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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 4-6, 6 décembre 2024, n° 23/15782

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 23/15782

6 décembre 2024

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 06 DECEMBRE 2024

N°2024/ 327

Rôle N° RG 23/15782 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BMKLR

[G] [Y]

C/

S.A.S. MA'A TAHITI

Copie exécutoire délivrée le: 06/12/2024

à :

Me Agnès ERMENEUX de la SCP SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Me Stéphanie ROYERE, avocat au barreau de TOULON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 09 Octobre 2023 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F22/00074.

APPELANTE

Madame [G] [Y]

née le 29 Août 1984 à [Localité 5] (83),, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée à l'audience par Me Camille GONTIER, avocat au barreau D'AVIGNON

INTIMEE

S.A.S. MA'A TAHITI, sise [Adresse 2]

représentée par Me Stéphanie ROYERE, avocat au barreau de TOULON substitué à l'audience par Me Hélène BAU, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été appelée le 08 Octobre 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre chargé du rapport et Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des demandes des parties dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller

Madame Raphaelle BOVE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Décembre 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Décembre 2024.

Signé par Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

[1] La SAS MA'A TAHITI a été constituée le 9 mai 2018 pour exploiter le restaurant de plage concédé par la ville de [Localité 5] [Localité 3], LA [4], Mme [G] [Y] étant associée à hauteur de 116'parts sur 415. Mme [G] [Y] en a été nommée directrice générale dès le 9 mai 2018 contre une rémunération de 3'500'€ par mois. Le 30 septembre 2019, elle a cédé ses parts et a démissionné de ses fonctions.

[2] Se prévalant d'un contrat de travail oral et se plaignant dès lors de travail dissimulé et d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mme'[G] [Y] a saisi le 21 février 2022 le conseil de prud'hommes de Toulon, section encadrement, lequel, par jugement rendu le 9'octobre'2023':

s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de Mme [G] [Y]. Selon l'article L. 1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs et les salariés qu'ils emploient';

débouté les parties de l'intégralité de leurs demandes';

ordonné que chaque partie subisse ses dépens';

débouté les parties de leurs autres demandes.

[3] Cette décision a été notifiée le 8 décembre 2023 à Mme [G] [Y] qui en a interjeté appel suivant deux déclarations du 22 décembre 2023. Les procédures ont été jointes par ordonnance du 12 janvier 2024.

[4] Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 27 février 2024 aux termes desquelles Mme [G] [Y] demande à la cour de':

la recevoir en son appel';

prononcer à titre principal la nullité du jugement entrepris';

à titre subsidiaire,

l'infirmer en toutes ses dispositions';

dire que le conseil de prud'hommes de Toulon compétent pour connaître du litige entre elle et la SAS MA'A TAHITI';

en toute hypothèse,

évoquer ledit litige';

déclarer ses demandes recevables';

condamner la société MA'A TAHITI à lui payer les sommes suivantes':

indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement': 4'590,46'€';

indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse': 9'180,92'€';

indemnité légale de licenciement': 1'738,69'€';

indemnité compensatrice de préavis': 10'500'€ nets';

indemnité compensatrice de congés payés sur préavis': 1'050'€ nets';

indemnité compensatrice de congés payés du 11 juin 2018 au 30 septembre 2019': 2'879,03'€ nets';

salaire du 11 juin 2018 au 30 septembre 2019': 27'425,32'€ nets';

congés payés y afférents': 2'742,53'€ nets';

indemnité de travail dissimulé': 28'002'€';

indemnité de frais irrépétibles': 2'400'€';

ordonner à la société MA'A TAHITI de lui remettre l'attestation Pôle Emploi rectifiée, le certificat de travail, les bulletins de paie rectifiés et le reçu pour solde de tout compte, sous astreinte de 50'€ par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt';

débouter la SAS MA'A TAHITI de l'ensemble de ses demandes';

condamner la SAS MA'A TAHITI aux entiers dépens.

[5] Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 1er février 2024 aux termes desquelles la SAS MA'A TAHITI demande à la cour de':

à titre principal,

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit le conseil de prud'hommes de Toulon incompétent pour connaître du litige entre Mme [G] [Y] et elle-même';

débouter Mme [G] [Y] de l'ensemble de ses demandes';

renvoyer devant le tribunal de commerce de Toulon';

à titre subsidiaire,

renvoyer la cause et les parties devant le conseil de prud'hommes de Toulon aux fins qu'il statue sur le bien fondé des demandes de Mme [G] [Y]';

à titre plus subsidiaire,

dires irrecevables les demandes de Mme [G] [Y] car prescrites';

débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes';

en tout état de cause,

condamner Mme [G] [Y] à lui porter et payer la somme de 2'500'€ au titre des frais irrépétibles';

condamner Mme [G] [Y] en tous les dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur la nullité du jugement

[6] L'appelante demande à la cour de déclarer le jugement nul, lui reprochant un défaut de motivation et de désignation de la juridiction de renvoi.

[7] Il sera tout d'abord relevé qu'un conseil de prud'hommes qui estime que les parties n'étaient pas liées par un contrat de travail se déclare incompétent, mais qu'il ne doit alors nullement renvoyer la cause à une autre juridiction dès lors qu'il n'est saisi que de demandes fondées sur l'existence d'un contrat de travail lesquelles ne peuvent être examinées par les juridictions civiles ou le tribunal de commerce devant lesquels il appartiendra au demandeur, dont la subordination n'a pas été retenue, de porter, s'il le souhaite, de nouvelles réclamations en responsabilité délictuelle ou contractuelle sur la base d'autres faits et d'autres engagements que ceux soumis au conseil de prud'hommes.

[8] Concernant la motivation, le jugement critiqué est ainsi rédigé, outre les motifs déportés dans le dispositif qui ont déjà été reproduits':

«'À aucun moment de la relation Mme [Y] n'est placée sous une quelconque subordination.'»

Un tel laconisme, exclusif de l'examen même sommaire des pièces, équivaut à un défaut de motivation. Dès lors le jugement entrepris sera annulé et la cour évoquera le litige.

2/ Sur l'existence d'un contrat de travail

[9] L'existence d'un contrat de travail suppose la réunion de trois critères normalement cumulatifs, l'exécution d'une prestation de travail, le versement d'une rémunération et la subordination juridique du travailleur au donneur d'ouvrage, ce troisième critère étant prépondérant. Ainsi, l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur. Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

[10] L'appelante soutient qu'elle a travaillé en qualité de directrice générale sous la subordination juridique de M. [W] [N] et elle produit plusieurs courriels dont elle déduit qu'ils caractérisent un lien de subordination. Elle fait valoir en particulier que l'embauche et la gestion du personnel relevaient de la compétence de M. [W] [N] à qui elle demandait des instructions. Elle ajoute que le même commandait le matériel et décidait de la politique tarifaire. Elle produit de plus des correspondances du cabinet d'expert-comptable de la société ainsi rédigées':

''le 4 juillet 2018':

«'Pour ta rémunération, tu as un statut de salarié pour tes fonctions de chef de salle (ou autre) et il faut faire une fiche de paye.'»

''le 21 novembre 2019':

«'Je fais suite à votre mail que vous avez envoyé à [J]. Étant salariée de la [4], il n'est pas possible d'avoir de justificatif en votre nom. Il existe une attestation de vigilance (attestation de paiement des cotisations à jour) mais au nom de la société.'»

[11] La société intimée répond que l'appelante a toujours exercé dans la société les seules fonctions attachées à son mandat social de directrice générale, qu'elle exerçait exclusivement des pouvoirs de direction et de représentation de la société vis-à-vis des tiers, pouvoir disciplinaire à l'égard des salariés, embauche de personnel et signature des contrats de travail, instruction au cabinet comptable et à la banque, souscription de carte bancaire au nom de la société, contrat de ristourne, commandes de marchandises, contrat d'abonnement de service, contrat de location et d'achat de matériel, dépôt de plainte, achat de voiture au nom de la société. La société ajoute que l'appelante ne recevait aucune directive et que personne ne contrôlait ses activités, ni ne la sanctionnait, que sa rémunération de 3'500'€ nets mensuels était afférente au mandat social comme il avait été expressément convenu par délibération d'assemblée générale du 9 mai 2018. L'intimée explique que les bulletins de salaires sont fictifs, non provisionnés, et non soumis à charges sociales et n'ont été établis, à la demande de l'appelante, que pour lui permettre de souscrire un emprunt bancaire, ou d'appuyer son dossier pour une demande de location d'appartement.

[12] La cour retient que par courriel du 22 décembre 2020 l'expert comptable indiquait': «'Pour rappel, les salaires de [G] ne sont pas provisionnés dans les comptes (uniquement à hauteur des fiches de paies réalisées) et les charges sociales ne sont donc pas payées (ni déclarées).'» Les correspondances échangées entre M. [W] [N] et l'appelante ne permettent pas de caractériser des ordres ou des directives mais bien plutôt des discussions entre mandataires sociaux se répartissant les tâches dans le respect de la prééminence du président. Il sera relevé que le courriel du cabinet comptable dont se prévaut la salariée vise des «'fonctions de chef de salle (ou autre)'» alors même que la salariée n'indique nullement avoir accompli de telles tâches mais uniquement avoir eu une activité de cadre de direction. Aucune pièce produite n'évoque un quelconque contrôle de l'exécution d'instruction reçue ni la possibilité de sanctionner d'éventuels manquements. Il apparaît seulement à la lecture des correspondances échangées avec le cabinet comptable que les parties ont entendu mettre en place une apparence de salariat mais cette intention est sans incidence sur l'existence d'une relation de travail. En conséquence, le conseil de prud'hommes était incompétent en l'absence de contrat de travail oral et l'appelante sera déboutée de toutes ses demandes fondées sur ce dernier.

3/ Sur les autres demandes

[13] Il convient d'allouer à la société intimée la somme de 1'500'€ au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. L'appelante supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Annule le jugement entrepris.

Évoquant,

Dit que la SAS MA'A TAHITI et Mme [G] [Y] n'étaient pas liées par un contrat de travail.

Déboute Mme [G] [Y] de l'ensemble de ses demandes.

Condamne Mme [G] [Y] à payer à la SAS MA'A TAHITI la somme de 1'500'€ au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Condamne Mme [G] [Y] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT