CA Nancy, 1re ch., 9 décembre 2024, n° 24/00732
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bpce Iard (SA), Alu're Fermetures (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cunin-Weber
Conseiller :
M. Firon
Avocats :
Me Mortet, Me Henry, Me Chaperot
FAITS ET PROCÉDURE :
Par ordonnance de référé du 13 mars 2024, Madame la présidente du tribunal judiciaire d'Epinal a statué comme suit dans le litige qui oppose Monsieur et Madame [M] et [U] [T] à l'EURL Alu'Re Fermetures, à la société BPCE Iard, à la compagnie Optim Assurances, à la MAAF et la société SJ Maçonnerie :
Après avoir mis hors de cause la MAAF, elle a ordonné une expertise technique confiée à Monsieur [G] [N], expert, portant sur leur immeuble sis à [Localité 5] au contradictoire de la société SJ Maçonnerie ainsi que d'Alu'Re Fermetures et de leurs compagnies d'assurance, le juge relevant que la porte-fenêtre commandée n'a pas été fournie aux bonnes dimensions et que la porte d'entrée n'a pas été posée.
Elle a constaté que bien que le procès-verbal de réception ait été signé sans réserve par les époux [T], ils justifient d'un motif légitime de faire procéder à une mesure d'instruction technique avant tout procès, l'entreprise reconnaissant son défaut de livraison par l'émission d'une facture inférieure au devis.
La demande de provision a également été accueillie s'agissant de la société SJ Maçonnerie à hauteur de 8000 euros et Alu'Re Fermetures pour 1000 euros, ce, au vu de l'existence d'une créance incontestable.
La SARL Alu'Re Fermetures et la BPCE Iard ont régulièrement interjeté appel de cette décision le 16 avril 2024.
Par conclusions communiquées par voie électronique le 12 septembre 2024, la société Alu'Re Fermetures et la BPCE Iard sollicitent de la cour qu'elle infirme les dispositions de l'ordonnance dont appel qui a :
- condamné l'EURL Alu'Re Fermetures à payer à Monsieur [M] [T] et Madame [U] [X] une provision de 1000 euros à valoir sur l'indemnisation de leur préjudice ;
- rejeté toutes les autres demandes de la société BPCE Iard (lesdites demandes tendant à rejeter la demande d'expertise judiciaire formée par Madame et Monsieur [T] à son encontre),
- rejeté toutes les autres demandes de la société Alu'Re Fermetures (lesdites demandes tendant à rejeter la demande d'expertise judiciaire formée par Madame et Monsieur [T] à son encontre et à condamner Madame [U] [T] et Monsieur [M] [T] à verser à la société Alu'Re Fermetures la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile),
- mis hors de cause la SARL Alu'Re Fermetures et la SA BPCE Iard,
- condamné Madame [U] [T] et Monsieur [M] [T] à verser à la SARL Alu'Re Fermetures la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à titre d'indemnité de première instance,
Ajoutant au jugement,
- condamné Madame [U] [T] et Monsieur [M] [T] à verser à la SARL Alu'Re Fermetures et à la société BPCE Iard la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à titre d'indemnité d'appel,
- condamné Madame [U] [T] et Monsieur [M] [T] aux entiers dépens d'appel.
En tout état de cause, elle demande à la cour de :
- débouter Madame [U] [T] et Monsieur [M] [T] de toutes leurs demandes.
Par conclusions communiquées par voie électronique le 19 juin 2024, Monsieur et Madame [T] réclament de la cour qu'elle déboute les sociétés Alu'Re Fermetures et BPCE Iard de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions, qu'elle confirme l'ordonnance du 13 mars 2024 en toutes ses dispositions et condamne solidairement les sociétés Alu'Re Fermetures et BPCE Iard à verser Madame [U] [T] et Monsieur [M] [T], la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les condamne solidairement aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été prise le 23 septembre 2024, l'affaire étant fixée à l'audience du 8 octobre 2024.
Elle a été mise en délibéré au 9 décembre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Vu les écritures déposées par voie electronique le 12 septembre 2024 pour les appelantes, le 13 juin 2024 pour les intimées et appelantes incidentes, auxquelles la Cour se réfère expressément pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 23 septembre 2024 ;
Sur la mesure d'instruction
A l'appui de leur recours les appelantes considèrent que l'ordonnance déférée est affectée d'une erreur de droit, en ce qu'elle a considéré que la signature du procès-verbal de réception sans réserve, au demeurant pour des désordres visibles, rendait impossible toute action en contestation de leur part ; en effet elles affirment que la jurisprudence est constante et considèrent qu'un tel procès-verbal purge les désordres qui sont visibles ;
La réception est intervenue en décembre 2022, les travaux étant finis ; les modifications de la taille des fenêtres apparaissent comme faites en accord avec les propriétaires de l'immeuble et il ne peut être tiré aucune conséquence de la réduction de prix que la société a consenti ;
Par suite, ils ne disposent d'aucun motif légitime pour justifier leur demande de mesure d'instruction ;
En réponse, Monsieur et Madame [T] indiquent avoir fait établir un constat d'huissier de justice le 17 octobre 2023 ; une non-conformité est établie s'agissant de la taille et de la couleur de la baie vitrée ; la porte de service prévue pour l'accès à l'arrière de l'extension n'a jamais été posée, compte tenu d'une erreur imputable au maçon ; elle a cependant été facturée ;
ce sont des non-conformités ;
Ils reconnaissent avoir signé un procès-verbal de réception le 13 décembre 2022 sans réserves écrites, mais indiquent avoir sollicité par mise en demeure du 9 février 2023 une révision de la facture pour tenir compte des éléments sus énoncés ; une facture modificative a été adressée le 28 février 2023, déduisant la porte non fournie, ce qui constitue une reconnaissance par l'entreprise de ses manquements ; ils se fondent sur cette facture pour solliciter une mesure d'instruction, afin qu'il soit fait le départ, entre ce qui a été fait et non et que le compte entre les parties soit effectué ;
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile 's'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instructions légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout interessé, sur requête ou en référé' ;
Il est constant que cette mesure doit intervenir afin de réunir des preuves matérielles, en vue d'un prochain litige ; dès lors, elle doit être rejetée dans l'hypothèse où aucun recours n'a de chance de prospérer ;
Les appelantes, qui se limitent à l'entreprise Alu'Re Fermetures et son assueur la BPCE, considèrent que c'est le cas en l'espèce, Monsieur et Madame [T] ayant signé le 13 décembre 2022, un procès-verbal de réception sans réserves (pièce 6 intimés) ;
L'article 1792-6 du code civil définit le procès-verbal de réception et ses effets ; ainsi 'la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves.
Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement ;
La garantie de parfait achèvement, à laquelle l'entrepreneur est tenu pendant un délai d'un an, à compter de la réception, s'étend à la réparation de tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage, soit au moyen de réserves mentionnées au procès-verbal de réception, soit par voie de notification écrite pour ceux révélés postérieurement à la réception (...)' ;
En présence d'un procès-verbal de réception, ce sont les dispositions des articles 1792 et suivants qui s'appliquent ; elles instaurent une présomption de responsabilité pour les ' dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert.
Un élément d'équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l'un des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage' précise l'article 1792-2 du code civil ;
La responsabilité peut par conséquent, être recherchée s'agissant des éléments qu'équipement qui rendent l'ouvrage impropre à sa destination ;
Cette responsabilité s'applique à 'tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage' ajoute l'article 1792-1 du même code ;
La société Alu'Re Fermetures conteste vainement sa qualité de maître d'oeuvre, alors elle sollicite dans le même temps le bénéfice de la 'purge des vices apparents' par le procès-verbal de réception qui concerne le même régime de responsabilité ; à cet égard cette purge ne s'applique qu'aux vices apparents, qualité qui doit s'apprécier par rapport à la personne du maître de l'ouvrage ;
S'agissant de l'absence de réserves, il y a lieu de constater que dans le délai d'un an (celui de la garantie de parfait achèvement), Monsieur et Madame [T] ont mis en demeure la société Alu'Re Fermetures de déposer une facture définitive, tenant compte des modifications des travaux, dont une partie n'avait pas été fournie (pièce 7 datée du 9 février 2023), puis ont fait effectuer un constat d'huissier de justice (pièce 11 datée du 17 octobre 2023) et provoqué une expertise amiable contradictoire le 28 mars 2023, à laquelle le représentant de la société Alu'Re Fermetures a participé accompagné de son propre expert d'assurance (pièce 12 intimés) ;
Il résulte de ces éléments, que les maîtres de l'ouvrage connaissaient certaines non-façons que sont la baie vitrée non fournie aux dimentions et au colori voulus ou l'absence de pose d'une porte de service ; ces manquements étaient visibles pour des profanes non avertis que sont les intimés (qui ont signé la levée de réserves alors qu'ils n'en avaient pas faites) ;
cependant ils ont découvert d'autres manquements que sont une pose du garde-corps de 22 ml non conforme et non sécurisée ainsi que la fixation non conforme de deux fenêtres du garage qu'ils ne pouvaient prévoir auparavant ;
Aussi, ils disposent d'un motif légitime d'obtenir une mesure d'instruction, afin de déterminer la qualité des travaux effectués, les conséquences des éventuelles malfaçons sur la solidité de l'ouvrage ou sur la conformité à sa destination, ainsi que les conséquences matérielles et financières en résultant ;
Enfin l'association de la société Alu'Re Fermetures à l'expertise ordonnée conjointement avec la société SJ Maçonnerie, est indiquée, dès lors que les travaux sont successifs et imbriqués et que les deux entités, sont liées ;
Dès lors l'ordonnance déférée sera confirmée à cet égard ;
Sur la provision
Les appelantes contestent l'existence, en l'espèce, d'une obligation non sérieusement contestable, pour des motifs identiques à ceux excluant toute possibilité d'expertise ; en effet ayant accepté les travaux ainsi faits, les intimés ne disposent d'aucune créance ; la production d'un simple devis de travaux- au demeurant distincts de ceux en litige -, n'a aucune valeur probante à cet égard, tout comme celle d'une expertise amiable, non contradictoire ;
Au vu des constestations émises qui doivent être qualifiées de sérieuses, l'ordonnance déférée doit être infirmée, en ce qu'elle les a condamnées au paiement d'une provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice des époux [T] ;
Les intimés, en réponse indiquent que les désordres sus décrits ne sont pas sérieusement contestables, dès lors que l'entreprise a procédé à une réduction de sa facture ; ils contestent l'absence de valeur probante de l'expertise de leur assureur, le cabinet David, qui a convoqué les parties à une expertise contradictoire à laquelle le gérant de la société a participé, accompagné de son propre expert (CPE Expertises) ; en effet, l'expert amiable a conclu à une moins value de près de 3000 euros sur la facture émise, ce qui justifie leur demande de provision qui se base sur une créance certaine et incontestable à l'encontre des appelantes ; ils réclament la confirmation de l'ordonnance déférée à cet égard ;
Aux termes de l'article 835 du code de procédure civile, ' le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire' ;
En l'espèce, il existe certes un litige portant sur le bien fondé de la facturation de travaux, dès lors qu'ils ne correspondent pas à ceux du devis et vont vraisemblablement impliquer l'application d'une moins-value ;
Cependant une probabilité de créance ne constitue pas la condition préalable nécessaire au bénéfice des dispositions sus énoncées ;
Aussi, l'ordonnance déférée sera infirmée sur ce point ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La société Alu'Re Fermetures et la BPCE Iard, parties perdantes au principal, devront supporter les dépens et il est équitable qu'elles soient condamnées à verser à Monsieur et Madame [T] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; en revanche elles seront déboutées de leur propre demande de ce chef ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme l'ordonnance déférée sauf en ce qu'elle a condamné la société Alu'Re Fermetures au paiement d'une provision ;
Statuant à nouveau,
Déboute Monsieur et Madame [T] de leur demande de provision ;
Y ajoutant,
Condamne la société Alu'Re Fermetures et la société BPCE Iard à payer à Monsieur et Madame [T] la somme de 2000 euros (DEUX MILLE EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les appelantes de leur demande faite au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Alu'Re Fermetures et la BPCE Iard aux dépens.