-mêmes des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
En tout état de cause,
' de débouter l'Autorité de la concurrence de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
' de la condamner aux entiers dépens ;
' de la condamner à payer aux sociétés Luxottica France SASU, Luxottica Srl, Sunglass Hut Ireland Ltd et Luxottica Group SpA la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
39.L'Autorité, le ministre chargé de l'économie et le ministère public concluent au rejet des demandes des requérantes et à la confirmation de la décision attaquée.
MOTIVATION
I. SUR LA PRATIQUE DE RESTRICTION DE LA LIBERTÉ TARIFAIRE (PREMIER GRIEF PORTANT SUR LES ARTICLES 3 ET 9 DE LA DÉCISION ATTAQUÉE)
40.Les différentes questions soulevées par les moyens développés par Luxottica en rapport avec ce grief feront l'objet de développements portant (A) sur la preuve d'un accord de volontés (2ème et 3ème branches du 2ème moyen), (B) sur la portée et l'objet de l'accord (1er moyen), (C) sur la qualification des pratiques de restriction par objet (1ère et 4ème branches du 2ème moyen), (D) sur la prescription (4ème moyen), (E) sur les causes d'exemption (3ème moyen).
A. Sur la preuve d'un accord de volontés
' Sur l'absence d'un « niveau de prix » déterminé qui aurait été convenu pour chacune des marques en cause (2ème moyen, 2ème branche)
41.Dans la décision attaquée (§ 650 à 743), l'Autorité indique, en premier lieu, que Luxottica a invité les distributeurs à adopter un certain niveau de prix pour la revente de ses produits. Pour ce faire, il a manifesté sa volonté que les opticiens harmonisent les prix qu'ils pratiquaient, en les incitant à les relever, le cas échéant.
42.Le groupe a ainsi communiqué des prix conseillés, soit par la voie de catalogues pendant une partie de la période couverte par le grief (Chanel, Ray-ban), soit oralement, après avoir établi des listes marketing en interne, ou en transmettant des coefficients multiplicateurs à partir du prix de vente aux distributeurs. De nombreuses marques sont ainsi concernées et énumérées par la décision attaquée : Bulgari, Burberry, Chanel, D&G, DKNY, Dolce & Gabbana, Jil Sander, Miu Miu, Oakley, Persol, Polo Ralph Lauren, Prada, Ralph et Ralph Lauren, Ray-Ban, Sféroflex, Versace, ou encore, Vogue.
43.Les incitations à appliquer les prix conseillés ressortent, selon la décision attaquée, de diverses chartes de détaillant agréés (pour les marques Chanel, Prada, Burberry et Versace, par exemple) qui conditionnent les opérations promotionnelles à l'accord préalable de Luxottica, qui peut les interdire, ainsi que les rabais, au nom du prestige de la marque concernée. Les opérations promotionnelles devaient également, dans le cas de la marque Prada « être compatibles avec le voisinage » et ne pas être « sauvages ». S'agissant encore des opérations promotionnelles, Luxottica posait comme condition à la diffusion de matériel promotionnel que celui-ci ne mentionne pas de prix, ou à tout le moins, de prix inférieurs aux prix conseillés. La décision attaquée cite sur ce point divers exemples et auditions.
44.L'Autorité expose, dans la décision attaquée, que Luxottica surveillait les prix pratiqués par les opticiens, parfois par l'intermédiaire de leurs concurrents, et pouvait intervenir auprès de certains distributeurs qui ne respectaient pas ses consignes tarifaires. Enfin, l'Autorité relève que Luxottica a parfois sanctionné certains distributeurs en raison de leurs pratiques tarifaires, en fermant des comptes, par exemple.
45.En second lieu, elle estime que les distributeurs ont accepté l'encadrement contractuel des prix de revente. Ainsi, les enseignes Alain Afflelou et Grand Optical considéraient-elles que les contrats conclus avec les marques précitées (§ 42 du présent arrêt) leur interdisaient d'inclure les produits de ces marques dans leurs opérations promotionnelles. Diverses déclarations de distributeurs font ressortir que ceux-ci considéraient que les opérations de « discount » étaient interdites.
46.L'Autorité ajoute que l'étude économique produite par Luxottica n'est pas probante, et qu'en tout état de cause, les marques de Luxottica étaient exclues des rabais et de nombreuses opérations commerciales, les opticiens appliquant les prix conseillés. Elle relève encore que de nombreux distributeurs ont concouru à la surveillance des prix en lien avec Luxottica, procédant parfois à une « véritable police des prix ».
47.L'Autorité conclut qu'il résulte de l'ensemble des éléments du dossier que la pratique en cause est établie et ajoute qu'il n'importe que quelques entreprises qui avaient refusé d'adhérer à cette pratique n'aient pas fait l'objet de mesures de rétorsion, dès lors que les mesures de représailles de Luxottica qui ont été constatées ont été suivies d'effet.
48.Luxottica soutient, s'agissant du droit de la preuve, qu'en la matière, comme en matière pénale, il incombe aux autorités de la concurrence de rapporter la preuve de la culpabilité, sans qu'aucun doute subsiste. Ainsi, l'existence d'un doute dans l'esprit du juge doit profiter à l'entreprise et conduire à sa mise hors de cause. Il ajoute qu'il convient d'apprécier les documents dans leur ensemble pour en vérifier la portée probatoire, que des déclarations contradictoires sont de nature à faire naître un doute, que les preuves utilisées ne peuvent être vagues ou équivoques. Au cas d'espèce, il expose, citant des exemples, que nombre des déclarations recueillies par les services de l'instruction sont imprécises sur les points retenus à charge, dans certains cas manquent de crédibilité, sont équivoques, voire contradictoires. Il soutient que pour 70 % des marques (20/28), il n'est relevé par l'Autorité qu'un seul indice, ce qui ne permet pas de conclure dans leur cas à une preuve suffisamment corroborée. Il déplore, de façon générale, le très faible niveau probatoire des éléments retenus contre lui.
49.S'agissant des indices eux-mêmes, Luxottica soutient d'abord que l'élaboration de prix conseillés destinés à leur diffusion pour toutes les marques n'est pas établie. Il indique qu'hors le cas de Chanel, jusqu'au printemps 2010, et Ray Ban, jusqu'en juillet 2006, Luxottica n'a publié aucune liste de prix conseillés, que ce soit pour ces deux marques ou pour les autres, et que s'agissant de ces dernières, l'Autorité ne se fonde que sur des pièces vagues et imprécises. Il conteste ainsi, dans le cas de la marque Ray Ban, toute pertinence à une présentation interne datant du 25 août 2008, puisqu'il n'y est fait référence qu'à une fourchette et à un prix moyen allant de 94 € à 190 €. Il conteste encore la valeur probante des pièces retenues contre lui par la décision attaquée, tant s'agissant de la marque Oakley que des autres marques, les pièces en cause étant soit des pièces internes, de marketing, soit des auditions imprécises, dénuées de fiabilité.
50.Luxottica soutient qu'a fortiori, la communication de prix conseillés à l'ensemble des distributeurs pour l'ensemble des marques, pour toute la période, n'est pas établie. S'agissant de l'ensemble des marques, Luxottica met en exergue le caractère lacunaire, imprécis (notamment quant aux dates des faits allégués), et contradictoire, des pièces retenues (courriels, auditions), mentionnées en particulier aux tableaux 24 et 25 de la décision attaquée.
51.Le groupe conclut qu'il existe au moins autant d'indices d'absence de communication que d'indices de diffusion de prix conseillés pour les marques visées, Oakley, D&G, Bulgari, Persol, DKNY, Prada et Vogue, de sorte que ces éléments ne suffisent pas à démontrer la communication de prix conseillés par Luxottica (hormis Chanel jusqu'en 2010 et Ray-Ban jusqu'en 2006). Il ajoute qu'il n'existe qu'un seul indice selon l'Autorité (non pertinent selon Luxottica) dans le cas de nombreuses marques (Bulgari, DKNY, Persol, Prada, Vogue, Burberry, Miu Miu, Ralph Lauren, Versace) et conclut qu'aucune preuve de communication de prix conseillés pour une « part conséquente des marques de Luxottica » n'est donc rapportée.
52.Ainsi, la décision attaquée ne parvient-elle pas à établir à suffisance de droit la communication par Luxottica de prix de vente conseillés pour l'ensemble de ses marques avec une part significative de la distribution ni pour chaque réseau de distribution.
53.Luxottica expose qu'il n'est pas établi qu'il avait donné de consigne à l'ensemble de ses distributeurs de respecter de prétendus « prix imposés ». En ce sens, il procède à une critique des quatre indices qui lui sont opposés par l'Autorité au tableau 59 de la décision attaquée.
54.À titre infiniment subsidiaire, Luxottica soutient qu'il n'est pas établi que l'application des prétendus « prix conseillés » était considérée comme obligatoire par les distributeurs. Il rappelle, d'abord, qu'aucune étude quantitative (relevés de prix) n'a été produite par l'Autorité, tandis que le rapport établi par la BIECC de [Localité 19], dont la conclusion est opposée à celle de l'Autorité, est passé sous silence. Il continue par la critique de l'étude « Safilo », qui constitue la pierre angulaire de la thèse de l'Autorité. Luxottica conteste enfin toute valeur probante aux pièces que l'Autorité présente comme des indices dans les tableaux 61 et 43 de la décision attaquée, notamment. Ainsi, il note, s'agissant du tableau 43, que les déclarations qu'il recense ne sont pas probantes concernant Oakley (comme antérieures à 2007, année de la reprise de la marque par Luxottica), Ray Ban (antérieures à juillet 2006, période où Luxottica reconnaît avoir diffusé des prix conseillés pour cette marque), Prada (l'unique déclaration concerne une opération commerciale). Il critique l'argument en réponse de l'Autorité qui, procédant à une inversion de la charge de la preuve, indique que dans le cas de certaines auditions, les distributeurs n'ont pas dit qu'ils refusaient d'appliquer les tarifs conseillés.
55.S'agissant de la communication de coefficients multiplicateurs ' appliqués aux prix des produits vendus par Luxottica aux distributeurs ' Luxottica soutient que l'Autorité se trompe sur la nature et la portée des coefficients qu'elle lui oppose. Selon le fournisseur, l'existence de coefficients « historiques » n'implique pas la communication de coefficients conseillés aux distributeurs. Il dénie de nouveau, toute pertinence au rapport « Safilo » concernant la distribution de Chanel, comme à son étude interne et prévisionnelle concernant la marque Sfiroflex. Il dénie encore tout caractère probant aux courriels retenus par la décision attaquée (§ 185 et suivants), soit qu'il s'agisse d'un document interne, soit qu'il s'agisse de la transmission d'un coefficient à la demande d'un distributeur, dénuée de toute recommandation. Enfin, Luxottica relève le caractère imprécis, vague, non circonstancié, des quatre déclarations mentionnées au tableau 26 de la décision attaquée, et dont il ne peut être tiré la conclusion que Luxottica communiquerait des coefficients à ses distributeurs comme vecteurs de prix « conseillés ».
56.S'agissant de la diversité des coefficients, Luxottica relève que les coefficients historiques en usage sur le marché déclarés par les différents fournisseurs sont hétérogènes et que cette diversité se retrouve au sein des distributeurs, ce qui différencie cette affaire de celle dite « des Parfums ». Luxottica en conclut que cette diversité est incompatible avec l'existence d'un indice de communication générale par Luxottica de coefficients conseillés auprès de ses distributeurs.
57.S'agissant de l'autonomie tarifaire des distributeurs, Luxottica fait valoir qu'il existe au dossier de nombreuses déclarations d'opticiens attestant de leur totale liberté tarifaire, qui s'ajoutent aux seules déclarations que l'Autorité a énumérées au tableau 44 de la décision attaquée. Il cite ainsi seize exemples. Il dénie corrélativement toute précision ou pertinence aux déclarations mentionnées au tableau 43 et qui sont censées démontrer que les distributeurs considéraient qu'ils étaient fortement incités à appliquer certains niveaux de prix.
58.Luxottica expose encore que le dossier regorge de déclarations d'opticiens qui, à la question « comment déterminez-vous les prix de vente des montures (optiques et solaires) ' », répondent qu'ils appliquent leurs propres coefficients (vingt-neuf auditions citées). Il récuse toute valeur à l'argumentation de l'Autorité qui, en réponse, indique qu'il ne peut être exclu à la lecture de ces auditions, que les coefficients ont été déterminés à partir des recommandations du fournisseur. Luxottica souligne qu'il suffisait aux enquêteurs de demander comment était fixé le coefficient et s'il l'était sur ses instructions.
59.Luxottica rappelle encore que la BIECC de [Localité 19], au terme de son enquête sur la distribution des lunettes Chanel en 2006, a conclu que les résultats étaient contrastés et ne reflétaient pas d'uniformité dans les comportements des opticiens, et ce alors que l'enquête avait permis d'interroger un échantillon représentatif d'opticiens, rattachés aussi bien à des enseignes nationales que locales.
60.Enfin, Luxottica commente l'étude RBB qu'il a produit au cours de l'instruction, et dont il tire la conclusion qu'elle démontre l'absence d'application effective des prétendus prix conseillés sur les lunettes de soleil par les distributeurs. Au sujet de cette étude, il rappelle qu'elle a été établie à partir d'une base de données émanant d'un organisme reconnu, selon une méthodologie fiable, et après constitution d'un échantillon de cinquante-deux modèles en moyenne chaque année. Il note qu'à cet égard, cette étude est autrement plus fiable que l'étude Safilo sur laquelle l'Autorité se fonde. Il rejette la critique de l'Autorité selon laquelle cette étude ne pourrait être retenue en raison du fait qu'elle inclut, pour apprécier les prix pratiqués, les remises en caisse. Luxottica rappelle en effet que dans ce secteur économique, ce sont les données « sortie de caisse » qui sont pertinentes, les prix affichés n'étant pas un élément pertinent de surveillance du marché en raison des promotions importantes, permanentes, et systématiques, pratiquées par les distributeurs. Luxottica ajoute qu'il n'était pas possible de mener une étude comparable pour les lunettes de vue. En conclusion de cette étude, Luxottica relève que les taux d'application moyens estimés par l'étude RBB sont très dispersés et ce pour chaque marque étudiée.
61.Luxottica conclut que les indices relevés par l'Autorité concernent en réalité pour l'essentiel un encadrement des pratiques de promotion tarifaire indépendantes de tout prix ou niveau de prix préalablement déterminé et convenu.
62.En réponse, l'Autorité indique, à titre liminaire, que la caractérisation de l'entente verticale en cause ne requiert pas qu'il soit démontré que les prix conseillés ou des coefficients de prix aient été communiqués aux distributeurs pour toutes les marques du fournisseur. Il suffit en outre que l'accord de volontés soit démontré entre le fournisseur et une part significative des distributeurs. Enfin, l'accord de volontés des distributeurs peut être déduit du contexte (CA Paris, Beauté Prestige International, 26 juin 2007, n° 2006/07821).
63.S'agissant de l'élaboration et de la diffusion de « prix conseillés », l'Autorité explicite la valeur probante de pièces de différentes natures (auditions, tableaux de prix, courriels, etc.) en rapport avec les prix conseillés pour un certain nombre de marques (Chanel, Ray-Ban, Oakley, Prada, Bulgari, Persol, etc.). Elle en fait de même s'agissant de la communication de coefficients de prix applicables aux prix de gros, et qui jouent le rôle de prix conseillés. Elle précise que leur disparité peut s'expliquer par la diversité des produits et le positionnement des marques.
64.S'agissant de l'application effective des prix conseillés, l'Autorité expose que si la décision attaquée ne s'appuie pas sur des relevés de prix, l'application effective des prix peut être démontrée par des éléments de toute nature, tels notamment, que l'étude « Safilo » de 2009. Elle discute la valeur probante de pièces de diverses natures (courriels, notamment) et de diverses auditions, répertoriées au tableau 43 de la décision attaquée, et qui concernent essentiellement les marques Oakley, Ray-Ban, Prada et Chanel. Enfin, elle conteste la pertinence de l'étude économique produite par Luxottica dans la mesure où celle-ci porte sur les lunettes solaires uniquement, et tient compte, à tort, des remises effectuées en caisse. Elle note qu'au demeurant, le taux d'application des prix conseillés, s'il n'atteint pas 80 %, demeure tout à fait significatif.
65.S'agissant de l'atteinte à la liberté tarifaire des distributeurs, l'Autorité relève que de nombreuses pièces établissent que les distributeurs considéraient que leur autonomie tarifaire était limitée et qu'ils ont appliqué les prix ou coefficients conseillés (tableau 43, préc.). Elle ajoute que Luxottica donnait des consignes fondées sur son interprétation des contrats et chartes des détaillants agréés, afin qu'ils respectent un certain niveau de prix, et que les distributeurs partageaient eux-mêmes cette interprétation. Enfin, elle précise que Luxottica surveillait les prix, menaçait de représailles, et dans certains cas, a procédé à des mesures de sanction.
66.Le ministre chargé de l'économie est d'avis que l'ensemble des documents et courriels saisis, dont les catalogues de prix de vente conseillés pour les produits Chanel (jusqu'en 2010) et Ray Ban (jusqu'en 2006), ajoutés aux déclarations de distributeurs, constitue un faisceau d'indices graves, précis et concordants conforme au standard de preuve requis par la pratique décisionnelle et la jurisprudence, étant rappelé que c'est le faisceau dans son ensemble, qui doit constituer une preuve précise et concordante. Ainsi, la preuve est établie que Luxottica a diffusé des prix « conseillés ».
67.Il considère encore que les différentes pièces du dossier constituent un tel faisceau, établissant l'application des prix de revente communiqués par Luxottica, et que l'argumentation de celle-ci, tendant à contester la valeur probante des pièces invoquées par l'Autorité, n'est pas convaincante. Il ajoute qu'il en est de même de l'étude économique que Luxottica a produite, pour les raisons précisées par l'Autorité, et ajoute que la théorie du faisceau d'indices « à trois branches » n'étant pas requise en l'espèce, compte tenu de l'existence de preuves documentaires, le recours à la preuve de l'application significative des prix n'est pas une condition nécessaire à la démonstration des faits.
68.Le ministère public tire des pièces produites par l'Autorité (mentionnées notamment aux tableaux 24, 25, 26, 38, 43 et 59 de la décision attaquée) la même analyse que celle-ci et conclut, comme elle, que Luxottica a élaboré et diffusé des « prix conseillés » pour une part significative de ses marques entre 2005 et 2013, et que ces prix ont fait l'objet d'une application effective, tendant à leur homogénéité, et ce sous la direction et la surveillance de Luxottica. Il conclut qu'il a été porté atteinte à la pleine liberté tarifaire des distributeurs.
' Sur l'objectif des interventions de Luxottica, de protection légitime des images de marques de ses produits (deuxième moyen, troisième branche)
69.Dans la décision attaquée (§ 650 à 743), l'Autorité indique qu'en application des stipulations contractuelles des contrats de distribution sélective et autres chartes, Luxottica a contrôlé les opérations promotionnelles des détaillants agréés, le cas échéant les a dissuadés de les appliquer à ses marques, et en fin de compte s'est assurée du respect de ses consignes tarifaires.
70.Luxottica expose en premier lieu, que ses éventuelles interventions ne visaient pas à interdire toute forme de remise ou promotion, mais seulement celles qui portent atteinte à l'image des marques.
71.Luxottica cite certaines clauses des contrats de distribution sélective de certaines marques qui affirment le principe de la liberté des distributeurs de fixer les prix, d'une part, et la nécessité que les opérations publicitaires et de communication soient compatibles avec l'image des produits et de la marque, d'autre part.
72.Il ajoute qu'il ne s'opposait pas aux soldes ni même à la politique de discount permanent, même dans le cas de Chanel, mais seulement à la forme de certaines opérations de promotion commerciales, telles que les ventes par lot de type « deux pour le prix d'un » (§ 330). Illustrant son propos de plusieurs exemples, et critiquant ceux choisis par l'Autorité, mentionnés aux tableaux 32 et 33 de la décision attaquée, Luxottica conclut que la preuve n'est pas rapportée de manière claire et non équivoque, que les distributeurs interprétaient les contrats de distribution sélective comme interdisant toute remise et toute promotion.
73.En second lieu, s'agissant de ses interventions, Luxottica observe, d'abord, que la plupart des indices cités par la décision attaquée concernent un nombre très limité d'opérations promotionnelles, très souvent menées par des enseignes nationales.
74.S'agissant des opérations décrites aux § 360 à 400 de la décision attaquée, Luxottica note que certaines des auditions qu'on lui oppose émanent d'un distributeur non agréé (Vision Stores, 2013, § 399 de la décision attaquée), ou ont porté sur des réductions de prix au profit de distributeurs et non des consommateurs finals dans le cadre d'une négociation avec une centrale d'achat (opération « grandes marques », Krys, § 397 de la décision attaquée). Pour le reste, il indique qu'il s'agissait d'opérations incompatibles avec la protection de la marque (« deux pour le prix d'un », « la moitié de votre monture à l''il »). Luxottica observe encore que certaines des opérations auxquelles l'Autorité se réfère ne démontrent nullement son intervention (Duroc Optic, juillet 2008 ; « opération SMS », février 2008), ne font état que d'éventualités (Optique [P]), ou encore qu'il a soutenu l'une de ces opérations (Grand Optical, 2008, opération concernant la marque Ray Ban)
75.Luxottica relève, ensuite, que s'agissant des opérations évoquées par la décision attaquée au § 678 (renvoyant aux § 255 à 271), c'est de façon tout à fait erronée que l'Autorité impute à Luxottica d'avoir « validé certains prix » ou « demandé à certains de remonter les prix affichés ».
