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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 6, 6 décembre 2024, n° 21/15147

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Mutuelle Des Architectes Francais (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Delacourt

Conseillers :

Mme Tardy, Mme Szlamovicz

Avocats :

Me Regnier, Me Metral, Me Maupas Oudinot, Me Malarde

TJ Bobigny, du 7 juin 2021, n° 19/07763

7 juin 2021

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Le 7 juin 2017, M. [K]-[F] [E] et Mme [U] [E] née [M] ont conclu, en qualité de maîtres d'ouvrage, une convention d'architecte avec M. [O] [V], portant sur l'exécution et la réception de travaux de construction d'une maison située au [Adresse 5], à [Localité 10] (94).

Le 31 juillet 2017, M. et Mme [E] ont confié à la société [A] [I] Bat les travaux de construction de cette maison.

Par jugement du 11 octobre 2018, le tribunal judiciaire de Bobigny a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société [A] [I] Bat. Celle-ci a cessé d'intervenir sur le chantier de construction de la maison des époux [E].

Par lettre du 18 décembre 2018, M. et Mme [E] ont déclaré leur créance entre les mains de Maître [D], liquidateur judiciaire de la société [A] [I] Bat, pour un montant de 594 351,52 euros.

Les 17 et 19 juin 2019, M. et Mme [E] ont assigné Maître [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [A] [I] Bat, M. [V], la Mutuelle des architectes français (la MAF), M. [X] [A] [I] et M. [J] [A] [G] [I] devant le tribunal judiciaire de Bobigny.

Par jugement du 7 juin 2021, le tribunal judiciaire de Bobigny a statué en ces termes :

- rejette l'ensemble des demandes de M. et Mme [E],

- condamne M. et Mme [E] à payer à M. [V] et à la MAF la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne M. et Mme [E] à payer à M. [X] [N] [A] [I] et à M. [A] [G] [I] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne M. et Mme [E] aux entiers dépens dont le recouvrement se fera conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration en date du 2 août 2021, M. et Mme [E] ont interjeté appel du jugement, intimant devant la cour d'appel de Paris M. [V], la MAF, M. [A] [I] et M. [A] [G] [I].

Par ordonnance du 25 novembre 2021, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement de M. et Mme [E] à l'égard de M. [A] [I] et [A] [G] [I], l'extinction de l'instance et le dessaisissement de la cour à l'égard de M. [X] [N] [A] [I] et M. [J] [A] [G] [I].

Par ordonnance du 6 octobre 2022, le conseiller de la mise en état a notamment déclaré irrecevables les demandes des époux [E] faute de mise en oeuvre préalable de la clause de saisine préalable du conseil de l'ordre des architectes.

Par un arrêt du 7 avril 2023, la cour a déclaré le conseiller de la mise en état incompétent au profit de la cour d'appel pour statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par M. [V] et la MAF.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 9 septembre 2024, M. [K]-[F] [E] et Mme [U] [E] demandent à la cour de :

- déclarer M. [V] et son assureur, la MAF, irrecevables et subsidiairement mal fondés en leur fin de non-recevoir tenant à l'absence de saisine préalable de l'ordre des architectes ;

- réformer le jugement en ce qu'il a débouté M. et Mme [E] de leur demande de condamnation à l'encontre de M. [V] et de son assureur, la MAF ;

- constater la faute contractuelle de M. [V] ;

- constater la matérialité du dommage subi par M. et Mme [E] du fait de la carence du maître d''uvre dans ses obligations de conseil et de vérification, dans le suivi de l'exécution des travaux et dans le suivi comptable du chantier qui ont conduit à un « trop-versé » à l'entreprise défaillante, à un préjudice de retard, à une perte de chance inhérente au défaut d'assurance dommages-ouvrage et décennale ;

En conséquence,

- condamner M. [V] et la MAF au paiement de :

- la somme de 99 351,52 euros TTC correspondant au trop-payé,

- la somme de 45 000 euros pour le retard de la construction,

- la somme de 23 040 euros au titre des loyers et charges réglés par M. et Mme [E],

- la somme de 20 730,92 euros correspondant aux intérêts sur les prêts complémentaires pour le dépassement de chantier,

- la somme de 1 528,18 euros pour les frais d'huissier et d'expert,

- condamner M. [V] et la MAF à titre de dommages et intérêts au paiement de la somme de 80 000 euros pour perte de chance de vendre la maison à sa valeur et pour le risque de supporter le coût des travaux en raison du défaut d'assurance dommages-ouvrage et du défaut d'assurance décennale de l'entreprise [A] [I] Bat ;

- condamner M. [V] et la MAF au paiement de la somme de 30 000 euros pour préjudice moral ;

- condamner M. [V] et la MAF au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter M. [V] et la MAF de toutes leurs demandes.

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 4 septembre 2024, M. [V] et la MAF demandent à la cour de :

- déclarer l'action de M. et Mme [E] à l'encontre de M. [V] et de la MAF irrecevable et éteinte ;

- prononcer la mise hors de cause de M. [V] et de la MAF ;

Subsidiairement,

- juger que M. et Mme [E] ne rapportent pas la preuve des conditions de nature à engager la responsabilité de M. [V], quel que soit le fondement juridique ;

- débouter M. et Mme [E] de leur appel et demandes de condamnations formulées à l'encontre de M. [V] et de la MAF ;

- confirmer le jugement du 7 juin 2021 en ce que M. et Mme [E] ont été déboutés de l'ensemble de leurs demandes ;

- prononcer la mise hors de cause de M. [V] et de la MAF ;

Encore plus subsidiairement, si une quelconque condamnation devait intervenir à l'encontre de M. [V] et de la MAF,

- ordonner la compensation entre le montant des condamnations susceptibles d'être prononcées à l'encontre de M. [V] et/ou de la MAF et la somme de 6 415,73 euros correspondant au montant des honoraires de M. [V] ;

En tout état de cause,

- déclarer la MAF recevable et bien fondée à opposer le cadre et les limites de sa police d'assurance dont sa franchise contractuelle ;

- rejeter toutes demandes de condamnations qui excèderaient le cadre et les limites de la police d'assurance de la MAF ;

Pour le surplus,

- rejeter toutes demandes, fins et conclusions en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de M. [V] et de la MAF ;

- condamner M. et Mme [E] in solidum à verser aux concluants une somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner les mêmes aux entiers dépens avec le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

Par actes du 26 octobre 2021, remis par dépôt à l'étude pour M. [A] [G] [I] et selon procès-verbal de recherches infructueuses pour M. [A] [I], M. et Mme [E] ont fait assigner M. [A] [G] [I] et M. [A] [I], qui n'ont pas constitué avocat.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 19 septembre 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 26 septembre 2024, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.

MOTIVATION

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en oeuvre de la clause de saisine préalable du conseil de l'ordre des architectes

Moyens des parties

M. [V] et la MAF opposent aux demandes indemnitaires des époux [E] une fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en oeuvre de la clause de saisine préalable du conseil de l'ordre des architectes. Ils font valoir que la clause stipulée au contrat s'inscrit dans la volonté actuelle de déjudiciarisation et soutiennent qu'au cas d'espèce la clause n'est pas abusive.

La MAF ajoute que l'irrecevabilité pour défaut de saisine préalable du conseil régional de l'ordre des architectes lui bénéficie également à défaut d'action directe à son encontre.

M. et Mme [E] font valoir que la clause, qui contraint le consommateur, en cas de litige avec un professionnel, à recourir obligatoirement à un mode alternatif de règlement des litiges avant la saisine du juge est présumée abusive, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire. Ils soutiennent que la clause stipulée dans le contrat conclu avec M. [V], par ailleurs mentionnée dans un paragraphe dénommé 'résiliation' alors qu'elle a vocation à s'appliquer à tous les différends avec l'architecte, institue une médiation préalable obligatoire, de sorte qu'elle est présumée abusive et que M. [V] ne rapporte pas la preuve contraire.

Réponse de la cour

L'article 122 du code de procédure civile énonce que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L'article 123 du même code précise que les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

Il est constant qu'une fin de non-recevoir peut être soulevée en tout état de cause, y compris en appel (Cass., 2e Civ., 1er avril 1998, n° 95-20.848 ; Com., 22 février 2005, n° 02-11.519).

La clause imposant la saisine pour avis de l'ordre des architectes préalablement à toute action judiciaire institue une procédure de conciliation préalable dont la méconnaissance constitue une fin de non-recevoir insusceptible de régularisation (Cass., 3e Civ., 16 novembre 2017, n° 16-24.642). Cette clause n'est pas applicable lorsque le litige porte sur la réparation de désordres de nature décennale relevant des dispositions de l'article 1792 du code civil (Cass., 3e Civ., 23 mai 2007, n° 06-15.668). De même, cette clause est présumée abusive dans les relations entre consommateur et professionnel, la présomption étant simple (Cass., 3e Civ., 11 mai 2022, n° 21-16.023).

