Décisions
CA Bordeaux, 1re ch. civ., 9 décembre 2024, n° 24/02060
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 09 DECEMBRE 2024
N° RG 24/02060 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-NX72
[Z] [R]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2024/005579 du 17/04/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)
c/
[S] [X]
[B] [P] [O] épouse [X]
Nature de la décision : AU FOND
Copie exécutoire délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance rendu le 29 septembre 2023 par le Juge des contentieux de la protection de BORDEAUX (RG : 22/01929) suivant déclaration d'appel du 30 avril 2024
APPELANTE :
[Z] [R]
née le 03 Décembre 2001 à [Localité 8] (Tunisie)
demeurant [Adresse 1] - [Localité 4]
Représentée par Me Eric FOREST, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ S :
[S] [X]
né le 28 Décembre 1953 à [Localité 7]
demeurant [Adresse 3] - [Localité 2]
[B] [P] [O] épouse [X]
née le 08 Juillet 1957 à [Localité 6]
demeurant [Adresse 3] - [Localité 2]
Représentés par Me Olivier MAILLOT de la SELARL CABINET CAPORALE - MAILLOT - BLATT ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX, substitué par Me Bruno DAMOY, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 octobre 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bénédicte LAMARQUE, conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Paule POIREL, présidente,
Bénédicte LAMARQUE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
Greffier lors des débats : Vincent BRUGERE
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 28 avril 2022, à effet au 29 avril 2022, M. [S] [X] et Mme [B] [A] épouse [X] ont donné à bail à Mme [Z] [R] un logement situé [Adresse 5], [Localité 4].
Suivant acte du même jour, M. [H] [V] [N] [I] s'est porté caution solidaire du règlement des loyers, charges et autres indemnités.
Par acte d'huissier du 16 août 2022, les époux [X] ont fait délivrer à la locataire un commandement de payer la somme de 1 929, 75 euros au titre de l'arriéré locatif et de justifier d'une assurance couvrant les risques locatifs, aux fins de mise en oeuvre de la clause contractuelle de résiliation de plein droit du bail.
Ce commandement a été signifié à la caution le 18 août 2022.
Par acte de commissaire de justice du 28 octobre 2022, les époux [X] ont fait assigner Mme [R] et M. [N] [I], en référé, devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, aux fins d'obtenir, notamment, la constatation de la résiliation de plein droit de la location consentie sur le logement, l'expulsion de la locataire des lieux loués, ainsi que celle de tous occupants de son chef, avec si nécessaire l'assistance de la force publique, la condamnation solidaire de Mme [R] et M. [N] [I] au paiement de la somme provisionnelle de 3 450, 77 euros correspondant aux loyers et charges impayés, dus au 16 octobre 2022.
Par ordonnance de référé réputée contradictoire du 29 septembre 2023, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
Au principal, renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront, et dès à présent, vu l'urgence :
- constaté l'acquisition de la clause de résiliation de plein droit au bénéfice des bailleurs, au 17 octobre 2022 ;
- rejeté la demande de délais de paiement et de suspension du jeu de la clause résolutoire formée par Mme [R] ;
- condamné Mme [R] à quitter les lieux loués situés [Adresse 5], à [Localité 4];
- autorisé, à défaut pour Mme [R] d'avoir volontairement libéré les lieux, qu'il soit procédé à son expulsion ainsi qu'à celle de tous occupants de son/leur chef avec si nécessaire le concours de la force publique, deux mois après la délivrance d'un commandement de quitter les lieux conformément aux dispositions des articles L. 411-1 et L. 412-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
- dit qu'en ce qui concerne le sort des meubles, il sera procédé selon les dispositions des articles L. 433-1 et L.433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
- fixé une indemnité d'occupation égale au montant du loyer, révisable selon les dispositions contractuelles, et de la provision sur charges augmentée de la régularisation au titre des charges dûment justifiées ;
- condamné solidairement Mme [R] et de M. [N] [I] à payer aux époux [X] la somme de 4 282, 06 euros à titre d'indemnité provisionnelle pour l'arriéré de loyers, charges locatives et indemnités d'occupation au 2 août 2023 (échéance du mois d'août 2023 incluse), avec intérêts au taux légal à compter de la décision ;
- condamné solidairement Mme [R] et de M. [N] [I] à payer aux époux [X], à compter du 1er septembre 2023 l'indemnité d'occupation mensuelle ci-dessus fixée, jusqu'à libération effective des lieux ;
- condamné Mme [R] et de M. [N] [I] aux dépens qui comprendront le coût du commandement de payer, de l'assignation, du dénoncé à la CCAPEX et de la notification de l'assignation au représentant de l'Etat ;
- condamné solidairement Mme [R] et M. [N] [I] à payer aux époux [X] une indemnité de 400 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté le surplus des demandes ;
- rappelé que l'ordonnance est exécutoire de plein droit par provision.
Mme [R] a relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 30 avril 2024, en ce qu'elle a :
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail la liant aux époux [X] ;
- rejeté sa demande de délais de paiement et suspension de ladite clause résolutoire ;
- condamné Mme [R] à quitter les lieux et ordonné son expulsion avec assistance de la force publique ;
- fixé une indemnité d'occupation à la charge de Mme [R] équivalente au loyer et charges courantes et condamné Mme [R] solidairement avec M. [N] [I] au paiement de cette indemnité à compter de septembre 2023 jusqu'à la libération des lieux ;
- condamné Mme [R] solidairement avec M. [N] [I] au paiement d'une somme provisionnelle de 4 282,06 euros au titre d'un arriéré de loyers, d'indemnités d'occupation et de charges locatives arrêtée en août 2023 (août 2023 inclus) ;
- condamné Mme [R] solidairement avec M. [N] [I] au paiement d'une somme 400 euros au titre de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens ;
- rejeté les moyens et demandes de Mme [R] présentés en première instance.
Par dernières conclusions déposées le 18 juin 2024, Mme [R] demande à la cour de :
- infirmer l'ordonnance de référé rendue par le juge des contentieux de la protection de Bordeaux le 29 septembre 2023.
En conséquence :
- juger que l'arriéré locatif de Mme [R] à été totalement apuré et que celle-ci est parfaitement à jour du paiement de ses loyers et charges ;
- juger que la clause résolutoire est réputée ne pas avoir joué et que le bail se poursuivra normalement entre les parties ;
- débouter les époux [X] de toutes leurs demandes autres ou plus amples ;
- juger que chacune des parties conservera la charge de ses frais irrépétibles et dépens.
Par dernières conclusions déposées le 1er juillet 2024, les époux [X] demandent à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise.
Y ajoutant :
- condamner Mme [R] à payer aux époux [X] la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens, de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux de la procédure au profit de la SELARL Cabinet Caporale Maillot Blatt, Avocat, sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience rapporteur du 28 octobre 2024, avec clôture de la procédure au 14 octobre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il est rappelé qu'aux termes des dispositions des articles 472 et 954 du code de procédure civile, lorsque l'intimé ne comparaît pas ou que ses conclusions ont été déclarées irrecevables, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés et doit examiner, au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par lesquels les premiers juges se sont déterminés, motifs que la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier.
L'appelante soutient qu'elle était exigible à l'octroi de délais de paiement, car contrairement aux décomptes d'actualisation de la dette locative produits par les bailleurs à l'audience devant le premier juge, elle avait repris le paiement des loyers courants depuis septembre 2022. En appel, sa situation financière s'étant au demeurant améliorée, elle maintient sa demande de délais en sollicitant la suspension des effets de la clause résolutoire.
Elle reconnaît avoir traversé une situation personnelle et financière complexe en 2022 entre la fin de son stage de formation et la signature d'un contrat d'apprentissage en septembre 2022, se trouvant alors dans l'incapacité financière de régler les loyers de son logement.
Les intimés s'opposent aux délais de paiement permettant de suspendre les effets de la clause résolutoire, soutenant que la dette locative s'élève encore à la somme de 629,63 € (1.014,20 - 384,57 euros de frais de procédure dans le décompte). Ils précisent que le loyer courant a souvent été réglé avec retard, certains mois n'enregistrant aucun paiement. En outre, ils relèvent que le montant des APL représentant 1/3 du loyer, Mme [R] ne peut être accessible à des délais de paiement.
Selon l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Ainsi, l'existence de contestations sérieuses est indifférente pour la mise en oeuvre de ce texte, le trouble manifestement illicite se définissant comme toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit à laquelle le juge des référés peut mettre un terme à titre provisoire ; dans ce cas, le dommage est réalisé et il importe d'y mettre un terme.
Le caractère illicite doit être évident et peut résulter d'une violation de la loi ou de stipulations contractuelles.
- Sur le montant de la dette locative
L'article 24 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit en son paragraphe I, que toute clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non versement du dépôt de garantie, produit effet 2 mois après un commandement de payer demeuré infructueux.
Le contrat signé par les parties prévoit une clause résolutoire de plein droit à défaut de paiement du loyer et de ses accessoires deux mois après la délivrance d'un commandement de payer resté infructueux.
L'obligation de payer les loyers et charges est une obligation essentielle du locataire.
Il résulte en l'espèce des pièces produites et des débats que Mme [R], locataire était redevable d'un arriéré de loyers et de charges de 1.907,07 euros, frais déduits au 16 août 2022, échéance d'août 2022 inclus, comme repris dans le commandement de payer qui lui a été signifié ayant rappelé les termes de la clause résolutoire insérée au bail ainsi que les dispositions de l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989, modifié par l'article 114 de la Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 et celles de l'article 6 de la loi du 31 mai 1990. Il apparaît en outre qu'à la suite du commandement de payer qui lui a été délivré, Mme [C] n'a ni réglé l'intégralité de sa dette dans le délai légal de deux mois.
A l'audience, la dette locative était de 4.282,06 euros, échéance d'août 2023 incluse, déduction faite des frais.
Il n'est pas contesté que l'arriéré de loyer n'a commencé à être apuré que postérieurement à la signification de l'ordonnance de référé, de sorte que le premier juge ne pouvait que tirer les conséquences de l'absence de règlement des causes du commandement de payer dans le délai de deux mois et même au jour de l'audience, comme l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989 le permet.
- Sur les délais
Aux termes de l'article 24, V, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, dans sa version issue de la loi n°2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite, d'application immédiate :
« V- Le juge peut, à la demande du locataire, du bailleur ou d'office, à la condition que le locataire soit en situation de régler sa dette locative et qu'il ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l'audience, accorder des délais de paiement dans la limite de trois années, par dérogation au délai prévu au premier alinéa de l'article 1343-5 du code civil, au locataire en situation de régler sa dette locative. Le quatrième alinéa de l'article 1343-5 s'applique lorsque la décision du juge est prise sur le fondement du présent alinéa. Le juge peut d'office vérifier tout élément constitutif de la dette locative et le respect de l'obligation prévue au premier alinéa de l'article 6 de la présente loi. Il invite les parties à lui produire tous éléments relatifs à l'existence d'une procédure de traitement du surendettement au sens du livre VII du code de la consommation [...].
VII. - Lorsque le juge est saisi en ce sens par le bailleur ou par le locataire, et à la condition que celui-ci ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l'audience, les effets de la clause de résiliation de plein droit peuvent être suspendus pendant le cours des délais accordés par le juge dans les conditions prévues aux V et VI du présent article. Cette suspension prend fin dès le premier impayé ou dès lors que le locataire ne se libère pas de sa dette locative dans le délai et selon les modalités fixés par le juge. Ces délais et les modalités de paiement accordés ne peuvent affecter l'exécution du contrat de location et notamment suspendre le paiement du loyer et des charges.
Si le locataire se libère de sa dette locative dans le délai et selon les modalités fixés par le juge, la clause de résiliation de plein droit est réputée ne pas avoir joué. Dans le cas contraire, elle reprend son plein effet.'
Le relevé de compte de la locataire au 19 juin 2024 fait apparaître un solde de 370,11 euros, déduction des frais de procédure, échéance de juin inclue.
Le loyer mensuel est de 652 euros, l'aide pour le logement de 191 euros, laissant un loyer résiduel de 461 euros, que Mme [R] règle régulièrement en ajoutant une somme variable suivant les mois pour apurer la dette locative.
Mme [R] justifie être en mesure de régler sa dette locative en 12 mensualités.
Il convient en conséquence de d'infirmer la première décision en ce que les délais de paiement ont été rejetés, d'accorder des délais de paiement et de constater la suspension des effets de la clause résolutoire jusqu'au paiement définitif comme précisé dans le dispositif de la présente décision.
Mme [R] sera condamnée aux dépens, l'équité justifiant qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a constaté l'acquisition de la clause résolutoire acquise deux mois après les termes du commandement de payer, qu'il a mis les dépens et les frais irrépétibles à la charge in solidum de Mme [U] et de M. [N] [I],
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Autorise Mme [R] à apurer la dette locative fixée en 12 mensualités de 30 euros chacune, en plus du loyer courant, payables le jour d'échéance du loyer, à compter du prochain loyer exigible, la dernière étant constituée du solde de la dette ;
Dit qu'à défaut de paiement d'une seule échéance à son terme ou du loyer courant, l'intégralité des sommes restant dues deviendra de plein-droit immédiatement exigible dix jours après la date de présentation d'une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception demeurée infructueuse ;
Suspend les effets de la clause résolutoire pendant les délais accordés sous réserve du respect de l'échéancier ;
Dit qu'en cas d'apurement intégral de la dette selon l'échéancier, la clause résolutoire sera réputée n'avoir jamais joué ;
A défaut de respect de l'échéancier:
Constate la résiliation du bail convenu entre les parties au jour du premier impayé dans le cadre de l'échéancier précédemment fixé ;
Ordonne l'expulsion de Mme [R] faute pour elle d'avoir libéré les lieux dans le délai de deux mois après le commandement prévu par les articles L.411-1 et L.412-1 du code des procédures civiles d'exécution, de ses biens et de tous occupants de son chef, au besoin avec l'assistance de la force publique ;
Rappelle que le sort des meubles est régi par les articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
Condamne solidairement Mme [R] et M. [N] [I] à verser à M. et Mme [X] à compter du premier impayé dans le cadre de l'échéancier et jusqu'à la libération effective des lieux, une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer révisé, augmenté des charges qui aurait été réglée, si le bail s'était poursuivi, se substituant aux loyers et charges échus et à échoir ;
Rappelle que le contrat de bail étant résilié par l'effet de l'acquisition de la clause résolutoire, l'indemnité d'occupation est exclusive du paiement de toute autre somme qui ne peut plus être facturée à l'occupant du logement (indexation du loyer, charges, taxes...) ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum Mme [R] et M. [N] [I] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Paule POIREL, présidente, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 09 DECEMBRE 2024
N° RG 24/02060 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-NX72
[Z] [R]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2024/005579 du 17/04/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)
c/
[S] [X]
[B] [P] [O] épouse [X]
Nature de la décision : AU FOND
Copie exécutoire délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance rendu le 29 septembre 2023 par le Juge des contentieux de la protection de BORDEAUX (RG : 22/01929) suivant déclaration d'appel du 30 avril 2024
APPELANTE :
[Z] [R]
née le 03 Décembre 2001 à [Localité 8] (Tunisie)
demeurant [Adresse 1] - [Localité 4]
Représentée par Me Eric FOREST, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ S :
[S] [X]
né le 28 Décembre 1953 à [Localité 7]
demeurant [Adresse 3] - [Localité 2]
[B] [P] [O] épouse [X]
née le 08 Juillet 1957 à [Localité 6]
demeurant [Adresse 3] - [Localité 2]
Représentés par Me Olivier MAILLOT de la SELARL CABINET CAPORALE - MAILLOT - BLATT ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX, substitué par Me Bruno DAMOY, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 octobre 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bénédicte LAMARQUE, conseiller, qui a fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Paule POIREL, présidente,
Bénédicte LAMARQUE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
Greffier lors des débats : Vincent BRUGERE
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 28 avril 2022, à effet au 29 avril 2022, M. [S] [X] et Mme [B] [A] épouse [X] ont donné à bail à Mme [Z] [R] un logement situé [Adresse 5], [Localité 4].
Suivant acte du même jour, M. [H] [V] [N] [I] s'est porté caution solidaire du règlement des loyers, charges et autres indemnités.
Par acte d'huissier du 16 août 2022, les époux [X] ont fait délivrer à la locataire un commandement de payer la somme de 1 929, 75 euros au titre de l'arriéré locatif et de justifier d'une assurance couvrant les risques locatifs, aux fins de mise en oeuvre de la clause contractuelle de résiliation de plein droit du bail.
Ce commandement a été signifié à la caution le 18 août 2022.
Par acte de commissaire de justice du 28 octobre 2022, les époux [X] ont fait assigner Mme [R] et M. [N] [I], en référé, devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, aux fins d'obtenir, notamment, la constatation de la résiliation de plein droit de la location consentie sur le logement, l'expulsion de la locataire des lieux loués, ainsi que celle de tous occupants de son chef, avec si nécessaire l'assistance de la force publique, la condamnation solidaire de Mme [R] et M. [N] [I] au paiement de la somme provisionnelle de 3 450, 77 euros correspondant aux loyers et charges impayés, dus au 16 octobre 2022.
Par ordonnance de référé réputée contradictoire du 29 septembre 2023, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
Au principal, renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront, et dès à présent, vu l'urgence :
- constaté l'acquisition de la clause de résiliation de plein droit au bénéfice des bailleurs, au 17 octobre 2022 ;
- rejeté la demande de délais de paiement et de suspension du jeu de la clause résolutoire formée par Mme [R] ;
- condamné Mme [R] à quitter les lieux loués situés [Adresse 5], à [Localité 4];
- autorisé, à défaut pour Mme [R] d'avoir volontairement libéré les lieux, qu'il soit procédé à son expulsion ainsi qu'à celle de tous occupants de son/leur chef avec si nécessaire le concours de la force publique, deux mois après la délivrance d'un commandement de quitter les lieux conformément aux dispositions des articles L. 411-1 et L. 412-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
- dit qu'en ce qui concerne le sort des meubles, il sera procédé selon les dispositions des articles L. 433-1 et L.433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
- fixé une indemnité d'occupation égale au montant du loyer, révisable selon les dispositions contractuelles, et de la provision sur charges augmentée de la régularisation au titre des charges dûment justifiées ;
- condamné solidairement Mme [R] et de M. [N] [I] à payer aux époux [X] la somme de 4 282, 06 euros à titre d'indemnité provisionnelle pour l'arriéré de loyers, charges locatives et indemnités d'occupation au 2 août 2023 (échéance du mois d'août 2023 incluse), avec intérêts au taux légal à compter de la décision ;
- condamné solidairement Mme [R] et de M. [N] [I] à payer aux époux [X], à compter du 1er septembre 2023 l'indemnité d'occupation mensuelle ci-dessus fixée, jusqu'à libération effective des lieux ;
- condamné Mme [R] et de M. [N] [I] aux dépens qui comprendront le coût du commandement de payer, de l'assignation, du dénoncé à la CCAPEX et de la notification de l'assignation au représentant de l'Etat ;
- condamné solidairement Mme [R] et M. [N] [I] à payer aux époux [X] une indemnité de 400 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté le surplus des demandes ;
- rappelé que l'ordonnance est exécutoire de plein droit par provision.
Mme [R] a relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 30 avril 2024, en ce qu'elle a :
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail la liant aux époux [X] ;
- rejeté sa demande de délais de paiement et suspension de ladite clause résolutoire ;
- condamné Mme [R] à quitter les lieux et ordonné son expulsion avec assistance de la force publique ;
- fixé une indemnité d'occupation à la charge de Mme [R] équivalente au loyer et charges courantes et condamné Mme [R] solidairement avec M. [N] [I] au paiement de cette indemnité à compter de septembre 2023 jusqu'à la libération des lieux ;
- condamné Mme [R] solidairement avec M. [N] [I] au paiement d'une somme provisionnelle de 4 282,06 euros au titre d'un arriéré de loyers, d'indemnités d'occupation et de charges locatives arrêtée en août 2023 (août 2023 inclus) ;
- condamné Mme [R] solidairement avec M. [N] [I] au paiement d'une somme 400 euros au titre de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens ;
- rejeté les moyens et demandes de Mme [R] présentés en première instance.
Par dernières conclusions déposées le 18 juin 2024, Mme [R] demande à la cour de :
- infirmer l'ordonnance de référé rendue par le juge des contentieux de la protection de Bordeaux le 29 septembre 2023.
En conséquence :
- juger que l'arriéré locatif de Mme [R] à été totalement apuré et que celle-ci est parfaitement à jour du paiement de ses loyers et charges ;
- juger que la clause résolutoire est réputée ne pas avoir joué et que le bail se poursuivra normalement entre les parties ;
- débouter les époux [X] de toutes leurs demandes autres ou plus amples ;
- juger que chacune des parties conservera la charge de ses frais irrépétibles et dépens.
Par dernières conclusions déposées le 1er juillet 2024, les époux [X] demandent à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise.
Y ajoutant :
- condamner Mme [R] à payer aux époux [X] la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens, de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux de la procédure au profit de la SELARL Cabinet Caporale Maillot Blatt, Avocat, sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience rapporteur du 28 octobre 2024, avec clôture de la procédure au 14 octobre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il est rappelé qu'aux termes des dispositions des articles 472 et 954 du code de procédure civile, lorsque l'intimé ne comparaît pas ou que ses conclusions ont été déclarées irrecevables, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés et doit examiner, au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par lesquels les premiers juges se sont déterminés, motifs que la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier.
L'appelante soutient qu'elle était exigible à l'octroi de délais de paiement, car contrairement aux décomptes d'actualisation de la dette locative produits par les bailleurs à l'audience devant le premier juge, elle avait repris le paiement des loyers courants depuis septembre 2022. En appel, sa situation financière s'étant au demeurant améliorée, elle maintient sa demande de délais en sollicitant la suspension des effets de la clause résolutoire.
Elle reconnaît avoir traversé une situation personnelle et financière complexe en 2022 entre la fin de son stage de formation et la signature d'un contrat d'apprentissage en septembre 2022, se trouvant alors dans l'incapacité financière de régler les loyers de son logement.
Les intimés s'opposent aux délais de paiement permettant de suspendre les effets de la clause résolutoire, soutenant que la dette locative s'élève encore à la somme de 629,63 € (1.014,20 - 384,57 euros de frais de procédure dans le décompte). Ils précisent que le loyer courant a souvent été réglé avec retard, certains mois n'enregistrant aucun paiement. En outre, ils relèvent que le montant des APL représentant 1/3 du loyer, Mme [R] ne peut être accessible à des délais de paiement.
Selon l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Ainsi, l'existence de contestations sérieuses est indifférente pour la mise en oeuvre de ce texte, le trouble manifestement illicite se définissant comme toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit à laquelle le juge des référés peut mettre un terme à titre provisoire ; dans ce cas, le dommage est réalisé et il importe d'y mettre un terme.
Le caractère illicite doit être évident et peut résulter d'une violation de la loi ou de stipulations contractuelles.
- Sur le montant de la dette locative
L'article 24 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit en son paragraphe I, que toute clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non versement du dépôt de garantie, produit effet 2 mois après un commandement de payer demeuré infructueux.
Le contrat signé par les parties prévoit une clause résolutoire de plein droit à défaut de paiement du loyer et de ses accessoires deux mois après la délivrance d'un commandement de payer resté infructueux.
L'obligation de payer les loyers et charges est une obligation essentielle du locataire.
Il résulte en l'espèce des pièces produites et des débats que Mme [R], locataire était redevable d'un arriéré de loyers et de charges de 1.907,07 euros, frais déduits au 16 août 2022, échéance d'août 2022 inclus, comme repris dans le commandement de payer qui lui a été signifié ayant rappelé les termes de la clause résolutoire insérée au bail ainsi que les dispositions de l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989, modifié par l'article 114 de la Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 et celles de l'article 6 de la loi du 31 mai 1990. Il apparaît en outre qu'à la suite du commandement de payer qui lui a été délivré, Mme [C] n'a ni réglé l'intégralité de sa dette dans le délai légal de deux mois.
A l'audience, la dette locative était de 4.282,06 euros, échéance d'août 2023 incluse, déduction faite des frais.
Il n'est pas contesté que l'arriéré de loyer n'a commencé à être apuré que postérieurement à la signification de l'ordonnance de référé, de sorte que le premier juge ne pouvait que tirer les conséquences de l'absence de règlement des causes du commandement de payer dans le délai de deux mois et même au jour de l'audience, comme l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989 le permet.
- Sur les délais
Aux termes de l'article 24, V, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, dans sa version issue de la loi n°2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite, d'application immédiate :
« V- Le juge peut, à la demande du locataire, du bailleur ou d'office, à la condition que le locataire soit en situation de régler sa dette locative et qu'il ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l'audience, accorder des délais de paiement dans la limite de trois années, par dérogation au délai prévu au premier alinéa de l'article 1343-5 du code civil, au locataire en situation de régler sa dette locative. Le quatrième alinéa de l'article 1343-5 s'applique lorsque la décision du juge est prise sur le fondement du présent alinéa. Le juge peut d'office vérifier tout élément constitutif de la dette locative et le respect de l'obligation prévue au premier alinéa de l'article 6 de la présente loi. Il invite les parties à lui produire tous éléments relatifs à l'existence d'une procédure de traitement du surendettement au sens du livre VII du code de la consommation [...].
VII. - Lorsque le juge est saisi en ce sens par le bailleur ou par le locataire, et à la condition que celui-ci ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l'audience, les effets de la clause de résiliation de plein droit peuvent être suspendus pendant le cours des délais accordés par le juge dans les conditions prévues aux V et VI du présent article. Cette suspension prend fin dès le premier impayé ou dès lors que le locataire ne se libère pas de sa dette locative dans le délai et selon les modalités fixés par le juge. Ces délais et les modalités de paiement accordés ne peuvent affecter l'exécution du contrat de location et notamment suspendre le paiement du loyer et des charges.
Si le locataire se libère de sa dette locative dans le délai et selon les modalités fixés par le juge, la clause de résiliation de plein droit est réputée ne pas avoir joué. Dans le cas contraire, elle reprend son plein effet.'
Le relevé de compte de la locataire au 19 juin 2024 fait apparaître un solde de 370,11 euros, déduction des frais de procédure, échéance de juin inclue.
Le loyer mensuel est de 652 euros, l'aide pour le logement de 191 euros, laissant un loyer résiduel de 461 euros, que Mme [R] règle régulièrement en ajoutant une somme variable suivant les mois pour apurer la dette locative.
Mme [R] justifie être en mesure de régler sa dette locative en 12 mensualités.
Il convient en conséquence de d'infirmer la première décision en ce que les délais de paiement ont été rejetés, d'accorder des délais de paiement et de constater la suspension des effets de la clause résolutoire jusqu'au paiement définitif comme précisé dans le dispositif de la présente décision.
Mme [R] sera condamnée aux dépens, l'équité justifiant qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a constaté l'acquisition de la clause résolutoire acquise deux mois après les termes du commandement de payer, qu'il a mis les dépens et les frais irrépétibles à la charge in solidum de Mme [U] et de M. [N] [I],
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Autorise Mme [R] à apurer la dette locative fixée en 12 mensualités de 30 euros chacune, en plus du loyer courant, payables le jour d'échéance du loyer, à compter du prochain loyer exigible, la dernière étant constituée du solde de la dette ;
Dit qu'à défaut de paiement d'une seule échéance à son terme ou du loyer courant, l'intégralité des sommes restant dues deviendra de plein-droit immédiatement exigible dix jours après la date de présentation d'une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception demeurée infructueuse ;
Suspend les effets de la clause résolutoire pendant les délais accordés sous réserve du respect de l'échéancier ;
Dit qu'en cas d'apurement intégral de la dette selon l'échéancier, la clause résolutoire sera réputée n'avoir jamais joué ;
A défaut de respect de l'échéancier:
Constate la résiliation du bail convenu entre les parties au jour du premier impayé dans le cadre de l'échéancier précédemment fixé ;
Ordonne l'expulsion de Mme [R] faute pour elle d'avoir libéré les lieux dans le délai de deux mois après le commandement prévu par les articles L.411-1 et L.412-1 du code des procédures civiles d'exécution, de ses biens et de tous occupants de son chef, au besoin avec l'assistance de la force publique ;
Rappelle que le sort des meubles est régi par les articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
Condamne solidairement Mme [R] et M. [N] [I] à verser à M. et Mme [X] à compter du premier impayé dans le cadre de l'échéancier et jusqu'à la libération effective des lieux, une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer révisé, augmenté des charges qui aurait été réglée, si le bail s'était poursuivi, se substituant aux loyers et charges échus et à échoir ;
Rappelle que le contrat de bail étant résilié par l'effet de l'acquisition de la clause résolutoire, l'indemnité d'occupation est exclusive du paiement de toute autre somme qui ne peut plus être facturée à l'occupant du logement (indexation du loyer, charges, taxes...) ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum Mme [R] et M. [N] [I] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Paule POIREL, présidente, et par Vincent BRUGERE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,