76.Dans certains cas, il s'agissait seulement de valider la mention de prix sur un visuel promotionnel afin d'éviter toute ambiguïté de la promotion (Krys, 2007, opération portant sur la vente de deux lunettes Ray Ban, « adulte » et « junior », § 255 à 258 de la décision attaquée ; Opticien mutualiste, prix visant des montures équipées de verres correcteurs et échappant de ce fait à toute capacité d'appréciation de Luxottica, § 264 à 265 de la décision attaquée). Dans d'autres cas, la promotion a eu lieu sans opposition ou sanction de Luxottica (opération « 20ème anniversaire », Grand Optical, § 262 de la décision attaquée). Luxottica conclut que de tous les exemples cités par l'Autorité, il ressort seulement un contrôle de la communication promotionnelle utilisant la marque, et nullement des consignes quant à un niveau de prix. Il résume sa position en expliquant qu'il tenait, conformément aux contrats, à ce que la forme de la promotion utilisant spécifiquement la marque ne soit pas axée seulement sur le prix et l'importance de la remise. En revanche, il n'interdisait pas au distributeur de fixer lui-même et librement le prix et la réduction en cause, à l'exception des cas extrêmes où le prix devenait dérisoire (« 2ème offerte », « 1 € de plus », par exemple). Luxottica précise qu'ainsi les éléments rassemblés au tableau 34 de la décision attaquée, relatifs au « matériel promotionnel », ne contiennent nullement des « consignes tarifaires » de Luxottica, mais seulement des remarques essentielles sur l'affichage des promotions, particulièrement sur l'association de la marque et du prix ou de la réduction promotionnelle.
77.Luxottica commente ensuite les pièces et déclarations rassemblés aux tableaux 35 et 36 de la décision attaquée, relatifs aux consignes tarifaires. Il indique que ces pièces, selon le cas, manquent de crédibilité, expriment l'opinion personnelle d'un distributeur, et dans un cas, émane d'un distributeur qui ne commercialise pas la marque en cause.
78.Luxottica résume sa pratique en indiquant, en premier lieu, qu'il tolérait en principe les opérations de promotion commerciale (ainsi, Grand Optical, ' 40 % en 1ère démarque, ' 50 % en seconde démarque), en deuxième lieu, que dans le cas de campagnes publicitaires utilisant les visuels et logos de la marque, il intervenait sur l'affichage mais non sur le prix, quand l'opération apparaissait axée, d'un point de vue publicitaire sur le prix remisé, en troisième lieu, qu'il tentait d'exclure ses marques de prestige des produits concernés par une opération commerciale promotionnelle alliant prix bradés et communication publicitaire à grande échelle.
79.L'Autorité, en réponse, indique, à titre liminaire, que la pratique sanctionnée ne présente pas un caractère inédit dès lors qu'il s'agit d'une pratique d'entente verticale sur les prix mise en 'uvre au moyen, notamment, de l'encadrement des opérations promotionnelles des distributeurs. Elle ajoute que la protection de l'image de marque des produits d'un fournisseur ne peut justifier qu'il soit porté atteinte à la capacité des distributeurs de fixer librement leurs prix, toute intervention, même indirecte, sur les prix étant formellement interdite ; aucune altération de la capacité du distributeur à fixer le prix de revente des produits au consommateur final ne peut ainsi constituer un moyen d'assurer le respect de l'image de marque d'un produit. En tout état de cause, en l'espèce, les interventions de Luxottica avaient en réalité pour objet de restreindre la liberté tarifaire de ses distributeurs, sous couvert de la poursuite d'un objectif de protection de l'image de ses marques.
80.S'agissant de la restriction des opérations promotionnelles des distributeurs, l'Autorité indique que le contrôle opéré par le fournisseur, à partir des clauses des contrats et chartes de détaillant agréé, portait sur de nombreux types d'opérations, considérées comme incompatibles avec le prestige des marques concernées, notamment la vente « par lot (2 pour le prix d'un) », le fait d'offrir une paire, les « soldes », les « ventes pour un euro de plus »), la « braderie » et la « politique de discount », consistant à faire « moins 40 % sur l'optique et moins 25 % sur les solaires ». Elle présente ensuite diverses pièces dont elle tire la conclusion que Luxottica, à travers l'encadrement des promotions de ses distributeurs, entendait en réalité exercer un contrôle sur leur politique de prix.
81.L'Autorité ajoute que les distributeurs considéraient également que les contrats et chartes précités conclus avec Luxottica leur interdisaient d'inclure certaines pratiques commerciales. À titre d'exemple, Alain Afflelou considérait que la campagne « moitié prix sur les montures » menée en 2008 ne pouvait concerner les produits des marques Arnette, Bulgari, Burberry, Chanel, D&G, Dolce & Gabbana, Ferragamo, Miu Miu, Oakley, Polo Ralph Lauren, Persol, Prada, Ray-Ban, Versace & Versus, Vogue, au motif que ces marques « font l'objet d'un contrat de distribution sélective ne [lui] autorisant pas ce type d'opération ».
82.Elle indique, en commentant diverses pièces, que Luxottica était notamment opposée à la pratique du « discount » (rabais sur le prix de vente, ristourne), et ce même indépendamment des contrats et chartes précités, et même en période de soldes.
83.S'agissant de l'objectif poursuivi par l'encadrement des opérations promotionnelles, l'Autorité rappelle que les opérations lancées par les grandes enseignes avaient vocation à être mises en 'uvre à l'échelle nationale et concernaient un nombre important de points de vente, en sorte que les interventions de Luxottica, à supposer qu'elles n'aient visé qu'un nombre limité d'opérations commerciales, n'impliquent pas qu'elles n'aient eu qu'un caractère limité.
84.L'Autorité indique encore que les interventions de Luxottica portaient tant sur les montures de lunettes optiques que sur les lunettes solaires, notamment de marque Ray Ban, et que lesdites interventions n'étaient pas limitées à des opérations utilisant des « expressions familières » ou reprenant des techniques commerciales issues du monde de la grande distribution, qui seraient dévalorisantes pour ses marques. Elle ajoute que l'intervention de Luxottica consistant à demander aux distributeurs de ne pas afficher publiquement certains prix, ou d'afficher les prix conseillés, constitue une restriction de la liberté tarifaire des distributeurs. Se référant aux déclarations énumérées aux tableaux 35 et 36 de la décision attaquée, l'Autorité rappelle les actions de Luxottica portant sur les conditions de revente de ses produits par les distributeurs.
85.Elle conclut que les interventions de Luxottica n'étaient pas limitées aux produits de luxe, les lunettes de marque Ray Ban n'en faisant pas partie, qu'elles ont porté sur la grande majorité des marques de Luxottica, et ont impliqué un nombre significatif de distributeurs. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme étant limitées à la poursuite d'un objectif de protection de l'image de ses marques et conduisaient à limiter la liberté tarifaire de ses distributeurs.
86.Le ministre chargé de l'économie est d'avis que la protection de l'image de marque des produits ne peut en aucun cas légitimer une intervention dans la politique tarifaire du distributeur. Il partage l'analyse et les conclusions de l'Autorité.
87.Le ministère public considère qu'il ressort des pièces du dossier que Luxottica faisait appliquer les prix conseillés et assurait un contrôle portant sur les opérations promotionnelles et sur les prix pratiqués par les distributeurs. Il considère que l'objectif de protection de l'image des marques ne saurait justifier un encadrement de la politique tarifaire des distributeurs conduisant à restreindre sa capacité à définir ses prix de vente.
88.Il considère que les interventions de Luxottica ne peuvent être regardées comme étant limitées à la poursuite d'un objectif de protection de l'image de marque, mais conduisaient à limiter la liberté tarifaire de ses distributeurs.
Sur ce, la Cour :
89.Aux termes de l'article 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après, « TFUE ») :
« 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à : a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction ; (...) ».
90.Il résulte de l'article L.420-1 du code de commerce une même prohibition des ententes entre fournisseurs et distributeurs ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de fausser ou de restreindre la fixation des prix aux consommateurs par le libre jeu de la concurrence, notamment lorsqu'elles tendent à :
« 2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; ».
91.Une entente verticale sur les prix suppose l'existence d'un « accord » au sens de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, à savoir que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (en ce sens, par exemple, CJUE, 29 juin 2023, Super Bock Bebidas SA c. Autoridade da Concorrência, C-211/22, point 47 ; ci-après, « arrêt Super Bock »).
92.Si un accord ne saurait se fonder sur l'expression d'une politique purement unilatérale d'une partie à un contrat de distribution, un acte ou un comportement apparemment unilatéral constitue néanmoins un tel accord s'il est l'expression de la volonté concordante de deux parties au moins (en ce sens, arrêt Super Bock, points 48 et 49).
93.La forme selon laquelle se manifeste cette concordance des volontés est indifférente. Elle peut résulter de clauses contractuelles invitant à respecter des prix minimaux de revente ou autorisant le fournisseur à imposer de tels prix. Elle peut encore résulter du comportement des parties et, notamment, d'un acquiescement, explicite ou tacite, de la part des distributeurs, à une invitation de respecter de tels prix minimaux de revente (en ce sens, arrêt Super Bock, points 49, 50, 53).
94.L'existence d'un accord, au sens précité, peut ainsi être établie au moyen de preuves directes, ou sur la base de coïncidences et d'indices objectifs et concordants dont il peut être inféré, en l'absence d'autre explication cohérente, l'existence d'un tel accord (arrêt Super Bock, points 56 à 58).
95.Il résulte de ce qui précède que l'existence d'un accord peut résulter de la combinaison de différents éléments de preuve, de nature contractuelle ou comportementale, notamment en présence de pratiques sophistiquées reposant sur des mécanismes qui, pris isolément, pourraient revêtir l'apparence de l'unilatéralité, pour autant qu'ils constituent, ensemble, un faisceau d'indices graves, précis et concordants permettant d'établir, d'une part, l'invitation du fournisseur, et d'autre part, l'acquiescement des distributeurs à la pratique litigieuse.
' Sur l'invitation
96.En premier lieu, Luxottica a inclus dans ses contrats de distribution sélective et chartes convenues avec ses distributeurs agréés, des clauses qui :
' interdisent à ses distributeurs la vente par lots (exemple : marque Chanel, tableau 28 de la décision attaquée, § 203),
' imposent aux distributeurs l'autorisation préalable de Luxottica France de « toutes les opérations publicitaires et de communication », lesquelles doivent être « compatibles avec l'image des produits et de la Marque » (exemple : marque Prada, tableau 29, § 208 de la décision attaquée),
' et prévoient que le distributeur « s'interdit de mener une politique de prix d'appel ou de rabais promotionnels qui serait incompatible avec la qualité de l'image attachée aux lunettes » (exemple : marque Ray-Ban, tableau 30, § 225 de la décision attaquée, article 11 du contrat).
97.Ces documents contractuels précisent, de façon générique, que « le contrôle ainsi réalisé » « ne saurait entraver sa liberté [du distributeur] de fixer ses prix de vente » « et de faire la publicité de ses prix librement déterminés » (exemple : marque Ray-Ban, tableau 30, § 225 de la décision attaquée, article 9 du contrat),
98.Ils ajoutent cependant encore que le détaillant agréé s'engage à porter à la connaissance de Luxottica « tous faits intéressants concernant la commercialisation des Produits » tandis que le fournisseur pourra « contrôler le point de vente ['] afin de s'assurer que le Détaillant Agréé se conforme bien aux dispositions de la Charte, notamment quant aux modalités de commercialisation des Produits » (exemple : marque Ray-Ban, tableau 30, § 225, article 15).
99.À titre de dernier exemple, un contrat-cadre conclu entre Luxottica et Alain Afflelou, daté du 9 janvier 2009, stipule que « tous les visuels et autres outils de communication reproduisant les produits Luxottica, ses marques, modèles ou logos, ou autres signes distinctifs doivent faire l'objet d'une validation écrite de Luxottica préalable à toute diffusion quelle qu'elle soit » (cotes 137 à 144 ; § 11341-42).
100.La décision attaquée fait ainsi état de nombreuses chartes ou d'accords de distribution (tableaux 28, 29, 30) concernant, pris ensemble, un ensemble de seize marques (tableau 31). Ces contrats, qui comprennent des stipulations comparables, ont été appliqués, pour le premier, depuis le 16 mars 2000 (marque Chanel) et, pour le dernier, jusqu'au 18 août 2014 (marque Prada).
101.Ces clauses contractuelles constituent des documents clairs et explicites qui, s'ils ne portent pas directement sur la détermination d'un prix ou d'une fourchette de prix, permettent cependant au fournisseur d'exercer tant un contrôle a priori (art. 9 et 11 du contrat Ray-Ban, par exemple) qu'un contrôle a posteriori (art. 15 du même contrat, par exemple) sur les opérations de promotion commerciales, et donc indirectement sur les prix.
102.Il convient de comprendre la portée des clauses contractuelles précitées à la lumière de la ligne de conduite revendiquée par Luxottica.
103.Luxottica indique dans ses conclusions que « lorsque l'opération promotionnelle consacrée à une ou plusieurs marques fait l'objet d'une campagne publicitaire utilisant les visuels ou logos de la marque, elle doit respecter leur charte graphique et ne doit pas être axée, d'un point de vue publicitaire, sur le prix remisé », et ajoute encore que « lorsque l'opération promotionnelle de l'enseigne allie prix bradés et communication publicitaire tapageuse à grande échelle de cette braderie, [il] intervient pour tenter d'exclure ses marques de prestige des produits concernés par ces opérations » (conclusions, § 374, points 2 et 3, soulignement ajouté).
104.Ces conclusions doivent elles-mêmes être lues à la lumière des déclarations du président de Luxottica France, du 11 juillet 2011, qui exposait que le fournisseur ne souhaitait pas que les distributeurs utilisent ses visuels pour indiquer leurs prix (cotes 18055-56).
105.La Cour en déduit que Luxottica a exprimé sa volonté, et s'est dotée d'outils contractuels permettant de contraindre les détaillants à limiter leurs opérations promotionnelles, en ce compris le niveau de la baisse du prix de revente au consommateur. Il en résulte que le contrôle exercé par le fournisseur d'opérations commerciales axées sur le prix remisé et utilisant le logo ou les visuels de la marque, est de nature à limiter la liberté tarifaire de ce dernier.
106.Il s'évince de ces différents contrats et chartes, qui se ressemblent, que les clauses relatives au contrôle des opérations de promotion commerciale par Luxottica doivent être regardées comme des outils au service d'une politique d'application générale, et qu'elles sont promues comme telles par le fournisseur (exemple : marque Ray-Ban, tableau 30, § 225, article 15).
107.Il y a donc lieu de regarder les règles qu'ils énoncent, en raison de leur caractère récurrent, comme visant de fait l'ensemble des principales marques et sous-marques de Luxottica répertoriées par l'Autorité au tableau 5 de la décision attaquée.
108.Il s'ensuit une atteinte significative à la liberté tarifaire des distributeurs puisque ceux-ci, sont contraints de limiter leurs promotions tant en ce qui concerne le niveau de la réduction de prix que l'ampleur de la communication commerciale ou encore le choix des marques concernées.
109.L'argumentation développée par Luxottica selon laquelle ses interventions n'auraient visé qu'à interdire les seules formes de remise ou de promotion qui portaient atteinte à l'image des marques, ne saurait être admis, ses interventions ayant eu une portée beaucoup plus générale.
110.En second lieu, la Cour estime qu'il existe des indices suffisants pour conclure à l'existence de listes de prix de référence conseillés, communiqués et en fin de compte imposés par Luxottica aux distributeurs.
111.S'agissant de Chanel, il n'est pas contesté qu'un catalogue de prix conseillés à la vente a été diffusé jusqu'en 2010 (cote 37171). Par la suite, il ressort d'auditions que des prix étaient toujours conseillés concernant cette marque (cote 28939, audition SARL Enseigne Lunigal, 1er octobre 2014 : « Chanel est incontournable, du coup nous respectons les prix ['] » ; cote 27214, société Afflelou, 12 décembre 2013 : « Certains fabricants haut de gamme nous conseillent des prix, comme Chanel ['] ». Par ailleurs, un représentant de Chanel a indiqué aux services d'instruction que « le niveau des prix conseillés est établi par l'équipe ['] en collaboration avec Luxottica. ['] En théorie, les prix conseillés sont toujours communiqués aux opticiens » (cote 24550, 12 juillet 2013).
112.S'agissant de Ray-Ban, il est admis qu'un catalogue de prix conseillés à la vente a également été diffusé jusqu'en 2006 (cote 38233). Il apparaît qu'ultérieurement, des prix conseillés étaient toujours communiqués, ainsi qu'il ressort de plusieurs courriels repris au tableau 24 de la décision attaquée. À titre d'exemple, un courriel de Luxottica du 15 février 2007 (cote 9961) fait référence à des prix conseillés (au-delà de la question de « l'ambiguïté » entre les modèles adulte et junior, dans le projet de communication de Krys, mise en exergue par Luxottica). Il en est de même d'un autre courriel, émanant des Opticiens mutualistes en date du 27 octobre 2008 (cote 27665). Enfin, une présentation de Luxottica Group du 25 août 2008 mentionne des « prix de vente publics conseillés » pour les montures de lunettes solaires et optiques (cotes 8707 et 8709).
113.S'agissant des autres marques, l'existence de prix de vente de référence est établie notamment par un document intitulé « Pricing proposal July 2009 », saisi chez Luxottica, qui liste sous la dénomination « € retail », des prix de vente au détail pour certaines marques (Prada, Bulgari, Burberry, D&G, Versace, Dolce & Gabbana ; cotes 12441 à 12521, pour la version non confidentielle, et les cotes mentionnées aux notes de bas de page 214 à 219 de la décision pour la version confidentielle). Dans le cas d'Oakley, la même conclusion s'évince d'un courriel du 22 avril 2008 émanant de Luxottica, qui contient le passage suivant (traduction libre à partir de l'anglais, soulignement ajouté) : « Nous aimerions vérifier avec vous la possibilité de fixer une 'date de validité' pour la nouvelle liste de prix (probablement pour le modèle existant, vous devriez envisager quelques semaines/mois pendant lesquels l'ancienne liste de prix sera toujours valable, limitant les plaintes des clients » (cote 10804). La référence à la possibilité de plaintes de clients implique que les prix en question avaient vocation à être systématiquement appliqués aux consommateurs.
114.Le dossier contient encore un document saisi chez Luxottica, présentant les « best sellers optique » ainsi que les « best sellers solaire » du 1er janvier 2009 au 31 mars 2009, qui mentionne un « prix public indicatif » par modèle. Ce document concerne les marques Bulgari, Persol, Prada, Dolce & Gabbana, Ralph Lauren, Polo Ralph Lauren, Versace, Burberry, Vogue, Ralph, D&G, Ray-Ban, Miu-Miu (cotes 8849 à 8877). Diverses déclarations impliquent l'existence de prix conseillés (exemple : audition de la SARL Optique Lafayette, 6 février 2012, cote 24847 : « nos fournisseurs de verres et de montures surveillent constamment nos prix de vente et nous demandent oralement de les remontrer, ['] »).
115.Certaines pièces du dossier révèlent encore que Luxottica procède parfois à la communication de coefficients multiplicateurs, ce qui permet de faire connaître le prix de vente conseillé à partir du prix payé par l'opticien. Ainsi, dans un courriel interne à Luxottica du 19 mai 2009, peut-on lire : « Les prix que nous donnons par le biais des coefficients multiplicateurs sont 'conseillés' ['] » (cote 8592). Dans son audition du 7 février 2007, l'EURL Grandon indique (cotes 20038-39) : « Nous devons respecter un barème de prix minimum selon les modèles [Chanel]. En cas de non-respect du barême, nous savons que nous risquons de perdre l'agrément. On nous informe par téléphone du coefficient qu'il convient d'appliquer par rapport au prix d'achat ». Dans son audition du 16 novembre 2012, Optical Finance indique (cote 23983) : « Ces coefficients sont très fortement conseillés par les fabricants. ['] Luxottica ne communique pas par écrit les prix conseillés, uniquement par oral ». Un courriel du 3 février 2006, interne à Luxottica (cotes 9745-46) révèle l'existence de cinq coefficients, deux concernant les lignes optiques, trois concernant les lignes solaires. Si ces coefficients ne sont pas nombreux, ils permettent de couvrir l'ensemble des marques Luxottica. Il n'importe, au demeurant, que ces coefficients aient pu ne pas varier pendant plusieurs années, leur permanence dans le temps n'enlevant rien à leur « potentiel normatif ».
116.En dépit de la critique que Luxottica développe à l'encontre de chacune de ces pièces prises individuellement, la Cour estime qu'elles décrivent une image cohérente dont il ressort que l'intéressée établit, de façon générale, des listes de prix de vente conseillés et les diffuse, parfois par écrit, parfois oralement, parfois encore par le biais de coefficients multiplicateurs.
117.Le caractère impératif des prix conseillés ressort de certains éléments déjà mentionnés relatifs aux coefficients multiplicateurs (cf. § 115 du présent arrêt, audition du 7 février 2007 de l'EURL Grandon indique, cotes 20038-39 ; audition du 16 novembre 2012 d'Optical Finance, cote 23983).
118.Il se déduit également du courriel précité de Luxottica du 22 avril 2008 qui concerne la marque Oakley (cf. § 113 du présent arrêt, cote 10804), une pratique établie de respect des prix conseillés, qui doivent donc être regardés comme, de fait, des prix imposés.
119.En conclusion sur l'invitation, la Cour considère que le rapprochement opéré par l'Autorité entre, d'une part, la diffusion de prix conseillés et, d'autre part, le contrôle de toutes les opérations de promotion commerciale, est fondé, en ce que les deux pratiques concourent à la même fin : maintenir le prix de vente aux consommateurs des produits de marque à un certain niveau, jugé compatible avec le positionnement de la marque, et limiter l'amplitude des variations par rapport à ce prix, dans une limite jugée également compatible avec ledit positionnement.
120.Ce lien ressort en outre d'une caractéristique essentielle du marché en cause. Comme il a été indiqué (cf. § 2 du présent arrêt), le secteur de la vente de montures de lunettes est constamment animé par des opérations de promotion commerciale. Il est dès lors nécessaire, pour que l'une des deux pratiques soit susceptible d'une certaine efficacité, que l'autre soit mise en 'uvre.
' Sur l'acquiescement
121.En premier lieu, l'acquiescement des distributeurs aux pratiques de Luxottica s'exprime par la signature des contrats et chartes de détaillants agréés.