L'article L. 212-1 du code de la consommation dispose que dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Selon l'article R. 212-2 du même code, dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont présumées abusives au sens des dispositions des premier et cinquième alinéas de l'article L. 212-1, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : (...) 10° supprimer ou entraver l'exercice d'actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges.

L'article R. 632-1 alinéa 2 du même code précise que le juge écarte d'office, après avoir recueilli les observations des parties, l'application d'une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat.

En l'espèce, le contrat conclu le 7 juin 2017 entre les époux [E] et M. [V] stipule, en son paragraphe 6 Résiliation, qu''en cas de litige portant sur l'exécution du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes d'Île-de-France dont relève [O] [V], avant toute procédure judiciaire.'

Compte tenu de ses termes, cette clause institue une obligation pour M. et Mme [E], dont la qualité de consommateurs n'est pas discutée, de saisir le conseil régional de l'ordre des architectes avant toute saisine d'une juridiction.

Cette clause institue donc une procédure obligatoire et préalable à la saisine du juge par le recours à un tiers, et est dès lors présumée abusive en vertu des dispositions précitées.

M. [V] ne rapporte pas la preuve contraire, qui lui incombe.

Par conséquent, la clause de saisine préalable obligatoire du conseil régional de l'ordre des architectes, étant abusive, sera écartée, et la fin de non-recevoir opposée par M. [V] et la MAF aux demandes de M. et Mme [E] rejetée.

Sur les demandes indemnitaires de M. et Mme [E]

Moyens des parties

M. et Mme [E] poursuivent la responsabilité contractuelle de M. [V], dont ils soutiennent qu'il avait mission complète de maîtrise d'oeuvre selon le contrat, incluant obligation de résultat au titre des missions de vérification et suivi de chantier, pour défaut de vérification de la solvabilité et des conditions d'assurance de la société [A] [I] Bat, pour ne pas les avoir alertés sur la nécessité de souscrire une assurance dommages-ouvrage, pour n'avoir pas assuré de suivi de chantier ni procédé à des vérifications comptables. Ils sollicitent également la condamnation de son assureur la MAF.

Ils font valoir un préjudice incluant un trop-payé de prestations par rapport à celles effectivement exécutées, d'un montant de 99 351,52 euros TTC, de la perte des pénalités de retard pour la somme de 45 000 euros TTC, de l'obligation de payer un loyer au-delà de la date d'emménagement prévue, pour 23 040 euros, de la charge d'intérêts de deux prêts qu'ils ont dû souscrire pour finir les travaux à hauteur de 11 626,84 euros, d'un préjudice moral à hauteur de 30 000 euros, de frais d'expert immobilier et d'huissier pour 1 528,18 euros et de la perte de chance de souscrire une assurance dommages-ouvrage alors que dans l'hypothèse d'une revente ils seront soumis aux garanties légales, pour un montant de 80 000 euros. Ils s'opposent à la demande en paiement du solde de ses honoraires formée par M. [V].

M. [V] et la MAF font valoir que les appelants ne rapportent pas la preuve d'une faute, d'un préjudice et du lien de causalité entre les deux. Ils rappellent que l'architecte est tenu à une obligation générale de moyens n'impliquant pas une présence permanente sur le chantier. Ils indiquent qu'au cas d'espèce, la mission de M. [V] n'était pas une mission complète, et notamment il n'avait pas de mission de passation des marchés avec les entreprises, précisant que la société de construction était déjà choisie par les époux [E]. Ils ajoutent que le contrat rappelle l'obligation pour le maître d'ouvrage de souscrire une assurance dommages-ouvrage. Ils précisent que la société [A] [I] Bat n'est pas intervenue comme entreprise générale, que le contrat ne prévoyait pas la couverture et l'étanchéité pour lesquelles elle n'était pas assurée et qu'elle n'a pas assuré ces travaux, mais seulement l'activité maçonnerie pour laquelle elle était assurée par la société CBL Insurance. Ils indiquent que M. [V] se rendait sur le chantier et a constaté que le maître d'ouvrage changeait directement la nature des prestations avec l'entrepreneur sans lui en référer et qu'il a visé les deux seules situations qui lui ont été transmises, les autres ayant été adressées directement au maître d'ouvrage. Ils contestent les préjudices allégués.

Réponse de la cour

Les articles 1103 et 1104 du code civil disposent que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.

L'article 1231-1 du code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'inexécution a été empêchée par la force majeure.

1) Sur les fautes imputées à M. [V]

a) Sur le défaut de conseil de souscription d'une assurance dommages-ouvrage

Il est stipulé, en page 5 du contrat d'architecte, paragraphe 4.2 Responsabilité professionnelle - Assurance, que 'le maître de l'ouvrage souscrit une police d'assurance dommages-ouvrage', de sorte que M. et Mme [E], maîtres d'ouvrage, étaient avertis de la nécessité de conclure cette assurance. Il résulte des pièces versées aux débats, et notamment un courrier qu'ils ont envoyé le 4 septembre 2018 à M. [V] (leur pièce 19), qu'ils avaient entamé les démarches pour obtenir une assurance dommages-ouvrage dès la conclusion du contrat de construction, sans y parvenir. Ils ne peuvent donc reprocher à M. [V] un défaut d'information à ce titre.

b) Sur le défaut d'assurance décennale de la société [A] [I] Bat pour les prestations de couverture et charpente

S'agissant de la souscription du contrat de travaux, M. et Mme [E] ont rappelé dans leur courrier du 4 septembre 2018 adressé à M. [V] (leur pièce 19) qu'ils avaient reçu le 17 juillet 2017 un devis de la société Esprit du Bâtiment, que le 31 juillet M. [V] avait visé un contrat avec la société [A] [I] Bat retenue à la place de la société Esprit du Bâtiment sans qu'ils sachent pourquoi, et qu'il était convenu qu'ils n'aient qu'un seul interlocuteur pour la construction, en la personne de M. [A].

Dans son courrier en réponse du 12 septembre 2018 (pièce 20), M. [V] a rappelé que le marché était initialement prévu avec la société Esprit du Bâtiment (le devis de cette société est visé dans la convention d'architecte pour l'évaluation des honoraires de M. [V]), qu'il a été convenu avec M. [X] [A] (gérant de la société [A] [I] Bat) que le marché était conclu avec la société [A] [I] Bat en remplacement de la société Esprit du Bâtiment, M. [V] précisant aux époux [E] que 'nous pensions, étant arrivés après la désignation de l'entreprise, que vous étiez informés.'

Toutefois, M. et Mme [E] produisent un courriel de M. [V] en date du 3 septembre 2017 (leur pièce 2) par lequel M. [V] leur a envoyé le contrat de la société [A] [I] Bat avec le message suivant : 'bonne réception pour validation du marché sur la société [A] [I] Bat. Confirmation du Rdv sur le chantier le jeudi 7 septembre à 14h30.' A ce courriel était joint le devis n° 17/0512 de la société [A] [I] Bat pour un montant de 462 000 euros avec mention d'une remise commerciale et d'un montant total de 412 500 euros et un document adressé à l'entrepreneur, signé de l'architecte, daté du 31 juillet, pour un montant de 450 000 euros TTC.

Ainsi, M. [V], qui avait mission complète de maîtrise d'oeuvre selon le contrat (paragraphe 3.1), bien que sa mission détaillée n'inclue pas la passation des contrats de travaux, a été destinataire du contrat de travaux de la société retenue pour les réaliser, l'a vérifié comme en atteste sa signature sur le document de commande et l'a transmis pour validation aux époux [E].

Or, ce devis est l'exacte reproduction de celui émis par la société Esprit du Bâtiment, à l'exception de l'en-tête de l'émetteur, y compris la mention selon laquelle 'l'ensemble de l'ouvrage effectué bénéficie d'une garantie décennale par contrat souscrit auprès de la MMA sous le numéro 384591 M E3 257 prenant effet le 1er avril 2006". A ce devis est jointe l'attestation annuelle d'assurance de la société [A] [I] Bat auprès d'une autre société, la société CBL Insurance. Selon cette attestation d'assurance, la société CBL Insurance ne garantit pas les activités de charpente et couverture, pourtant prévues dans le devis n° 17/0512.

Par conséquent, M. [V], qui s'est donc chargé de la vérification du contrat, n'a pas relevé l'erreur de visa de l'assureur de responsabilité décennale, ni le fait que la société retenue n'était pas assurée au titre de la responsabilité décennale pour les activités de charpente et couverture, alors qu'elle était chargée de ces prestations selon le contrat de travaux.

Néanmoins, cette faute n'a pas causé de préjudice aux époux [E] dans la mesure où, ultérieurement, pour des raisons tenant à la recherche d'un assureur dommages-ouvrage, le contrat de travaux initial a été remplacé par plusieurs contrats confiés à des entreprises distinctes (pièce 13 des époux [E]), la couverture étant confiée à la société Max Land Group et la charpente à la société [A] Entreprise, assurées pour ces prestations, la société [A] [I] Bat conservant à sa charge les prestations de terrassement, gros-oeuvre maçonnerie, menuiserie intérieure, électricité, plomberie et peinture, les fondations étant par ailleurs confiées à la société Grimaud Fondations.

Par conséquent, cette faute ne peut fonder les demandes indemnitaires de M. et Mme [E].

c) Sur le défaut de suivi du chantier

Le contrat d'architecte stipule à la charge de M. [V] une mission de vérification des situations - factures et mémoires, en son paragraphe 3.3.

Il résulte des pièces versées aux débats que M. [V] a été destinataire de la part de la société [A] [I] Bat de deux demandes d'acompte qu'il a validées et transmises pour paiement aux maître d'ouvrage :

- facture 170901 du 14 septembre 2017 pour un montant de 135 000 euros TTC représentant l'acompte de 30 % à la conclusion du contrat, réglée par M. et Mme [E],

- situation n° 2, suivant avancement des travaux, datée du 26 décembre 2017, faisant état d'un avancement des travaux de 38,80 %, soit un total cumulé de 145 500 euros et sollicitant le règlement d'un montant de 39 600 euros, facture validée par M. [V] le 5 janvier 2018. Ce montant a été réglé par M. et Mme [E] qui ont versé la somme de 40 400 euros.

M. et Mme [E] mentionnent dans leurs écritures d'autres paiements d'un montant total de 46 300 euros entre mai et juillet 2018, mais précisent que c'est l'entreprise qui a fait l'appel de fonds, les menaçant de suspendre le chantier, ce qui les a contraint à régler les sommes demandées. Cet appel de fonds, à l'initiative de l'entreprise, n'a pas été adressé à l'architecte qui ne l'a pas validé. M. et Mme [E] ne peuvent le lui reprocher.

Selon le procès-verbal de constat dressé le 22 janvier 2019 à la demande de M. [V], ont été réalisés à cette date : les fondations, les murs en brique, la chape en béton, les escaliers, les hourdis du plafond, la porte automatique du garage, l'huissier précisant que le chantier n'a pas évolué depuis son précédent constat du 19 octobre 2018.

En tenant compte du devis initial et des constats faits par l'huissier, la cour considère que l'estimation des travaux réalisés par la société [A] [I] Bat, résultant du tableau fourni par les époux [E] en pièce 35, bien que l'auteur en soit inconnu, est conforme au constat de l'huissier quant aux travaux réellement réalisés. Au regard du marché, cela représente un coût des travaux réalisés de 110 919,35 euros HT et ce, alors que l'architecte avait validé une avancée de travaux à hauteur de 145 500 euros en janvier 2018 et que les travaux se sont poursuivis au-delà de cette date.

Cela démontre que M. [V] n'a pas vérifié l'avancée réelle des travaux quand il a validé le second appel de fonds, censé être dressé au regard de l'avancée réelle desdits travaux. Il a donc commis une faute contractuelle engageant sa responsabilité.

De même, il était stipulé une durée de travaux d'un an à compter du 1er septembre 2017 hors intempéries. Or, lors du constat dressé à la demande de M. [V] le 13 novembre 2018, confirmé en janvier 2019, les travaux n'étaient pas achevés et étaient loin de l'être, l'immeuble n'étant ni hors d'eau ni hors d'air. Ce retard ne peut s'expliquer par les difficultés des époux [E] à souscrire une assurance dommages-ouvrage, qui est sans lien, ou par la liquidation judiciaire de la société [A] [I] Bat, survenue en novembre 2018.

M. [V], qui avait dans ses missions le suivi du chantier, ne justifie pas être intervenu auprès de la société [A] [I] Bat pour lui signifier le retard pris, lui intimer de respecter le calendrier, ou solliciter à son encontre les pénalités de retard contractuellement prévues, ni encore avoir signalé le retard auprès des maîtres d'ouvrage et les avoir conseillé sur la conduite à tenir à cet égard. Il a donc également commis une faute contractuelle engageant sa responsabilité.

Le retard total du chantier ne lui est cependant pas totalement imputable, la liquidation judiciaire de la société [A] [I] Bat ayant conduit les maîtres d'ouvrage à devoir remplacer l'entrepreneur, ainsi que l'architecte au regard de la perte de confiance survenue entre eux et M. [V].

2) Sur les préjudices de M. et Mme [E]

Parmi les manquements reprochés par les époux [E] à M. [V] et leur causant un préjudice, un seul a été caractérisé, le défaut de surveillance du chantier ayant conduit à valider une situation de travaux pour un montant supérieur au montant des travaux réellement exécutés et à l'inachèvement du chantier dans le délai contractuellement prévu.

Cela cause un préjudice aux époux [E] constitué de la différence entre les sommes versées au regard de la validation de l'architecte (soit 175 400 euros, le surplus ayant été versé sans sa validation, donc sans faute de sa part) et la réalité des travaux réalisés (110 919,35 euros HT, soit 133 103,22 euros TTC, la TVA étant à 20 % selon le marché), soit la somme de 42 296,78 euros.

A cette somme, versée à perte, doivent s'ajouter les intérêts du prêt complémentaire souscrit par les époux [E] pour parvenir à terminer le chantier, intérêts qu'ils n'auraient pas dû régler s'ils n'avaient pas payé à tort la somme de 42 296,78 euros (le nouvel entrepreneur ayant repris les travaux là où s'était arrêtée la société [A] [I] Bat, pour le montant du marché de celle-ci, sans supplément), soit, au regard des intérêts pour le premier prêt de 50 000 euros, la somme de 7 701,47 euros (au prorata).

En outre, en n'intervenant pas pour régler le retard de chantier et en n'avertissant pas les époux [E], M. [V] a commis une faute qui leur a fait perdre une chance de réclamer les pénalités de retard contractuelles. Compte tenu de l'importance du retard, ils auraient pu solliciter le montant maximal de pénalités, soit 45 000 euros. Le préjudice tiré de la perte d'une chance n'étant jamais égal à l'avantage qui aurait été tiré si l'événement manqué s'était réalisé, il convient d'allouer aux époux [E] la somme de 20 000 euros au titre de ce préjudice.

Le retard du chantier a également empêché les époux [E] d'emménager dans leur nouveau pavillon et les a contraint à poursuivre leur location plus longtemps qu'il n'était prévu. Ce retard étant partiellement imputable à M. [V], celui-ci sera condamné à supporter la moitié du montant du préjudice de jouissance supporté par les maîtres d'ouvrage, soit 11 520 euros.

Le surplus des sommes sollicitées sera rejeté, de première part, faute de preuve du préjudice moral allégué, de seconde part, car les frais de l'expert immobilier ne sont pas justifiés par le présent litige et les frais d'huissier relèvent le cas échéant des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et de troisième part car la perte de chance sur la valeur vénale du bien n'est ni établie ni imputable à M. [V], les maîtres d'ouvrage ayant été avertis dès la conclusion du contrat d'architecte de la nécessité de souscrire une assurance dommages-ouvrage. En outre, la cour a jugé que le fait que la société [A] [I] Bat n'ait pas été assurée pour les travaux de charpente et couverture était sans lien avec les préjudices allégués par les époux [E], cette société n'ayant pas réalisé lesdits travaux.

La MAF, assureur de responsabilité civile professionnelle de M. [V], ne dénie pas sa garantie, mais rappelle à juste titre les limites contractuelles (plafond, franchise) opposables erga omnes, s'agissant d'une garantie facultative.

Au vu de ce qui précède, le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de M. et Mme [E]. Statuant à nouveau, la cour retient la faute contractuelle de M. [V] et le condamne, avec la MAF mais sans solidarité entre eux à défaut de demande en ce sens, à leur verser les sommes de :

- 42 296,78 euros TTC de trop-versé sur le chantier,

- 7 701,47 euros de dommages-intérêts pour préjudice financier au titre des intérêts supportés,

- 20 000 euros de dommages-intérêts pour perte de chance de solliciter les pénalités financières contractuelles,

- 11 520 euros de dommages-intérêts pour préjudice de jouissance.

Sur la demande reconventionnelle en paiement formée par M. [V]

Moyens des parties

M. [V] sollicite la condamnation reconventionnelle des époux [E] à lui verser la somme de 6 415,73 euros TTC correspondant à ses honoraires impayés eu égard à l'avancée du chantier, au titre de sa mission DET. Il demande la compensation de cette sommes avec celle éventuellement due aux maîtres d'ouvrage.

M. et Mme [E] concluent au rejet de cette demande du fait de sa nouveauté en appel.

Réponse de la cour

Dans le dispositif de leurs conclusions, M. et Mme [E] n'ont pas saisi la cour d'une prétention d'irrecevabilité de la demande en paiement de M. [V] pour nouveauté de celle-ci en appel. Par conséquent, la cour n'est pas saisie de la prétention d'irrecevabilité qu'ils entendent lui opposer.

Selon l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Selon l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

En application du principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit, les fautes commises par l'architecte ne le privent pas du droit aux honoraires correspondant à la partie exécutée de sa mission.

En l'espèce, le contrat d'architecte stipulait en son paragraphe 3, Rémunération, une indemnisation de M. [V] à hauteur de 7 % du montant HT des travaux, avec une remise commerciale de 1 500 euros, et la TVA à 20 %, les honoraires définitifs étant à calculer sur le montant exact des travaux réellement réalisés.

Il a été jugé que les travaux réellement exécutés s'élevaient à la somme de 110 919,35 euros HT, soit une rémunération due à l'architecte d'un montant de 7 764,35 euros HT, soit 9 317,22 euros TTC. De cette somme, il convient de déduire la remise commerciale contractuelle de 1 500 euros, soit un montant dû de 7 817,22 euros TTC.

M. et Mme [E] ne justifient pas avoir acquitté les honoraires de M. [V] et doivent donc être condamnés à lui verser la somme demandée de 6 415,73 euros TTC, la cour ne pouvant statuer ultra petita.

Cette somme viendra en compensation avec la somme due par M. [V] à M. et Mme [E], conformément aux dispositions de l'article 1347 du code civil.

Sur les frais du procès

Le sens de l'arrêt conduit à infirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile à l'égard de M. [V] et la MAF. Statuant à nouveau, la cour condamne M. [V] et la MAF, celle-ci dans ses limites contractuelles, aux dépens de première instance et à verser à M. et Mme [E] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles, incluant le coût du procès-verbal de constat d'huissier.

En cause d'appel, M. [V] et la MAF, parties succombantes, seront condamnés aux dépens et à payer à M. et Mme [E] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles. Leur demande de ce chef sera rejetée.

Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sera accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par M. [O] [V] et la MAF et tirée du défaut de saisine préalable du conseil régional de l'Ordre des architectes d'Île-de-France,

INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE M. [O] [V] et la MAF à verser à M. [F] [E] et Mme [U] [E] née [M] les sommes de :

- 42 296,78 euros TTC de trop-versé au titre des travaux,

- 7 701,47 euros de dommages-intérêts pour préjudice financier au titre des intérêts supportés,

- 20 000 euros de dommages-intérêts pour perte de chance de solliciter les pénalités financières contractuelles,

- 11 520 euros de dommages-intérêts pour préjudice de jouissance,

REJETTE le surplus des demandes indemnitaires de M. [F] [E] et Mme [U] [E] née [M],

DIT la MAF bien fondée à opposer les limites de ses garanties contractuelles (franchise et plafond),

CONDAMNE M. [O] [V] et la MAF aux dépens de première instance,

CONDAMNE M. [O] [V] et la MAF à verser à M. [F] [E] et Mme [U] [E] née [M] la somme de cinq mille euros (5 000 euros) au titre des frais irrépétibles de première instance,

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [F] [E] et Mme [U] [E] née [M] à verser à M. [O] [V] la somme de six mille quatre cent quinze euros et soixante-treize centimes (6 415,73 euros) TTC au titre de ses honoraires,

ORDONNE la compensation entre les sommes respectivement dues par les parties, dans les conditions de l'article 1347 du code civil,

CONDAMNE M. [O] [V] et la MAF aux dépens d'appel,

ADMET les avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [O] [V] et la MAF à payer à M. [F] [E] et Mme [U] [E] née [M] la somme de trois mille euros (3 000 euros) au titre des frais irrépétibles en appel,

REJETTE la demande de M. [O] [V] et de la MAF au même titre.