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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 6 décembre 2024, n° 23/09486

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Agicap (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseiller :

M. Buffet

Avocats :

Me Boccon-Gibod, Me Belivier, Me Kim, Me Casanova

TJ Paris, 3e ch. 2e sect., du 21 avr. 20…

21 avril 2023

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente de chambre, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement rendu le 21 avril 2023 par le tribunal judiciaire de Paris (3ème chambre, 2ème section),

Vu l'appel interjeté le 24 mai 2023 par la société Agicap,

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 septembre 2024 par la société Agicap,

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 août 2024 par M. [P] et la société [P], intimés,

Vu l'ordonnance de clôture du 19 septembre 2024.

SUR CE, LA COUR,

La société Agicap, immatriculée le 20 octobre 2016, a pour activités la conception, l'édition, le développement et l'exploitation de sites internet permettant notamment aux entreprises de gérer leur trésorerie et la réalisation de prestations de services.

Elle propose un outil de gestion automatisée de trésorerie synchronisant les données provenant des banques, dénommé « solution Agicap », à destination des petites et moyennes entreprises et des très petites entreprises qui leur permet de construire des prévisions de trésorerie et de suivre en direct son évolution.

M. [G] [P] (ci-après dénommé M. [P]) est le président de la société [P], immatriculée le 29 juin 2010, qui avait pour activité au vu de son extrait Kbis à jour au 20 octobre 2020 le conseil financier aux entreprises. Il est aussi le président de la société Datakt, immatriculée le 20 janvier 2020, qui a pour activités la création, l'édition et l'exploitation de sites internet et mobile.

Le 14 mai 2020, M. [P] s'est inscrit sur le site internet « Agicap » à un essai gratuit de la solution Agicap.

La société Agicap a fait constater par procès-verbal d'huissier du 9 juin 2020 que la société [P] avait mis en ligne un logiciel de gestion dénommé « Cash-Flow » sur le site internet « cash-flow.tech » édité par la société Datakt.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 juin 2020, le conseil de la société Agicap a mis en demeure M. [P] et les sociétés [P] et Datakt de supprimer ce site ou de le modifier pour qu'il n'apparaisse plus comme une copie de sa solution logicielle Agicap.

Par courriel du 29 juin 2020, M. [P] a contesté ce grief et indiqué que la page d'accueil du site, en évolution, avait été modifiée.

Par lettre de son conseil du 8 juillet 2020, la société Agicap a répondu que compte tenu des modifications qu'elle avait constatées, elle n'engagerait pas la responsabilité de M. [P] et de la société [P] sous réserve que ces derniers effectuent une refonte du site « cash-flow.tec » et en justifient, dans un délai de dix jours, en lui adressant un constat d'huissier de justice.

Par actes d'huissier du 25 novembre 2020, la société Agicap a fait assigner M. [P] et les sociétés [P] et Datakt devant le tribunal judiciaire de Paris en réparation de son préjudice au titre de la contrefaçon de son droit d'auteur, du parasitisme et du manquement aux règles de bonne foi précontractuelles.

Par ordonnance du 14 janvier 2022, le juge de la mise en état a débouté les défendeurs de leur exception de nullité de l'assignation, de leurs fins de non-recevoir soulevées en défense à la demande au titre de la contrefaçon et de leur demande de mise hors de cause de M. [P].

Par jugement contradictoire du 21 avril 2023, le tribunal judiciaire de Paris a :

- débouté la société Agicap de l'ensemble de ses demandes,

- débouté M. [P], la société [P] et la société Datakt de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts,

- condamné la société Agicap aux dépens de l'instance, qui pourront être recouvrés directement par Me Casanova conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

- condamné la société Agicap à payer à M. [P], à la société [P] et à la société Datakt, chacun, la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Agicap a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe à l'encontre de M. [P] et de la société [P] en date du 24 mai 2023.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 septembre 2024, la société Agicap demande à la cour de :

Infirmer le jugement en qu'il :

- l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,

- l'a condamnée aux dépens de l'instance, qui pourront être recouvrés directement par Me Casanova conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

- l'a condamnée à payer à M. [P], la société [P] et la société Datakt, chacun, la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

En statuant à nouveau :

A titre principal :

- juger que l'interface graphique de la solution Agicap est une 'uvre protégée au sens de l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle et qu'elle est titulaire de droits d'auteur sur cette 'uvre en application de l'article L.113-9 du même code,

- juger que le logiciel constitutif de la solution Agicap est protégé' par le droit d'auteur au sens de l'article L.112-2, 13° du code de la propriété intellectuelle et que la société Agicap en est titulaire en application de l'article L.113-9 du même code,

- juger que la société [P] et M. [P], à travers la solution Cash-Flow, en reproduisant l'interface graphique et le fonctionnement du logiciel de la solution Agicap, ont commis à son encontre des actes de contrefaçon de ses droits patrimoniaux et moraux sur le logiciel et l'interface graphique,

En conséquence,

- condamner in solidum M. [P] et la société [P] à lui payer la somme de 20 000 euros au titre des bénéfices réalisés par les économies d'investissement intellectuels, matériels et promotionnels retirés de l'atteinte à ses droits d'auteur,

- condamner in solidum M. [P] et la société [P] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre du pre'judice moral causé du fait de la contrefaçon,

A titre subsidiaire :

- juger que M. [P] a commis des actes de concurrence déloyale envers la société Agicap en be'ne'ficiant d'un accès gratuit prolonge' à la solution Agicap en violation des règles de bonne foi précontractuelles et des principes loyaux du commerce,

- juger que la société [P] a commis des actes constitutifs de parasitisme envers la société Agicap en reprenant, sans bourse de'lier, l'interface graphique et le logiciel de la solution Agicap,

En conséquence,

- condamner in solidum M. [P] et la société [P] à lui payer la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait des actes de parasitisme,

- condamner in solidum M. [P] et la société [P] à lui payer la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des actes de parasitisme,

En tout état de cause :

- confirmer le jugement en ce qu'il a de'boute' la socie'te' [P], la socie'te' Datakt et M. [P] de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts au titre de la procédure abusive,

- débouter M. [P] et la société [P] de l'ensemble de leurs demandes, fins et pre'tentions,

- condamner M. [P] et la société [P] à publier l'arrêt sur leur site internet et re'seaux sociaux, sous astreinte de 200 euros par jour à compter de la signification de la de'cision à intervenir,

- condamner in solidum M. [P] et la société [P] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum M. [P] et la société [P] aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 août 2024, M. [P] et la société [P] demandent à la cour de :

Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- débouté la société Agicap de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société Agicap aux dépens de l'instance qui pourront être recouvrés directement par Me Casanova conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

- condamné la société Agicap à payer à M. [P], la société [P] et la société Datakt, chacun la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Infirmer le jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts au titre de la procédure abusive,

Et statuant à nouveau :

- débouter la société Agicap de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner la société Agicap à verser à la société [P] et à M. [P] la somme de 3.000 euros chacun, au titre de la procédure abusive,

- condamner la société Agicap à verser au Trésor Public une amende civile de 2 000 euros au titre de la procédure abusive,

En tout état de cause :

- prononcer la mise hors de cause de M. [P],

- condamner la société Agicap à verser à la société [P], ainsi qu'à M. [P] la somme de 7 500 euros chacun, par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Agicap aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 septembre 2024.

SUR CE,

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

A titre liminaire, la cour constate que l'appel n'est dirigé qu'à l'encontre de M. [P] et de la société [P], si bien que les dispositions du jugement sont irrévocables s'agissant de la société Datakt, notamment la condamnation de l'appelante à lui payer 2 500 euros au titre des frais irrépétibles.

Sur la demande au titre de la contrefaçon de droit d'auteur sur l'interface graphique

La société Agicap revendique des droits d'auteur sur l'interface graphique de la « solution Agicap » qu'elle décrit comme composée d'une partie accessible, destinée à présenter l'outil et ses fonctionnalités (site public) et d'une partie réservée aux clients, offrant l'accès à l'outil proprement dit (application) et les fonctionnalités du logiciel.

Les intimés, qui contestent l'originalité de l'interface graphique, font valoir en premier lieu que la société Agicap n'établit pas la date certaine de création de l''uvre qu'elle revendique, ce qui ne permet pas à la cour de statuer sur la demande en contrefaçon au regard notamment de l'originalité de l''uvre revendiquée, en l'absence de délimitation du contenu des droits qu'elle revendique à une date déterminée, compte tenu de l'évolution de l'interface.

La société Agicap répond qu'elle rapporte la preuve d'une diffusion et exploitation de l''uvre qu'elle revendique antérieure à celles de la solution Cash-Flow.