122.Il ressort de diverses auditions que l'interprétation extensive qu'en a faite Luxottica était partagée par les distributeurs. Ainsi, à titre d'exemple, dans son audition du 16 septembre 2013, la gérante du magasin Optique La Rivière, indique « certains fournisseurs refusent toute forme de promotion. Je pense tout particulièrement à Luxo » ; « [l]es contrats signés avec Luxo ['] nous imposent de ne pas pratiquer de promotions sur certaines de leurs marques ['] » (cote 25002). Toujours à titre d'exemple, dans un courriel adressé à Luxottica le 19 décembre 2007, le directeur du référencement de la société Alain Afflelou (cote 9771) précise que Luxottica fait signer des contrats de distribution sélective « en vue de protéger du discount les montures [de son groupe] ». Le gérant de l'EURL [P] (audition du 12 décembre 2013, cote 27220) témoigne que « les fournisseurs des marques Chanel, Ray-Ban ['] risquent de réagir d'une façon assez virulente s'ils constatent des promos à grande échelle, c'est-à-dire dire avec des affiches ou des pubs marquées - 30 % sur leur marque ».
123.Cette pratique a des conséquences avérées, qui se traduisent par l'auto-censure des distributeurs, qui ne s'aventurent pas à envisager de telles opérations de promotion commerciale.
124.À titre d'exemple, la société Optical Finance (audition du 16 novembre 2012, cote 23984) indique : « les fabricants nous interdisent de communiquer sur les marques de luxe qu'ils commercialisent. Nous ne pouvons pas utiliser le logo de la marque ni même mentionner le nom de la marque lors de campagnes de promotion. Par exemple, l'été 2011, nous avions prévu de faire une communication sur une campagne solaire en communiquant - 30 % sur la marque Ray Ban et nous avons eu un refus de la part de Luxottica » ; « Nous n'essayons plus de demander aux marques de faire des communications sur les marques (avec ou sans prix remisés) depuis plus de dix [ans] car on sait que cela serait refusé par les fournisseurs ». À titre d'exemple, encore, le guide de campagne de l'opération « moitié prix sur les montures », menée par Alain Afflelou du 20 mai au 31 juillet 2008, indique que les marques Arnette, Ferragamo, Miu Miu, Polo Ralph Lauren, Vogue et D&G, mais encore Bulgari, Burberry, Chanel, Dolce & Gabbana, Oakley, Persol, Prada, Ray-Ban, Versace & Versus, font « l'objet d'un contrat de distribution sélective ne [lui] autorisant pas ce type d'opération » (cotes 21448).
125.Quand ils ne s'autocensurent tout simplement pas, les distributeurs ont dès lors tendance à rechercher l'approbation de Luxottica avant de lancer une opération de promotion commerciale. La Cour se réfère, par exemple, à l'audition du Syndicat des opticiens de la Réunion (16 septembre 2013, cote 24981) : « Dès lors que nous faisons une publicité en dehors des magasins, les fournisseurs demandent à ce que nous faisions valider la publicité par leurs services. On se met d'accord sur l'offre commerciale, y compris le prix. ['] Les fournisseurs de marque de licence [' Luxottica'] n'aiment pas qu'on fasse des offres avec réduction de prix sur leurs marques ». Pour illustrer encore cette pratique, dans un courriel du 27 octobre 2008 (cote 27665, précitée), Luxottica indiquait qu'il « donne son accord afin que ['] les Opticiens Mutualistes puissent communiquer sur l'ensemble des supports et visuels en couleur en respectant les prix 'public' conseillés et affichés pour chacune des marques comme précédemment défini ».
126.En deuxième lieu, il ressort de courriels et de déclarations que les distributeurs ont en pratique appliqué les prix conseillés ou ont fixé des prix qui s'en rapprochent.
127.Cette pratique est établie dans le cas de Chanel (déclaration du gérant de l'EURL Schandel, 20 octobre 2005, cote 19589), de Ray-Ban (déclaration du gérant de la SARL JMC Optique, 1er mars 2006, cote 19508), d'Oakley (déclaration du gérant de la SARL Schilo, 8 septembre 2011, cote 18129-30), ou encore d'autres marques (déclaration de la gérante de la SARL Optique Lafayette, 6 février 2012, cote 24847 : « nos fournisseurs ['] surveillent constamment nos prix et nous demandent de les remonter, ce que nous faisons [']. Il s'agit de marques sous contrat, à distribution sélective (['] Oakley, Prada, Bulgari, Dolce & Gabbana ['], marques détenues par Luxottica ['] », l'intéressée ajoutant « Je tiens à préciser que malgré ces demandes orales, nous essayons de proposer des prix plus bas que la concurrence »).
128.En troisième lieu, le consentement des distributeurs à appliquer les prix conseillés ou à limiter l'ampleur de leurs opérations de promotion apparaît lié à la crainte de mesures de rétorsion, qui peuvent consister en des retards ou des refus de livraison, ou dans la rupture du contrat de distribution sélective.
129.Ainsi, dans son audition du 7 février 2007 (déjà mentionnée, cotes 20038-39), l'EURL Grandon indique : « Nous devons respecter un barème de prix minimum selon les modèles [Chanel]. En cas de non-respect du barème, nous savons que nous risquons de perdre l'agrément. On nous informe par téléphone du coefficient qu'il convient d'appliquer par rapport au prix d'achat ». Ainsi encore, la gérante de la SARL Optique Lafayette, dans sa déclaration du 6 février 2012 (déjà mentionnée, cote 24847) indique qu'elle remonte ses prix à la demande des fournisseurs « sous peine de ne plus être fournis ». La société Lunigal (audition du 1er octobre 2014, cote 28939) précise encore « Chanel est incontournable, du coup nous respectons les prix pour ne pas se voir enlever la marque ». Dans une audition du 13 octobre 2011, la société Schilo (cote 21464-65) indiquait encore que « en décembre 2010, la représentante de Luxottica pour Chanel a vu que je pratiquais en vitrine une remise sur la marque Chanel et nous a menacé de fermer notre compte si on continuait ». À titre de dernier exemple, dans une audition du 16 novembre 2012, la société Optical Finance indique (cote 23984) « Nous savons que si nous ne respectons pas les prix conseillés, nos magasins auront des problèmes lors de leurs relations avec les fabricants (au niveau des commandes, des ouvertures de comptes) ».
130.La pression que subissent les distributeurs afin de respecter les prix conseillés ou limiter l'ampleur des promotions commerciales provient en outre de leurs propres concurrents, les distributeurs s'étant engagés, conformément aux conditions des contrats et chartes conclus avec Luxottica, à porter à la connaissance du fournisseur « tous faits intéressants concernant la commercialisation des Produits » (cf. les paragraphes 96 et suivants du présent arrêt). À titre d'exemple, le gérant de la SARL Optique Chaussin demandait par courriel du 7 janvier 2006 (cote 10853) à Luxottica de « demander à ce site de faire respecter les tarifs de vente public des marques Ray Ban et Persol. Il en va ainsi pour la crédibilité de vos marques et de votre travail ». Ledit gérant déclarait le 18 octobre 2011 (cote 21478) : « J'ai signalé à Luxottica à ma propre initiative l'existence d'un site concurrent qui faisait une promotion sur les marques Ray-Ban et Persol. Je lui ai demandé de se renseigner pour savoir qui était exactement derrière ce site ». Toujours à titre d'exemple, le 19 décembre 2007, le directeur référencement de la société Alain Afflelou franchiseur écrivait (cote 9771) « [v]ous faites signer des contrats de distribution sélective auprès de notre réseau en vue de protéger du discount les montures de ton groupe, je souhaite savoir ce qu'Optical center a signé et ce que tu comptes faire pour arrêter cette mascarade ! Nous ne pouvons supporter que cette chaîne brave les interdits avec la complicité des fournisseurs ! ». Dans un autre courriel du 16 octobre 2006, Grand Optical écrit à Luxottica : « [c]omme promis, voilà le document [']. Je te confirme que nous sommes tout à fait prêts à vous aider contre les dérives observées actuellement chez les discounters sur le marché français car nous savons tous que cette situation est à la fin dommageable pour vous comme pour nous » (cote 5227).
131.Il ressort des pièces du dossier qu'informé de telles situations, Luxottica intervient. Il suffit ici de citer, à titre d'exemple, un courriel du 11 décembre 2008, cote 27658, qui indique : « [K], peux-tu contacter l'opticien [sur les prix pratiqués par le magasin S']. Uniquement par téléphone. Je vous prie d'effacer tous vos e-mails sur ce sujet dans un délai immédiat. L'opticien est libre de fixer ses prix, c'est la loi, l'amende est 10 % du CA Luxottica Group (monde) », à la suite du courriel d'un opticien qui après avoir signé un contrat Bulgari précisait « je suis très surpris de voir cette marque vendue par le magasin [S'] à des prix défiant toute concurrence. Exemple : modèle solaire BV ['] vendue à 398 €, qui est loin de correspondre au prix de vente que vous conseillez. Merci de répondre à ce mail dans les délais les plus courts, et de m'indiquer s'il est nécessaire d'entreprendre d'autres démarches auprès de la marque Bulgari » (cote 27660).
132.Luxottica a parfois usé de mesures de sanction, telles que la fermeture ou le blocage de comptes pour parvenir à discipliner ses fournisseurs. À titre d'exemple, il y a lieu de citer les échanges à partir du 16 mai 2005, entre, d'une part, Grand Optical et Luxottica, la première se plaignant auprès de la deuxième des prix et opérations commerciales pratiqués par Optical Center concernant la marque Chanel, et, d'autre part, Luxottica et Optical Center, la deuxième bloquant les commandes et livraisons de la troisième, et cette dernière indiquant finalement « suite à notre intervention, nous vous certifions que nos offres commerciales ne concernent en aucun cas les montures Chanel. Nous ne faisons aucune remise sur les montures de marque Chanel ['] » (cotes 10821/23/43). L'ensemble de la séquence était résumé par Grand Optical dans un courriel adressé à Luxottica le 14 décembre 2005 dans les termes suivants : « Suite à l'envoi de nos différents devis attestant que l'enseigne Optical Center 'bradait' la marque Chanel ['], dans un premier temps (été 2005), Luxo a bloqué les commandes/livraisons Chanel chez OC ['] ; M. [Luxottica] a clairement menacé M. [Optical Center] de retrait de la marque Chanel ['] ; suite à cela M. [Optical Center] s'est officiellement et fermement engagé auprès de Luxo d'exclure la marque Chanel de sa politique commerciale et ne plus faire aucune remise client ; ['] tu m'affirmes que vous avez fait plusieurs contrôles par mois depuis et que OC respecte ses engagements. Si tel n'était pas le cas, que Luxottica retirerait définitivement la marque. Merci de tes actions et son suivi actuel et futur » (cote 10844).
' Considérations sur la valeur probante des pièces du dossier
133.La Cour précise que l'argumentation de Luxottica tendant à dénier toute valeur probante à la totalité des documents rassemblées par l'Autorité n'est pas de nature à remettre en cause les développements qui précèdent.
134.S'agissant de l'existence de prix conseillés, la Cour considère que les documents qu'elle mentionne aux paragraphes 113 du présent arrêt, dont celui intitulé « Pricing proposal July 2009 », doivent être interprétés les uns par rapport aux autres, en sorte qu'ils établissent l'existence de tels prix de référence pour l'ensemble des marques, et non seulement pour les seules marques Chanel et Ray-Ban pendant la période admise par Luxottica.
135.S'agissant des niveaux de prix constatés, la Cour partage l'appréciation de l'Autorité quant aux limites méthodologiques qui affectent l'étude économique produite par Luxottica (cf. son mémoire, point 2.4.3), et dont il ressortirait une grande dispersion des prix de vente constatés. En effet, cette étude ne porte que sur les lunettes de soleil, à l'exclusion des montures de lunettes de vue, et inclut les remises de fidélité. Cette étude ne saurait dès lors infléchir l'interprétation que la Cour fait des pièces du dossier déjà mentionnées.
136.S'agissant des auditions, la Cour considère que celles auxquelles elle s'est référée sont suffisamment précises et probantes, et qu'il n'importe que dans diverses déclarations, des distributeurs affirment leur liberté en matière de fixation de prix, des déviations par rapport à la ligne de conduite générale étant toujours possibles.
' Conclusion sur l'accord
137.Il résulte des clauses contractuelles précitées, applicables de façon généralisée aux distributeurs et à un grand nombre des marques de Luxottica, et de leur interprétation à la lumière d'indices objectifs et concordants, portant sur les comportements du fournisseur et des distributeurs, d'une part, que le premier a formulé une invitation portant sur ses produits de marque tendant à la limitation de la liberté tarifaire des distributeurs, par la diffusion et le contrôle de l'application de prix conseillés, et par celui des opérations promotionnelles, d'autre part, que les seconds ont acquiescé à cette invitation, dans un contexte empreint de contrainte.
138.Dès lors, la preuve est rapportée de l'existence d'un accord, au sens de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, ayant conduit à la limitation de la liberté tarifaire des distributeurs de Luxottica.
B. Sur la portée et l'objet de l'accord
139.Dans la décision attaquée (§ 566 et suivants), l'Autorité indique, en premier lieu, qu'il ressort d'une jurisprudence constante que pour qu'il y ait accord, au sens de l'article 101, § 1, TFUE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée.
140.Elle ajoute, en second lieu, que la démonstration d'une entente verticale généralisée portant sur le respect de prix conseillés, reprochée à un fournisseur, n'exige pas l'identification de tous les distributeurs ayant participé à l'entente (§ 648 et suivants) et qu'au cas d'espèce, cette entente portait sur toutes les marques détenues par Luxottica, dont elle recense les principales (§ 535 et 536 ; tableau 5, § 59).
141.Elle précise qu'en l'espèce les ententes ayant concerné GrandVision, Alain Afflelou, Krys et GADOL n'ont concerné, chacune, qu'un des distributeurs de Luxottica, alors que l'entente reprochée à Luxottica a impliqué « l'ensemble de ses distributeurs ». Elle précise ainsi que les pièces qui l'étayent concernent non seulement les distributeurs visés par lesdites ententes, ainsi que les périodes infractionnelles correspondantes, « mais également d'autres distributeurs et d'autres périodes » (décision attaquée, § 769).
142.L'Autorité conclut que la pratique sanctionnée a été continue entre le 17 mai 2005 et le 1er octobre 2014.
143.Luxottica considère que dans le cas d'une entente verticale entre un fournisseur et « l'ensemble de ses distributeurs », cette dernière locution doit se comprendre comme l'ensemble des distributeurs visés par les services d'instruction dans la notification de griefs et le rapport, pour lesquels la preuve de l'entente alléguée est rapportée (Com., 11 juin 2013, Beauté Prestige International, n° 12-13.961).
144.Dès lors, la preuve d'une entente généralisée à l'ensemble d'un réseau suppose la démonstration de l'implication de « la grande majorité » ou d'une « part significative » des distributeurs de ce réseau, soit une part qui ne saurait être inférieure à au moins la moitié des distributeurs (CA Paris, 16 février 2012, Philips France et Sony, RG n° 2011/00951).
145.En outre, la démonstration doit être faite pour chaque réseau de distribution, donc marque par marque, si chaque marque a un réseau de distribution propre, étant rappelé que Luxottica est à la tête de cinq réseaux de distribution sélective de dimensions variables (Chanel, 1 100 opticiens, Ray-Ban, 9 800 ; Bulgari, 750 ; Prada, 2 800 ; Dolce & Gabbana, 5 800).
146.Au cas d'espèce, en premier lieu, Luxottica rappelle que l'Autorité ne reproche rien à ses grands distributeurs après 2009, puisqu'ils ont bénéficié de la prescription décennale, ce qui implique qu'il n'existe aucun indice ni preuve à leur encontre au-delà de cette date, soit à l'encontre de 53 % des points de vente en 2013 (représentant entre 57 % et 62.2 % du chiffre d'affaires de Luxottica entre 2010 et 2013).
147.S'agissant toujours de la période postérieure à 2009, il fait valoir que les seuls « autres distributeurs » concernés se résument à une dizaine d'opticiens non affiliés à l'un des cinq grands réseaux mis hors de cause, tandis que les indices qui subsistent sont épars et non probants.
148.En second lieu, il soutient que, dès lors que l'Autorité considère que l'entente concernait « toutes les marques », il lui incombait de rapporter la preuve de l'entente pour chacune desdites marques par un faisceau d'indices graves, précis et concordants. En l'occurrence, il relève que l'Autorité ne cite que quelques-unes des 28 principales marques commercialisées, et ne retient contre nombre d'entre elles, au mieux, qu'un seul indice, dépourvu de force probante à lui seul.
149.Au demeurant, selon Luxottica, il incombait à l'Autorité, pour les marques faisant l'objet d'une distribution sélective, de rapporter la preuve de l'adhésion à l'entente d'une « part significative » des membres de chacun des réseaux, pris isolément. Enfin, ledit fournisseur indique n'avoir publié aucune liste de prix conseillés, hors les catalogues concernant les produits Ray-Ban jusqu'en juillet 2006 et Chanel jusqu'au printemps 2010.
150.Ainsi, selon Luxottica, l'entente sanctionnée n'est-elle pas démontrée, a fortiori en l'absence de relevés de prix.
151.L'Autorité répond que l'entente verticale généralisée sur les prix est démontrée dès lors que l'accord de volontés est établi entre le fabricant et une part significative des distributeurs.
152.L'Autorité rappelle que, pour établir l'accord de volontés, il lui suffit de démontrer la volonté commune des entreprises de se comporter sur le marché d'une manière déterminée. La démonstration de l'accord de volontés peut ainsi se faire par tout moyen, la réunion du faisceau d'indices articulé en trois branches ' la diffusion des prix par le fournisseur aux distributeurs, l'application effective des prix et la mise en 'uvre d'une surveillance du respect desdits prix ' n'étant pas le seul moyen d'y parvenir.
153.L'Autorité soutient ainsi que, lorsqu'elle dispose de preuves directes de nature contractuelle ou documentaire (Trib. UE, 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services c/ Commission, T-168/01, pts 83 et 84) telles que des contrats, déclarations, notes internes, comptes rendus de réunions (CJCE, 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a. / Commission, C-204/00, pt. 237) et dès lors que ces preuves viennent établir d'une part, l'invitation du fournisseur à mettre en 'uvre la pratique litigieuse, et d'autre part, l'acquiescement des distributeurs à la pratique en cause, elle n'est pas tenue, pour caractériser l'accord de volontés, de réunir le faisceau d'indices à trois branches (CA Paris, 16 janvier 2020, Société Canna France, n° 19/03410, p.8 ; CA Paris, 28 janvier 2009, Epsé Joué Club, n° 08/00255).
154.L'Autorité considère que même si l'entente n'est pas mise en 'uvre par l'intégralité des distributeurs du réseau en cause, le caractère généralisé d'une entente verticale au sein d'un réseau de distribution peut être retenu dès lors qu'est rapportée la preuve de la participation à l'entente d'un nombre « significatif » de revendeurs (CA Paris, 4 avril 2006, Truffaut, RG n° 2006/14057, p. 15.). Dans un tel cas, il n'incombe pas à l'Autorité d'identifier tous les distributeurs ayant participé à la pratique en litige (CA Paris, 26 janvier 2012, Beauté Prestige International, n° 10/23945 ; Com., 11 juin 2013, Beauté Prestige International, n° 12-13.961, (not.) ; Com., 7 octobre 2014, Sté Kontiki, n°13-19.476).
155.En l'espèce, en premier lieu, l'Autorité soutient qu'il ressort du dossier suffisamment de preuves directes pour fonder un constat d'entente généralisée entre Luxottica et un nombre significatif de distributeurs afin de proscrire certaines opérations commerciales (tableau 32 de la décision attaquée) et d'appliquer les prix de revente conseillés (tableau 61 de la décision attaquée).
156.L'Autorité précise que la circonstance selon laquelle certains distributeurs se sont affranchis des prix conseillés communiqués par Luxottica est insuffisante pour exclure l'existence d'une entente généralisée avec les distributeurs et ajoute que même s'il est admis qu'un système de contrôles a posteriori de l'application des prix imposés n'est pas une condition sine qua non pour caractériser une entente (CJCE, 6 janvier 2004, Bayer, C-02/01 P, pt. 84), la surveillance effective par Luxottica des pratiques tarifaires ayant cours au sein du réseau de distribution est confirmée par des preuves documentaires.
157.En deuxième lieu, l'Autorité indique que la mise hors de cause d'une partie des distributeurs n'altère nullement la caractérisation d'une entente généralisée (Com., 11 juin 2013, Beauté Prestige International, précité). D'une part, la mise hors de cause de certains distributeurs, résultant du libellé de la notification de griefs, qui prenaient fin au plus tard le 22 juillet 2011, ne signifie nullement que le dossier est dépourvu d'éléments permettant d'établir que ces distributeurs ont, après 2009, répondu favorablement à l'invitation de Luxottica, ainsi qu'il ressort de certaines pièces documentaires postérieures au 1er janvier 2009. D'autre part, des pièces portant sur l'ensemble de la période infractionnelle établissent l'acquiescement de nombre de distributeurs indépendants.
158.En dernier lieu, l'Autorité fait valoir que la caractérisation d'une entente généralisée ne nécessite pas de démontrer que toutes les marques, détenues en propres ou exploitées sous contrat de licence par le fournisseur, sont concernées par la pratique en litige (CA Paris, 26 janvier 2012, Beauté Prestige International, n° 10/23945, non remis en cause sur ce point par Com. 11 juin 2013, précité). Elle relève qu'en l'espèce, Luxottica a communiqué des listes de prix de détail à ses distributeurs pour une part significative des marques qu'elle exploite, toutes des marques notoires.
159.Le ministre chargé de l'économie développe une argumentation comparable à celle de l'Autorité, estimant que la preuve d'une entente verticale généralisée est rapportée dès lors que l'implication d'une part significative des membres du réseau de distribution dans l'entente avec le fabricant est établie, sans qu'il soit nécessaire d'identifier chaque distributeur ayant participé à la pratique en litige (CA Paris, 26 janvier 2012, Beauté Prestige International, n° 2010/32945).
160.Il précise que la prescription acquise au bénéfice de certains réseaux de distribution ne fait pas échec à la caractérisation des pratiques et ne joue qu'à l'égard des distributeurs mis hors de cause et non pas à l'égard de Luxottica. En tout état de cause, un nombre suffisamment significatif de distributeurs demeure impliqué dans la pratique en litige.
