CA Toulouse, 2e ch., 10 décembre 2024, n° 22/04404
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Roumagnac (SARL)
Défendeur :
A2C (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
Mme Moulayes, M. Norguet
Avocats :
Me Bonnaud-Chabirand, Me Clauzel, Me Tuxagues, Me Echalier
Faits et procédure
La société Ca-Vi-Bo est une société spécialisée dans le secteur d'activité de négoce d'aliments d'animaux, de viandes, de tous produits agroalimentaires et a une activité d'intermédiaire.
Monsieur [T] était salarié de la société Ca-Vi-Bo entre le 1er avril et le 15 décembre 2017 ; il est ensuite devenu agent commercial pour le compte de Ca-Vi-Bo à compter du 15 janvier 2018, et a créé en février 2018, la société A2C [T] intervenant dans le négoce d'aliments d'animaux, de viandes, de tous produits agroalimentaires et d'activité d'intermédiaire.
Le 21 décembre 2020, la société Ca-Vi-Bo et la société A2C [T] ont conclu un acte de cession d'actifs à hauteur de 30 000 euros par lequel la société Ca-Vi-Bo a cédé à la société A2C [T] un portefeuille clients dans un périmètre géographique précis, spécifiant entre autre que chacune des parties s'interdisait de démarcher de nouveaux clients dans des domaines spécifiques, et s'engageait à un approvisionnement réciproque.
Ce même acte formalisait la rupture amiable du contrat d'agent commercial entre Ca-Vi-Bo et Monsieur [T], à compter du 31 décembre 2020 ; il était spécifié que dans la mesure où Monsieur [T] percevait des avances mensuelles sur commissions sur le chiffre d'affaires réalisé, il devrait rembourser à la société Ca-Vi-Bo les avances afférentes au chiffre d'affaires non-encaissé.
L'article 9 de ce contrat prévoyait en outre un engagement d'approvisionnement réciproque.
Par courrier recommandé en date du 9 juillet 2021, la société A2C [T] a signifié à la société Ca-Vi-Bo la résolution de l'engagement d'approvisionnement au motif de manquements contractuels notamment l'engagement de non-concurrence.
Par courrier recommandé en date du 15 juillet 2021, la société Ca-Vi-Bo a mis en demeure la société A2C [T] de procéder au paiement de la somme de 234 279,62 euros soit 185 628,35 euros au titre de la rupture de l'engagement d'approvisionnement réciproque et 48 651,27 euros au titre de factures impayées.
Par courrier recommandé en date du 9 août 2021, la société A2C [T] a signifié à la société Ca-Vi-Bo avoir réglé 46 298,32 euros au titre des factures impayées, et a maintenu la rupture de son engagement d'approvisionnement en invoquant plusieurs manquements contractuels de la part de la société Ca-Vi-Bo.
Par courrier recommandé en date du 25 août 2021, la société Ca-Vi-Bo a confirmé le paiement des 46 298,32 euros et a rappelé cependant qu'il restait une somme de 3 110,35 euros ttc et a réfuté les manquements contractuels en maintenant sa demande d'indemnisation de 185 628,35 euros ttc.
Par acte d'huissier en date du 11 octobre 2021, la société Ca-Vi-Bo a assigné la société A2C [T] devant le tribunal de commerce de Toulouse en paiement des sommes restants dues et pour faire constater que la rupture unilatérale de l'engagement d'approvisionnement réciproque n'était pas justifiée.
Par jugement du 13 décembre 2022, le tribunal de commerce de Toulouse a :
- débouté la société Ca-Vi-Bo de l'ensemble de ses demandes,
- dit que chacune des parties supportera la charge des frais irrépétibles qu'elle aura du engager du fait de la présente procédure,
- condamné la société Ca-Vi-Bo aux entiers dépens.
Par déclaration en date du 20 décembre 2022, la Sarl Ca-Vi-Bo a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est l'infirmation de l'ensemble des chefs du jugement, que la déclaration d'appel critique tous expressément.
La clôture est intervenue le 26 août 2024, et l'affaire a été appelée à l'audience du 24 septembre 2024.
Prétentions et moyens
Vu les conclusions d'appelant n°2 notifiées le 11 septembre 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sarl Ca-Vi-Bo demandant, au visa des articles 1103, 1104, 1189, 1193, 1212, 1224, 1226, 1231-1, 1231-2, 1240, 1241 et 1353 du Code civil, L110-3, L123-23 et L134-9 du Code de commerce, 700 du Code de procédure civile, de :
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Toulouse en date du 13 décembre 2022 en ce qu'il a :
- débouté la société Ca-Vi-Bo de l'ensemble de ses demandes,
- dit que chacune des parties conservera là charge des frais irrépétibles qu'elle aura dû engager du fait de la présente procédure,
- condamné la société Ca-Vi-Bo aux entiers dépens,
En conséquence, statuant à nouveau :
- sur les factures impayées,
- condamner la Sas A2c [T] à régler à la Sarl Ca-Vi-Bo la somme de 3.110,35 euros augmentée d'une pénalité égale à 3 fois le taux d'intérêt légal, à compter du 13 avril 2021, date d'exigibilité de la facture ;
- condamner la Sas A2c [T] à régler à la Sarl Ca-Vi-Bo une indemnité forfaitaire correspondant aux frais de recouvrement prévus aux articles L.441-10 du Code de commerce ;
- sur les commissions indûment perçues,
- condamner la Sas A2c [T] à régler à la Sarl Ca-Vi-Bo la somme de 2.793,86 euros augmentée des intérêts au taux légal, à compter du 12 avril 2021, date de première relance, au titre avances sur commission indûment perçues ;
- sur la rupture unilatérale de l'engagement d'approvisionnement réciproque
- prononcer la rupture unilatérale de l'engagement d'approvisionnement réciproque aux torts exclusifs de la Sas A2c [T] ;
En conséquence,
- condamner la Sas A2c [T] à régler à la Sarl Ca-Vi-Bo la somme de 163.085,06 euros au titre du préjudice résultant de la rupture unilatérale anticipée de l'engagement d'approvisionnement réciproque ;
- sur les actes de concurrence déloyale
- juger que la Sas A2c [T] s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale à l'égard de la Sarl Ca-Vi-Bo ;
En conséquence,
- condamner la Sas A2C [T] à payer à la Sarl Ca-Vi-Bo, la somme de 20.000 euros, au titre du préjudice moral subi ;
- en tout état de cause,
- débouter la Sas A2C [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner la Sas A2C [T] à payer à la Sarl Ca-Vi-Bo la somme de 5.000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la Sas A2c [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Sur la facture impayée, elle rappelle avoir satisfait à son obligation de livraison de marchandises résultant de l'article 9 de l'acte de cession d'un élément d'actif ; pourtant la société A2C [T] n'a pas intégralement payé une des factures présentées, et ce alors même qu'elle a accepté la livraison. La société appelante précise que le retour de marchandises n'a été réalisé par l'intimée que cinq mois après la signature du bon de livraison.
Par ailleurs, elle rappelle que dans le cadre du contrat d'agent commercial de Monsieur [T], ce dernier percevait des avances sur commissions sur le chiffre d'affaire qu'il réalisait ; à la suite de la rupture de ce contrat, il s'est engagé à rembourser les avances perçues sur le chiffre d'affaire non-encaissé, ce qu'il n'a jamais fait.
Sur la résiliation unilatérale du contrat d'approvisionnement, elle affirme que la société A2C [T] ne justifie pas d'une inexécution d'une gravité telle qu'elle justifiait de mettre fin aux relations contractuelles en urgence, sans mise en demeure préalable, conformément aux dispositions de l'article 1226 du code civil.
En tout état de cause, Ca-Vi-Bo conteste toute inexécution de sa part ; en particulier, elle affirme ne pas avoir manqué à l'interdiction contractuelle de démarcher certains clients, rappelle que les clients demeurent libres du choix de leur fournisseur, et estime que sa liberté dans la fixation du prix lui permettait de vendre les marchandises dans les conditions dénoncées.
Elle sollicite en conséquence réparation de son préjudice résultant de la rupture abusive du contrat, et de la baisse du volume d'approvisionnement par la société [T] avant ladite rupture.
Ca-Vi-Bo reproche afin à la société A2C [T] des actes de concurrence déloyale par parasitisme économique, suite à la rupture de leurs relations, et sollicite l'indemnisation de son préjudice.
Vu les conclusions d'appel notifiées le 23 août 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Société A2C [T] demandant, au visa des articles 1103, 1104, 1193, 1212, 1224, 1226, 1231-1, 1231-2, 1240 et 1241 du code civil, de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 13 décembre 2022 par le tribunal de commerce de Toulouse,
En conséquence,
- débouter la société Ca.Vi.Bo de :
- 3.110,35 euros au titre de la facture F00014572 et au titre de l'amende forfaitaire d'une pénalité égale à trois fois le taux d'intérêt légal, à compter du 13 avril 2021, date d'exigibilité de la facture,
- 2.966.07 euros au titre des avances sur commissions avec intérêts au taux légal, à compter du 12 avril 2021, date de première relance,
- 172.054,74 euros au titre du préjudice résultant de la rupture anticipée de l'engagement d'approvisionnement réciproque,
- 20.000 euros au titre des actes de concurrence déloyale ;
- 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Y ajoutant,
- condamner la société Ca.Vi.Bo à payer à la société A2C [T] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Ca.Vi.Bo aux entiers dépens d'appel.
La société intimée explique le paiement partiel d'une facture présentée par Ca-Vi-Bo, par la livraison d'une palette de produits qu'elle n'avait pas commandé ; elle en a donc fait retour et s'est opposée au paiement.
S'agissant des avances sur commission, elle affirme que la société appelante ne justifie pas du défaut de paiement par les clients faisant l'objet d'un commissionnement, et qu'elle ne démontre donc pas la réalité de sa créance.
La société A2C [T] estime par ailleurs que les manquements répétés de son co-contractant, s'agissant de son obligation de ne pas la concurrencer sur une partie du territoire, sont suffisamment graves pour justifier de la mise en 'uvre de la rupture unilatérale du contrat, au regard du caractère d'urgence, sans mise en demeure.
Elle conteste en revanche toute concurrence déloyale de sa part, indiquant qu'il n'y a jamais eu de confusion possible entre les deux sociétés, et relevant par ailleurs que Ca-Vi-Bo ne justifie d'aucun préjudice de ce chef.
MOTIFS
Sur les demandes en paiement
L'acte de cession d'actifs signé entre les parties prévoyait la poursuite de relations contractuelles s'agissant d'approvisionnement réciproque ; par ailleurs, il était également convenu d'un remboursement par Monsieur [T] des avances sur commissions perçues dans le cadre de son activité d'agent commercial, pour le chiffre d'affaires non-réalisé.
La société Ca-Vi-Bo reproche à la société A2c [T] de ne pas s'être acquitté du paiement de l'ensemble des marchandises livrées, et de ne pas lui avoir remboursé les avances sur commission.
La société intimée affirme ne pas avoir commandé les marchandises demeurées impayées, et ajoute que l'appelante ne rapporte pas la preuve de sa créance s'agissant des avances sur commissions.
Il ressort des dispositions des articles 1103 et 1104 du code civil que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Par ailleurs, en application de l'article L110-3 du code de commerce, à l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi.
Il est ainsi de principe qu'en matière commerciale la preuve est libre et tous les modes de preuve sont admissibles.
En matière de preuve, il ressort de l'article 9 du code de procédure civile, qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
L'article 1353 du code civil ajoute que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Nul ne peut démontrer ce qu'il allègue par un acte dont il est le seul auteur
Sur la facture partiellement impayée
La société A2c [T] conteste la commande d'une partie des produits livrés par Ca-Vi-Bo le 3 février 2021, ayant fait l'objet de la facture partiellement impayée du 12 février 2021 ; elle a fait retour à la société appelante des marchandises litigieuses le 30 juin 2021, mais la société Ca-Vi-Bo a refusé la livraison en raison de la tardiveté de ce retour.
Il ne peut qu'être relevé que le bon de livraison signé le 3 février 2021 ne fait état d'aucune réserve de la part de la société A2c [T] ; pour autant il ressort des éléments de la procédure que dans le cadre d'un autre problème de livraison intervenu entre les parties, la difficulté s'était réglée par échange de mails entre les parties, donnant lieu à l'émission d'un avoir au bénéfice de A2c [T].
Ainsi, dans les relations commerciales entre les parties, l'absence de réserves à la livraison ne faisait pas obstacle à la contestation de la livraison par la société intimée.
S'agissant de la tardiveté du retour de marchandises, la société Ca-Vi-Bo affirme qu'A2c [T] a manqué à ses obligations contractuelles en lui retournant des denrées alimentaires dont la date limite de consommation était dépassée.
Il ressort toutefois des pièces produites par les parties, et notamment des échanges de courriers électroniques, que la DLUO était en réalisée déjà dépassée au moment de la livraison, dans la mesure où elle était fixée au 31 décembre 2020 pour une livraison intervenue le 3 février 2021.
La tardiveté du retour est donc sans lien avec la péremption des denrées ; les autres marchandises retournées étaient des produits non alimentaires, de sorte que la société appelante ne démontre aucun manquement de ce chef, aucun délai n'était contractuellement fixé pour les retours de marchandises, à l'exception de celui relatif à la DLUO.
La Cour constate que les livraisons et la facturation des produits par la société Ca-Vi-Bo se faisaient de manière habituelle sans bon de commande ; la société appelante estime ainsi que les premiers juges n'étaient pas fondés à affirmer qu'elle ne démontrait pas la réalité de la commande passée par A2c [T].
Si effectivement en matière commerciale la preuve est libre entre les parties, il n'en demeure pas moins que celui qui réclame un paiement doit rapporter la preuve de sa créance.
Or en l'espèce, Ca-Vi-Bo rapporte la preuve de la livraison des marchandises, mais pas de leur commande ; dans la mesure où la société A2c [T] conteste cette commande, il appartient à la société appelante de démontrer l'existence de cette commande.
La facturation établie par la société appelante elle-même ne suffit pas à rapporter cette preuve ; il en va de même de l'absence de contestation lors de la livraison, conformément aux développements précédents.
Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont relevé que la société Ca-Vi-Bo ne rapportait pas la preuve de sa créance, et l'ont déboutée de sa demande en paiement de ce chef ; la Cour confirmera ce chef de jugement.
Sur les avances sur commissions d'agent commercial
L'acte de cession d'actifs du 21 décembre 2020 porte mention de la démission de Monsieur [T] de sa qualité d'agent commercial de la société Ca-Vi-Bo, à effet au 31 décembre 2020.
Il a été convenu entre les parties en page 3 de cet acte :
« Par ailleurs il est précisé que la société Ca-Vi-Bo, dans le cadre de la relation contractuelle, procède à des avances mensuelles sur commissions sur le chiffre d'affaires réalisé par Monsieur [C] [T], avant encaissement des clients.
Aussi, les parties conviennent que les avances afférentes à du chiffre d'affaires non-encaissé par la société Ca-Vi-Bo, devront être régularisées par Monsieur [C] [T] et remboursées à la société Ca-Vi-Bo, au plus tard le 31 mars 2021 ».
En revanche, les modalités pratiques de ce remboursement n'ont pas été fixées.
Il ressort des dispositions de l'article L134-9 du code de commerce que la commission est acquise dès que le mandant a exécuté l'opération ou devrait l'avoir exécutée en vertu de l'accord conclu avec le tiers ou bien encore dès que le tiers a exécuté l'opération.
La commission est acquise au plus tard lorsque le tiers a exécuté sa part de l'opération ou devrait l'avoir exécutée si le mandant avait exécuté sa propre part. Elle est payée au plus tard le dernier jour du mois qui suit le trimestre au cours duquel elle était acquise.
L'article L134-10 ajoute que le droit à la commission ne peut s'éteindre que s'il est établi que le contrat entre le tiers et le mandant ne sera pas exécuté et si l'inexécution n'est pas due à des circonstances imputables au mandant.
Les commissions que l'agent commercial a déjà perçues sont remboursées si le droit y afférent est éteint.
Dans ces conditions, il incombe au mandant de rapporter la preuve de l'extinction de son obligation de payer les commissions correspondant aux contrats souscrits.
La société A2c [T] ne conteste pas avoir reçu des avances sur commissions dans les dossiers visés comme impayés par la société Ca-Vi-BO.
La société appelante produit à l'appui de sa demande, des tableaux actualisés adressés à l'intimée, visant les clients relancés en vain pour le paiement de leur dette, et ceux pour lesquelles la perte est considérée comme définitive (sociétés fermées ou en liquidation) ; elle verse aux débats des extraits du grand livre des comptes et une attestation de son expert-comptable du 22 mars 2022 listant les clients « douteux » et les clients « irrecouvrables ».
L'obligation de remboursement des commissions mise à la charge de Monsieur [T] dans l'acte de cession d'actifs, vise les cas de chiffre d'affaire non-réalisé, sans autre précision.
La société Ca-Vi-Bo rapporte la preuve de cette non-réalisation du chiffre d'affaire pour les clients dont la dette a été mise en recouvrement en vain.
Dès lors, la société A2c [T] n'est pas fondée à s'opposer à ce remboursement, qu'elle a contractuellement accepté ; le premier jugement sera infirmé et la société intimée sera condamnée au paiement de la somme de 2 793,86 euros avec intérêts au taux légal, à compter du 12 avril 2021, date de première relance, de ce chef.
Sur la résiliation unilatérale du contrat d'approvisionnement
Dans le cadre de l'acte de cession d'actifs, les parties ont convenu d'une convention d'approvisionnement réciproque pendant une durée de deux ans, soit pour les années 2021 et 2022.
Or, le 9 juillet 2021, la société A2c [T] a signifié à la société Ca-Vi-Bo la résiliation de l'engagement d'approvisionnement, visant des manquements graves relatifs au non-respect par la société appelante de son obligation contractuelle de non-concurrence et de non-démarchage.
La société Ca-Vi-Bo conteste cette résolution unilatérale, en ce qu'elle estime qu'elle n'est pas motivée par des manquements suffisamment graves, et qu'elle n'a pas été précédée d'une mise en demeure.
Selon l'article 1224 du code civil, la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.
Il ressort des dispositions de l'article 1226 du code civil, que le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.
Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.
Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution.
Ainsi, la résolution unilatérale du contrat est subordonnée à la triple condition d'une inexécution suffisamment grave du contrat, de la délivrance, sauf en cas d'urgence, d'une mise en demeure du débiteur de s'exécuter dans un délai raisonnable et de la notification motivée de la résolution.
S'agissant de la délivrance de la mise en demeure préalable, certains assouplissements ont été reconnus par la jurisprudence, notamment lorsque l'inexécution du contrat était acquise.
Récemment, il a été admis que si, en application des articles 1224 et 1226 du code civil, le créancier peut, à ses risques et périls, en cas d'inexécution suffisamment grave du contrat, le résoudre par voie de notification, après avoir, sauf urgence, préalablement mis en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable, une telle mise en demeure n'a pas à être délivrée, lorsqu'il résulte des circonstances qu'elle est vaine. (Com, 18 octobre 2023, n° 20-21.579)
En tout état de cause, il appartient à celui qui se prévaut de l'exception liée à l'urgence, d'en faire la démonstration.
La société A2c [T] affirme que l'urgence était justifiée par les agissements de la société Ca-Vi-Bo qui, en infraction avec la clause relative au non-démarchage et à la non-concurrence, a vendu des marchandises à deux clients qui n'étaient pas dans son secteur.
Toutefois, elle ne démontre pas en quoi la délivrance d'une mise en demeure, après seulement deux faits litigieux, était vaine, et ne permettait pas la régularisation de la situation ; le simple fait que la société A2c [T] soit une petite structure ne suffit pas à la dispenser du formalisme prévu pour la résolution unilatérale d'un contrat.
Pour invoquer les dispositions de l'article 1226 du code civil, encore faut-il caractériser l'impossibilité de la poursuite des relations contractuelles.
La mise en demeure préalable est un formalisme protecteur du débiteur de l'obligation contractuelle dont l'inexécution est jugée suffisamment grave par le créancier pour justifier la rupture des relations contractuelles. Son objectif est de permettre au débiteur d'exécuter son obligation.
En l'espèce, il n'est pas justifié d'un comportement de la société Ca-Vi-Bo d'une telle gravité qu'il avait rendu manifestement impossible la poursuite des relations contractuelles, ni que la mise en demeure préalable eût été vaine.
La résolution unilatérale notifiée par la société A2c [T] par courrier du 9 juillet 2021 est donc sans effet.
La société A2c [T] affirme qu'en tout état de cause, elle est fondée à invoquer les dispositions de l'article 1219 du code civil, selon lesquelles une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.
Elle vise plusieurs manquements contractuels de la société Ca-Vi-Bo, à savoir l'augmentation des barèmes de prix à un rythme plus élevé que celui contractuellement prévu, et la vente à des clients qu'elle n'avait pas le droit de démarcher, à un prix inférieur à celui pratiqué entre elles.
L'acte de cession d'actifs liant les parties prévoit dans son article 9 (page 8) : « les parties conviendront ensemble d'un barème de prix des boyaux qui devra être comparable à celui annexé, étant précisé que ce barème de prix sera révisé chaque trimestre, entre les parties, en fonction de l'évolution du cours du marché ».
L'acte ayant été signé le 21 décembre 2020, aucune modification du barème ne devait donc intervenir avant l'échéance du premier trimestre 2021.
Or, la société Ca-Vi-Bo a notifié une première augmentation du prix des marchandises par message du 9 février 2021, et une seconde par message du 15 mars 2021.
Par ailleurs, l'article 7 de l'acte de cession d'actifs, dénommé « Non-concurrence / Non-démarchage » prévoit :
« La cédante s'interdit, directement ou par personne interposée, de démarcher les clients cédés et de démarcher tous nouveaux clients professionnels bouchers / charcutiers / revendeurs détaillants, « petits salaisonniers » et grandes et moyennes surfaces (GMS), dans le cadre d'une activité de vente de boyaux, d'assaisonnements, de marinades, d'emballages divers, de boîtes de conserves et bocaux et des petits matériels, sur les territoires suivants :
- 31 / 32 / 46 / 47 / 64 / 65 / 81 / 82 / 94
Etant précisé que la clientèle dispose d'une entière liberté dans le choix de son fournisseur. »
La société Ca-Vi-Bo ne conteste pas avoir vendu ce type de marchandises aux moyennes surfaces Intermarché de [Localité 6] (31) et Super U de [Localité 4] (31) ; elle conteste toutefois tout démarchage, seule interdiction qui lui était faite par cette clause.
La société A2c [T] affirme quant à elle que cette disposition venait renforcer la garantie d'éviction du vendeur, et qu'en proposant de meilleurs prix en vente directe à ces clients, la société Ca-Vi-Bo a commis un manquement grave.
Les attestations produites par la société A2c [T] ne font pas état d'un démarchage actif de la part de la société Ca-Vi-Bo ; toutefois, les factures adressées à ces deux moyennes surfaces par la société appelante permettent de constater que les marchandises ont été vendues à un prix moindre que celui facturé à A2c [T].
En effet, alors que la « masse mouton 60m STR, 22/24 » était vendue à A2c [T] à 10,87 € ht après la modification de barème du 9 février 2021, et à 11,79 € ht après l'augmentation du 15 mars 2021, la Cour constate qu'elle a été facturée :
- 11,50 € ht au magasin Intermarché le 28 avril 2021
- 10,50 € ht au magasin Super U le 16 janvier 2021, le 12 mars 2021 et le 28 avril 2021.
Le fait pour la société appelante de facturer directement à ces sociétés, à des prix plus intéressants que ceux qui peuvent être proposés par A2c [T] dans la mesure où elle-même ne bénéficiait pas d'un meilleur prix auprès de son fournisseur exclusif Ca-Vi-Bo, contrevient non seulement aux engagements contractuels résultant de l'acte de cession d'actifs, mais également à son obligation de non-éviction de son fait personnel, découlant de l'article 1628 du code civil.
La société A2c [T] était donc fondée à lui opposer une exception d'inexécution, du fait des inexécutions graves de son cocontractant.
Dans ces conditions, la Cour constate que le formalisme relatif à la résolution unilatérale du contrat d'approvisionnement n'a pas été respecté par la société A2c [T].
Pour autant, l'inexécution de la société A2c [T] n'est pas fautive, et résulte de l'exception d'inexécution légitimement opposée à son cocontractant ; la société appelante ne peut qu'être déboutée de sa demande de voir prononcer la rupture de l'engagement d'approvisionnement aux torts exclusifs de son cocontractant.
Le contrat a ainsi subsisté en dépit de l'exception d'inexécution, et a pris fin à son échéance.
Pour ces mêmes motifs, la société appelante ne peut pas plus solliciter des dommages et intérêts au motif de l'inexécution par la société A2c [T] de ses engagements découlant du contrat d'approvisionnement.
Le premier jugement ayant débouté la société appelante de ce chef sera donc confirmé.
Sur la concurrence déloyale
La société Ca-Vi-Bo reproche à la société A2c [T] d'avoir continué à utiliser son nom et son image après la rupture de leur relation contractuelle relative au mandat d'agent commercial, tantôt pour bénéficier de la bonne image de cette société plus ancienne, tantôt pour la discréditer.
Elle reproche ainsi à l'intimée des actes de parasitisme économique, en ce qu'elle s'est placée dans son sillage économique.
Il ressort des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil que tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
La libre concurrence supposant la licéité du dommage concurrentiel, l'action en concurrence déloyale repose sur une responsabilité pour faute prouvée et non sur une présomption de responsabilité ; c'est au demandeur de rapporter la preuve de la faute.
La jurisprudence reconnaît plusieurs fautes constitutives de concurrence déloyale, à savoir le dénigrement, les pratiques ayant désorganisé l'entreprise, un réseau de distribution ou un marché tout entier, la confusion par imitation ou par copie servile, et le parasitisme économique
Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
Le parasitisme correspond à une forme de déloyauté dans la conquête de la clientèle, consistant à profiter indûment des efforts économiques engagés par d'autres.
Le demandeur doit alors justifier d'efforts intellectuels ou d'investissements, ou encore de l'existence d'une valeur économique individualisée, fruits d'investissements. L'existence et l'importance des investissements réalisés dont le parasite aurait indûment tiré profit est toutefois une question de fait qui relève du pouvoir souverain des juges du fond.
Le parasitisme n'exige pas l'existence d'un risque de confusion
En l'espèce, la société Ca-Vi-Bo échoue toutefois à démontrer les actes de concurrence déloyale dont elle se prévaut ; le fait que deux clients aient adressé un message à Monsieur [T] sur son adresse mail cavibo.fr, pour passer une commande auprès de la société Cavibo, les 6 janvier et 21 janvier 2021, soit moins d'un mois après la fin du contrat d'agent commercial de ce dernier, ne suffit pas à démontrer une volonté de l'intimé de se placer dans le sillage de la société Ca-Vi-Bo.
Ces messages électroniques n'émanent pas de la société A2c [T], et l'appelante ne peut pas lui reprocher les initiatives de clients, dont il n'est pas démontré qu'ils étaient informés de la fin du contrat d'agent commercial de Monsieur [T].
Par ailleurs, sur le message du 23 mars 2021 émanant de la société Fuchs, relatif à la reprise de marchandises, si le destinataire est toujours [Courriel 3], il ne peut qu'être relevé que l'intitulé attaché à cette adresse est « A2CVENOT » et que la pièce attachée mentionne bien comme client la Sas A2c [T].
L'absence de modification de l'adresse mail de Monsieur [T] ne procède donc pas d'un parasitisme économique, aucune confusion n'étant possible.
Enfin la Sarl Ca-Vi-Bo vise une fiche Linkedin mentionnant jusqu'au mois d'août 2021 que Monsieur [T] était directeur commercial de la société Ca-Vi-Bo ; elle ne produit toutefois qu'une capture d'écran directement insérée dans ses conclusions, ne permettant pas à la Cour d'examiner les autres mentions de cette fiche Linkedin et les dates d'actualisations.
Cet élément ne revêt en conséquence aucune valeur probante.
A défaut de rapporter la preuve des agissements de parasitisme économique dont elle se prévaut, c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté la société Ca-Vi-Bo de sa demande sur ce fondement ; la Cour confirmera ce chef de décision.
Sur les demandes accessoires
La société A2c [T], qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, la Cour venant ainsi infirmer le chef du premier jugement ayant mis les dépens à la charge de la société Ca-Vi-Bo.
En revanche, l'équité ne commande pas d'allouer d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; la Cour confirmera le chef de jugement ayant laissé à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles, et déboutera les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant dans les limites de sa saisine, en dernier ressort, de manière contradictoire, et par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté la Sarl Ca-Vi-Bo de sa demande en remboursement des avances sur commissions d'agent commercial, et l'a condamnée au paiement des dépens de première instance ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la Sas A2c [T] à payer à la Sarl Ca-Vi-Bo la somme de 2 793,86 euros avec intérêts au taux légal, à compter du 12 avril 2021, au titre du remboursement des avances sur commissions ;
Déboute la Sarl Ca-Vi-Bo de sa demande tendant à voir prononcer la rupture de l'engagement d'approvisionnement aux torts de la Sas A2c [T] ;
Déboute la Sas A2c [T] et la Sarl Ca-Vi-Bo de leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel ;
Condamne la Sas A2c [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;