En l'espèce, la titularité des droits d'auteur de la société Agicap n'est pas contestée par les intimés. Ainsi, l'appréciation de la date de création ou de divulgation de la création sur laquelle des droits d'auteur sont revendiqués doit être appréciée non pas au stade de la discussion sur l'originalité de l''uvre mais de la contrefaçon qui implique que la création bénéficiant de droits d'auteur soit antérieure à celle estimée contrefaisante.

En second lieu, les intimés affirment que la société Agicap ne caractérise pas les éléments fondant l'originalité de l'interface graphique du site internet qui reprend ceux qui se retrouvent dans de nombreuses interfaces graphiques. Ils soutiennent que les choix de présentation et d'agencement ne sont pas de nature à représenter un apport intellectuel propre et personnalisé de la société Agicap, pas plus que les fonctionnalités du logiciel.

La société Agicap répond que l'ensemble de ses choix de présentation et d'agencement représente un apport intellectuel propre et un effort personnalisé aboutissant à faire de l'interface graphique de sa solution une création originale protégée.

Si la société Agicap revendique la protection au titre du droit d'auteur de son interface graphique, force est de constater qu'elle ne produit et ne décrit qu'une page d'accueil de son site internet qui ne peut être qualifiée d'interface graphique d'un logiciel dès lors qu'elle ne permet pas la communication entre le logiciel et l'utilisateur mais se borne à présenter aux internautes le service et leur propose de réaliser un essai gratuit ou de demander une démonstration.

La société Agicap caractérise ainsi l'originalité de sa page d'accueil :

- le logo de la société AGICAP en haut à gauche dans une couleur bleue différente du reste du texte en noir ;

une barre de menu en partie haute ;

- un bouton rectangulaire coloré en bleu « Essayez gratuitement » en haut à droite ;

- un bloc rédactionnel en bas à gauche, lui-même constitué : (i) d'un titre en gras en noir ; (ii) d'une présentation synthétique en caractères normaux non justifiés ; et (iii) de deux boutons rectangulaires colorés « demander une démo » en bleu et « Essayer gratuitement » en blanc ; et

- un tableau comportant des diagrammes bicolores en bas à droite avec des onglets « trésorerie », « encaissement sur la période » et « décaissement sur la période », le tout étant destiné à produire une présentation claire et succincte, mais suffisamment étayée pour inciter l'utilisateur à poursuivre sa visite en demandant une démonstration ou un essai de la solution ».

La société Agicap sollicite aussi la protection au titre du droit d'auteur des fonctionnalités de son logiciel, comme résultant de choix précis pour créer une solution qui ne propose pas des fonctionnalités générales pour la gestion d'entreprise ou de comptabilité mais une solution de gestion de trésorerie qui a pour principale caractéristique de permettre un suivi en temps réel des flux bancaires réels au quotidien.

En application de l'article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une 'uvre de l'esprit jouit sur cette 'uvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. Et, en application de l'article L 112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute 'uvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

Dans ce cadre, si la protection d'une 'uvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue.

L'originalité d'une 'uvre doit s'apprécier de manière globale et la combinaison des éléments qui la caractérise du fait de leur agencement particulier doit lui conférer une physionomie particulière qui démontre l'effort créatif et le parti pris esthétique portant l'empreinte de la personnalité de son auteur.

Enfin, l'empreinte de la personnalité de l'auteur est à rechercher dans l'aspect global de l''uvre prise dans la combinaison de chacun de ses éléments, fussent-ils connus.

Les fonctionnalités du logiciel décrites uniquement comme permettant le suivi de flux bancaires ne sont pas protégées par le droit d'auteur puisqu'elles constituent des idées.

Concernant la page d'accueil, les copies de pages d'accueil d'autres sites internet produites par les intimés ne sont pas pertinentes pour apprécier l'originalité dès lors qu'il n'est pas justifié de leur date.

L'association de fonctionnalités d'une page d'accueil (barre de menu, boutons pour accéder à une autre page internet) à un bloc rédactionnel qui présente un titre en gras, au logo identifiant la société et à un tableau ne démontre aucun choix créatif qui ne peut résulter d'une couleur ou d'un diagramme bicolore. Comme l'a justement relevé le tribunal, la composition est dictée par les fonctions de la page d'accueil qui présente le service au consommateur, sous la forme du tableau destiné à la gestion de trésorerie et lui propose de cliquer pour être renvoyé sur une autre page pour un essai ou une démonstration.

Aucune empreinte de la personnalité de l'auteur sur des choix créatifs n'est donc caractérisée.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il n'a pas protégé la page d'accueil du site internet Agicap, présentée comme l'interface graphique, au titre du droit d'auteur.

Sur la demande de contrefaçon au titre du logiciel

Aux termes des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

La cour constate que dans la partie discussion de leurs écritures, les intimés soutiennent que la demande en contrefaçon du logiciel est irrecevable comme nouvelle en cause d'appel (page 15 des conclusions).

Si toutefois la cour n'est pas saisie de cette demande qui n'est pas reprise dans le dispositif de des dernières écritures des intimés, qui seul la saisit en application de l'alinéa 3 de l'article 954 du code de procédure civile, il lui appartient en application de l'article 564 du code de procédure civile d'apprécier s'il y a lieu de relever d'office cette irrecevabilité qui a été portée au contradictoire, permettant à l'appelante d'y répondre.

Il ressort du jugement de première instance que la société Agicap avait formé une demande en contrefaçon sur le fondement de l'interface graphique sur laquelle elle revendique des droits d'auteur. Elle avait formé une demande qualifiée de subsidiaire pour parasitisme, fondée sur la copie de sa « solution » par la société [P] et M. [P], laquelle solution inclut son logiciel.

Il s'ensuit que la demande au titre de la contrefaçon de son logiciel, sur lequel elle revendique des droits d'auteur, est nouvelle en cause d'appel.

En effet, l'action en parasitisme exige la démonstration d'une faute alors que l'action en contrefaçon concerne l'atteinte à un droit privatif. Ainsi, ces deux actions procèdent de causes différentes et ne tendent pas aux mêmes fins.

De plus, si la société Agicap demande d'une part, la protection au titre du droit d'auteur de l'interface graphique de son logiciel et de ses fonctionnalités et d'autre part, celle de son logiciel, force est de constater que cette présentation est erronée dès lors qu'il a été démontré que l'interface graphique constitue en réalité une page d'accueil de son site web dédié à la présentation de son logiciel et que par ailleurs, aucune protection ne peut être sollicitée au titre au titre d'une fonctionnalité d'un logiciel.

Il s'ensuit que la société Agicap forme deux demandes sur des créations bien distinctes, qui n'ont aucun lien : une page d'accueil de son site internet et un logiciel, soit une création protégée par l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle et une création bénéficiant de la protection spécifique de l'article L. 112-2-13 du même code.

Il ressort du jugement déféré que la société Agicap n'a revendiqué en première instance des droits d'auteur que sur sa page d'accueil et la demande au titre de la contrefaçon du logiciel constitue une demande nouvelle en cause d'appel qui ne respecte pas les conditions de recevabilité édictées par le code de procédure civile.

La demande nouvelle formée au titre de la contrefaçon du logiciel ne tend pas plus à une compensation, à faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait et n'est ni l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge.

Elle sera donc déclarée irrecevable.

Sur la demande subsidiaire au titre de la concurrence déloyale

La société Agicap soutient que M. [P] a commis des actes de concurrence déloyale à son encontre en be'ne'ficiant d'un accès gratuit prolonge' à la « solution Agicap » pendant trois semaines en violation des règles de bonne foi précontractuelles et des principes loyaux du commerce. Elle affirme qu'il a trompé ses représentants en leur faisant croire qu'il était intéressé' par le logiciel et a ainsi bénéficié d'une prolongation de sa période d'essai. Elle ajoute qu'il a espionné sa solution et a eu accès à ses éléments caractéristiques pour développer une solution concurrente, si bien qu'il s'est approprié son savoir-faire et ses investissements sous couvert d'un essai gratuit.

Les intimés affirment que M. [P], en bénéficiant de l'essai, n'était pas en négociations précontractuelles mais a testé la solution Agicap pour le compte de ses sociétés dans le cadre d'une analyse concurrentielle, sans que la confidentialité des informations auxquelles il a eu accès soit démontrée.

Si M. [P] conteste les données de connexion produites par la société Agicap qui tendent à démontrer qu'il s'est connecté sur son site dans le cadre d'un essai gratuit pendant 20 heures en ce qu'elles n'ont pas de force probante et violent la réglementation sur la protection des données, il est constant qu'il s'est inscrit pour un essai gratuit le 14 mai 2020. Il ne conteste pas avoir eu des contacts avec l'équipe commerciale, bénéficié d'une démonstration et indiqué qu'il était intéressé par le logiciel pour son entreprise mais que, pour l'instant, il faisait un tour des outils existant.

La société Agicap ne justifie pas que l'accès gratuit a été, à la demande de M. [P], prolongé.

Ces éléments démontrent que M. [P] n'était pas en négociations précontractuelles avec la société Agicap puisqu'il lui faisait part de son exploration des outils du marché et que les parties n'ont pas discuté des conditions d'un contrat projeté.

Sa responsabilité ne peut être recherchée sur ce fondement.

M. [P] s'est présenté lors des contacts commerciaux qu'a pris la société Agicap comme un client à la recherche d'une solution logicielle pour gérer la trésorerie de sa société alors qu'il analysait en réalité le marché dans la perspective de la création du logiciel de gestion Cash-Flow.

Le tribunal a fait application de l'article L. 122-6-1, III, du code de la propriété intellectuelle, qui prévoit que tout observateur, utilisateur légitime d'un logiciel, peut tester le programme et tirer de ses observations les enseignements qu'il souhaite, y compris pour réaliser un logiciel concurrent.

Cependant, cette exception s'applique en matière de contrefaçon de droit d'auteur de logiciel et non dans le cadre d'une action en concurrence déloyale.

L'étude des services proposés par ses concurrents sur le marché, en bénéficiant d'un essai d'utilisation gratuit ouvert à tous sur internet, n'est pas constitutif d'un acte de concurrence déloyale dès lors que dans ce cadre, M. [P] n'a pu accéder qu'aux fonctionnalités publiques du site de la société Agicap.

Dans ce contexte, le fait de ne pas se présenter comme un concurrent ne constitue pas une faute et le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la demande subsidiaire au titre du parasitisme

La société Agicap soutient que la société [P] a commis des agissements parasitaires à son encontre en bénéficiant des man'uvres déloyales et fautives de M. [P] pour développer et créer, à moindre frais, la solution Cash-Flow, quasi-identique à la solution Agicap. Elle affirme que la solution Agicap a une valeur économique importante, issue d'une technique et d'un savoir-faire ayant nécessité des efforts tant intellectuels que financiers, qui lui procure un avantage concurrentiel vis-à-vis des autres développeurs de logiciels de gestion de trésorerie en raison de l'originalité de son interface graphique et de son logiciel.

Les intimés répondent que la société Agicap n'apporte aucun élément de preuve permettant de démontrer que l'interface graphique et le logiciel qu'elle revendique constituent une valeur économique individualisée issue d'une technique ou d'un savoir-faire ayant nécessité des efforts intellectuels et financiers. Ils font valoir qu'elle ne peut revendiquer un monopole sur le concept d'un outil de gestion de trésorerie répandu, pas plus que l'exclusivité sur certaines caractéristiques qui relèvent de considérations purement fonctionnelles ou banales.

Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque, ainsi que la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage.

Si la société Agicap affirme avoir fidélisé plus de 5.000 clients et que le logiciel a eu un succès commercial dès son lancement, force est de constater qu'elle ne produit que deux factures anonymisées de commercialisation des 5 juillet 2017 et 9 octobre 2017 portant sur un service d'abonnement mensuel et qu'aucune pièce ne justifie le nombre de clients qu'elle avait à l'époque des faits de parasitisme allégués.

La société Agicap indique, sans en justifier, que sa solution est le fruit de nombreuses années de développement au cours desquelles elle a échangé avec plus de 6.000 prospects et s'est appuyée sur les retours de plus de 3.000 clients. En effet, ne sont produits aux débats que des échanges de messages des 10 février, 10, 11,12 et 18 avril 2017 sur le logiciel qui portent sur des idées sur ses fonctionnalités.

La levée de fonds de 15 millions d'euros réalisée par la société Agicap selon les sites « L'usine digitale » et « French Web » n'est pas de nature à justifier de la valeur économique de son logiciel et de sa page d'accueil à l'époque des faits allégués puisqu'elle date du mois de mai 2020. Il en est de même du financement dans le cadre d'un prêt innovation R&D de 600 000 euros que lui a accordé la société Bpifrance en octobre 2020.