161.Enfin, le ministre considère que l'existence d'une entente verticale généralisée entre Luxottica et l'ensemble de ses distributeurs couvrant toutes les marques du fournisseur est établie. Il fait valoir que la démonstration d'une telle entente ne requiert pas une analyse détaillée concernant chaque marque.
162.Le ministère public rappelle que la preuve d'une entente au sens de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, peut se faire par tout moyen. Ainsi, la réunion d'un faisceau d'indices à trois branches ne constitue qu'un mode de preuve parmi d'autres (CA Paris, 6 octobre 2022, nº 20/08582, Apple), tandis qu'en présence de preuves documentaires ou contractuelles directes et explicites, il n'est pas nécessaire de procéder à l'examen de preuves additionnelles de nature comportementale.
163.Le ministère public constate l'existence de preuves documentaires directes manifestant le concours de volontés entre le fabricant et un nombre significatif de distributeurs pour l'ensemble de la période en litige (déclarations d'opticiens, courriers électroniques, échanges internes) et précise que les distributeurs ont interprété l'ensemble des contrats et accords conclus entre Luxottica et eux comme leur interdisant certains niveaux de prix et opérations promotionnelles pour les produits des marques concernées.
164.Il ajoute que la démonstration de l'existence d'une entente verticale généralisée n'exige pas l'identification de tous les distributeurs ayant mis en 'uvre les pratiques en cause et que le fait que certains distributeurs se soient ponctuellement écartés des prix imposés ne fait pas obstacle à la caractérisation de la pratique.
Sur ce, la Cour :
165.L'analyse de l'accord qui a été précédemment développée ne saurait être remise en cause par la thèse selon laquelle il serait nécessaire de démontrer l'existence d'un accord pour chaque marque, chaque réseau de distribution sélective et la participation de chaque distributeur.
166.En premier lieu, la preuve étant libre, une pratique d'entente verticale généralisée peut être démontrée par la réunion de preuves de nature qualitative aussi bien que quantitative. Ainsi, des clauses contractuelles stipulées entre le fournisseur et ses distributeurs, complétées le cas échéant par des indices de nature comportementale, peuvent suffire à établir une telle entente nonobstant l'absence de production d'éléments quantitatifs.
167.En deuxième lieu, la caractérisation d'une entente verticale anticoncurrentielle, généralisée au sein d'un réseau de distribution, reprochée au fournisseur, impliquant des distributeurs représentant une part significative de la distribution concernée, ne requiert pas l'identification de tous les distributeurs ayant participé à l'entente dès lors qu'il n'est pas retenu d'entente totale au sein de son réseau (Com., 11 juin 2013, Beauté Prestige International, n° 12-13.961).
168.En troisième lieu, il n'est pas indispensable de démontrer, pour chaque marque et chaque réseau de distribution sélectif, l'existence de l'entente verticale. Il est permis de procéder par déduction à partir d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants, comportant, le cas échéant, une combinaison de documents clairs et explicites et d'indices comportementaux. Il importe seulement que lesdits indices, pris dans leur ensemble, soient objectifs et concordants.
169.En l'espèce, en premier lieu, « l'ensemble des distributeurs » en cause doit se comprendre non pas seulement comme les différentes enseignes qui ont fait l'objet d'une notification de griefs et ont bénéficié de la prescription, mais encore comme l'ensemble de opticiens en relation avec les consommateurs.
170.Ce point ne saurait être utilement contesté à la lecture, par exemple, du § 256 du rapport des services de l'instruction du 21 juillet 2016, qui précise que « les éléments réunis ['] concernent à la fois les réseaux Alain Afflelou, GrandVision, Gadol, Krys, Optical Center (en ce compris les têtes de réseaux et les opticiens) mais également divers distributeurs indépendants, situés un peu partout sur le territoire français, jusqu'à la Réunion » (soulignement ajouté, cotes 58719 pour 58606 la VC et 58720 à 58833 pour la VNC).
171.Il est dès lors indifférent que plusieurs enseignes aient bénéficié de la prescription des pratiques qui avaient fait l'objet des griefs qui leur avaient été notifiés, les opticiens, distributeurs en contact avec Luxottica et en relation avec les consommateurs, étant chacun, individuellement, soumis au respect des chartes et clauses contractuelles contenues dans les contrats de distribution sélective établis par Luxottica, et susceptibles d'acquiescer à l'invitation du fournisseur, indépendamment du comportement de l'enseigne d'appartenance (cf. tableau figurant au § 23 du présent arrêt).
172.Il est encore indifférent que des déclarations fassent ressortir que certains distributeurs se sont affranchis des prix conseillés communiqués par le fournisseur, dans la mesure où les indices comportementaux et les documents réunis sont suffisamment objectifs et concordants pour établir l'existence d'une entente généralisée.
173.La Cour considère que les distributeurs ne pouvaient manquer de signer les clauses contractuelles décrites précédemment, sauf à ne pouvoir distribuer les marques Luxottica.
174.La Cour rappelle en outre que ces clauses ont constitué l'un des outils par lesquels le fournisseur a exercé un contrôle sur les prix et que les indices comportementaux relatifs à l'acquiescement des distributeurs confirment l'existence de ce contrôle.
175.Il ne saurait dès lors être reproché à l'Autorité de ne produire ni relevés de prix ni évaluation quantitative du nombre d'opticiens impliqués, pour démontrer l'entente verticale généralisée.
176.En second lieu, comme la Cour l'a déjà indiqué (cf. § 107 du présent arrêt), la pratique a affecté l'ensemble des marques détenues par Luxottica, en propre ou sous licence, ce qui confirme l'existence d'une entente verticale généralisée.
C. Sur la qualification des pratiques de restrictions par objet
177.Dans la décision attaquée (§ 751 et suivants), l'Autorité expose que l'accord entre Luxottica et l'ensemble de ses distributeurs a pour objet de restreindre la liberté tarifaire de ces distributeurs et qu'une telle entente révèle un degré de nocivité justifiant de la qualifier de restriction de concurrence par objet, y compris si elle vise uniquement à décourager lesdits distributeurs de pratiquer des prix inférieurs à un certain niveau (décision de la Commission, 5 juillet 2000, Nathan, COMP.F.1 36.516, C(2000) 1853, point 86) en empêchant l'affichage de certains prix, même si ce niveau n'est pas défini de façon explicite et objective.
178.L'Autorité ajoute, s'agissant du contexte économique et juridique, que l'expérience montre que la diminution de la concurrence intra-marque, qui découle notamment de restrictions tarifaires telles que celles sanctionnées par la présente décision, a pour effet indirect, en réduisant la pression à la baisse sur le prix des produits concernés, d'affaiblir la concurrence inter-marques, qui est déjà limitée par l'attachement des consommateurs à certaines marques. Par ailleurs, sur un strict plan juridique, la mise en place d'un réseau de distribution sélective n'est pas de nature à faire obstacle à la qualification de restriction par objet d'ententes sur les prix telle que celle en cause.
179.Enfin, l'Autorité précise que si l'objectif de protection de l'image de luxe de certains produits est susceptible de justifier la constitution de réseaux de distribution sélective, pour autant, ni la CJUE, ni la Commission européenne n'ont admis qu'un tel objectif était de nature à justifier la conclusion d'ententes verticales sur les prix. Elle conclut que les pratiques mises en 'uvre par Luxottica, en ce qu'elles limitent la concurrence en prix entre les distributeurs, vont au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger l'image de luxe des produits en cause.
180.Luxottica expose, dans la première branche du deuxième moyen, que si la preuve d'une restriction de concurrence par objet est allégée en ce que ses effets anticoncurrentiels n'ont pas à être prouvés, en contrepartie, cet allégement procédural ne peut concerner que les infractions « les plus graves » et dont la nocivité est « manifeste » à la lumière de l'expérience acquise.
181.En matière d'accords verticaux, la Commission européenne considère ainsi comme dangereuse l'imposition de prix de revente fixes ou minimaux. Une restriction de concurrence par objet suppose dès lors un examen seulement sommaire des circonstances juridiques et économiques dans lesquelles l'accord s'insère, tant c'est la nature et les buts objectifs de l'accord qui importent.
182.En l'espèce, le fournisseur soutient qu'il n'existe pas d'expérience acquise dans le cas d'une entente verticale sur des niveaux de prix qui seraient indéterminés, faute de jurisprudence constante, et a fortiori suffisamment fiable, solide, générale, en la matière. Corrélativement, une expérience acquise peut conduire à reconnaître l'absence de nocivité de certaines clauses ou pratiques, voire leur caractère pro-concurrentiel.
183.Luxottica expose ainsi que c'est à tort que l'Autorité considère que les clauses ou pratiques portant interdiction de certaines promotions équivalent à fixer le prix de façon indirecte et constituent des restrictions caractérisées, dès lors que l'imposition indirecte de prix de vente suppose la référence à un prix de vente défini. Ainsi, seules les pratiques fixant un niveau maximal de réduction à partir d'un prix prédéfini sont interdites, car revenant à imposer un prix minimal.
184.Le fournisseur complète son argumentation par le commentaire de nombreuses décisions.
185.Enfin, Luxottica explique que les pratiques tendant à interdire les atteintes à l'image de marque, en particulier des produits haut-de-gamme et de luxe, sont légitimes et licites.
186.S'agissant de la jurisprudence, d'abord, le requérant expose que les clauses dont le libellé consiste à imposer un contrôle préalable de la nature des publicités afin de préserver l'image des marques concernées, ne constituent pas des restrictions de concurrence et sont même indispensables à la préservation de la valeur de la marque ou de l'identité du réseau. Il se réfère sur ce point à l'arrêt Pronuptia (CJCE, 28 janvier 1986, aff. 161/84, § 17 et 22).
187.Luxottica ajoute que l'interdiction de certaines formes de vente et de certains rabais promotionnels, attentatoires à l'image de la marque, est fondée, tant du point de vue du droit des marques, qui tend à protéger les titulaires de marques contre les atteintes à la « sensation de luxe », que du point du vue du droit de la responsabilité civile, qui protège les titulaires de marque contre des comportements emprunts de parasitisme, ou encore que du point de vue du droit de la concurrence, qui autorise la prohibition de clauses contractuelles qui interdisent les opérations promotionnelles dévalorisantes pour le produit ou la marque.
188.Elle conclut que les clauses et donc les pratiques destinées à exclure certaines formes de promotion tarifaire particulièrement attentatoires à l'image de la marque par les distributeurs agréés sont par principe licites et légitimes et estime que l'arrêt Coty Germany (CJUE, 6 décembre 2017, Coty Germany, aff. G-230/16, § 34) consacre, comme d'autres décisions plus anciennes, le principe selon lequel, dans le cadre de la distribution sélective, la promotion et la politique commerciale du distributeur doivent assurer une présentation valorisante du produit. Corrélativement, la résiliation d'un contrat de distribution sélective causée par la mise en place, par le distributeur, d'opérations promotionnelles portant atteinte à l'image des marques du fournisseur, n'est pas fautive.
189.Enfin, Luxottica récuse la pertinence des observations en réponse de l'Autorité en indiquant que la décision attaquée n'a pas retenu la pratique de prix « imposés », et que la jurisprudence qui lui est opposée vise toujours des prix bien précis et non « un certain niveau de prix » indéterminé.
190.S'agissant de l'expérience économique, ensuite, Luxottica se réfère à l'étude menée par un cabinet d'économistes qu'il a mandaté (pièce 10, note économique du 4 juillet 2019), qui rappelle notamment que les promotions de type « deux pour le prix d'un », qui sont un moyen d'écouler des stocks lorsqu'il y a trop d'invendus et sont l'apanage de la grande distribution, sont incompatibles avec l'univers du haut-de-gamme et du luxe, qui repose sur une situation de rareté. L'étude expose encore que les promotions tarifaires dégradantes nuisent à la qualité perçue des produits. Elle démontre enfin, selon Luxottica, que les interventions du fournisseur ne sont pas de nature à engendrer des effets anticoncurrentiels dans le cas où, comme en l'espèce, il n'y a pas d'intervention sur les prix de détail, laquelle serait en outre vaine dans un contexte de forte concurrence inter-marques.
191.Il n'existe en conclusion, selon Luxottica, pas de précédent jurisprudentiel dont il ressortirait que la protection de l'image de marques de luxe et de prestige ne pourrait pas justifier l'opposition à des campagnes promotionnelles, y compris tarifaires, manifestement dévalorisantes et dégradantes telles qu'en l'espèce (« braderie », « vente à 1 € », « une paire gratuite », « offerte », « tirée au sort », etc.). Ainsi, les clauses proportionnées, indépendantes de prix ou niveaux de prix imposés, sont licites et légitimes.
192.Luxottica, dans la quatrième branche du deuxième moyen, demande à la Cour, à titre subsidiaire, et dans l'hypothèse où il demeurerait un doute, d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne par le biais d'une question préjudicielle ainsi libellée :
« Une entente entre un fournisseur et ses distributeurs ne portant pas sur un prix de revente fixe ou minimal déterminé mais sur un 'certain niveau de prix' indéterminé est-elle une restriction de concurrence par objet sur le fondement de l'article 101 § 1 TFUE ' ».
193.L'Autorité, en réponse, considère que le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en l'absence d'un niveau de prix imposés défini de façon explicite dans le cadre d'une entente verticale sur les prix, cette dernière serait dépourvue d'objet anticoncurrentiel.
194.L'Autorité rappelle que la notion de restriction de concurrence par objet, qui s'interprète de manière restrictive, s'applique à certaines coordinations particulièrement nuisibles, révélant un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence, et qu'il suffit en ce cas d'examiner la teneur des dispositions de l'accord, les objectifs qu'il vise à atteindre ainsi que le contexte économique et juridique dans lequel il s'insère, sans que l'examen des effets de la pratique ne soit nécessaire.
195.En outre, la qualification de restriction de concurrence par objet suppose l'existence d'une expérience acquise, suffisamment solide et fiable, ressortant de l'analyse économique entérinée par les autorités chargées de la concurrence et le cas échéant confortée par la jurisprudence. Pour autant, l'Autorité précise qu'il est indifférent, pour caractériser l'infraction, qu'une coordination entre entreprises du même type ait été déjà condamnée. Enfin, le fait que l'accord en cause poursuive un objectif légitime n'empêche pas de caractériser une restriction de concurrence par objet si l'accord poursuit en même temps un objectif illégitime constitutif d'une restriction de concurrence.
196.L'Autorité relève la nocivité des pratiques de prix imposés, même fixés par des moyens indirects. L'Autorité soutient ainsi que les clauses ou pratiques portant interdiction d'opérations promotionnelles peuvent être considérées comme visant à fixer les prix de revente de façon indirecte et être, à ce titre, illicites. L'Autorité commente à cette fin plusieurs décisions déjà citées par Luxottica.
197.L'Autorité indique encore que même lorsqu'elles sont mises en 'uvre au sein d'un réseau de distribution sélective et dans le but de protéger l'image de marque des produits du fournisseur, les ententes verticales sur les prix relèvent de la qualification de restriction de concurrence par objet. Ainsi, les entreprises concernées ne peuvent justifier la pratique en litige qu'au stade de l'exemption demandée sur le fondement de l'article 101, paragraphe 3, du TFUE.
198.En particulier, l'application de clauses visant à protéger une image de marque ne doit ni aller au-delà du nécessaire, ni conduire à l'élimination de toute concurrence par les prix par le biais d'une limitation de la liberté tarifaire du distributeur. L'Autorité constate qu'au cas d'espèce, l'accord entre Luxottica et ses distributeurs constituait une restriction caractérisée dès lors qu'il aboutit à une homogénéisation des comportements des distributeurs dans la détermination de leurs prix de vente au détail en ce qu'il impose par des moyens indirects aux distributeurs le respect d'un certain niveau de prix. Au surplus, selon l'Autorité, Luxottica ne saurait utilement invoquer la jurisprudence rendue en matière de droit des marques et de la propriété intellectuelle, ce cadre d'analyse n'étant ni transposable ni pertinent s'agissant du raisonnement relatif à la restriction de concurrence par objet. L'Autorité soutient encore que l'analyse du contexte économique ne peut permettre de conclure que les pratiques en litige ne comporteraient pas un degré de nocivité suffisant pour la concurrence. Au demeurant, l'Autorité relève que les produits concernés par les pratiques en litige ne peuvent, tous, être considérés comme des produits de luxe stricto sensu (telle la marque Ray Ban).
199.L'Autorité estime qu'une pratique de prix de vente imposés peut être mise en 'uvre par la fixation d'un niveau maximal des réductions que peut accorder un distributeur, le niveau de prix prédéfini pouvant résulter des « prix conseillés » communiqués par le fournisseur à ses distributeurs. Il n'est nul besoin de prix explicitement définis.
200.Enfin, l'Autorité considère que le fait de savoir si les affaires qui ont fait l'objet des décisions jurisprudentielles citées dans la décision attaquée sont de même nature que l'espèce au principal est indifférent pour qualifier les pratiques anticoncurrentielles, dès lors que la référence à ces décisions vise seulement à rappeler l'état de la jurisprudence applicable et que l'Autorité réalise une analyse propre aux faits de l'espèce. L'Autorité observe qu'en tout état de cause, les références aux décisions en cause s'avèrent pertinentes pour la présente affaire.
201.L'Autorité considère qu'au regard des développements qui précèdent, il n'y a pas lieu de renvoyer ladite question à la Cour de justice de l'Union européenne.
202.Le ministre chargé de l'économie est d'avis que la décision attaquée qualifie, à bon droit, de restriction de concurrence par objet, un ensemble de pratiques interdépendantes visant pour le fournisseur à imposer des niveaux de prix, non déterminés de manière explicite, au moyen d'opérations promotionnelles et de remises ainsi que par l'application de prix de vente conseillés.
203.Il relève qu'il résulte de la jurisprudence et de la pratique décisionnelle que le contrôle opéré par le fournisseur sur les opérations promotionnelles et remises des distributeurs revient à procéder au contrôle du respect par les détaillants de prix imposés, ce qui constitue donc une entente verticale prohibée. Il n'est pas nécessaire, selon lui, de démontrer l'existence d'un niveau de prix défini de façon explicite ; il suffit que la liberté tarifaire des distributeurs soit limitée.
204.Il partage l'argumentation de l'Autorité relative aux limites qui s'imposent s'agissant des mesures tendant à la protection de l'image des marques.
205.Le ministère public considère que le caractère inédit de la pratique d'entente verticale sur les prix mise en 'uvre par Luxottica et ses distributeurs ne peut empêcher l'Autorité de sanctionner ladite pratique, dès lors que ni le droit de l'Union ni le droit interne ne fixent de liste exhaustive des manifestations possibles de pratiques anticoncurrentielles.
206.Il considère, comme l'Autorité, que l'absence de référence à un niveau défini de prix de vente imposés ne fait pas obstacle à la caractérisation de la pratique de prix imposés ; il suffit que la pratique conduise à restreindre la liberté tarifaire des distributeurs.
207.Le ministre chargé de l'économie est d'avis que l'entente reprochée à Luxottica, qui s'articule autour du respect des prix conseillés, constitue sans aucun doute possible une entente restrictive de concurrence par objet, et qu'en conséquence, il convient de rejeter cette demande.
208.S'agissant de la nocivité de l'entente verticale sur les prix comme de la possibilité de la justifier, le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
209.Il résulte de la jurisprudence en droit de l'Union que pour relever de l'interdiction énoncée à l'article 101, paragraphe 1, TFUE, comme de celle qui résulte de l'article L. 420-1 du code de commerce, un accord doit avoir pour objet « ou » pour effet, d'empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence. Il en résulte que lorsque l'objet anticoncurrentiel d'un accord est établi, il n'y a pas lieu de rechercher ses effets sur la concurrence (voir, notamment, arrêt Super Bock, précité, point 31).
210.La circonstance qu'un accord constitue un accord vertical n'exclut pas la possibilité que celui-ci comporte une restriction de concurrence par objet. Si les accords verticaux sont, par leur nature, souvent moins nuisibles pour la concurrence que les accords horizontaux, ils peuvent, dans certaines circonstances, comporter un potentiel restrictif particulièrement élevé (voir, en ce sens, l'arrêt Super Bock, point 33, et la jurisprudence citée : les arrêts du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C-32/11, point 43 ; du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C-306/20, point 61).
211.Le critère juridique essentiel pour déterminer si un accord, qu'il soit horizontal ou vertical, comporte une restriction de concurrence par objet réside dans la constatation qu'un tel accord présente, en lui-même, un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence (voir, en ce sens, l'arrêt Super Bock, point 34, et la jurisprudence citée : les arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C-67/13 P, point 57 ; du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C-306/20, point 59).
212.Afin d'apprécier si l'accord en cause présente un tel degré suffisant de nocivité, il convient de s'attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu'il vise à atteindre ainsi qu'au contexte économique et juridique dans lequel il s'insère. Dans le cadre de l'appréciation de ce contexte, il y a également lieu de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché ou des marchés en question (arrêt Super Bock, point 35, et la jurisprudence citée : l'arrêt du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C-32/11, point 36).
213.En outre, lorsque les parties à l'accord se prévalent d'effets pro-concurrentiels attachés à celui-ci, ces éléments doivent être pris en compte en tant qu'éléments de contexte de cet accord dans la mesure où ils pourraient permettre de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l'égard de la concurrence de l'accord en cause (arrêt Super Bock, point 36, et la jurisprudence citée : arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C-307/18, points 103, 105 et 107).
214.C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient d'apprécier si l'accord vertical en cause en l'espèce comporte une restriction de concurrence par objet.
' Sur la teneur et les objectifs des dispositions de l'accord
215.La Cour rappelle que le prix est un paramètre essentiel de la concurrence, comme en témoigne l'article 101, 1 du TFUE, qui interdit les accords tendant à « fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente » (soulignement ajouté par la Cour).
216.Il en résulte qu'une entente verticale peut avoir pour objet de restreindre la liberté tarifaire de distributeurs sans qu'un prix fixe ou minimal de référence ne soit précisément établi. Le simple fait que le distributeur ne puisse librement fixer ses prix, sous la réserve de la prohibition de la vente à perte, en application d'un accord avec son fournisseur, constitue une pratique anticoncurrentielle.
217.Il n'est pas indispensable, pour la caractérisation d'une telle entente verticale, de procéder à des relevés de prix ou de produire des listes de prix déterminés. De telles productions ne sont utiles qu'en vue de l'administration de la preuve de la pratique, laquelle peut, de façon générale, être établie par tous moyens et donc également par d'autres moyens.
218.Ainsi, la référence à des relevés de prix ou à l'existence de prix déterminés dans les nombreuses décisions jurisprudentielles qu'invoque Luxottica ne doit-elle être comprise que comme une modalité de preuve de la pratique dans les différents cas d'espèce en cause.
219.La Cour rappelle que si l'expérience acquise est susceptible d'éclairer la portée d'une pratique, il ne saurait en être tiré la conséquence que seul un précédent jurisprudentiel permettrait d'établir l'existence d'une restriction de concurrence par objet. Les pratiques sont évolutives, la jurisprudence aussi par conséquent. L'énumération et le commentaire d'une série de décisions, dont aucune ne correspond à un cas analogue à celui dont la Cour est saisie, ne sauraient dès lors interdire de qualifier une pratique de restriction par objet (voir, notamment, arrêts de la Cour de justice du 25 mars 2021, Lundbeck e.a.,C-591/16P, points 129 et 130, et Xellia Pharmaceuticals, C-611/16P, points 118 à 120). Par ailleurs, il a déjà été jugé que « l'exigence d'un engagement en matière de prix constitue ['] une condition manifestement étrangère aux besoins d'un système de distribution sélective », et qu'une telle exigence affecte le libre jeu de la concurrence (CJCE, 25 octobre 1983, AEG-Telefunken, affaire 107/82, point 43).
220.En l'espèce, comme il a été exposé, la teneur des dispositions de l'accord en cause a consisté, d'une part, dans le fait pour Luxottica de conférer un caractère impératif aux prix de revente qu'il a conseillés (§ 117 du présent arrêt), d'autre part, dans le fait de procéder à un contrôle des prix remisés pratiqués par les distributeurs dans le cadre d'opérations de promotion commerciale (§ 108 du présent arrêt).
221.Ces deux versants de la pratique en cause ont concouru au même objectif : maintenir le prix de vente aux consommateurs des produits de marque à un certain niveau et limiter l'amplitude des variations par rapport à ce prix.
222.Il a permis à Luxottica de restreindre, par des moyens indirects et convergents, la capacité de ses distributeurs à déterminer leurs prix de vente. Une telle restriction ne peut être regardée que comme nuisible au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence au regard de l'expérience acquise en matière, notamment, d'accords de fixation de prix de revente fixes ou minimaux.
' Sur le contexte économique dans lequel l'accord s'insère
223.Le postulat qui s'infère de la pratique développée par Luxottica, que le groupe théorise dans ses conclusions (§ 374, précité), est que l'image de luxe qui s'attache à une marque est indissociable d'un certain niveau de prix, en sorte que la protection de la marque implique la protection d'un niveau de prix et qu'une éventuelle baisse de prix, dans le cadre par exemple d'une opération promotionnelle, est de nature à nuire à l'image de ladite marque.
224.Admettre une telle relation d'équivalence reviendrait, in fine, à permettre au fournisseur d'une marque de luxe, ou se voulant telle, de fixer un prix de revente minimal de ses produits par ses distributeurs.
225.Il convient ici de rappeler que le système de distribution sélective tend à préserver la haute qualité et l'image de marque des produits. Il requiert pour atteindre ce but, un ensemble d'investissements et de charges variables (magasin situé dans un quartier approprié et une rue adaptée avec des investissements servant à valoriser le local, la vitrine, les étagères, le comptoir, etc.). Il suppose de privilégier l`accueil des clients ainsi que la fourniture d'informations et de conseils par un personnel nombreux et qualifié et autorise les fournisseurs à établir un contrôle sur les méthodes et sur les points de vente de leurs distributeurs ainsi qu'à restreindre, pour partie, leur liberté commerciale notamment en matière d'opérations promotionnelles. En revanche, le distributeur sélectif conserve impérativement toute liberté pour fixer ses prix de vente au consommateur.
226.Ainsi, si le respect de l'image de marque de chaque produit peut être assuré à travers des contrôles portant sur l'aménagement des points de vente agréés ou encore sur la formation du personnel ou la présentation des produits, il n'en va pas de même pour l'altération de la capacité du distributeur à fixer le prix de revente des produits au consommateur final.
227.S'agissant plus particulièrement de la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché, il est connu qu'un niveau de prix élevé peut concourir à l'attractivité d'un bien. C'est l'effet dit « Veblen », caractérisé par une élasticité inversée de la demande par rapport au prix.
228.Pour autant, le seul niveau de prix ne saurait suffire à constituer la valeur d'un bien de luxe. Il ne saurait être admis que la liberté des distributeurs de fixer leurs prix et même de consentir des baisses de prix importantes dans le cadre d'opérations promotionnelles, suffise à nuire à l'image d'une marque. À cet égard, la Commission européenne a déjà considéré que « le caractère dévalorisant d'un point de vente, ou de son enseigne, ne saurait ['] être associé à la politique habituelle de prix du distributeur » (Commission, 24 juillet 1992, Système de distribution sélective de Parfums Givenchy, 92/428/CEE, para. 5).
229.La Cour relève encore que le secteur des lunettes et montures de lunettes est structurellement animé par des opérations de promotion commerciale, en sorte qu'un fournisseur ne saurait s'attendre à ce que ces pratiques ne s'étendent pas, dans ce secteur, à l'ensemble de ses marques, fussent-elles de luxe. En outre, la démarcation entre les marques de luxe et les autres étant évolutive et parfois incertaine (Ray-Ban, par exemple), une telle pratique, si elle était admise, pourrait être étendue à tous les produits d'un fournisseur, selon son bon vouloir.
230.Corrélativement, la nécessité de porter à la connaissance du public l'existence d'une réduction du prix de produits de marque justifie une certaine publicité et l'usage des visuels et logos de la marque concernée. Une position contraire reviendrait à proscrire, de facto, toute information effective des consommateurs sur de telles opérations, sauf à ce qu'ils se trouvent déjà à l'intérieur du magasin, et donc à réduire de façon très significative l'information des consommateurs et l'effectivité de l'opération commerciale.
231.La Cour considère que le contrôle par le fournisseur du prix pratiqué par un distributeur, même dans le cadre d'opérations commerciales axées sur le prix remisé et utilisant le logo ou les visuels de la marque, n'est pas proportionné au regard de l'intérêt qui s'attache à la défense de l'image des marques dans le secteur des lunettes et montures de lunettes.
232.Il ne saurait en conséquence être admis qu'au motif de la protection de l'image de marques qui sont ou se veulent de luxe, il soit permis à un fournisseur de contrôler, directement ou indirectement à travers les supports des opérations promotionnelles de ses distributeurs, le niveau des prix de revente de ses produits.
233.S'agissant des allégations de Luxottica relatives aux effets pro-concurrentiels de l'accord en cause (contenues dans ses développements relatifs à l'exemption individuelle, cf. infra, § 275 et suivants du présent arrêt), prises ici en tant qu'élément de contexte, la Cour ne considère pas que les éléments invoqués justifient de douter raisonnablement du caractère suffisamment nocif de la pratique : si les baisses de prix sur les grandes marques sont plébiscitées par les consommateurs, leur interdiction ne peut être considérée comme allant dans leur intérêt ; s'il apparaissait que lesdites baisses de prix ne rencontraient aucun succès auprès des consommateurs (effet « Veblen »), leur interdiction apparaîtrait inutile.
' Conclusion
234.Il en résulte que l'accord en cause (portant sur le contrôle du prix de revente associé au contrôle des opérations de promotion commerciale), qui est de nature à limiter la concurrence intra-marques entre les distributeurs, révèle, au regard de ces éléments tirés de l'observation du contexte économique une particulière nocivité.
235.La Cour considère ainsi que, dans les circonstances particulières de l'espèce, il n'existe pas de différence fondamentale, sous l'angle de l'atteinte au bon fonctionnement de la concurrence, entre l'accord litigieux, restreignant la liberté tarifaire des distributeurs, et un accord de fixation de prix minimal, le revendeur ne disposant pas en l'espèce d'une réelle possibilité de diminuer le prix de vente recommandé (sur ce dernier point, voir, en ce sens, CJUE, 2 avril 2009, Pedro IV Servicios SL, C-260/07, point 80).
236.Cette analyse ne saurait être remise en cause par le cas des ventes dites « par lots », qui relèvent de formes très particulières mais courantes de promotions commerciales dans le secteur en cause. La Cour entend ici les ventes du type « 2 pour 1 », « 2ème Chanel offerte », « la deuxième paire à un euro », « vos lunettes de marque 1 achetée = 1 offerte quelle que soit la marque » (mémoire Luxottica, § 95 et suivants).
237.En effet, de telles opérations promotionnelles sont de nature à porter atteinte à l'image des marques de luxe, notamment lorsqu'elles font l'objet de contrats de distribution sélective, ce qui justifie que Luxottica stipule leur interdiction.
238.En revanche, la Cour ne considère pas que cette interdiction limite la liberté des distributeurs de procéder à des opérations de promotion commerciale axées sur les prix. En effet, sous la réserve de la prohibition de la revente à perte, ceux-ci peuvent communiquer sur la baisse du prix de produits de marque dans le cadre d'opérations de promotion commerciale, sans pour autant recourir à des ventes par lot.
239.Il reste que ces considérations n'enlèvent rien à la particulière nocivité de la pratique relevée, qui ne se limite pas à l'interdiction des ventes par lots.
' Conclusion sur la qualification de restriction par objet
240.En conclusion de l'ensemble de ces développements, la Cour considère que l'accord en cause s'analyse en une restriction de concurrence par objet. Il n'y a corrélativement pas lieu de transmettre la question préjudicielle proposée par Luxottica (cf. § 192 du présent arrêt).
241.Le moyen sera rejeté.
D. Sur la prescription
242.Dans la décision attaquée (§ 765 à 772), l'Autorité indique que le début de la pratique peut être situé au 17 mai 2005, date d'un courriel de Luxottica à Optical Center relayant une dénonciation émanant de Grand Optical au sujet des pratiques commerciales de l'Optical Center concernant la marque Chanel.
243.Elle ajoute que la fin de la pratique établie peut être fixée au 1er octobre 2014, date de la déclaration d'un distributeur témoignant de son adhésion à la politique de Luxottica dans les termes suivants : « Presque tous les fournisseurs nous donnent des prix conseillés que nous appliquons. Par exemple, Chanel nous donne des prix conseillés. Chanel est incontournable, du coup nous respectons les prix pour ne pas se voir enlever la marque. ['] les fournisseurs peuvent interrompre les livraisons si les prix conseillés ne sont pas respectés » (cote 28939).
244.L'Autorité précise encore que la pratique a revêtu un caractère continu, nonobstant le fait que des ententes d'une durée différente aient été notifiées à GrandVision, Alain Afflelou, Krys et GADOL, l'entente reprochée à Luxottica ayant impliqué l'ensemble de ses distributeurs.
245.Luxottica expose, en premier lieu, qu'après le renvoi par le Collège de l'affaire aux services de l'instruction (décision n° 17-S-01 du 24 février 2017), la poursuite de l'instruction n'a pas apporté le moindre indice supplémentaire par rapport à l'état antérieur de la procédure, les services de l'instruction n'ayant pas complété leur enquête et s'étant bornés à requalifier les pratiques conformément à la décision de renvoi. Luxottica relève qu'au demeurant, le rapport desdits services de 2016 concluait que « sur la période postérieure à 2011, les services d'instruction estiment, au vu des arguments avancés par Luxottica et des éléments du dossier, que les indices réunis sont insuffisants ».
246.En deuxième lieu, Luxottica précise que la date du 21 juillet 2011 constitue le terme de la période prescrite selon la décision attaquée elle-même (en page 47) et soutient qu'au-delà de cette période, la décision ne rapporte pas la preuve qu'il serait allé au-delà de ce que lui autorisent les principes applicables et la jurisprudence en la matière. À l'appui de cette assertion, il se livre à une critique précise de l'ensemble des auditions mentionnées par l'un ou l'autre des tableaux établis par l'Autorité et qui sont postérieures au 21 juillet 2011 (une quinzaine d'auditions en tout) ainsi que des pièces documentaires supposées les étayer. Il en déduit qu'il n'est pas possible de déduire de ces différents documents, l'existence d'un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes conforme aux exigences de la jurisprudence.
247.En troisième lieu, Luxottica expose qu'aucun des principaux distributeurs n'étant plus partie à l'entente reprochée après 2009, et ceux-ci représentant plus de 50 % des points de vente en 2013 et près de 60 % de son chiffre d'affaires, il en résulte que la « part de la distribution concernée » par l'entente ne pouvait plus être « significative », comme l'exige la jurisprudence. Il ajoute que les déclarations postérieures au 21 juillet 2011 et qui émanent des responsables des grandes chaines d'opticiens ne peuvent être retenues contre lui, puisque les chaines qu'ils représentent ont bénéficié de la prescription, ce dont il se déduit qu'ils ne participaient plus à l'entente alléguée. Il proteste que les auditions précitées, qui mettent parfois en cause son concurrent Safilo, n'aient pas été retenues à son encontre pour écarter la prescription, alors qu'elles lui sont opposées.
248.Il considère que rien de probant ne ressort des pièces du dossier postérieures au 21 juillet 2011, qu'il s'agisse des auditions prises individuellement, en groupe, ou encore en les regroupant avec l'ensemble des pièces du dossier portant sur des éléments de fait antérieurs au 21 juillet 2011. Il reproche ainsi à l'Autorité de faire de ces pièces une analyse biaisée et tronquée.
249.Luxottica conclut que la décision attaquée ne pouvait la condamner en application du délai préfix de dix ans prévu à l'article L. 462-7 du code de commerce.
250.L'Autorité répond, en premier lieu, qu'il n'existe pas d'incohérence entre la durée de l'entente reprochée à Luxottica et celle, plus courte, des griefs notifiés à Optical Center, GrandVision ou Alain Afflelou, comme la décision attaquée l'expose au § 769. Elle ajoute qu'il résulte de la jurisprudence que la mise hors de cause de certains distributeurs ne peut suffire à écarter l'existence d'une entente généralisée.
251.En second lieu, l'Autorité indique qu'il résulte du faisceau d'indices que la pratique s'est poursuivie au-delà de juin 2009, et jusqu'au 1er octobre 2014, ainsi qu'il résulte notamment d'une audition pour cette dernière date.
252.Le ministre chargé de l'économie observe que le collège de l'Autorité n'est pas lié par le rapport des services de l'instruction, qu'il est indifférent que les éléments de preuve ne soient constitués que de déclarations (quod non), que la prescription des faits à l'endroit des grandes chaînes d'opticiens n'ôte pas toute valeur probante aux déclarations de leurs responsables pour la période postérieure à 2009 ; ce d'autant que les griefs notifiés sont indépendants et autonomes. Enfin, il n'est pas nécessaire, dans le cas de pratiques morcelées et au caractère disparate, de démontrer par des preuves directes pour chaque année considérée l'existence de la pratique. Après s'être référé à certaines pièces du dossier, il conclut que la pratique s'est poursuivie de façon continue jusqu'au 1er octobre 2014, les déclarations d'un distributeur à cette date constituant la dernière manifestation de l'entente.
253.Le ministère public considère que les faits qui tombent sous le coup de l'application de l'article L. 462-7 du code de commerce peuvent servir à éclairer d'autres faits non prescrits et énumère diverses pièces dont il résulte que la pratique s'est poursuivie jusqu'au 1er octobre 2014.
Sur ce, la Cour :
254.Il résulte du II de l'article L. 462-7 du code de commerce, dans ses rédactions postérieures à l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, que « la prescription est acquise lorsqu'un délai de dix ans à compter de la cessation de la pratique anticoncurrentielle s'est écoulé sans que l'Autorité de la concurrence ait statué sur celle-ci. ».
255.La loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 (dite la loi « Lurel ») puis la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, ont introduit des causes de suspension de ce délai, énumérées aux 1°, 2° et 3° du II de l'article L. 462-7 du même code.
256.Il n'est pas contesté qu'en l'espèce, il n'existe pas de telles causes de suspension de la prescription. L'Autorité conclut ainsi que la prescription décennale est acquise pour les entreprises « dont les pratiques ont cessé plus de dix ans avant le 22 juillet 2021, soit au plus tard le 22 juillet 2011 » (décision attaquée, § 85 à 94).
257.Il importe dès lors, pour apprécier si la pratique reprochée à Luxottica est prescrite, de rechercher si celle-ci avait cessé avant le 22 juillet 2011.
258.La Cour considère, comme l'Autorité, que le début de la pratique peut être fixée au 17 mai 2005, date d'un courriel de Luxottica à Optical Center (cf. § 132 du présent arrêt), et que les pièces du dossier ne permettent pas d'établir qu'elle se serait poursuivie au-delà du 1er octobre 2014 (cf. § 129 du présent arrêt).
259.En outre, la pratique doit être regardée comme continue en raison, d'une part, de la permanence, sur toute la période qui s'étend du 17 mai 2005 au 1er octobre 2014, des règles contenues dans les contrats de distribution sélective et autres chartes (cf. § 100, § 106 du présent arrêt), ces documents contractuels ayant servi de référence à partir de laquelle la pratique a pu se développer, et, d'autre part, de la dispersion, sur l'ensemble de cette période, des différents indices qui ont été relevés.
260.Il en résulte qu'un délai de plus de dix ans ne s'est pas écoulé entre la cessation de la pratique et la date de la décision de l'Autorité.
261.Le moyen sera rejeté.
E. Sur les causes d'exemption
' Sur l'exemption par catégorie (première branche du moyen)
262.Dans la décision attaquée, l'Autorité expose en premier lieu (§ 775), que la pratique mise en 'uvre par Luxottica constitue une restriction caractérisée au sens de l'article 4 des règlements n° 2790/1999 du 22 décembre 1999 et n° 330/2010 du 20 avril 2010. Il ne peut donc faire l'objet d'une exemption par catégorie sur le fondement de l'article 2 de ces mêmes textes. À titre de précédents, l'Autorité se réfère notamment aux décisions de la Commission du 5 juillet 2000 (Nathan, COMP.F.1. 36.516, C(2000) 1853, point 104), et à celle du 16 juillet 2003 (COMP/37.975 Yamaha, points 174).
263.Luxottica soutient que la pratique qui lui est reprochée doit bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par les règlements 2790/99 et 330/2010.
264.Il précise, d'abord, que ces textes sont applicables en l'espèce, Luxottica n'ayant pas franchi les seuils de parts de marché qu'ils prévoient, point qu'au demeurant l'Autorité n'a pas contesté.
265.Luxottica soutient, ensuite, que la pratique qui lui est reprochée ne saurait relever de la qualification de « restriction caractérisée » au sens de l'article 4, point a), des deux règlements précités. Il considère en effet que cette disposition ne concerne que des pratiques visant directement ou indirectement à imposer un prix de vente, ou un niveau de prix de vente, fixe ou minimal, ce qui ressortirait tant des lignes directrices sur les exemptions verticales de 2010 et 2022, que de la pratique décisionnelle la plus récente de l'Autorité, ou encore de la jurisprudence de la CJUE.
266.Il invoque ainsi les arrêts Coty Germany (C-230/16) et JCB (T-67/01). Dans l'affaire Coty Germany, la Cour avait appliqué l'article 4 du règlement d'exemption de manière très restrictive, en vérifiant si les pratiques alléguées correspondaient exactement à celles décrites à l'article susmentionné, tandis que l'avocat général avait rappelé que l'objectif principal des règlements d'exemption était l'amélioration de la prévisibilité et sécurité juridique et que les exceptions de l'article 4 devraient dès lors être facilement identifiables afin de permettre aux entreprises d'auto-évaluer la conformité de leur comportement. Dans l'affaire JCB, le Tribunal avait décidé qu'une restriction incompatible ne pouvait en l'espèce pas être identifiée « en l'absence d'éléments probants et non ambigus démontrant une fixation ou un encadrement strict des prix de vente au détail et des remises ».
267.Luxottica en déduit qu'une pratique susceptible d'avoir une incidence sur les prix de revente, sans pour autant aller jusqu'à leur encadrement strict, ne peut pas être assimilée à une restriction caractérisée.
268.En cas de doute de la Cour, la société propose la transmission de la question préjudicielle suivante à la Cour de Justice : « La restriction caractérisée définie à l'article 4 a) du règlement n° 339/2010 n'exclut-elle du bénéfice de l'exemption par catégorie que les ententes entre un fournisseur et ses distributeurs sur un prix de revente fixe ou minimal déterminé ou s'étend-elle aux ententes portant sur un 'certain niveau de prix' indéterminé ' »
269.L'Autorité considère que l'accord en cause visait à restreindre la liberté tarifaire des distributeurs en contraignant fortement leur capacité à déterminer librement les prix de vente au public des produits concernés. Dès lors, les pratiques reprochées s'analysent en une « restriction caractérisée » au sens des règlements n° 2790/99 et 330/2010 et ne peuvent bénéficier d'une exemption catégorielle.
270.Le ministre chargé de l'économie partage l'analyse de l'Autorité.
271.Le ministère public considère qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'exemption catégorielle, après avoir rappelé que la liberté des prix est un principe fondamental.
' Sur l'exemption individuelle (seconde branche du moyen)
272.Dans la décision attaquée, l'Autorité indique qu'aucune demande n'a été formulée par Luxottica tendant au bénéfice d'une exemption individuelle (§ 776) et ajoute (§ 777) qu'aucun élément du dossier ne permet de considérer que les pratiques mises en 'uvre par Luxottica aient contribué à améliorer la production ou la distribution de ses produits, ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux consommateurs une part équitable des avantages potentiels en résultant. Selon elle, rien n'indique que ces pratiques étaient indispensables, par exemple pour lutter contre le parasitisme, ou pour protéger l'image des marques de Luxottica.
273.Luxottica soutient, à titre subsidiaire, que les pratiques qui lui sont reprochées doivent bénéficier de l'exemption individuelle prévue par les articles 101, § 3 TFUE et L. 420-4 du Code de commerce.
