CA Versailles, ch. com. 3-2, 10 décembre 2024, n° 24/03340
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Franfinance (SA), Franfinance Location (Sasu)
Défendeur :
Axel (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerlot
Conseillers :
Mme Cougard, M. Roth
Avocats :
Me Mze, Me Mochkovitch
EXPOSE DU LITIGE
Le 17 mai 2023, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Axel et désigné la société de Keating, prise en la personne de M. [I] [B], en qualité de mandataire judiciaire.
Le 11 août 2023, la société Franfinance a déclaré à titre chirographaire une créance de 12 663 euros au passif de la société Axel.
Le 27 mars 2024, par ordonnance réputée contradictoire, le juge commissaire du tribunal de commerce de Nanterre a :
- prononcé l'admission de la créance pour 1 euros à titre chirographaire ;
- rejeté la créance à hauteur de 12 662 euros.
Le 30 mai 2024, la société Franfinance a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition. Cette affaire a été enregistrée sous le numéro de RG 24/3340.
Le 31 mai 2024, la société Franfinance location a interjeté appel de la même ordonnance pour rectifier la première déclaration d'appel. Cette affaire a été enregistrée sous les numéros RG 24/03405 et 24/03397.
Ces affaires ont été jointes le 17 juin 2024 sous le numéro RG 24/3340.
Par dernières conclusions du 6 septembre 2024, elle demande à la cour de :
- la déclarer autant recevable que bien fondée en son appel ;
- infirmer l'ordonnance du 27 mars 2024 en tous ses chefs de disposition ;
En statuant à nouveau,
- juger mal fondées les contestations de la société Axel ;
En conséquence,
A titre principal,
- juger que la somme déclarée à hauteur de 2 268,00 euros au titre du loyer de juillet 2023 bénéficie du privilège des créances postérieures utiles à la procédure en application de l'article L. 622-17 du code de commerce ;
- fixer au passif de la société Axel sa créance à hauteur de 10 395 euros ;
A titre subsidiaire,
- juger que la somme déclarée à hauteur de 2 268 euros au titre du loyer de juillet 2023 bénéficie dispositions de l'article L. 622-24 alinéa 6 du code de commerce ;
- fixer au passif de la société Axel sa créance à hauteur de 12 663 euros ;
En tout état de cause,
- débouter la société Axel et le mandataire de toutes leurs demandes, fins et prétentions dirigées contre elle ;
- ordonner l'emploi des dépens de première instance et d'appel en frais privilégiés de procédure collective, lesquels pourront être recouvrés par la société LX Paris-Versailles-Reims, avocat au barreau de Versailles, en la personne de Maître MZE conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La déclaration d'appel a été signifiée aux sociétés de Keating et Axel le 14 juin 2024 par remise à personne morale.
Les conclusions leur ont été signifiées le 12 juillet 2024, par remise à l'étude concernant la société Axel, et par remise à personne morale concernant la société de Keating.
Celles-ci n'ont pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 23 septembre 2024.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
La société Franfinance location expose en premier lieu qu'elle est créancière d'une somme de 2 268 euros au titre d'une échéance de loyer de juillet 2023. Elle soutient que cette créance bénéficie du privilège des créances utiles postérieures à la procédure collective en application de l'article L. 622-17 I du code de commerce. Elle fait en outre valoir qu'elle l'a déclarée conformément à l'article L. 622-24, alinéa 6, du code de commerce.
Elle expose en second lieu que, contractuellement, elle est créancière d'une indemnité de résiliation, égale à cinq loyers trimestriels hors taxe restant dus au 11 août 2023 représentant la somme de 9 450 euros outre une indemnité de 10 % sur les loyers à échoir, soit la somme de 945 euros.
Elle prétend que le juge-commissaire n'a pas modéré mais anéanti sans motivation la clause d'indemnité. Elle précise qu'elle a acquis 34 659 euros HT le photocopieur, objet du contrat de location et explique qu'elle aurait dû au jour de la résiliation percevoir cinq loyers de 1 890 euros HT. Elle prétend que la somme de 1 euro retenue par le juge-commissaire ne constitue pas un dédommagement sérieux et qu'elle a cédé le photocopieur pour la somme de 50 euros.
Réponse de la cour
L'article L. 624-2 du code de commerce prévoit, qu'au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire, si la demande d'admission est recevable, décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence.
- Sur la somme de 2 268 euros au titre des loyers échus
L'article L 622-13 du code de commerce dispose notamment :
" II. - L'administrateur a seul la faculté d'exiger l'exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur. (')
V. - Si l'administrateur n'use pas de la faculté de poursuivre le contrat ou y met fin dans les conditions du II ou encore si la résiliation est prononcée en application du IV, l'inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, dont le montant doit être déclaré au passif. Le cocontractant peut néanmoins différer la restitution des sommes versées en excédent par le débiteur en exécution du contrat jusqu'à ce qu'il ait été statué sur les dommages et intérêts. "
L'article L. 622-17 I de ce code prévoit que " les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance'.
L'article L. 622-24, alinéa 6, du même code dispose que " les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture, autres que celles mentionnées au I de l'article L. 622-17 sont soumises aux dispositions du présent article. Les délais courent à compter de la date d'exigibilité de la créance. Toutefois, les créanciers dont les créances résultent d'un contrat à exécution successive déclarent l'intégralité des sommes qui leur sont dues dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat'.
Il est constant que, selon le contrat conclu le 15 mai 2019 avec la société Franfinance location, la société Axel est débitrice de vingt et un loyers trimestriels de 1 890 euros HT soit 2 268 euros TTC pour la location d'un photocopieur.
Il est également constant que l'administrateur a résilié ce contrat, après le jugement d'ouverture, par une lettre datée du 4 août 2023 en invitant la société Franfinance location à déclarer sa créance ainsi que d'éventuels dommages-intérêts générés par l'inexécution du contrat et que celle-ci a répondu par lettre du 11 août 2023 au mandataire que le contrat était résilié à compter de cette date.
Il ressort de l'échéancier versé aux débats que la société Axel était redevable d'une échéance de loyer au 1er juillet 2022 d'un montant de 1 890 euros HT, soit 2 268 euros TTC (pièce 1.1).
Le 27 juin 2023, la société Franfinance location avait, avant la résiliation, adressé au mandataire une déclaration de créance pour un montant total de 13 608 euros se décomposant en 11 340 euros au titre de six loyers à échoir du 1er juillet 2023 au 1er octobre 2024 et en TVA pour 2 268 euros.
En suite de la résiliation, la société Franfinance location a actualisé sa déclaration le 11 août 2023 en déclarant une créance définitive de 12 663 euros se décomposant comme suit :
" Créance L. 622-17 du code de commerce au 17 mai 2023 " au titre d'un loyer de 2 268 euros au 1er juillet 2023
2 268 euros
Indemnité de résiliation au 11 août 2023 représentant 5 loyers de 1 890 euros du 1er octobre 2023 au 1er octobre 2024
Indemnité contractuelle
9 450 euros
945 euros
Dans sa lettre de contestation du 3 octobre 2023, l'administrateur a fait part à la société Franfinance des observations du débiteur selon lequel la créance de loyer de 2 268 euros ne peut figurer au passif, " selon les dispositions de l'article L. 622-24 du code de commerce [car] elle relève des dispositions de l'article L. 622-17 du code de commerce et pour rappel, l'entreprise est en redressement judiciaire ".
Dans son courrier de réponse du 9 octobre 2023, la société Franfinance a maintenu sa créance au motif suivant - paraissant au demeurant incohérent avec les mentions de sa déclaration de créance-:
" il s'agit d'une créance née régulièrement [après le régulièrement - sic-] le jugement d'ouverture, autre que celles mentionnés au I de l'article L. 622-17 du code de commerce. "
Le juge-commissaire a statué à tort sur l'ensemble des termes de la déclaration de créances qui comprend, outre une créance due au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation, une créance correspondant à un loyer échu impayé d'un montant total de 2 268 euros en considérant qu'il s'agissait d'une indemnité de résiliation s'apparentant à une clause pénale soumise à son appréciation en application de l'article 1231-5 du code civil.
Il y a donc lieu de statuer sur la créance de loyer.
Cette créance est née de l'exécution du contrat précité pour une période de jouissance postérieure au jugement d'ouverture. Il s'agit en conséquence d'une créance postérieure au jugement d'ouverture. Si elle ne constitue manifestement pas, au sens de l'article L. 622-17, une créance née pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, il s'agit en revanche, au sens de ce texte, d'une créance née en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur. Elle n'est donc pas soumise aux exigences de déclaration de l'article L. 622-24.
Dans ces conditions, cette créance n'a pas à figurer sur la liste des créanciers.
- Sur l'indemnité de résiliation
Il est de jurisprudence constante que la majoration des charges financières pesant sur la société débitrice, résultant de l'anticipation de l'exigibilité des loyers dès la date de résiliation, stipulée dans les contrats de location comme un moyen à la fois de la contraindre à l'exécution et comme l'évaluation conventionnelle et forfaitaire du préjudice futur subi par le bailleur du fait de l'accroissement de ses frais ou risques, à cause de l'interruption des paiements prévus, constitue une clause pénale susceptible de modération au sens de l'article 1253-1 du code civil.
En l'espèce, l'article 10.2 du contrat de location stipule qu'en cas de résiliation anticipée, qu'elle qu'en soit la cause, le bailleur aura droit à une indemnité égale à tous les loyers dus et à échoir jusqu'au terme de la période initiale de location majorée de 10%, ce qui constitue donc, en application de la jurisprudence précitée, une clause pénale susceptible de modération.
La société Franfinance location verse aux débats une facture d'acquisition du matériel loué à hauteur de 41 590,88 euros TTC (34 659,07 euros HT) ainsi qu'un décompte vendeur établi le 20 octobre 2023 par la société de vente aux enchères Aponem dont il ressort que le photocopieur a été vendu 50 euros.
La clause d'indemnité et la " pénalité " afférente sont manifestement excessives, dès lors qu'elles sont disproportionnées au regard au regard de la valeur du matériel, acquis quelque 34 000 euros HT, au regard du prix de revente du bien et au regard de la situation économique respective des parties qui s'évince des pièces produites aux débats.
Ces clauses pénales seront en conséquence réduites à la somme forfaitaire de 6 000 euros.
Il conviendra en conséquence, par voie d'infirmation, d'admettre, la créance de la société Franfinance location pour 6 000 euros.
La société Franfinance sera mise hors de cause.
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt par défaut,
Met hors de cause la SA Franfinance ;
Infirme l'ordonnance dans toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés ;
Dit que la créance de loyer à hauteur de 2 268 euros relève des dispositions de l'article L. 622-17 I du code de commerce ;
Admet à titre chirographaire pour 6 000 euros la créance de la SASU Franfinance location au passif de la société Axel la créance de la société Franfinance,
Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.