L'attestation de l'expert-comptable de la société Agicap, certifié par son commissaire aux comptes, indique que les dépenses de recherche et de développement du logiciel en 2019 se sont élevées à 191.109 euros, soit 17.487 euros au titre du produit, le reste en salaires pour deux salariés du département produit et quatre de la tech. Ces dépenses salariales, communes à toutes les entreprises qui commercialisent des produits par le biais d'un site internet, ne sont pas de nature à démontrer la valeur économique du logiciel lui-même. Par ailleurs, les éléments portant sur l'année 2020 ne sont pas pertinents pour les mêmes raisons et en l'absence d'identification des investissements mois par mois, dès lors que les faits reprochés ont eu lieu en juin 2020.

Dès lors, à défaut de justifier de la valeur économique individualisée qu'elle invoque, la société Agicap sera déboutée de sa demande au titre du parasitisme et le jugement confirmé de ce chef.

Sur les demandes reconventionnelles

Les intimés sollicitent une indemnisation au titre de la procédure abusive et demandent le prononcé d'une amende civile.

Ils soutiennent que la société Agicap a commis une faute en engageant cette procédure judiciaire qu'ils qualifient d'abusive alors elle n'a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits et a agi avec une légèreté blâmable dans le seul but de les intimider et les faire renoncer à proposer la solution Cash-Flow. Ils affirment que l'assignation, compte tenu de ses approximations, a été rédigée en toute hâte, que les faits prétendument litigieux ont duré deux semaines et n'ont occasionné aucun préjudice et que la société Agicap ne produit en cause d'appel aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation faite par les premiers juges. Ils en concluent que ces éléments trahissent la mauvaise foi de l'appelante qui tente, par tous moyens et au mépris du principe de la liberté d'entreprendre, d'empêcher l'entrée de nouveaux concurrents sur le marché de solutions de gestion de trésorerie.

La société Agicap répond que les intimés ne démontrent pas l'existence d'un abus dans l'exercice de son action en justice, qu'ils invoquent des procédures judiciaires distinctes, qu'elle a apporté des développements nouveaux en appel et qu'elle est légitime à prétendre au respect des droits privatifs qu'elle détient sur ses 'uvres et au maintien d'une saine concurrence.

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faite duquel il est arrivé à la réparer.

L'exercice d'une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages et intérêts qu'en cas de faute susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur. La caractérisation d'un tel abus doit se faire au terme d'une mise en balance entre d'une part, les droits des parties contre lesquelles l'action est formée et d'autre part, le droit fondamental du libre accès à la justice, participant au droit à un procès équitable, affirmé par l'article 6, § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Le caractère hâtif d'une action en justice, à le supposer établi, n'est pas constitutif d'une faute. Si la société Agicap a saisi le juge des référés et le tribunal de commerce d'actions contre d'autres concurrents, le rejet de ses demandes par ces juridictions n'est pas transposable à cette instance dans laquelle les demandes sont formées sur des fondements différents.

La faute ne peut s'induire de la durée présumée de la contrefaçon, toute partie se revendiquant titulaire de droits d'auteur pouvant saisir une juridiction en réparation, étant observé qu'en l'espèce aucune demande d'interdiction, empêchant la société [P] de commercialiser ses produits, n'était formée. Ne caractérise pas plus une faute l'absence de production d'éléments nouveaux en appel. D'ailleurs, les conclusions de la société Agicap répondent aux motifs retenus par les premiers juges.

En l'absence de caractérisation d'une faute, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les intimés de leur demande de chef.

L'article 559 du code de procédure civile prévoit qu'en cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile.

Il résulte de ce qui précède que l'exercice de cette voie de recours par la société Agicap ne peut être qualifiée de dilatoire ou abusive et il n'y a pas lieu de prononcer une amende civile.

Sur les autres demandes

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Agicap aux dépens et à payer à M. [P] et à la société [P] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La nature de la décision commande de condamner la société Agicap aux dépens d'appel et à indemniser M . [P] et la société [P] des frais irrépétibles qu'ils ont été contraints d'exposer en cause d'appel à hauteur de 4 000 euros pour chacun.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement dans son intégralité,

Y ajoutant,

Déclare irrecevable comme nouvelle la demande en contrefaçon de la société Agicap au titre du logiciel sur lequel elle revendique des droits d'auteur,

Dit n'y avoir lieu à condamner la société Agicap à une amende civile,

Condamne la société Agicap aux dépens d'appel,

Condamne la société Agicap à payer à M. [G] [P] et à la société [P] la somme de 4 000 euros à chacun au titre des frais irrépétibles en cause d'appel.