274.Il expose que l'Autorité avait notifié des griefs à Luxottica en février 2015 et en mars 2019, que les pratiques visées par le grief en 2015 incluaient des pratiques de prix imposés et un encadrement de promotions entraînant une entrave à la liberté tarifaire, tandis que les griefs notifiés en 2019 concernaient uniquement les pratiques relatives aux promotions. De ce fait, Luxottica avait seulement formulé une demande d'exemption individuelle pour les griefs de 2019. La décision ayant intégré les pratiques du grief de 2019 dans celles du grief de 2015, Luxottica estime que sa demande d'exemption individuelle devait nécessairement être prise en compte en ce qui concerne lesdits faits.
275.En premier lieu, Luxottica expose que des gains d'efficience spécifiques et objectifs sont avérés et prennent trois formes.
276.D'abord, les pratiques (à les supposer établies) incitent, protègent et valorisent les investissements dans l'image de marque. Entre 1999 et 2018, les investissements de Luxottica dans la promotion de la seule marque Ray-Ban s'élèvent à 830 millions d'euros, en sorte que l'image des marques commercialisées par Luxottica doit donc être considérée comme un actif industriel critique à son activité commerciale. Un encadrement des pratiques promotionnelles attentatoires à l'image de prestige ou de luxe de ces marques, serait ainsi nécessaire afin d'empêcher la dépréciation des investissements consentis et de protéger la compétitivité des produits concernés.
277.Ensuite, les interventions reprochées ont permis de renforcer le segment haut de gamme du marché de la lunetterie et d'accroître le choix offert aux consommateurs. Le requérant relève que ce segment de marché bénéficie d'un dynamisme particulièrement important, affichant un taux de croissance annuel moyen de 9 % entre 2010 et 2016.
278.Enfin, les pratiques en cause sont de nature à permettre de lutter contre le « parasitisme » de certains distributeurs, à savoir le détournement par un distributeur des efforts promotionnels d'un autre distributeur. Dans une telle situation, un distributeur n'ayant pas à supporter les investissements liés à des services à la vente de qualité, pourrait pratiquer des prix inférieurs et attirer ainsi les consommateurs, situation que les lignes directrices discutent.
279.En deuxième lieu, Luxottica se prévaut d'un partage équitable des gains d'efficience avec les consommateurs.
280.Il expose que l'image de marque a aussi une valeur pour les consommateurs, et estime que la protection et le développement de l'image de luxe de ses marques, leur permet de maximiser leurs chances d'acquérir et conserver un produit dont le caractère exclusif et de prestige sera maintenu dans le temps. Il note que cette plus-value de l'image de marque pour les consommateurs a également été reconnue par la Cour de Justice à l'occasion de son arrêt Coty Germany.
281.En troisième lieu, le fournisseur conteste l'existence de restrictions non-nécessaires pour atteindre ces objectifs
282.Il expose que le seul moyen de limiter les dégradations de l'image de marque susceptibles d'être causées ' par exemple par des pratiques promotionnelles tapageuses ' est d'obliger les distributeurs à participer à la protection de l'image de marque. En conséquence, les interventions en cause sont raisonnablement nécessaires pour réaliser les gains d'efficience évoqués précédemment. Le fait que les interventions en cause n'aient motivé qu'une seule résiliation d'un contrat de distribution sélective, accrédite au demeurant leur caractère raisonnablement nécessaire.
283.Luxottica conteste par ailleurs que l'interprétation que l'Autorité fait de la décision Nathan COMP/36.516 de la Commission est inexacte et rappelle que la pratique d'encadrement des promotions sanctionnée dans ladite affaire intervenait dans un contexte de prix imposés et harmonisés allant largement au-delà des interventions de Luxottica.
284.En quatrième lieu, Luxottica conteste que les pratiques en cause aient pu avoir pour effet d'évincer la concurrence.
285.Il considère que la concurrence entre fournisseurs sur les marchés de l'optique est très intense. À ce titre, il invoque : la faible concentration du marché des montures de lunettes, sur lequel un très grand nombre de petits acteurs représente près de 60 % du marché ; une concurrence très vive inter-marques sur le marché des lunettes de soleil ; les barrières à l'entrée très faibles dans le secteur de l'optique, permettant l'entrée continuelle de nouveaux acteurs ; et la tendance pour les géants du luxe à réintégrer progressivement la fabrication des lunettes dans leur giron, exerçant ainsi une forte pression concurrentielle sur les fabricants.
286.En conclusion, Luxottica estime que les pratiques reprochées satisfont en toute hypothèse aux conditions fixées par les articles 101 § 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce, de sorte qu'elles devraient être exemptées de l'application des articles 101 § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.
287.L'Autorité répond que les pratiques reprochées, comme tout accord sur les prix, ne peuvent bénéficier d'une exemption individuelle, d'autant qu'il existe des moyens moins restrictifs de l'autonomie des parties qu'une telle entente pour atteindre l'objectif de protection de l'image des marques.
288.Le ministre chargé de l'économie partage l'analyse de l'Autorité.
289.Le ministère public considère qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'exemption individuelle après avoir rappelé, d'abord, qu'en la matière, la Commission européenne a fixé un standard de preuve élevé dans ses lignes directrices, et ensuite, que devant le collège de l'Autorité, Luxottica n'avait pas avancé d'argument au soutien de cette demande d'exemption, en sorte que l'Autorité n'avait pas à examiner si la pratique en cause pouvait faire l'objet d'une telle exemption.
Sur ce, la Cour :
290.Il résulte de l'article 101, paragraphe 3, TFUE, que les dispositions du paragraphe 1 dudit article peuvent être déclarées inapplicables :
« à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises »,
« qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans:
a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,
b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence ».
' Sur l'exemption par catégorie
291.L'article 2, point 1, du règlement n° 330-210 du 20 avril 2010, dispose que :
« [c]onformément à l'article 101, paragraphe 3, du traité, et sous réserve des dispositions du présent règlement, l'article 101, paragraphe 1, du traité est déclaré inapplicable aux accords verticaux. La présente exemption s'applique dans la mesure où ces accords contiennent des restrictions verticales. » (soulignement ajouté).
292.L'article 4 précise encore que :
« [l]'exemption prévue à l'article 2 ne s'applique pas aux accords verticaux qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d'autres facteurs sur lesquels les parties peuvent influer, ont pour objet :
a) de restreindre la capacité de l'acheteur de déterminer son prix de vente, sans préjudice de la possibilité pour le fournisseur d'imposer un prix de vente maximal ou de recommander un prix de vente, à condition que ces derniers n'équivaillent pas à un prix de vente fixe ou minimal sous l'effet de pressions exercées ou d'incitations par l'une des parties ; ['] » (soulignement ajouté)
293.Les règlements antérieur (n° 2790/1999 du 22 décembre 1999) et postérieur (n° 2022/720 du 10 mai 2022) contiennent des dispositions similaires.
294.Le considérant 8 du règlement du 20 avril 2010, précité, énonce enfin qu' « [o]n peut présumer, lorsque la part de marché détenue par chaque entreprise partie à l'accord sur le marché en cause ne dépasse pas 30 %, que les accords verticaux qui ne contiennent pas certaines restrictions graves de concurrence ont généralement pour effet d'améliorer la production ou la distribution et de réserver aux consommateurs une partie équitable des avantages qui en résultent » (soulignement ajouté).
295.Les « lignes directrices sur les restrictions verticales du 10 mai 2010 » (2010/C130/01) de la Commission européenne indiquent aux points 47 et 48 que (soulignement ajouté) :
« 47. L'article 4 du règlement d'exemption par catégorie énumère une liste de restrictions caractérisées qui entraînent l'exclusion de l'intégralité de l'accord vertical du champ d'application dudit règlement. Lorsqu'une telle restriction caractérisée est incluse dans un accord, il est présumé que cet accord relève de l'article 101, paragraphe 1. Il est également présumé qu'il est peu probable que cet accord remplisse les conditions énoncées à l'article 101, paragraphe 3, raison pour laquelle l'exemption par catégorie ne s'applique pas. [']
48. La restriction caractérisée visée à l'article 4, point a), du règlement d'exemption par catégorie concerne les prix de vente imposés, c'est-à-dire les accords ou pratiques concertées ayant directement ou indirectement pour objet l'établissement d'un prix de vente fixe ou minimal ou d'un niveau de prix de vente fixe ou minimal que l'acheteur est tenu de respecter. ['] »
296.La Cour a déjà indiqué (supra, § 235 du présent arrêt) qu'elle considère qu'il n'existe pas de différence fondamentale, sous l'angle de l'atteinte au bon fonctionnement de la concurrence, entre un accord qui tend à limiter la liberté tarifaire des distributeurs et un accord de fixation de prix minimal, le revendeur ne disposant dans aucun de ces cas d'une possibilité réelle de diminuer le prix de vente recommandé.
297.Un accord tel que celui en cause relève ainsi de la catégorie des accords qui ont « pour objet de restreindre la capacité de l'acheteur de déterminer son prix de vente » au sens de l'article 4, point a), des règlements n° 2790/1999 du 22 décembre 1999 et n° 330-210 du 20 avril 2010 et à imposer un prix au sens du point 48 des lignes directrices.
298.En conséquence, Luxottica ne saurait prétendre au bénéfice d'une exemption par catégorie. Il n'y a corrélativement pas lieu de transmettre la question préjudicielle proposée par Luxottica (cf. § 268 du présent arrêt).
' Sur l'exemption individuelle
299.L'article 101, paragraphe 3, TFUE, précité, mentionne les conditions auxquelles les dispositions du paragraphe 1 de l'article 101, peuvent être déclarées inapplicables à un accord entre entreprises.
300.L'article L. 420-4 du code de commerce contient des dispositions analogues.
301.La Cour observe que l'Autorité a motivé sa décision sur le point de savoir si les pratiques en cause sont susceptibles de bénéficier d'une exemption individuelle au § 777 de la décision attaquée.
302.Elle juge également que les restrictions imposées aux distributeurs, au nom de la protection de l'image des marques de Luxottica, n'étaient pas proportionnées pour les raisons mentionnées notamment aux paragraphes 227 à 232 du présent arrêt.
303.La Cour considère encore que ces pratiques ne réservent pas aux consommateurs une part équitable du profit qui en résulte, les pertes supposées de certains sur le long terme étant compensées par les gains réalisés par ceux qui bénéficient des opérations de promotion commerciale.
304.Enfin, la Cour considère, à la lumière du point 175 des lignes directrices sur les restrictions verticales du 10 mai 2010 (susmentionnées), que, d'un point de vue économique, les pratiques en cause risquent d'affaiblir la concurrence intra-marques, d'évincer un ou plusieurs types de distributeurs, d'atténuer la concurrence et de faciliter les collusions entre fournisseurs ou acheteurs.
305.Pour l'ensemble de ces raisons, Luxottica ne peut saurait prétendre au bénéfice d'une exemption individuelle.
306.Le moyen sera rejeté.
II. SUR LA PRATIQUE RELATIVE À L'INTERDICTION DE LA REVENTE EN LIGNE (SECOND GRIEF PORTANT SUR LES ARTICLES 7, 8, 11, 12 ET 13 DE LA DÉCISION ATTAQUÉE)
A. Sur la qualification de restriction par objet
307.Dans la décision attaquée (§ 804 à 884), l'Autorité, après avoir rappelé le standard de preuve applicable en matière d'entente verticale et de restriction de concurrence, précise les conditions dans lesquelles la clause d'un contrat de distribution sélective ayant pour conséquence une interdiction de vente en ligne constitue une restriction par objet (CJUE, 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, C-439/09, ci-après, « l'arrêt Pierre Fabre » ; 6 décembre 2017, Coty Germany GmbH, C 230/16, ci-après, « l'arrêt Coty »).
308.En premier lieu, s'agissant de l'entente entre Chanel et Luxottica, l'Autorité, se référant au tableau 53, qui rappelle les griefs en cause, considère que les clauses contractuelles mentionnées dans les contrats convenus entre Chanel et Luxottica constituent une preuve directe et caractérisent une restriction de concurrence par objet.
309.S'agissant du contexte juridique, l'Autorité indique que si la législation française encadre la distribution des produits d'optique ' dont certains constituent des dispositifs médicaux ' afin de protéger la santé publique, elle n'a jamais imposé aux détenteurs de marque et fabricants de lunettes d'interdire aux distributeurs de commercialiser leurs produits en ligne. Elle n'éliminait pas non plus toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part (§ 865).
310.S'agissant du contexte économique, l'Autorité précise que la circonstance qu'un certain nombre d'entreprises aient vendu sur Internet les produits en cause, fût-ce de manière résiduelle, atteste qu'il n'existait pas de contrainte dirimante de nature technique ou économique (§ 867). Elle précise par des exemples de quelle manière les ventes sur Internet pouvaient intervenir, nonobstant les difficultés avancées par Luxottica.
311.Elle ajoute que Chanel et Luxottica ne justifient pas de ce que la pratique constatée aurait poursuivi des objectifs légitimes, en sorte que, conformément à la jurisprudence de la présente Cour (CA Paris, 31 janvier 2013, TG 08/23812, page 15), les interdictions générales et absolues de vente par Internet ne sont pas justifiées par, ni proportionnées à la poursuite d'un objectif légitime.
312.L'Autorité ajoute que les clauses en cause constituent par ailleurs des restrictions caractérisées au sens des règlements d'exemption n° 2790/1999 et 330/2010.
313.En second lieu, s'agissant des ententes entre Luxottica et les distributeurs agréés Chanel, Prada, Prada Linéa Rossa, Dolce & Gabbana, Bulgari, l'Autorité, se référant au tableau 54, qui rappelle les griefs en cause, indique que les ententes constatées ressortent directement des contrats et chartes de détaillants agréés.
314.S'agissant des produits de la marque Chanel, l'Autorité précise la teneur des clauses contractuelles antérieurement et postérieurement au 30 janvier 2008, date à laquelle la rédaction précise des clauses portant sur la vente en ligne a été modifiée, et conclut que, nonobstant cette évolution rédactionnelle, il résulte de ces contrats, d'abord, que la vente en ligne des produits en cause était interdite, ensuite, que ces contrats constituent une preuve directe de l'entente.
315.S'agissant des produits des marques Prada, Prada Linéa Rossa, Dolce & Gabbana, Bulgari, l'Autorité indique que les chartes de détaillants agréés, nonobstant l'évolution de leur rédaction après le 30 octobre 2006, interdisent aux détaillants agréés la vente en ligne des produits des marques précitées, et précise que ces contrats constituent des preuves directes des ententes.
316.S'agissant du contexte juridique et économique, des justifications avancées, de la qualification de restrictions caractérisées au sens des règlements d'exemption, l'autorité reprend ses développements concernant l'entente entre Chanel et Luxottica.
317.Luxottica expose, en premier lieu, et en considération des clauses contractuelles en cause, que l'Autorité qualifie de pratique restrictive de concurrence par objet, qu'il incombait à l'Autorité de vérifier que « des circonstances particulières ne sont pas susceptibles de faire naître un doute sur la nocivité présumée » de l'accord en cause, ce qui justifierait de remettre en cause la présomption d'effets anticoncurrentiels.
318.En effet, le contexte juridique et économique dans lequel s'inscrit la pratique permet de faire échapper l'entente, à la lumière de l'expérience acquise, à la qualification de restriction par objet. Or précisément, la décision attaquée en prend pas en compte le contexte juridique et économique dans lequel la pratique s'inscrit.
319.Il considère, à l'appui de cette argumentation, que si l'interdiction de vente en ligne imposée par un fournisseur a pu être regardée comme une restriction par objet en application de l'arrêt Pierre Fabre, cet arrêt a cependant été relégué au rang d'arrêt d'espèce par l'arrêt Coty et par les conclusions de l'avocat général qui en éclairent la portée. Il en résulte qu'il appartenait à l'Autorité de tirer les conséquences du contexte juridique et économique dans lesquels les pratiques s'insèrent.
320.Luxottica soutient, en deuxième lieu, que l'Autorité n'a pas procédé à l'examen du contexte juridique pendant la période couverte par les griefs (1999-2013), puisqu'elle s'est bornée à soutenir que l'infraction n'a pas été imposée par la réglementation, et que si elle l'avait fait, elle aurait constaté que bien que les textes n'aient en principe pas interdit la vente de produits d'optique-lunetterie en ligne, les juridictions françaises s'étaient montrées réticentes à l'admettre (Com., 14 janvier 1997, pourvoi n° 95-12.011 ; TC Paris, 11 mai 2010, pièce 12 du dossier Luxottica). Le groupe ajoute encore que la Commission européenne considérait que la législation française entravait la commercialisation à distance de produits d'optique lunetterie, ce qui l'avait conduit à lancer une procédure en manquement contre la France (procédure ouverte le 27 juin 2007), laquelle n'a pris fin qu'après l'adoption de la loi Hamon en 2014 (procédure classée le 26 novembre 2014).
321.Il en résulte que la situation légale était incertaine, s'agissant de la vente en ligne de produits d'optique-lunetterie avant 2014, ce qui faisait obstacle à la qualification de pratique restrictive de concurrence par objet.
322.Luxottica soutient, en troisième lieu, que l'Autorité n'a pas tiré les conséquences qui s'imposaient en considération du contexte économique.
323.Luxottica expose que les ventes en ligne de lunettes ont toujours été très faibles (2 % du marché en valeur en 2013, 4 % en 2020) et rappelle les doutes émis par des professionnels de la santé visuelle et des associations de consommateurs à l'égard de la commercialisation de lunettes en ligne, l'achat de lunettes présentant un caractère médical, ce qui suppose un accompagnement par un spécialiste notamment pour le taillage et le centrage des verres.
324.Le groupe explique les freins au développement des ventes en ligne par l'impossibilité d'essayer les lunettes sur Internet, l'impossibilité d'adapter l'équipement dans de bonnes conditions (centrage des verres, serrage des branches, etc.) et la complexité de la procédure d'achat (prise en compte de la prescription, absence de tiers payant, etc.).
325.Ainsi, Luxottica était fondé à considérer que des achats inappropriés pouvaient remettre en cause la confiance des clients pour les produits et marques qu'il commercialise.
326.Luxottica conclut que le contexte économique aurait dû conduire l'Autorité à écarter la présomption de nocivité de l'entente et à effectuer un examen circonstancié des potentiels effets anticoncurrentiels.
327.Luxottica, en quatrième lieu (et à titre surabondant), reproche à l'Autorité de ne pas avoir identifié les effets anticoncurrentiels des pratiques à partir d'un scénario contrefactuel ou d'un examen approfondi. Il rappelle que les ventes en ligne demeurent très faibles en 2020 (4 % de la valeur du marché), comme elles l'étaient en 2013 (2 %).
328.Dans ses observations en réponse, l'Autorité rappelle, en premier lieu, avoir analysé si les pratiques d'interdiction de vente en ligne pouvaient être considérées comme une restriction de concurrence par objet au regard de la teneur et des objectifs des stipulations contractuelles en cause, de leur contexte juridique et économique. Elle expose que les stipulations contractuelles en cause ont clairement pour objectif d'interdire la vente en ligne des lunettes solaires et montures de lunettes des marques Chanel, Prada, Prada Linea Rossa, Dolce & Gabana, Bulgari.
329.En deuxième lieu, s'agissant du contexte juridique, l'Autorité renvoie aux paragraphes 856 et suivants et 913 et suivants de la décision pour l'analyse de l'objet des pratiques. Elle indique en outre que la législation française, dans son état antérieur à la loi Hamon de 2014, n'interdisait pas la vente en ligne de montures de lunettes de vue, et récuse toute pertinence aux décisions judiciaires produites par Luxottica. Elle ajoute que l'avis formulé par la Commission européenne quant à ce que permettait ou non la loi française à l'époque, ne saurait en lui-même établir l'illégalité des dispositions du code de santé publique de l'époque au regard du droit de l'Union.
330.En troisième lieu, s'agissant du contexte économique, l'Autorité renvoie aux paragraphes 864 à 867 de la décision et conclut qu'il n'existait aucune contrainte dirimante de nature technique ou économique à la vente des produits en cause sur Internet.
331.En quatrième lieu, s'agissant de l'effet anticoncurrentiel des pratiques, l'Autorité réplique que la thèse de Luxottica revient à nier l'existence même de la distinction entre restrictions de concurrence par objet et par effet et ajoute que le recours à un scénario contrefactuel n'est pertinent que lorsque la pratique ne révèle pas un degré suffisant de nocivité justifiant de la qualifier de restriction par objet. L'Autorité soutient avoir suivi la méthodologie issue de la jurisprudence en droit de l'Union (CJUE, 25 mars 2021, C-591/16 P, Lundbeck, points 112, 139 à 141) pour qualifier la pratique de restriction par objet.
332.Le ministre chargé de l'économie est d'avis que l'arrêt Coty n'a pas remis en cause l'arrêt Pierre Fabre sur le point qu'une clause d'interdiction de vente en ligne constitue une restriction par objet, en sorte que l'Autorité n'avait pas à rechercher si les pratiques avaient eu des effets anticoncurrentiels. Il partage pour le surplus l'analyse de l'Autorité.
333.Le ministère public admet que la présomption d'effets anticoncurrentiels attachée à une restriction par objet peut être remise en cause par le contexte juridique et économique dans lequel la pratique s'inscrit.
334.Il considère cependant que le moyen doit être rejeté, considérant que l'Autorité a qualifié à juste titre la pratique en cause de restriction par objet, après avoir mis en 'uvre la méthode décrite par la CJUE. En l'absence de poursuite d'objectifs légitimes, l'infraction par objet ne pouvait être justifiée, en sorte que l'Autorité n'avait pas à en démontrer les effets anticoncurrentiels.
Sur ce, la Cour :
335.Ainsi qu'il a été rappelé (cf. § 209 et suivants du présent arrêt), lorsque l'objet anticoncurrentiel d'un accord est établi, il n'y a pas lieu de rechercher ses effets sur la concurrence. Il n'est pas exclu qu'un accord vertical puisse comporter une restriction de concurrence par objet. Le critère juridique essentiel pour déterminer si un accord, qu'il soit horizontal ou vertical, comporte une restriction de concurrence par objet réside dans la constatation qu'un tel accord présente, en lui-même, un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence. Afin d'apprécier si l'accord en cause présente un tel degré suffisant de nocivité, il convient de s'attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu'il vise à atteindre ainsi qu'au contexte économique et juridique dans lequel il s'insère. Dans le cadre de l'appréciation de ce contexte, il y a également lieu de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché ou des marchés en question. Lorsque les parties à l'accord se prévalent d'effets pro-concurrentiels attachés à celui-ci, ces éléments doivent être pris en compte en tant qu'éléments de contexte de cet accord dans la mesure où ils pourraient permettre de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l'égard de la concurrence de l'accord en cause.
336.S'agissant du cas particulier des clauses contractuelles interdisant ou restreignant la vente en ligne de produits dans le cadre d'un système de distribution sélective, il y a encore lieu de se référer aux deux arrêts de la CJUE des 13 octobre 2011, (Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, C-439/09, ci-après, « l'arrêt Pierre Fabre ») et 6 décembre 2017 (Coty Germany GmbH, C 230/16, ci-après, « l'arrêt Coty »).
337.L'arrêt Pierre Fabre indique en son point 46 que « [l]'objectif de préserver l'image de prestige ne saurait constituer un objectif légitime pour restreindre la concurrence et ne peut ainsi pas justifier qu'une clause contractuelle poursuivant un tel objectif ne relève pas de l'article 101, paragraphe 1, TFUE. ».
338.Il ajoute en son point 47 que « ['] l'article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu'une clause contractuelle, dans le cadre d'un système de distribution sélective, exigeant que les ventes de produits cosmétiques et d'hygiène corporelle soient effectuées dans un espace physique en présence obligatoire d'un pharmacien diplômé, ayant pour conséquence l'interdiction de l'utilisation d'Internet pour ces ventes, constitue une restriction par objet au sens de cette disposition si, à la suite d'un examen individuel et concret de la teneur et de l'objectif de cette clause contractuelle et du contexte juridique et économique dans lequel elle s'inscrit, il apparaît que, eu égard aux propriétés des produits en cause, cette clause n'est pas objectivement justifiée ».
339.L'arrêt Coty a précisé au sujet de l'arrêt Pierre Fabre que « la Cour a considéré que la nécessité de préserver l'image de prestige des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle concernés ne constituait pas une exigence légitime aux fins de justifier une interdiction absolue de vente de ces produits sur Internet. L'appréciation figurant au point 46 de cet arrêt se rapportait, dès lors, aux seuls produits en cause dans l'affaire ayant donné lieu audit arrêt et à la clause contractuelle concernée dans cette affaire ».
340.C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient d'apprécier si les contrats et chartes en cause en l'espèce comportent des clauses constituant une restriction de concurrence par objet.
' Sur la teneur des dispositions des accords
341.En premier lieu, les contrats successivement conclus entre Luxottica et Chanel contiennent les clauses suivantes (cf. les tableaux 49 et 50 de la décision attaquée).
342.Dans le contrat du 5 mai 1999 :
« Le Détaillant agréé s'interdit de mettre en vente les Lunettes à l'extérieur du Point de Vente, et notamment devant son entrée et/ou ses vitrines » (Appendix I, « List of the qualitative criteria », point 1.1.3, cote 24 787, ann. 447)
« Le Détaillant agréé ['] s'interdit de recourir à la vente à distance ou, de manière générale, à toute vente en dehors de son Point de Vente » (point 1.6.4, cote 24 789)
343.Dans le contrat du 16 février 2004 :
« g) On the basis of their experience, the Parties have come to the conclusion that the Products cannot, for the time being, be sold through the Internet, consistently with the Qualitative Criteria, at a reasonable cost and with reasonable expectations of return on investment. Should this situation change significantly, the Parties agree to reassess their common position in this respect. ».
Traduction libre : « sur la base de leur expérience, les parties ont conclu que les produits ne peuvent pas, pour le moment, être vendus par Internet, en conformité avec les critères qualitatifs, à un coût raisonnable et avec des attentes raisonnables de retour sur l'investissement. Si cette situation devait changer de façon significative, les parties conviennent de réévaluer leur position commune à cet égard » (clause 7.2 g), cote 24 646, annexe 447, soulignement ajouté)
' « Le Détaillant Agréé ['] s'interdit ['] de recourir à la vente à distance ou, de manière générale, à toutes vente en dehors du Point de Vente » (Annexe L, point 1.6.4, cote 24700, ann. 447).
344.Dans le contrat du 30 janvier 2008 :
' « h) On the basis of their experience, the Parties have come to the conclusion, under the previous agreement, that the Products could not be sold through the Internet by Authorized Retailers, consistently with the Qualitative Criteria, at a reasonable cost and with reasonable expectations of retum on investment. The Parties agree to reassess this common position in the course of the first two years of this Agreement in order to elaborate together the way sales of the Products through the Internet could be organized without jeopardizing the high quality luxury image of the Trademark ».
Traduction libre : « sur la base de leur expérience, les parties ont conclu, en vertu de l'accord précédent, que les Produits ne peuvent pas être vendus par Internet par les Distributeurs Agréés, en conformité avec les critères qualitatifs, à un coût raisonnable et avec des attentes raisonnables de retour sur l'investissement. Les parties conviennent de réévaluer cette position commune au cours des deux premières années du présent accord afin d'élaborer ensemble la façon dont la vente de produits par internet pourrait être organisée sans compromettre l'image de luxe de haute qualité de la marque ». (clause 7.2, h), cote 24 355, annexe 859, soulignement ajouté)
' « The Authorized Retailer'refrains ['] from ['] having recourse to selling outside of the Point of Sale ». Traduction libre : « Le Détaillant Agréé ['] s'interdit ['] de recourir à la vente à distance ou, de manière générale, à toutes vente en dehors du Point de Vente » (Annexe L, point 1.6.4, cote 24 419, VC, ann. 437, et 63 028, VNC).
345.En deuxième lieu, les contrats de détaillant agréé pour la revente des produits de marque Chanel précisaient :
' jusqu'en 2008 : « le Détaillant Agréé ['] s'interdit [ '] de recourir à la vente à distance ou, de manière générale, à toute vente en dehors du Point de Vente » (à titre d'exemple, contrat du 14 juin 2002 entre Luxottica et Afflelou, point 1.6.4, cote 22 117, ann. 389) ;
' à partir du contrat du 30 janvier 2008 : « le Détaillant Agréé ['] s'abstient [ '] d'avoir recours à toute forme de commercialisation en dehors du Point de Vente » (à titre d'exemple, cote 27 776, point 1.6.4 du contrat entre Luxottica et Royal Optique, 22 avril 2011).
346.En troisième lieu, les chartes concernant des détaillants agréés pour les marques Prada, Prada Linea Rossa, Dolce & Gabbana et Bulgari précisent :
' dans les chartes du 30 octobre 2006 : « Le Détaillant Agréé s'engage à ne pas vendre ou présenter les Produits par catalogue, par correspondance ou par Internet » (exemple : cote 131, ann. 8, charte de détaillant agréé DOLCE & GABBANA, article2).
' dans les chartes postérieures : « le Détaillant Agréé s'engage à ne pas vendre ou présenter les Produits par catalogue ou par correspondance [']. ['] pas la vente sur le site Web du Détaillant ['] » (exemples : cote 22 131, ann. 389, charte de détaillant agréé Bulgari, article 3 ; cote 28 219, ann. 582, charte de détaillant agréé Prada, article 2).
' Sur les objectifs poursuivis par les accords
347.L'ensemble de ces contrats poursuit l'objectif d'interdire la vente en ligne des produits des marques précitées par les détaillants agréés.
348.Cet objectif ressort clairement du libellé des clauses insérées dans les contrats conclus entre Luxottica et Chanel de 1999 à 2014, d'une part, des contrats conclus entre Luxottica et les détaillants agréés pour les marques Prada, Prada Linea Rossa, Dolce & Gabbana et Bulgari, d'autre part.
349.S'agissant des contrats conclus entre Luxottica et les distributeurs agréés de la marque Chanel, il ne résulte pas de la formulation « le Détaillant Agréé ['] s'abstient [ '] d'avoir recours à toute forme de commercialisation en dehors du Point de Vente » (cf. § 345 du présent arrêt), qui supprime la référence à la vente à distance et substitue la notion de « commercialisation » à celle de « vente », que le champ d'application de la clause ait été modifié par rapport à la version précédente. Cette modification n'implique pas, en effet, que la vente à distance ne constitue pas une forme de « commercialisation » en dehors du point de vente.
350.En outre, ces contrats doivent être interprétés à la lumière des contrats successivement conclus entre Luxottica et Chanel, qui établissent que Luxottica et Chanel, en 2008 notamment, entendaient interdire la vente en ligne des produits de la marque Chanel par les détaillants agréés.
351.Il résulte de ces considérations que ces clauses poursuivent le même objectif d'interdiction des ventes en ligne des produits de la marque Chanel.
352.En conclusion, les clauses contractuelles en cause ont en commun d'avoir eu pour objectif d'interdire de façon absolue la vente en ligne par les distributeurs agréés de montures de lunettes de vue et de lunettes de soleil.
353.Conformément à la doctrine des arrêts Pierre Fabre et Coty, ces clauses doivent être regardées, prima facie, sous réserve d'un examen du contexte des accords, comme restrictives de concurrence par objet, puisqu'elles comportent une interdiction absolue de vendre en ligne, peu important dès lors que les produits en cause soient de marque.
' Sur le contexte juridique et économique dans lequel les accords s'insèrent
354.S'agissant du contexte juridique, il n'y a pas lieu ici d'examiner les modalités selon lesquelles la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (ci-après, la « loi Hamon »), dont l'objet ne portait pas sur la commercialisation des montures de lunettes et des lunettes de soleil, a organisé la vente en ligne des verres correcteurs.
355.Il convient seulement de rappeler que l'article L. 4362-9 du code de la santé publique, dans ses versions antérieures à la loi Hamon, disposait (soulignement ajouté) que
« [l]es établissements commerciaux dont l'objet principal est l'optique-lunetterie, leurs succursales et les rayons d'optique-lunetterie des magasins ne peuvent être dirigés ou gérés que par une personne remplissant les conditions requises pour l'exercice de la profession d'opticien-lunetier.
Le colportage des verres correcteurs d'amétropie est interdit. ['] ».
356.Il ne résulte pas de ce texte que la vente de montures de lunettes ou de lunettes de soleil en ligne, sous réserve qu'elle soit proposée par un établissement dirigé ou géré par un opticien-lunettier, en raison du monopole légal dont bénéficie cette profession, aurait été illicite en l'état du droit antérieur à la loi Hamon.
357.La prohibition du colportage, assortie d'une amende (article L. 4363-4 du même code) à supposer qu'elle impliquait l'interdiction de la vente en ligne, point qu'il n'importe pas à la Cour de trancher en l'espèce, ne portait, en tout état de cause que sur les verres d'amétropie.
358.L'arrêt de la Cour de cassation (Com., 14 janvier 1997, pourvoi n° 95-12.011), invoqué par Luxottica, énonce que la livraison par correspondance de lentilles de contact et des produits destinés à leur entretien ne permet pas un véritable contrôle, selon l'appréciation souveraine d'une cour d'appel, en raison de l'absence d'« intervention » d'un opticien diplômé.
359.Cet arrêt ne fait que rappeler le monopole des opticiens lunettiers pour la vente des produits médicaux que sont les lentilles de contacts, qui découle de l'article L. 4362-9 du code de la santé publique.
360.Par ailleurs, le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 10 mai 2010 qu'invoque Luxottica (pièce 12 de son dossier), s'il met l'accent sur l'obligation de conseil qui pèse sur l'opticien-lunetier et les conséquences qui en découlent quant à l'organisation de la vente en ligne, en l'espèce, de lentilles de contact, n'en demeure pas moins une décision d'espèce dont les motifs critiquent les modalités particulières selon lesquelles un site de vente en ligne était organisé. Son autorité ne saurait s'étendre jusqu'à avoir interdit aux opticiens-lunetiers de vendre en ligne des montures de lunettes de vue et des lunettes de soleil.
361.Ainsi, rien dans les décisions invoquées par Luxottica ne permet de supposer que la vente en ligne de montures de lunettes et de lunettes de soleil par des établissements dirigés ou gérés par des opticiens-lunetiers dûment diplômés aurait été interdite par principe.
362.Il est enfin indifférent que la Commission européenne ait pu considérer que les dispositions du code de la santé publique en matière d'optique-lunetterie, qui portent essentiellement sur l'organisation de la profession d'opticien-lunetier et sur les modalités de la prescription et de la vente des verres correcteurs, n'aient pas été conformes au droit de l'Union antérieurement à la promulgation de la loi Hamon.
363.En conclusion, la Cour considère que l'environnement juridique ne présentait pas le caractère incertain ou ambigu que Luxottica allègue.
364.S'agissant du contexte économique ' et plus particulièrement de la nature des biens affectés, des conditions réelles du fonctionnement du marché, et de sa structure ' la Cour rappelle qu'une paire de lunettes de vue est composée d'une monture et de verres.
365.Il n'y a donc pas lieu d'amalgamer, comme semble le faire Luxottica, la vente de montures de lunettes de vue et de lunettes de soleil, à la vente de lunettes, qui sont des produits composites et donc différents. S'il existe indubitablement des freins au développement des ventes en ligne des lunettes de vue, notamment dans le cas de verres présentant une certaine complexité, on ne peut en inférer que les mêmes freins agiraient nécessairement dans le cas de la vente de montures de lunettes et de lunettes de soleil. Luxottica ne saurait non plus présumer que l'insatisfaction alléguée des clients à réception de leurs lunettes acquises en ligne, serait imputée par ceux-ci à la marque de la monture, alors que l'éventuelle difficulté qui pourrait être rencontrée porterait sur la qualité des prises de mesure et le centrage des verres correcteurs.
366.Les ventes en ligne de lunettes représentaient 2 % des ventes totales en 2013 et 4 % en 2020 selon des données admises tant par l'Autorité que par Luxottica (étude Xerfi 700 « La distribution d'optique », avril 2014, cote 33099 ; H. Charronière, « Acuitis se renforce dans la vente en ligne », 6 février 2020, Les Échos études, article mentionné au § 40 de la décision attaquée). Si ce niveau de pénétration du marché par la vente en ligne est modeste, il n'en demeure pas moins qu'il a doublé entre 2013 et 2020, ce qui n'est pas négligeable au regard du caractère émergent de ce canal. Il ne saurait en être déduit que la pratique en cause n'aurait pu avoir aucune incidence du fait des freins qui s'opposent au développement des ventes de lunettes en ligne, d'une part, parce que d'autres pratiques anticoncurrentielles ont pu porter sur la vente en ligne de verres correcteurs jusqu'en 2020, d'autre part, parce que rien ne prouve que le canal des ventes de lunettes en ligne aurait épuisé son potentiel de développement.
367.Enfin, le caractère émergent, et donc marginal, d'un canal de vente ne saurait être invoqué pour dénier toute portée anticoncurrentielle à une pratique. Au contraire, dans le cas d'un canal émergent, lorsque de nouvelles habitudes de consommation ne sont pas installées, les pratiques anticoncurrentielles sont susceptibles de produire des effets d'un grand degré de nocivité.
' Conclusion
368.Ainsi qu'il a été dit, les clauses contractuelles en cause ont eu pour objectif d'interdire de façon absolue la vente en ligne par les distributeurs agréés de montures de lunettes de vue et de lunettes de soleil des marques Chanel, Prada, Prada Linea Rossa, Dolce & Gabbana et Bulgari.
369.Elles doivent être analysées comme restrictives de concurrence par objet.
370.L'examen du contexte juridique et économique ne justifie pas, selon la Cour, de douter que ces clauses présentent un degré suffisant de nocivité pour la concurrence, ni par conséquent de remettre en cause la qualification de restriction par objet.
371.Il ne saurait dès lors être reproché à l'Autorité, fût-ce à titre subsidiaire, de n'avoir pas élaboré un scénario contrefactuel, ou procédé à un examen plus approfondi du contexte économique, afin de caractériser l'effet anticoncurrentiel de ces clauses.
372.Enfin, il apparaît, eu égard aux propriétés des produits en cause, à savoir des montures de lunettes de vue et des lunettes de soleil, que l'interdiction absolue de vendre ces produits en ligne n'était pas objectivement justifiée.
373.En conséquence, le moyen sera rejeté.
B. Sur l'existence d'une entente avec les opticiens agréés Chanel au-delà de 2008
374.Dans la décision attaquée (§ 841, 882 à 893), l'Autorité indique, s'agissant des contrats conclus entres Chanel et Luxottica, que les contrats du 16 février 2004 et du 30 janvier 2008 stipulaient que ces groupes « ont conclu, ['] que les Produits ne peuvent pas être vendus par Internet par les Distributeurs Agréés ». L'Autorité considère que la réalité de l'entente est établie par les contrats de licence des 5 mai 1999, 16 février 2004 et 30 janvier 2008. Elle conclut que seul le contrat de licence du 24 juillet 2014, entré en vigueur le 1er janvier 2015, a mis fin à la pratique, laquelle a présenté un caractère continu.
375.S'agissant des contrats conclus entre Luxottica et les distributeurs agréés Chanel, l'Autorité relève que les contrats versés au dossier s'échelonnent du 16 mars 2000 au 10 octobre 2014 et qu'à compter du 30 janvier 2008, les stipulations interdisant de réaliser des ventes à distance ont été supprimées.
376.Elle précise cependant qu'ensuite, les distributeurs « ne peuvent avoir recours à toute forme de commercialisation en dehors du Point de Vente » et conclut de la comparaison des rédactions successives de ces clauses que la vente à distance ne constitue, en réalité, qu'une modalité particulière de vente en dehors du point de vente, en sorte que l'interdiction en cause est demeurée. L'Autorité ajoute que cette conclusion est corroborée par les contrats établis entre Chanel et Luxottica, et n'est pas utilement combattue par la déclaration isolée d'Optical Center du 8 octobre 2014.
377.Elle considère que les contrats de détaillants agréés constituent des preuves directes et suffisent donc à établir la réalité de l'entente alléguée.
378.Luxottica soutient que l'interdiction de vente en ligne ayant été supprimée de ses contrats « de détaillant agréé Chanel » à partir de 2008, la pratique n'est plus caractérisée à compter de cette date.
379.Le groupe expose qu'à partir du 30 janvier 2008, la locution litigieuse comprenant l'interdiction de « la vente à distance » a été modifiée, l'interdiction ne portant plus que sur « toute forme de commercialisation en dehors du Point de Vente ».
380.Luxottica rappelle que l'interdiction des ventes en dehors du point de vente est une pratique classique dans les contrats de distribution sélective, et vise par exemple les ventes sur le trottoir devant le magasin. Il remarque qu'Optical Center, seul distributeur interrogé par l'Autorité sur la portée de la clause en débat, avait estimé qu'il n'interdisait pas la vente en ligne (cote 29062).
381.Dans ses observations en réponse, l'Autorité soutient, s'agissant de l'analyse des contrats successifs, que la vente à distance ne constituant qu'une forme particulière de ventes en dehors du point de vente, il en résulte que l'interdiction de la vente en ligne a été maintenue après 2008.
382.Il rappelle que les contrats des 30 janvier 2008 et 16 février 2014 régissant les rapports en Luxottica et Chanel stipulaient que « les Produits ne peuvent pas être vendus par Internet par les Distributeurs Agréés » (déc., § 841).
383.L'Autorité ajoute que les contrats de licence sur lesquels elle s'appuie constituent des preuves directes, et suffisent donc à établir l'entente entre Luxottica et Chanel pour interdire aux détaillants agréés la vente en ligne des lunettes solaires et des montures de lunettes de la marque Chanel.
384.Il en résulte que seul le contrat de licence du 24 juillet 2014, entré en vigueur le 1er janvier 2015, a mis fin à l'interdiction de la vente en ligne convenue entre Chanel et Luxottica.
385.Le ministre chargé de l'économie et le ministère public partagent l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
386.Il a été indiqué précédemment que la condition prévue dans les contrats entre Luxottica et les détaillants agréés, selon laquelle « le Détaillant Agréé ['] s'abstient [ '] d'avoir recours à toute forme de commercialisation en dehors du Point de Vente », doit être interprétée comme comportant l'interdiction de revendre en ligne les produits de la marque Chanel (cf. § 349 à § 351 du présent arrêt).
387.Il en résulte que la pratique s'est poursuivie postérieurement au 30 janvier 2008.
388.Le moyen sera rejeté.
III. SUR LA SANCTION DE LA PRATIQUE DE LIMITATION DE LA LIBERTÉ TARIFAIRE
389.Aux termes de l'article L. 464-2, I, du code de commerce dans sa rédaction applicable aux faits :
« Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées ['] ». « Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ».
« Le montant maximum est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en 'uvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante. ».
390.Pour déterminer la sanction qu'elle a infligée aux sociétés Luxottica France SASU, en tant qu'auteure, et Luxottica Groupe Spa, en tant que mère, l'Autorité a fait application de son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après, « le communiqué sanctions »).
391.S'il est constant que la Cour n'est pas liée par le communiqué sanctions, il lui appartient néanmoins de vérifier que l'Autorité a respecté les règles qu'elle s'est elle-même fixées dans ce dernier sauf à ce qu'elle explique les raisons particulières pour lesquelles elle s'en est écartée conformément au point 7 de ce communiqué.
392.Il résulte du point 22 du communiqué sanctions que le montant de base est déterminé pour chaque entreprise en fonction de l'appréciation portée par l'Autorité sur la gravité des faits et sur l'importance du dommage causé à l'économie.
393.Les éléments que l'Autorité a retenus sont synthétisés dans le tableau suivant :
Luxottica France (auteure)
Luxottica Group Spa (mère)
Montant de base
Valeur des ventes
Déc. § 979, 981, 983
274 131 214 €
(en 2013)
Coefficient de gravité
Déc. § 994, 1018, 1019
8 %
Caractère de gravité certain
Dommage à l'économie certain et modéré
Coefficient de durée
Déc. § 1022
5,16
9 ans et 4 mois
Montant de base sanction
Déc. § 1025, tableau 68
113 161 365 €
Individualisation
Maison mère
Déc. § 1046 à 1048
Oui
Imputabilité de la pratique au groupe
Oui
CA mondial consolidé groupe
9 550 472 565 €
(en 2019)
Majoration appart. Groupe
10 %
Montant intermédiaire sanction
Déc. § 1091, tableau
124 477 502 €
Ajustements finaux
Non
Sanction infligée
Montant arrondi retenu
Déc. Art. 9
124 477 000 €
(solidairement)
394.Les requérants développent un moyen en cinq branches, tirées :
' du caractère inédit de la pratique de limitation de la liberté tarifaire,
' du montant erroné de la valeur des ventes,
' du fait que la gravité des pratiques doit être relativisée,
' de l'appréciation du dommage à l'économie,
' de la durée des pratiques
A. Sur le caractère inédit de la pratique de limitation de la liberté tarifaire
395.Luxottica soutient que le caractère inédit de l'infraction justifie le prononcé d'une sanction purement symbolique, puisque l'entreprise en cause ne pouvait raisonnablement pas anticiper la sanction lorsqu'elle a commis l'infraction (quod non). Il se réfère tant aux principes de légalité des délits et des peines et de sécurité juridique qu'à la pratique décisionnelle de l'Autorité et aux jurisprudences de la cour d'appel (affaire Bang & Olufsen, Paris, 13 mars 2014, n° 2013/0074, p.13) et de la Cour de cassation (Cass. Com. 5 avril 2018, n° 16-19.186). Il invoque encore plusieurs décisions rendues par le Tribunal de l'Union européenne, la Commission européenne, la CJUE.
396.Il considère qu'en l'espèce l'infraction, « visant à limiter la liberté tarifaire des distributeurs », ne portait pas, comme l'Autorité le suggère à plusieurs reprises au stade de la détermination des sanctions, sur une entente sur les prix au détail ou des niveaux de prix imposés, et est donc inédite, en sorte qu'il n'y avait lieu de prononcer qu'une sanction symbolique.
397.Luxottica critique l'Autorité pour ne pas avoir systématiquement tiré les conséquences de cette distinction et maintient que la pratique spécifique qui lui est reprochée est inédite. Il estime que les précédents invoqués par l'Autorité concernent des cas dans lesquels un contrôle des promotions aboutissant dans une imposition d'un niveau de prix avait été caractérisée, alors que les pratiques en l'espèce se limitent à un encadrement de certaines pratiques promotionnelles dans l'intérêt de la marque sans pour autant établir un système de prix imposés. Il ajoute que selon le consensus existant entre les autorités nationales de concurrence, des pratiques consistant dans l'interdiction de certaines promotions relèvent d'une zone grise.
398.L'Autorité conteste que les pratiques sanctionnées soient inédites en droit de la concurrence, précisant que les pratiques visant à restreindre la capacité du distributeur à déterminer son prix de vente figurent au nombre des restrictions caractérisées définies à l'article 4 du règlement n ° 330/2010, applicable en l'espèce et invoque certaines décisions de la CJUE à titre de précédents en matière de promotions commerciales. Elle considère qu'en tout état de cause, cette circonstance, à supposer qu'il faille la retenir, ne justifie pas d'exonérer l'entreprise de sanctions pécuniaires ou de lui appliquer une sanction purement symbolique (Cass. Com, 1er juin 2022, n° 19-20.999, point 32).
399.Le ministre chargé de l'économie est d'avis que la pratique en cause n'est nullement inédite.
400.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité en tous points.
Sur ce, la Cour :
401.Comme la Cour l'a indiqué (§ 215 du présent arrêt), le prix est un paramètre essentiel de la concurrence, comme en témoigne l'article 101, § 1 du TFUE, qui interdit les accords tendant à « fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ».
402.La Cour rappelle que « le caractère inédit d'une pratique anticoncurrentielle dont les diverses manifestations possibles, compte tenu de leur variété et complexité, ne sont pas énumérées de façon exhaustive ni dans le droit de l'Union européenne, ni dans le droit interne, n'empêche pas sa sanction, dès lors que la prohibition des comportements litigieux était raisonnablement prévisible pour l'opérateur en cause » (Com., 1er juin 2022, pourvoi n° 19-20.999, sommaire).
403.En l'espèce, comme la Cour l'a déjà indiqué (cf. § 220 et suivants du présent arrêt), les deux versants de la pratique (prix imposés, contrôle des opérations de promotion) sont interdépendants.
404.Elle a également précisé (§ 235 du présent arrêt) qu'il n'existe pas de différence fondamentale sous l'angle de l'atteinte au bon fonctionnement de la concurrence, entre un accord tel que celui de l'espèce, restreignant la liberté tarifaire des distributeurs, et un accord de fixation de prix minimal, le revendeur ne disposant dans aucun de ces cas d'une possibilité réelle de diminuer le prix de vente recommandé.
405.Dès lors, la Cour considère que la prohibition des pratiques en cause était raisonnablement prévisible, en sorte que l'Autorité était fondée à prononcer une sanction qui ne soit pas purement symbolique et à faire application du communiqué sanction.
B. Sur la valeur des ventes
406.Dans la décision attaquée, l'Autorité a retenu que la valeur des ventes devait être fixée à 274 131 214 euros en 2013 (§ 979, 981, 983).
407.Luxottica soutient que la sanction a été calculée sur la base d'une valeur de ventes trop élevée dans la mesure où l'Autorité aurait dû se limiter aux seules marques concernées par les pratiques alléguées en application des principes de proportionnalité et d'individualisation de la peine et conformément au communiqué sanction, qui prévoit que l'assiette des sanctions ne comprend que les ventes « en relation avec l'infraction » (point 33). Au plus, cinq marques auraient donc été concernées, conformément à l'analyse des services d'instruction aux termes des griefs complémentaires notifiés en 2019.
408.Le groupe ajoute que l'année de référence sur laquelle l'Autorité s'est basée n'est pas pertinente, les pratiques ayant cessé trois ans avant la date retenue par l'Autorité. L'année de référence aurait donc dû être 2010 plutôt que 2014.
409.L'Autorité indique que l'entente était généralisée à l'ensemble des marques (décision, § 977 et 978) et qu'elle s'est étendue du 17 mai 2005 au 1er octobre 2014, en sorte que conformément au point 33 du communiqué sanction, il convenait de retenir l'année 2013 pour calculer la valeur des ventes.
410.Le ministre chargé de l'économie demande à la Cour de rejeter l'argumentation de Luxottica.
411.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
412.Le point 33 du communiqué sanction énonce que « [l]a référence prise par l'Autorité pour donner une traduction chiffrée à son appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie est la valeur de l'ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction, ou s'il y a lieu avec les infractions, vendues par l'entreprise ou l'organisme concerné durant son dernier exercice comptable complet de participation à celle(s)-ci ['] ».
413.La Cour a retenu que l'entente avait concerné l'ensemble des marques (cf. § 107 du présent arrêt) et qu'elle s'était étendue jusqu'au 1er octobre 2014 (cf. § 258 et suivants du présent arrêt).
414.C'est à raison que l'Autorité a fixé la valeur des ventes à 274 131 214 euros en prenant l'année 2013 pour référence.
C. Sur la gravité des pratiques (3ème branche)
415.Dans la décision attaquée (§ 988 à 994), l'Autorité indique qu'il n'est pas exclu qu'une entente verticale présente un degré certain de gravité (Cour de justice du 21 septembre 2006, JCB Service / Commission, C-167/04 P, point 211) et précise notamment qu'en l'espèce, les pratiques ont visé directement la vente des produits aux consommateurs finaux, pour partie captifs et vulnérables, puisqu'il s'agissait de lunettes de vue. Elle conclut que les pratiques en cause présentent « un caractère de gravité certain ».
416.Compte tenu de son appréciation de la gravité des pratiques et du dommage causé à l'économie, elle a retenu, pour déterminer le montant de base de la sanction infligée aux entreprises en cause, une proportion de 8 % de la valeur des ventes (§ 1019).
417.Luxottica soutient que la gravité des pratiques en cause doit être relativisée eu égard à la nature de l'infraction et aux personnes susceptibles d'avoir été affectées par les pratiques. Elles ne constituent pas une entente horizontale et ne relèvent que d'une « pratique visant à limiter la liberté tarifaire des distributeurs » et non d'une pratique de fixation de prix. Enfin, les pratiques n'ont concerné que des marques de luxe. S'agissant de telles marques, il conteste encore que les pratiques aient pu affecter les consommateurs aux revenus les plus faibles.
418.L'Autorité expose que les ententes verticales sur les prix figurent parmi les plus graves des pratiques anticoncurrentielles, et qu'en outre elles n'ont pas porté que sur des marques de luxe Les pratiques étaient en outre susceptibles d'affecter des consommateurs finaux captifs et vulnérables.
419.Le ministre chargé de l'économie partage l'analyse de l'Autorité quant à la gravité des pratiques compte tenu de l'attachement des consommateurs aux marques, signe de qualité des produits. Il ajoute que ce point est particulièrement saillant pour les clients les plus modestes qui auraient pu se détourner d'un achat orienté vers la qualité en raison d'un potentiel surcoût découlant des pratiques.
420.Le ministère public partage l'avis du ministre chargé de l'économie.
Sur ce, la Cour :
421.En premier lieu, la Cour rappelle que si les ententes verticales ne sont pas regardées avec autant de sévérité que les ententes horizontales, elles figurent néanmoins parmi les plus graves des pratiques anticoncurrentielles.
422.En application du communiqué sanction, la proportion de la valeur des ventes que l'Autorité retient en considération de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, est comprise entre 0 et 30 % (point 40 du communiqué sanction). Dans le cas des accords horizontaux, la proportion est comprise entre 15 et 30 % (point 41 du communiqué).
423.Le taux retenu étant en l'espèce de 8 %, il est manifeste que l'Autorité n'a pas considéré que les pratiques en cause revêtaient la même gravité qu'un accord horizontal.
424.En second lieu, l'Autorité était fondée à considérer que l'accord vertical en cause a revêtu un caractère de gravité certain dans la mesure où il a concerné l'ensemble des marques (cf. § 107 du présent arrêt).
425.En outre, cet accord a été de nature à priver des consommateurs aux revenus plus modestes de la possibilité d'accéder à des produits de marque, alors qu'aucune raison ne justifie de croire que les consommateurs aux revenus modestes seraient insensibles aux produits de marque (cf. dans cette perspective, le § 258 du présent arrêt).
426.Enfin, la concurrence intra-marque mérite d'autant plus d'être préservée que les consommateurs sont attachés aux marques.
427.La Cour partage en conséquence l'appréciation de l'Autorité selon laquelle les pratiques en cause ont présenté un caractère de gravité certain.
D. Sur le dommage à l'économie
428.Dans la décision attaquée, l'Autorité expose notamment que Luxottica, comme Logo, est intervenue à de multiples reprises pour empêcher les détaillants de pratiquer des prix inférieurs aux prix et niveaux de prix imposés, en particulier en cas de promotions tarifaires, ce qui établit l'intensité des pratiques (§ 1005), mises en 'uvre sur l'ensemble du territoire national (§ 1006).
429.Elle ajoute que la forte différenciation entre les marques et leur notoriété limite l'intensité de la concurrence entre lesdites marques, nonobstant leurs faibles parts de marché respectives (§ 1010), et considère que la diminution de la concurrence intra-marques a pour effet indirect d'affaiblir la concurrence inter-marques (§ 1011). Elle précise que les barrières à l'entrée sont significatives, notamment en raison des investissements nécessaires au développement d'une marque (§ 1012), tout en notant que la vente en ligne de montures à bas prix, en dépit de son caractère limité, a pu mener à une concurrence par les prix plus intense.
430.Elle considère encore que les pratiques en cause ont eu un effet conjoncturel sur les marchés considérés eu égard au poids économique de Luxottica (45 % du marché des lunettes de soleil en 2011, en valeur ; 21 % du marché des montures de lunettes de vue) et des marques concernées (§ 1016).
431.Elle conclut que le dommage à l'économie est certain, compte tenu de la durée des pratiques, et de ce qu'elles ont concerné de grandes enseignes nationales, mais qu'il présente un caractère modéré (§ 1018).
432.Luxottica soutient que le dommage à l'économie a été apprécié de manière lacunaire et trop globale.
433.En premier lieu, le groupe reproche à l'Autorité d'avoir apprécié le dommage causé à l'économie de façon globale, en retenant un taux unique recouvrant des pratiques distinctes mises en 'uvre par des opérateurs différents, au mépris du principe d'individualisation des sanctions.
434.En second lieu, Luxottica critique l'analyse menée par l'Autorité s'agissant, d'une part, de l'ampleur et de la nature des pratiques (description ne correspondant pas au cas précis du requérant), d'autre part, des caractéristiques économiques du secteur (faible concentration, favorisant la concurrence ; vive concurrence intra- et inter-marques ; absence de barrières à l'entrée significatives), enfin, de l'existence de conséquences conjoncturelles (diversité et substituabilité des produits).
435.L'Autorité répond que la motivation de la décision attaquée est suffisamment complète.
436.Elle précise que le dommage à l'économie doit faire l'objet d'une appréciation globale, au regard de l'action cumulée de tous les participants aux pratiques d'entente en cause et de la perturbation générale que celles-ci sont de nature à engendrer pour l'économie.
437.Elle ajoute qu'elle a apprécié que le dommage causé à l'économie avait été modéré en considération de l'ampleur des pratiques, de la limitation de la concurrence intra-marques, de l'effet conjoncturel des pratiques sur les marchés.
438.Le ministre chargé de l'économie comme l'Autorité, précisent que si les pratiques n'ont concerné qu'une partie du marché en cause, elles ont néanmoins affecté significativement ce dernier et se sont déroulées sur l'ensemble du territoire français durant une période conséquente. Il conclut au rejet de l'argumentation de Luxottica.
439.Le ministère public partage également l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
440.Il résulte de l'article L. 464-2 du code de commerce qu'il n'est pas nécessaire que le dommage causé à l'économie fasse l'objet d'un chiffrage précis. Il importe en revanche qu'il soit procédé à une appréciation de son existence et de son importance reposant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier.
441.En premier lieu, il convient de rappeler que le dommage à l'économie doit faire l'objet d'une appréciation globale, au regard de l'action cumulée de tous les participants aux pratiques d'entente en cause et de la perturbation générale que celles-ci sont de nature à engendrer pour l'économie.
442.Dans la présente affaire, la décision attaquée a sanctionné la société Logo SAS (§ 1099, 1101 et art. 4) et plusieurs sociétés appartenant au groupe LVMH (art. 5, 6 et 10) pour avoir mis en 'uvre des pratiques d'ententes visant à limiter la liberté tarifaire s'agissant de la vente de lunettes solaires et des montures de lunettes de vue, dans le cadre de plusieurs ententes verticales portant sur le même secteur. Ces sociétés n'ayant pas formé de recours à l'encontre de la décision, ces pratiques sont définitivement établies.
443.La Cour considère que l'Autorité a pu appliquer le même taux pour rendre compte de son appréciation du dommage causé à l'économie par les pratiques des différentes entreprises précitées, ces pratiques ayant porté sur le même secteur, pendant des périodes qui se recouvrent en grande partie.
444.En second lieu, la Cour retient que l'attachement des consommateurs aux marques, notamment de luxe, est de nature à limiter la concurrence intra-marques. En outre, la construction de l'image de luxe de marques suppose des investissements conséquents (cf. § 276 du présent arrêt) qui constituent autant de barrières à l'entrée de nature à limiter le nombre de nouveaux entrants et ainsi à atténuer la concurrence inter-marques. Il résulte de ces considérations que les pratiques en cause ont pu avoir un effet conjoncturel, quand bien même Luxottica n'aurait pas détenu une position dominante sur le marché et pendant la période en cause.
445.Il résulte de ces développements que le dommage causé à l'économie est certain et peut être regardé comme modéré.
E. Sur la durée des pratiques
446.Luxottica soutient que les indices réunis ne sont pas suffisants pour caractériser une infraction jusqu'au 1er octobre 2014, que les pratiques ne sont pas établies au-delà de 2011, ni même au-delà de 2009, et qu'en conséquence, la sanction infligée au titre des restrictions tarifaires aurait dû être symbolique ou considérablement réduite.
447.Le ministre chargé de l'économie est d'avis que les pratiques se sont poursuivies jusqu'au 1er octobre 2014, comme l'a retenu l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
448.La Cour a retenu que l'entente s'était étendue jusqu'au 1er octobre 2014 (cf. § 258 et suivants du présent arrêt), en sorte que l'argumentation du requérant ne saurait prospérer.
449.Il résulte de l'ensemble de ces développements que le moyen doit être rejeté.
IV. SUR LA SANCTION DE LA PRATIQUE D'INTERDICTION DE LA REVENTE EN LIGNE
450.Dans la décision attaquée, l'Autorité a décidé de déroger à l'application du communiqué sanction (§ 1052) en raison de son appréciation évolutive de la gravité des pratiques selon qu'elles se sont développées antérieurement ou postérieurement à l'arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 (§ 1063).
451.Elle a considéré (§ 1064) qu'il n'y avait en revanche pas lieu d'infléchir son appréciation de la gravité des pratiques de Luxottica pour la période comprise entre le 13 octobre 2013 (date de l'arrêt précité) et la loi Hamon (loi n° 2014-344 du 17 mars 2014).
452.S'agissant du dommage causé à l'économie, elle a considéré que l'éventuelle incertitude sur la licéité de la vente de lunettes de vue en ligne, antérieurement à la loi Hamon, avait pu peser sur les détaillants agréés, en sorte qu'il convenait d'en tenir compte dans l'appréciation du dommage à l'économie (§ 1065 et 1066).
453.L'autorité a conclu que le dommage causé par les pratiques en cause avait été « très limité » (§ 1073).
454.Elle a infligé aux sociétés Luxottica France SASU, Luxottica Srl, Sunglass Hut Ireland ltd et Luxottica Group SpA des sanctions d'un montant global de 697 000 euros au titre de la pratique d'interdiction de la revente en ligne.
455.Luxottica soutient que les pratiques en cause sont d'une gravité très limitée et n'ont engendré aucun dommage à l'économie, en sorte que la sanction ne devrait pas excéder un montant symbolique.
456.Il précise que le fait d'interdire contractuellement une pratique pénalement réprimée ne peut être qualifié d'infraction au droit de la concurrence ni être considéré comme une infraction grave à l'origine d'un dommage à l'économie quelconque.
457.Adoptant un point de vue contrefactuel, le groupe ajoute que les opticiens n'auraient pas pris le risque pénal de vendre en ligne des lunettes de vue, dont les montures Luxottica. En l'absence de vente, aucun dommage à l'économie n'aurait pu survenir.
458.L'Autorité considère qu'à supposer même qu'il ait existé un risque pénal, celui-ci aurait pesé sur les détaillants agréés et non sur le fabricant, de sorte que cette circonstance n'est pas de nature à atténuer la gravité des pratiques reprochées à Luxottica.
459.Elle ajoute qu'elle a tenu compte de l'incertitude juridique sur la légalité de la pratique avant l'arrêt Pierre Fabre et du dommage à l'économie très limité pour fixer une sanction réduite au titre du grief en cause.
460.Le ministre chargé de l'économie partage l'appréciation de l'Autorité sur la gravité des pratiques, variable selon les périodes, et le dommage très limité à l'économie. Il ajoute, s'agissant de la gravité, que la supposée incertitude portant sur l'état du droit ne justifiait pas les pratiques.
461.Le ministère public partage l'analyse de l'Autorité.
Sur ce, la Cour :
462.En l'espèce, les pratiques reprochées aux diverses sociétés du groupe Luxottica (Luxottica France SASU, Luxottica Srl, Sunglass Hut Ireland ltd et Luxottica Group SpA) se sont déroulées, pour les premières à compter du 5 mai 1999, et pour la plupart antérieurement au 13 octobre 2013. Celles qui se sont poursuivies après le 13 octobre 2013 se sont poursuivies jusqu'au 31 décembre 2014, donc après l'entrée en vigueur de la loi Hamon (cf. les § 1082 et 1085 de la décision attaquée).
463.La Cour, comme l'Autorité, considère qu'il convient de tenir compte de l'incertitude juridique portant sur la licéité des clauses contractuelles interdisant la vente en ligne dans le cadre de réseaux de distribution sélective, antérieurement au 13 octobre 2013, date de l'arrêt Pierre Fabre, pour atténuer l'appréciation de la gravité des pratiques jusqu'à cette date.
464.S'agissant de la période comprise entre le 13 octobre 2013 et l'entrée en vigueur de la loi Hamon (mars 2014), la Cour considère pour les raisons développées supra (cf. § 354 et suivants du présent arrêt) que la vente en ligne de montures de lunettes était licite avant même l'entrée en vigueur de la loi Hamon et que Luxottica n'encourait aucun risque pénal.
465.Il n'y a donc pas lieu d'atténuer l'appréciation de la gravité des pratiques pour la période comprise entre le 13 octobre 2013 et l'entrée en vigueur de la loi Hamon, ni, a fortiori, après l'entrée en vigueur de cette loi.
466.La Cour relève enfin que la vente en ligne de lunettes de vue, et donc de verres correcteurs, avait débuté antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi Hamon, comme l'illustre l'exemple de la société Sensee, entendue en octobre 2013 (cote 24204). Il s'en déduit que le risque pénal perçu par les distributeurs était en réalité inexistant.
467.Il n'y a pas lieu de considérer, dès lors, que le dommage causé à l'économie, que l'Autorité considère comme très limité, aurait été plus limité encore.
468.En conséquence, il n'y a pas lieu de réformer la décision sur les peines prononcées au titre de cette pratique.
469.Le moyen sera rejeté.
V. SUR LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS
470.Luxottica demande la condamnation de l'Autorité à lui verser la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
471.Les sociétés Luxottica France, Luxottica Group SpA, Luxottica Srl et Sunglass Hut Ireland Limited succombant en leur recours, elles ne peuvent prétendre à une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
472.Elles seront condamnées aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement,
DIT n'y avoir lieu à renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne ;
REJETTE le recours formé par les sociétés Luxottica France, Luxottica Group SpA, Luxottica Srl et Sunglass Hut Ireland Limited ;
REJETTE la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE les sociétés Luxottica France, Luxottica Group SpA, Luxottica Srl et Sunglass Hut Ireland Limited aux dépens.
DIT que le présent arrêt sera transmis à la Commission européenne en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en 'uvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité.