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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 10 décembre 2024, n° 24/02869

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 24/02869

10 décembre 2024

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 34C

Chambre commerciale 3-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 10 DECEMBRE 2024

N° RG 24/02869 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WQOA

AFFAIRE :

[P] [M]

...

C/

[A] [Y] [J] Candidate non élue

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Mai 2024 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre : 4

N° RG : 2024F00495

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU

Me Philippe CHATEAUNEUF

Me Marc LENOTRE

Me Asma MZE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX DECEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANTS

Monsieur [P] [M]

[Adresse 18]

[Adresse 18]

[Localité 10]

Représentant : Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 - N° du dossier 005841 -

Plaidants : Me Benoît CHABERT,avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0039 et Me Nicolas DULAC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1046

Madame [T] [R]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentant : Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 - N° du dossier 005841 -

Plaidants : Me Benoît CHABERT,avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0039 et Me Nicolas DULAC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1046

SYNDICAT CFE-CGC ORANGE

Ayant son siège

[Adresse 15]

[Localité 11]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 - N° du dossier 005841 -

Plaidants : Me Benoît CHABERT,avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0039 et Me Nicolas DULAC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1046

ASSOCIATION POUR LA DÉFENSE DE L'ÉPARGNE ET DE L'ACTIONNARIAT DES SALARIES D'ORANGE (ADEAS)

Ayant son siège

[Adresse 16]

[Localité 11]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 - N° du dossier 005841 -

Plaidants : Me Benoît CHABERT,avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0039 et Me Nicolas DULAC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1046

****************

INTIMES

Madame [A] [Y] [J]

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentant : Me Philippe CHATEAUNEUF, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643 - N° du dossier 2024069 -

Plaidant : Me Olivia MAHL, avocat au barreau de PARIS et Me Zoran ILIC de la SELARL BKI Origine, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0137 -

Monsieur [O] [Z]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentant : Me Marc LENOTRE de la SELARL CABINET FOURNIER LA TOURAILLE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 459 - N° du dossier 16.022 -

Plaidant : Me Blandine SIBENALER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R286

Syndicat FEDERATION COMMUNICATION CONSEIL CULTURE (F3C) CFD T

Ayant son siège

[Adresse 8]

[Localité 13]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Philippe CHATEAUNEUF, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643 - N° du dossier 2024069

Plaidant : Me Olivia MAHL, avocat au barreau de PARIS et Me Zoran ILIC de la SELARL BKI Origine, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0137 -

S.A. ORANGE

Ayant son siège

[Adresse 1]

[Localité 17]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS- VERSAILLES- REIMS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 - N° du dossier 2473802

Plaidant : Me Hugues MATHEZ et Me Jaurette Alexandre de la WHITE & CASE LLP avocats au barreau de PARIS, vestiaire : J 002

ASSOCIATION ACTIONNARIAT SALARIÉ GROUPE ORANGE

Ayant son siège

[Adresse 14]

[Localité 12]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Marc LENOTRE de la SELARL CABINET FOURNIER LA TOURAILLE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 459 - N° du dossier 16.022 -

Plaidant : Me Blandine SIBENALER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R286

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Octobre 2024, Monsieur Cyril ROTH, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,

Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,

Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN

EXPOSE DU LITIGE

Le conseil d'administration de la société anonyme Orange (Orange), société mère du groupe Orange, opérateur de télécommunications, est composé de quinze membres, dont sept sont indépendants, trois représentent la sphère publique, trois représentent le personnel et un représente le personnel actionnaire.

Le mode de désignation du représentant des salariés actionnaires est défini par les statuts d'Orange, par un accord d'entreprise et par le règlement électoral en vigueur depuis le 19 septembre 2023.

Ils prévoient qu'une seule candidature est présentée à l'assemblée générale ; que le candidat est désigné par une consultation de l'ensemble des actionnaires salariés, directement ou par le truchement des Fonds commun de placement d'entreprise (FCPE), une action correspondant à une voix.

Les suffrages s'expriment en faveur d'un binôme titulaire/remplaçant.

Le premier temps du scrutin consiste en la consultation des salariés actionnaires directs, le second en la consultation des FCPE. Les voix exprimées par les salariés directement et via les FCPE sont ensuite agrégées.

Le mandat de l'administrateur représentant les salariés actionnaires, d'une durée de quatre ans, étant arrivé à expiration le 22 mai 2024, la procédure visant à leur consultation a été mise en 'uvre entre le 4 décembre 2023 et le 9 février 2024.

Deux binômes se sont présentés aux suffrages, celui de Mme [Y] [J] et M. [Z], soutenus par la Fédération communication conseil culture (ci-après la F3C-CFDT) et par l'Association actionnariat salarié groupe Orange (ci-après l'AASGO), d'une part, et celui de M. [M] et Mme [R], soutenus par le syndicat CFE-CGC Orange, d'autre part.

Le 26 janvier 2024, à l'issue du premier tour du scrutin, le binôme composé de Mme [Y] [J] et de M. [Z] a obtenu 50,70 % des voix.

Le 9 février 2024, à l'issue du second tour, le binôme composé de M. [M] et de Mme [R] a obtenu 55,07 % des voix.

Le 26 février 2024, la F3C-CFDT et Mme [Y] [J] ont assigné la société Orange, l'AASGO, le syndicat CFE-CGC Orange, MM. [M] et [Z] et Mme [R] devant le tribunal de commerce de Nanterre.

L'Association pour la défense de l'épargne et de l'actionnariat des salariés d'Orange (ci-après l'ADEAS) est intervenue volontairement à l'instance.

Le 18 mars 2024, sur décision de son conseil d'administration, la direction d'Orange a missionné le cabinet EY pour procéder à une analyse technique. Son pré-rapport, daté du 12 avril 2024, est versé aux débats en cause d'appel par M. [Z] et l'AASGO sous le numéro 14.

Le 3 mai 2024, par jugement contradictoire, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- dit recevable l'intervention volontaire de l'ADEAS ;

- dit n'y avoir lieu à renvoi de l'affaire au rôle général du tribunal ;

- annulé le second tour de la préconsultation destinée à désigner le candidat à l'élection au mandat de représentant des salariés-actionnaires au conseil d'administration de la société Orange qui s'est déroulé du 5 au 9 février 2024 : en conséquence, annulé le résultat ;

- débouté l'AASGO et M. [Z] de leur demande présentée à titre principale ;

- débouté les parties demanderesses sur ce fondement de leur demande d'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné le syndicat CFE-CGC Orange aux dépens ;

- liquidé les dépens du greffe à la somme de 211,44 euros, dont TVA 35,24 euros.

Le 7 mai 2024, M. [M], Mme [R], le syndicat CFE-CGC Orange et l'ADEAS ont interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

- dit n'y avoir lieu à renvoi de l'affaire au rôle général du tribunal ;

- annulé le second tour de la préconsultation destinée à désigner le candidat à l'élection au mandat de représentant des salariés-actionnaires au conseil d'administration de la société Orange qui s'est déroulé du 5 au 9 février 2024, en conséquence annulé le résultat ;

- condamné le syndicat CFE-CGC Orange aux dépens.

Le 30 mai 2024, le président de la chambre a proposé aux parties la nomination d'un médiateur ; le 4 juillet suivant, les appelants ont décliné cette proposition.

Par conclusions du 22 juillet 2024, la F3C-CFDT et Mme [J] ont formé un appel incident du chef du jugement ayant rejeté leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions du 19 septembre 2024, les appelants demandent à la cour de :

- infirmer le jugement du 3 mai 2024, et par conséquent :

- écarter des débats la pièce n°14 communiquée par M. [Z] et l'AASGO ;

- dire valable et régulière la préconsultation des salariés actionnaires ;

En conséquence,

- débouter la F3C-CFDT et Mme [Y]-[J] de leur demande d'annulation de la préconsultation des salariés actionnaires ;

- débouter la F3C-CFDT et Mme [Y]-[J] de leur appel incident ;

- les débouter ainsi de leur demande injustifiée d'indemnisation, et tout spécialement irrecevable à l'encontre du syndicat CFE-CGC Orange, formulée au titre sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la F3C-CFDT et Mme [Y]-[J] à payer au syndicat CFE-CGC Orange la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions du 8 août 2024, l'AASGO et M. [Z] demandent à la cour de :

- juger recevable le pièce n°14 qu'ils ont communiquée en première instance ;

- confirmer le jugement du 3 mai 2024 ;

- débouter le syndicat CFE-CGC Orange, M. [M], Mme [R] et l'ADEAS de toutes leurs demandes ;

- condamner solidairement le syndicat CFE-CGC Orange, M. [M], Mme [R] et l'ADEAS à leur verser la somme de 5 000 euros chacun, au titre de l'article 700 code de procédure civile ;

- condamner solidairement le syndicat CFE-CGC Orange, M. [M], Mme [R] et l'ADEAS aux entiers dépens, dont distraction au profit de M. Lenôtre, avocat, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions formant appel incident du 20 septembre 2024, la F3C-CFDT et Mme [Y] [J] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement du 3 mai 2024 en ce qu'il a :

- annulé le second tour de la préconsultation destinée à désigner le candidat à l'élection au mandat de représentant des salariés-actionnaires au conseil d'administration de la société Orange qui s'est déroulé du 5 au 9 février 2024, en conséquence annulé le résultat ;

- condamné le syndicat CFE-CGC Orange aux dépens ;

- infirmer le jugement du 3 mai 2024 en ce qu'il a débouté la F3C-CFDT de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et, statuant à nouveau,

- condamner M. [M], Mme [R], le syndicat CFE CGC Orange et l'ADEAS à verser à la F3C-CFDT la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance ;

- juger recevable la pièce n°14 communiquée en première instance par M. [Z] et l'AASGO et la pièce 25.2 communiquée en appel par la F3C-CFDT et Mme [Y] [J] ;

- débouter M. [M], Mme [R], le syndicat CFE-CGC Orange et l'ADEAS de leurs demandes, fins et prétentions ;

- condamner M. [M], Mme [R], le syndicat CFE-CGC Orange et l'ADEAS à verser à la F3C-CFDT la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

- condamner M. [M], Mme [R], le syndicat CFE-CGC Orange et l'ADEAS aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de M. Chateauneuf, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions du 21 septembre 2024, la société Orange demande à la cour de :

A titre principal :

- juger recevable la demande d'irrecevabilité de la pièce n°14 formulée par les appelants ;

A titre subsidiaire :

- rejeter la demande des appelants visant à ce que soit écartée des débats la pièce n° 14 communiquée par M. [Z] et l'AASGO ;

En tout état de cause :

- juger recevable la pièce 25.2 communiquée en appel par la F3C-CFDT et Mme [Y] [J] ;

- prendre acte qu'elle s'en rapporte à la justice sur la demande d'annulation du second tour de la préconsultation ;

- confirmer le jugement du 3 mai 2024 pour le reste ;

- condamner in solidum les appelants et les appelants incidents à lui payer la somme de 1 euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum les appelants et les appelants incidents aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 30 septembre 2024.

Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.

MOTIFS

1. Sur la recevabilité de la pièce n°14 communiquée par M. [Z] et l'AASGO

Argumentation des parties

M. [M], Mme [R], le syndicat CFE-CGC Orange et l'ADEAS soutiennent que leur demande visant à voir écarter la pièce n°14 communiquée par M. [Z] et l'AASGO, constituée par le pré-rapport d'EY, n'est pas nouvelle en cause d'appel ; qu'en effet, ils ont demandé le retrait des conclusions de l'AASGO et de M. [Z] et ainsi le retrait de cette pièce.

Ils ajoutent que cette pièce n'est qu'un pré-rapport mentionnant lui-même être dépourvu de valeur probante ; qu'EY y a procédé à une estimation erratique de la base d'abonnés de la CFDT ; que le traitement des données sensibles opéré sans le consentement de salariés est illicite et permet de réaliser un fichage de ceux susceptibles d'être adhérents ou sympathisants du syndicat CFE-CGC Orange, ce qui est attentatoire à la loi Informatique et liberté du 6 janvier 1978, à la liberté syndicale et au Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (le RGPD, ou le Règlement).

L'AASGO et M. [Z] soutiennent que le syndicat CFE-CGC Orange n'a pas sollicité le rejet de la pièce 14 en première instance, dont le contenu a été débattu lors de l'audience ; que le rapport d'EY était au reste déjà connu de toutes les parties, ayant été communiqué par la société Orange aux syndicats, associations et candidats à l'élection ; que M. [M] et Mme [R] ont refusé d'en rencontrer les consultants ; que ce rapport démontre l'envoi massif de courriels par le syndicat CFE-CGC Orange entre le 18 décembre 2023 et le 9 février 2024 ainsi que des connexions très importantes sur l'outil de vote Voxaly comportant les listes d'émargement ; que la CFE-CGC Orange n'a pas répondu à la direction d'Orange sur l'obtention de l'accord explicite des destinataires pour recevoir ces communications.

Ils ajoutent qu'EY a procédé à la collecte et à l'analyse des données dans le respect du RGPD ; que les informations contenues dans les données collectées permettant d'identifier les collaborateurs destinataires des communications ont été pseudonymisées et que les données ont ensuite été effacées sous le contrôle d'un commissaire de justice ; que le cabinet EY n'a procédé qu'à une analyse volumétrique des données.

Ils font enfin valoir que le rapport est recevable dès lors que les appelants ne peuvent pas se substituer aux salariés pour faire valoir leurs droits, ni solliciter en leur lieu et place l'irrecevabilité d'une pièce sur le fondement de l'absence d'information et de consentement, et que le consentement de la personne concernée n'est pas une condition de licéité du traitement au titre du RGPD. Ils ajoutent que l'atteinte portée au droit à la protection des données n'est pas disproportionnée, car, dans un procès civil, le juge peut tenir compte d'éléments de preuve obtenus de manière déloyale. Ils affirment que, si la cour devait considérer que l'analyse réalisée par le cabinet EY contrevient au RGPD, que la production de cette pièce est nécessaire à l'exercice du droit à la preuve et que l'atteinte portée est proportionnée au but poursuivi.

La F3C-CFDT et Mme [Y] [J] répliquent que la pièce n°14 est recevable dès lors que le principe du contradictoire a été respecté et qu'elle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à la protection des données personnelles des salariés de la société Orange. Elles précisent qu'en l'espèce, les appelants n'ont pas sollicité le rejet de la pièce litigieuse devant le tribunal mais seulement le renvoi de l'affaire et le rejet des dernières conclusions de l'AASGO et M. [Z], que Mme [R] et M. [M] ont estimé que le retrait des pièces litigieuses était devenu impossible malgré la proposition de retrait de l'AASGO et M. [Z] et que les conseils du syndicat CFE-CGC Orange, de l'ADEAS, de Mme [R] et de M. [M] ont commenté le rapport lors de l'audience.

Elles font valoir que dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats et qu'en l'espèce, le rapport ne constitue pas une preuve illicite ; que sa production repose sur l'exercice des droits de la défense, sans porter une atteinte disproportionnée au droit à la protection des données personnelles.

S'agissant de la licéité du rapport, elles considèrent en premier lieu, conformément au considérant n°26 du RGPD, qu'il n'y a pas lieu d'appliquer les principes relatifs à la protection des données aux informations anonymisées, ce qui est le cas des données utilisées dans le rapport. En second lieu, si la cour décidait d'apprécier la licéité du rapport à l'aune du RGPD, elles considèrent que le consentement préalable des personnes concernées n'est qu'une condition alternative à la licéité du traitement suivant l'article 6.1.c) et 9.2.b) du RGPD et que les développements des appelants concernant l'information préalable des salariés sont inopérants. Elles précisent que les opérations réalisées sont licites, indépendamment du consentement préalable des salariés de la société Orange dès lors qu'en sa qualité de responsable de traitement, la société Orange a dû traiter et vérifier l'utilisation conforme des données personnelles des salariés placées sous sa responsabilité lors du scrutin, par mesure de précaution, suite aux suspicions de violation du droit à la protection des données personnelles et de la confidentialité du scrutin par le syndicat CFE-CGC Orange. Elles estiment en conséquence que le rapport litigieux, qui est le fruit des opérations de vérification menées par la société Orange, est licite dès lors qu'il est fondé sur les droits et intérêts légitimes des salariés. Elles précisent également que l'absence d'information préalable des salariés ne constitue pas une condition de licéité du traitement et que les appelants ne peuvent pas se substituer aux salariés pour faire valoir leurs droits d'information, d'accès, de rectification et d'opposition, d'autant plus lorsque le syndicat CFE-CGC Orange est lui-même suspecté de violer ces droits.

Si la cour considérait que le rapport litigieux constitue un mode de preuve illicite, elles font valoir que celui-ci est recevable sur le fondement du droit à la preuve. Elles précisent que la production du rapport est indispensable au succès des prétentions de la F3C-CFDT et de Mme [Y] [J] dès lors que leur demande d'annulation du second tour du scrutin est fondée sur les méthodes illicites de la campagne électorale du syndicat CFE-CGC Orange mises en lumière dans le rapport. Elles précisent également que l'atteinte portée au droit à la protection des données personnelles est proportionnée dès lors que les opérations de contrôle ont été initiées sur la base d'alertes de salariés, que le périmètre des opérations de contrôle a été strictement cantonné aux faits suspectés, que la collecte a été réalisée en présence d'un commissaire de justice, que les données traitées ont fait l'objet d'une anonymisation totale et que les appelants ont été appelés à faire valoir leurs observations au cours des opérations et ont reçu une copie du rapport le 17 avril 2024.

La société Orange réplique, invoquant l'article 564 du code de procédure civile, que les appelants formulent dans leurs écritures pour la première fois en cause d'appel, une demande de rejet du rapport du cabinet EY qui avait été produit aux débats de première instance, qu'ainsi, cette demande est nouvelle et doit être déclarée irrecevable.

Elle fait également valoir que la pièce n°14 est recevable dès lors que le rapport est licite au regard du droit à la protection des données à caractère personnel.

Elle précise à ce titre que le cabinet EY a mené une enquête à sa demande, afin d'analyser la matérialité des signalements effectués auprès d'Orange par différents salariés votants et organisations syndicales concernant le déroulement du scrutin, notamment des communications électroniques non sollicitées intervenues en violation de l'article 5.3 du règlement électoral établi pour ces élections. Elle précise que le règlement électoral et l'accord pour le dialogue social interdisent l'envoi de courriers ou de courriels à des salariés qui n'ont pas explicitement fourni leurs coordonnées et donné leur consentement préalablement à leur inscription sur une liste de diffusion, qu'ainsi, les organisations syndicales ne sont pas autorisées à démarcher les salariés en s'appuyant sur les informations contenues dans les systèmes informatiques de la société Orange. Elle ajoute que ni le syndicat CFE-CGC Orange ni la F3C-CFDT n'ont apporté la preuve qu'elles avaient recueilli le consentement préalable à la réception de communications auprès de chacun des membres du personnel avec lesquels elles ont interagi et que la prévision d'une faculté de s'opposer au traitement des données a posteriori, via un lien de désinscription, comme cela a été prévu par le syndicat CFE-CGC Orange pour sa plateforme d'e-mailing " Brevo ", ne remplit pas les conditions d'un consentement valable au sens du RGPD. Elle considère également que le syndicat CFE-CGC Orange ne mentionne pas dans ses écritures l'existence de son outil " Election Center " ni comment cet outil de fichage des salariés respecte les règles de protection des données à caractère personnel, qu'ainsi, elle lui a envoyé, le 8 août 2024, une sommation de communiquer les conditions dans lesquelles les informations nécessaires à la tenue de ces campagnes ont été recueillies, sommation qu'elle a réitérée en septembre 2024 et à laquelle le syndicat CFE-CGC Orange n'a pas répondu.

Elle réplique que le rapport du cabinet EY n'a pas porté atteinte au droit à la protection des données personnelles dès lors que la méthodologie appliquée place la protection des données à caractère personnel des salariés au centre de ses priorités, qu'il n'a effectué aucune collecte de données sensibles et que l'obligation d'information a été respectée.

Elle précise, invoquant l'article 4 et le considérant 28 du RGPD, que le cabinet EY, en tant que tiers indépendant, a réalisé une enquête visant à déterminer si des courriels de relance ont été envoyés par les organisations syndicales, à un grand nombre de salariés votants, sans leur consentement préalable ou si des connexions en masse sur l'outil de vote Voxaly avaient eu lieu, laissant apparaître que les organisations syndicales auraient réalisé des téléchargements ou impressions des listes d'émargement. Elle ajoute que cette analyse a été menée par le cabinet sans identification des salariés concernés, grâce à des mesures de pseudonymisation, sans consultation du contenu des messages électroniques échangés et n'a jamais eu pour finalité ou pour effet de permettre à la société Orange de réaliser un fichage des salariés sur la base de leur appartenance syndicale. Elle ajoute encore que le cabinet EY a sollicité le concours d'un commissaire de justice pour assister aux opérations de collecte et de pseudonymisation des données et que seule une analyse volumétrique des données a été réalisée.

Elle rappelle qu'au sens du RGPD, le consentement n'est pas l'unique base légale permettant d'assurer la licéité d'un traitement de données à caractère personnel révélant l'appartenance syndicale des personnes ; que suivant la doctrine de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), la dépendance qui découle des relations de travail rend impossible le consentement libre des salariés au traitement de leurs données personnelles ; qu'elle disposait d'un intérêt légitime à opérer les traitements contestés pour vérifier la véracité de signalements effectués par ses salariés et se défendre en justice dans la présente procédure.

Elle fait enfin valoir que les salariés de la société Orange sont informés que leurs données à caractère personnel sont susceptibles d'être utilisées afin de vérifier que la messagerie de l'entreprise est utilisée dans le respect des bonnes pratiques.

Réponse de la cour

Sur la recevabilité de la demande tendant à voir écarter des débats le rapport d'EY

L'article 564 du code de procédure civile dispose :

A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

L'article 565 précise :

Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

Et aux termes de l'article 566 :

Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Au cours des opérations de vote critiquées, les suffrages des salariés actionnaires ont été recueillis par voie électronique, au moyen de la plateforme Voxaly, mise en 'uvre par une filiale de La Poste.

Le 18 mars 2024, à la demande du conseil d'administration d'Orange, la direction d'Orange a missionné le cabinet EY afin de procéder à des analyses techniques.

Cette lettre de mission n'est pas produite.

Le rapport préliminaire (" draft ") du cabinet EY est daté du 12 avril 2024 ; il constitue la pièce 14 versée aux débats par la F3C-CFDT et Mme [Y] [J] dont la production est contestée.

Selon ce rapport, la mission avait pour objet de déterminer :

- si les salariés avaient pu faire l'objet de communications électroniques en masse non sollicitées durant la campagne émanant de certains syndicats, sur des boîtes mail internes à Orange ou sur des boîte mail extérieures ;

- si les listes d'émargement de la plateforme de votation Voxaly avaient pu être copiées lors des phases de vote, par des connexions en masse ;

- si la liste des votants figurant sur le site de communication interne " Election Actionnariat " avait pu être copiée.

Il est constant que la F3C-CFDT et Mme [Y] [J] ont communiqué ce rapport aux autres parties le 17 avril 2024, veille de l'audience tenue au tribunal de commerce le 18 avril 2024.

En raison notamment de cette production tardive, la CFE-CGC, M. [M] et Mme [R] ont sollicité le report de l'audience ; cette demande a été écartée par le tribunal qui, dans son dispositif, a " Dit n'y avoir lieu à renvoi de l'affaire au rôle général du tribunal ".

Les premiers juges énoncent expressément dans les motifs de leur décision, p. 15, que les parties n'ont pas demandé le retrait de cette pièce ; la force probante qui s'attache à ce constat n'est utilement remise en cause par aucune des productions des appelants.

La demande visant à voir écarter la pièce litigieuse doit donc être tenue pour présentée pour la première fois en cause d'appel.

Cette prétention ne tend aux mêmes fins qu'aucune des prétentions présentées au premier juge ; toutefois, elle doit être considérée comme tendant à faire écarter les prétentions adverses relatives à la régularité du scrutin et en tout cas, comme accessoire aux prétentions soumises au premier juge.

La demande tendant à voir écarter la pièce n°14 sera donc déclarée recevable.

Sur la demande tendant à voir écarter des débats le rapport d'EY

Le RGPD a notamment pour objet, selon son article premier, de garantir le droit des personnes physiques à la protection des données à caractère personnel.

Selon l'article 4 de ce Règlement, constituent des " données à caractère personnel " toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable ; on appelle 'pseudonymisation " le traitement de données à caractère personnel de telle façon que celles-ci ne puissent plus être attribuées à une personne concernée précise sans avoir recours à des informations supplémentaires, pour autant que ces informations supplémentaires soient conservées séparément et soumises à des mesures techniques et organisationnelles afin de garantir que les données à caractère personnel ne sont pas attribuées à une personne physique identifiée ou identifiable ; on appelle

'responsable du traitement " la personne physique ou morale, l'autorité publique, le service ou un autre organisme qui, seul ou conjointement avec d'autres, détermine les finalités et les moyens du traitement ; on appelle"sous-traitant" la personne physique ou morale, l'autorité publique, le service ou un autre organisme qui traite des données à caractère personnel pour le compte du responsable du traitement.

Le considérant 39 du Règlement énonce :

Tout traitement de données à caractère personnel devrait être licite et loyal. Le fait que des données à caractère personnel concernant des personnes physiques sont collectées, utilisées, consultées ou traitées d'une autre manière et la mesure dans laquelle ces données sont ou seront traitées devraient être transparents à l'égard des personnes physiques concernées. Le principe de transparence exige que toute information et communication relatives au traitement de ces données à caractère personnel soient aisément accessibles, faciles à comprendre, et formulées en des termes clairs et simples. Ce principe vaut, notamment, pour les informations communiquées aux personnes concernées sur l'identité du responsable du traitement et sur les finalités du traitement ainsi que pour les autres informations visant à assurer un traitement loyal et transparent à l'égard des personnes physiques concernées et leur droit d'obtenir la confirmation et la communication des données à caractère personnel les concernant qui font l'objet d'un traitement. Les personnes physiques devraient être informées des risques, règles, garanties et droits liés au traitement des données à caractère personnel et des modalités d'exercice de leurs droits en ce qui concerne ce traitement. En particulier, les finalités spécifiques du traitement des données à caractère personnel devraient être explicites et légitimes, et déterminées lors de la collecte des données à caractère personnel. Les données à caractère personnel devraient être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire pour les finalités pour lesquelles elles sont traitées.

Son considérant 40 se lit comme suit :

Pour être licite, le traitement de données à caractère personnel devrait être fondé sur le consentement de la personne concernée ou reposer sur tout autre fondement légitime prévu par la loi, soit dans le présent règlement soit dans une autre disposition du droit national ou du droit de l'Union, ainsi que le prévoit le présent règlement, y compris la nécessité de respecter l'obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ou la nécessité d'exécuter un contrat auquel la personne concernée est partie ou pour prendre des mesures précontractuelles à la demande de la personne concernée.

Aux termes de l'article 5 du Règlement, que reprend en substance l'article 4 de la loi du 6 janvier 1978, dite Informatique et libertés,

1. Les données à caractère personnel doivent être :

a) traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée (licéité, loyauté, transparence) ;

b) collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement d'une manière incompatible avec ces finalités ; (')

c) adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (minimisation des données) ;

d) exactes et, si nécessaire, tenues à jour ; toutes les mesures raisonnables doivent être prises pour que les données à caractère personnel qui sont inexactes, eu égard aux finalités pour lesquelles elles sont traitées, soient effacées ou rectifiées sans tarder (exactitude) ;

e) conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (') ;

f) traitées de façon à garantir une sécurité appropriée des données à caractère personnel, y compris la protection contre le traitement non autorisé ou illicite et contre la perte, la destruction ou les dégâts d'origine accidentelle, à l'aide de mesures techniques ou organisationnelles appropriées (intégrité et confidentialité) ;

L'article 6 du Règlement, que reprend en substance l'article 5 de la loi de 1978, énonce :

Licéité du traitement

1. Le traitement n'est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie :

a) la personne concernée a consenti au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques ;

b) le traitement est nécessaire à l'exécution d'un contrat auquel la personne concernée est partie ou à l'exécution de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci ;

c) le traitement est nécessaire au respect d'une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ;

(')

f) le traitement est nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers, à moins que ne prévalent les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée qui exigent une protection des données à caractère personnel, notamment lorsque la personne concernée est un enfant.

Selon l'article 9,§1, du Règlement, que reprend en substance l'article 6 de la loi de 1978, le traitement des données à caractère personnel qui révèle l'appartenance syndicale des personnes physiques est interdit.

Selon l'article 9,§2, cette interdiction ne s'applique pas si :

b) le traitement est nécessaire aux fins de l'exécution des obligations et de l'exercice des droits propres au responsable du traitement ou à la personne concernée en matière de droit du travail, de la sécurité sociale et de la protection sociale, dans la mesure où ce traitement est autorisé par le droit de l'Union, par le droit d'un État membre ou par une convention collective conclue en vertu du droit d'un État membre qui prévoit des garanties appropriées pour les droits fondamentaux et les intérêts de la personne concernée;

f) le traitement est nécessaire à la constatation, à l'exercice ou à la défense d'un droit en justice ou chaque fois que des juridictions agissent dans le cadre de leur fonction juridictionnelle.

L'article 24, §1 du Règlement dispose :

Compte tenu de la nature, de la portée, du contexte et des finalités du traitement ainsi que des risques, dont le degré de probabilité et de gravité varie, pour les droits et libertés des personnes physiques, le responsable du traitement met en 'uvre des mesures techniques et organisationnelles appropriées pour s'assurer et être en mesure de démontrer que le traitement est effectué conformément au présent règlement. Ces mesures sont réexaminées et actualisées si nécessaire.

Les dispositions relatives à l'élection d'un salarié actionnaire en qualité d'administrateur prévues à l'article L. 225-23 du code de commerce ne renvoient pas à celles relatives aux élections des membres d'un comité social et économique prévues au code du travail.

Toutefois, l'entreprise organisant une telle élection est, en application de l'article 24 du Règlement précité, légalement tenue, en cas d'utilisation d'un système de vote électronique, de prendre toutes les précautions nécessaires à la préservation de la confidentialité des données personnelles utilisées par ce système.

Selon la solution dégagée par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 22 décembre 2023 (n°20-20.648, publié), lorsque le droit à la preuve que garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d'autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence. Il en résulte que, dans un procès civil, le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une preuve obtenue ou produite de manière illicite ou déloyale, porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

L'article 13-3 des statuts d'Orange prévoit que les modalités relatives à l'organisation et au déroulement de la consultation des salariés actionnaires en vue de la désignation de l'administrateur représentant le personnel actionnaire sont arrêtées par le conseil d'administration ou par délégation par son président.

Le 27 mars 2018, la direction d'Orange et les organisations syndicales majoritaires à cette date ont adopté un " accord sur la gouvernance et le développement de l'actionnariat salarié ". L'article 6.2.2 de cet accord, relatif à la désignation du représentant des membres du personnel actionnaires au conseil d'administration, prévoit la tenue d'un second tour ouvert aux candidats ayant obtenu 5 % des voix au premier tour ; il prévoit également qu'à l'issue de chaque tour, les conseils de surveillance des fonds d'actionnariat salariés sont convoqués pour prendre connaissance et " acter le résultat du scrutin ".

Le 25 juillet 2023, le conseil d'administration de l'entreprise a donné délégation à son président en vue de l'organisation du scrutin en cause ; le 22 septembre 2023, celui-ci a adopté un règlement électoral. Ce règlement prévoit notamment en son article 2.3 que le conseil de surveillance de chaque FCPE se tient dès l'issue du dépouillement de la pré-consultation et s'exprime le jour-même pour en " refléter dans son propre vote " les résultats.

Le vote est électronique, de sorte qu'Orange est responsable du traitement des données personnelles utilisées à cet effet.

Il résulte du procès-verbal dressé par le bureau de vote à l'issue du premier tour de la consultation, non contesté, que les voix exprimables par les salariés détenant directement des actions s'élevaient à 7 425 247, celles exprimables via le FCPE Orange Actions à 195 101 010, celles exprimables via le FCPE Orange International à 1 189 796.

Les résultats du second tour, dont la validité est l'objet du présent litige, ont été connus le 9 février 2024.

Le jour même, le conseil de surveillance du FCPE Orange Actions n'a pas validé le résultat de ce second tour.

Le 26 février 2024, la F3C-CFDT et Mme [Y] [J] ont notamment assigné Orange devant le tribunal de commerce de Nanterre en annulation de ce second tour, alléguant notamment un envoi en masse irrégulier de courriers électroniques aux salariés actionnaires.

Ces allégations supposaient une fuite et une utilisation illicite des adresses électroniques des votants, c'est-à-dire de données personnelles dont Orange était tenue de garantir la confidentialité.

La direction d'Orange a missionné EY le 18 mars 2024, soit postérieurement à l'engagement de cette action.

Les métadonnées des courriers électroniques et les listes électorales auxquelles EY a accédé pour réaliser sa mission comportent des données à caractère personnel au sens de l'article 4, §1 du Règlement, auxquelles elle a appliqué un traitement au sens de l'article 4, §2 du Règlement.

Orange, responsable du traitement au sens de l'article 4, §7 du Règlement, reconnaît qu'EY a eu ces données en sa possession avant de les pseudonymiser en vue du traitement nécessaire à son analyse.

Le consentement des salariés concernés par ce traitement n'est pas la seule condition de sa licéité au regard du Règlement.

La cour retient que le traitement en cause était licite, au regard de l'article 6, §1, f), du Règlement et de l'intérêt légitime d'Orange, tenue de défendre en justice sur la validité du processus électoral qu'elle avait organisé ; qu'à supposer que ce traitement ait, par l'analyse du ciblage de l'envoi à certains salariés de documents de propagande non sollicités, révélé leur appartenance syndicale, ce traitement était nécessaire à la défense d'Orange devant le tribunal de commerce au sens de l'article 9, §2, f) du règlement ; au-delà, que ce traitement était nécessaire, au sens des articles 6, §1, c), et 24, §1, du règlement, à la satisfaction, par Orange, de son obligation légale de veiller à ce que les données personnelles de ses salariés collectées en vue de l'organisation de scrutins internes ne soient pas compromises.

Au reste, il résulte du rapport d'EY critiqué, mais aussi des cinq constats dressés par un commissaire de justice les 18 mars, 19 mars, 20 mars, 27 mars et 5 avril 2024 au cours de ses opérations, que ce sous-traitant a pseudonymisé l'ensemble des données personnelles utilisées, détruit les données initiales, lesquelles ne comportaient pas le contenu de courriers électroniques, puis réalisé une analyse purement volumétrique des données pseudonymisées ne donnant lieu à l'établissement d'aucun fichier nominatif.

Compte tenu de la teneur de ce rapport, le droit à la preuve des parties intimées en justifie la production comme nécessaire à leur défense et proportionnée à l'atteinte extrêmement limitée à la confidentialité des données protégées et à la liberté syndicale résultant des modalités des opérations d'EY.

De surcroît, ni M. [M] ni Mme [R], seules personnes physiques concernées parties à l'instance sollicitant que ce rapport écarté des débats, n'invoquent personnellement d'atteinte à leur droit à la protection de leurs données personnelles, encore moins d'atteinte au droit au respect de leur vie privée.

Il convient en conséquence d'admettre la production de la pièce contestée.

2. Sur la demande d'annulation du scrutin

Motivation du jugement entrepris

Pour annuler le second tour de scrutin critiqué, le tribunal de commerce retient que le scrutin contesté est précédé d'une campagne électorale, qui doit se dérouler selon les principes de loyauté du droit électoral ; que les courriels émanant de la CFE-CGC Orange juste avant le second tour, animés par une volonté polémique, ont participé à un climat délétère ; que l'instrumentalisation du scrutin par les organisations syndicales est inappropriée ; que c'est par erreur que le procès-verbal de validation des candidats du 21 décembre 2023 mentionne leur appartenance syndicale, alors que le scrutin n'est pas de liste ; que l'usage massif de courriels adressés par la CFE-CGC Orange à des salariés dont il n'est pas établi qu'ils y avaient consenti a provoqué une rupture du principe d'égalité des armes.

Le tribunal a en revanche écarté les griefs :

- d'absence de neutralité de la direction d'Orange, retenant au contraire que celle-ci s'était employée à rappeler les stipulations du règlement électoral et à faire prévaloir l'égalité des moyens ;

- d'irrégularité de la composition du bureau de vote, retenant qu'aucun texte n'empêche les candidats d'y participer ;

- d'empêchement des participer au scrutin, d'erreur de comptage et de nullité du procès-verbal de proclamation des résultats.

- Sur l'irrégularité alléguée des communications du syndicat CFE-CGC Orange

Argumentation des parties

M. [M], Mme [R], le syndicat CFE-CGC Orange et l'ADEAS soutiennent que le syndicat CFE-CGC Orange n'a agi que comme soutien des candidats et ne saurait être tenu responsable de la régularité des opérations électorales dont le contrôle revient à la société Orange.

Ils font valoir qu'il n'existe aucun fondement légal ou jurisprudentiel permettant de considérer qu'un prétendu " climat délétère " puisse entraîner l'annulation d'une élection, qu'un tel argument est subjectif et source d'insécurité juridique. Ils ajoutent qu'aucune inégalité des armes au cours du processus électoral ne peut justifier l'annulation de la préconsultation des salariés actionnaires dès lors que les candidats concurrents avaient accès aux mêmes moyens de propagande, que seule la différence de professionnalisme et d'ancrage de chaque syndicat permet d'expliquer le résultat du processus électoral, que le syndicat CFE-CGC Orange a réalisé une importante progression électorale au cours des dix dernières années, qu'il a mobilisé l'essentiel de son électorat à l'occasion du second tour, ce qui justifie la nette progression réalisée entre les deux tours, comme cela avait été le cas lors de la dernière consultation réalisée en 2020. Ils précisent à ce titre, si la pièce n°14 n'était pas écartée par la cour, que le syndicat CFE-CGC Orange a envoyé un nombre moyen d'emails inférieur à la F3C-CFDT, qui a eu recours à une campagne de communication plus intensive.

Ils affirment que la juridiction consulaire n'est pas compétente pour se prononcer sur les qualifications de diffamation et d'injure, ni pour statuer sur une sanction pénale ou allouer une indemnisation en raison d'un excès de liberté d'expression. Ils précisent que la légalité de la diffusion de la propagande électorale relève de la loi du 29 juillet 1881, que l'article R.211-3-26 du code de l'organisation judiciaire prévoit la compétence exclusive du tribunal judiciaire pour connaître des qualifications de diffamation et d'injure et que l'article 90 du code de procédure civile ne permet pas à la cour de se prononcer sur ces qualifications sans respecter les conditions de forme et de fond prescrites par la loi du 29 juillet 1881.

Sur le fond, ils soutiennent que le juge de la diffamation ou de l'injure admet une très large liberté d'expression syndicale, d'autant plus, dans un contexte d'élections, qu'une diffusion tardive de tracts syndicaux ne peut entraîner l'annulation des élections que si celle-ci a eu une influence déterminante sur les résultats du scrutin, notamment au regard de la proportion des suffrages obtenus par chaque liste de candidats, et que la période délimitée pour la propagande électorale par le protocole préélectoral ne peut entraver la liberté d'expression des syndicats. Ils considèrent en l'espèce que la F3C-CFDT et Mme [Y] [J] invoquent, à l'encontre de deux communications du président du syndicat CFE-CGC Orange de janvier 2024, des " assertions diffamatoires et injurieuses", sans caractériser les propos qui relèveraient de la diffamation ou de l'injure ; qu'il n'existe aucune mention diffamatoire ou injurieuse, que les faits relatés dans les deux communications visées se réfèrent en quasi-totalité à des faits précis et qu'aucune procédure pénale n'a été introduite à ce titre. Ils ajoutent qu'en retenant que " même si les faits relatés devaient être exacts ou voisins de la vérité, ils s'inscrivent dans une volonté de polémique inutile ", le tribunal a privé sa décision de base légale.

Ils soutiennent également que le syndicat CFE-CGC Orange n'a pas méconnu les dispositions du règlement électoral dès lors qu'il a adressé ses communications aux bases d'abonnés du syndicat dans le cadre d'une campagne de propagande respectueuse des données personnelles de ses adhérents et qu'aucune inégalité des armes ne peut être retenue à ce titre, les autres organisations syndicales ne démontrant pas qu'elles ont respecté le règlement électoral dans le cadre de leur communication électronique.

Enfin, ils font valoir que les communications litigieuses du syndicat CFE-CGC Orange n'ont pas eu d'influence déterminante sur le second tour du scrutin dès lors que les communications ont été adressées à leurs propres adhérents et militants abonnés, que la différence de résultats au second tour repose sur plusieurs dizaine de milliers de votes, que le nombre moyen d'emails envoyés par le syndicat CFE-CGC Orange est inférieur au nombre d'emails envoyés par la F3C-CFDT, que le syndicat CFE-CGC Orange a mené une meilleure campagne électorale et que les intimés ont produit des attestations dépourvues de force probantes car provenant de porteurs de mandat CFDT.

L'AASGO et M. [Z] soutiennent, invoquant les articles 5.1 et 5.3 du règlement électoral et les principes généraux du droit électoral tels que l'interdiction de tenir des propos dénigrants et l'exigence d'égalité entre les candidats, que le courriel du 29 janvier 2024 envoyé aux militants du syndicat et à un nombre indéterminé d'électeurs et la lettre du 2 février 2024 envoyée à tous les personnels de la société Orange, par le président du syndicat CFE-CGC Orange, sont dénigrants et mensongers, contraires au droit électoral et ont nécessairement faussé les résultats du scrutin qui doit être annulé. Ils précisent que ces communications ont pour but de discréditer les qualités morales des candidats de la liste adverse et M. [Z] en les associant à M. [I], ancien président de la société Orange ; qu'ils mettent gravement en cause l'honneur, la probité et l'honnêteté des autres candidats, excèdent les limites normales de la polémique propre à tout scrutin, sont diffamatoires et injurieux et opèrent une confusion entre un mandat d'administrateur représentant les salariés actionnaires et un mandat syndical.

Ils considèrent, même si la cour n'est pas le juge de la diffamation ou de l'injure, qu'elle a compétence pour apprécier si la teneur des tracts et communications qui ont été diffusés revêt un caractère diffamatoire ou injurieux de nature à vicier la campagne électorale et à porter atteinte à la sincérité du scrutin.

La F3C-CFDT et Mme [Y] [J] font valoir que la désignation du représentant des salariés actionnaires au conseil d'administration doit être considérée comme une " élection professionnelle " soumise aux principes généraux du droit électoral, qui peuvent être appliqués et appréciés par le juge commercial. Elles répliquent ainsi que l'incompétence du tribunal de commerce soulevée par la société Orange doit être écartée dès lors que le tribunal de commerce ne se prononce pas sur la qualification de diffamation ou d'injure mais se limite à examiner le caractère excessif des propos du syndicat CFE-CGC Orange pour trancher un contentieux électoral, que cette exception repose sur un moyen et non sur les prétentions de la F3C-CFDT et de Mme [Y] [J] et qu'elle peut également être écartée sur le fondement des articles 75 et 90 du code de procédure civile.

Elles font valoir que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a annulé le second tour du scrutin dès lors que les communications de propagande électorale du syndicat CFE-CGC Orange sont illicites en raison de leur contenu, de leur forme et de leur influence sur le sens du scrutin.

Elles précisent que les irrégularités commises dans l'organisation et le déroulement du scrutin, directement contraires aux principes généraux du droit électoral ou qui ont exercé une influence sur le résultat des élections, constituent des causes d'annulation des élections, qu'ainsi, tout acte de propagande électorale qui, par son caractère excessif, est de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin, entraine son annulation. Elles considèrent que les courriels des 29 et 30 janvier 2024 et la lettre ouverte à tous les personnels du 2 février 2024, envoyés par le président du syndicat CFE-CGC Orange, sont mensongers et dépassent les limites admissibles de la polémique électorale dès lors qu'ils affirment la responsabilité ou la complicité de Mme [Y] [J], de M. [Z] et de la F3C-CFDT dans la survenance des suicides de salariés de la société France télécom devenue Orange, qu'ils opèrent des discriminations sur l'âge et qu'ils accusent les candidats de vénalité et de fraude. Elles ajoutent que ces propos ont été réitérées lors des heures d'information syndicale, sur le site internet du syndicat, sur le profil LinkedIn de son président et à l'occasion des appels et démarchages sur le terrain. Elles soutiennent que les communications litigieuses constituent des attaques personnelles à l'encontre des candidats présentés par la CFDT/AASGO excédant les limites de la liberté d'expression électorale et syndicale.

Elles font également valoir que les moyens de communication utilisés par le syndicat CFE-CGC Orange sont illicites dès lors qu'il a adressé des relances de masse sur les messageries professionnelles de salariés non-inscrits sur sa liste d'abonnement, par des modes de communication non autorisés, en méconnaissance des dispositions du règlement électoral et de l'accord sur le dialogue social. Elles ajoutent que le syndicat CFE-CGC Orange a utilisé de façon illicite les adresses de messagerie professionnelle des salariés au-delà de ceux ayant donné leur accord, qu'il a utilisé des procédés illicites et déloyaux consistant à cibler certaines catégories du personnel dans ses communications, après croisement de différentes sources de données, en ce comprises des listes d'émargement dont l'accès aurait dû être restreint. Elles répliquent, en réponse aux arguments des appelantes, que les attestations de salariés qu'elle a produites proviennent d'adhérents CFDT ce qui démontre qu'ils n'ont pas donné leur accord pour être intégrés dans la liste de diffusion du syndicat CFE-CGC Orange et que les chiffres invoqués, concernant le nombre moyen de courriels envoyés par les syndicats et le nombre d'abonnés, ne sont étayés par aucun élément et sont impropres à écarter toute irrégularité de la propagande électorale.

Elles ajoutent que la propagande illicite menée par le syndicat CFE-CGC entre les deux tours du scrutin a manifestement eu une influence sur le résultat du scrutin, comme elle l'a elle-même admis, entraînant une rupture du principe de l'égalité des armes en raison de l'utilisation massive, par une organisation syndicale, de moyens extraordinaires en faveur d'un candidat, créant le " climat délétère " dénoncé par le président du conseil d'administration de la société Orange.

La société Orange affirme que les dispositions du code électoral et les principes généraux du droit électoral invoquées par les appelantes pour solliciter l'annulation du second tour de la consultation sont inapplicables en l'espèce, dès lors que la désignation du candidat au mandat d'administrateur représentant les salariés actionnaires n'est pas une élection à proprement parler mais une consultation organisée selon les dispositions du code de commerce. Elle précise que le droit électoral s'applique uniquement à l'élection des administrateurs représentant les salariés visée à l'article L. 225-27 du code de commerce et non aux administrateurs représentant les salariés actionnaires ; qu'il n'y a pas de nullité sans texte.

Dans l'hypothèse où la cour devait considérer que les dispositions du code électoral et les principes généraux du droit électoral sont applicables, la société Orange fait valoir, sur le fondement de l'article R. 211-3-15 du code de l'organisation judiciaire, que le tribunal de commerce devra être déclaré incompétent.

Elle fait valoir qu'en matière syndicale, le droit de critique et de polémique permet d'avoir recours à des expressions plus acerbes pour exprimer son mécontentement, à condition que le droit de critique ne dégénère pas en attaques personnelles, qu'en l'espèce, dans une première communication du 29 janvier 2024, le syndicat CFE-CGC Orange a incité les salariés actionnaires à ne pas voter pour la liste de la F3C-CDFT en affirmant que celle-ci serait composée " par deux personnes sans foi ni loi ", dont l'une n'aurait " jamais travaillé de sa vie " et serait en passe d'atteindre " les 70 ans à la fin de son éventuel mandat ", ajoutant que la motivation de ces candidats seraient d'ordre pécuniaire en " [mettant] la main à titre personnel sur les 100 000 euros de jetons de présence annuels ", ce qui sont des informations factuellement inexactes. Elle ajoute que dans une seconde communication en date du 30 janvier 2024, le syndicat CFE-CGC Orange insiste à nouveau sur l'âge de la candidate de la F3C-CFDT en lui prêtant une motivation purement pécuniaire, tout en ajoutant que Madame [Y] [J] serait 'bien connue pour son soutien sans faille à la direction ", qu'en conséquence, il appartiendra à la cour d'apprécier si le droit de critique du syndicat CFE-CGC Orange a dégénéré en abus.

Elle fait enfin valoir que l'influence du tract litigieux sur le résultat du vote n'est pas démontrée par les appelants, bien qu'un retournement dans le sens des votes des actionnaires porteurs de parts du FCPE Orange Actions, principal vivier de voix exprimables, a été constaté entre le premier tour et le second tour, avec une progression importante des voix exprimées et un changement dans l'ordre d'arrivée des candidats en nombre de voix à l'issue de la campagne du second tour.

Réponse de la cour

L'article L. 225-23 du code de commerce dispose, dans sa rédaction issue de la loi du 22 mai 2019 applicable à la cause, que dans les sociétés anonymes qui emploient à la clôture de deux exercices consécutifs au moins mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins cinq mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l'étranger, lorsque le rapport présenté par le conseil d'administration lors de l'assemblée générale en application de l'article L. 225-102 établit que les actions détenues par le personnel de la société ainsi que par le personnel de sociétés qui lui sont liées au sens de l'article L. 225-180 représentent plus de 3 % du capital social de la société, un ou plusieurs administrateurs sont élus par l'assemblée générale des actionnaires sur proposition des actionnaires visés à l'article L. 225-102 ; que ceux-ci se prononcent par un vote dans des conditions fixées par les statuts ; que ces administrateurs sont élus parmi les salariés actionnaires ou, le cas échéant, parmi les salariés membres du conseil de surveillance d'un fonds commun de placement d'entreprise détenant des actions de la société.

Si aucune disposition législative ou règlementaire du code de commerce ne régit le processus prévu à l'article L. 225-23 du code de commerce ayant pour objet la désignation indirecte d'un administrateur par des salariés actionnaires se prononçant par un vote, il constitue à l'évidence une élection soumise aux principes généraux du droit électoral, à quoi le vocabulaire employé par les statuts ou tout autre document interne à l'entreprise est indifférent.

Les contestations portant sur la désignation, par les salariés actionnaires, du candidat proposé à l'élection par l'assemblée générale de l'administrateur devant les représenter relèvent de la compétence du tribunal de commerce, en application de l'article L. 721-3, 2°, du code de commerce (Com, 18 mars 2020, n°17-24.039, publié, dans l'affaire Capgemini).

D'une manière générale, dans le but de garantir la sincérité du scrutin, le droit électoral implique notamment l'égalité des moyens utilisés par les candidats durant la campagne et la loyauté de la propagande.

Une jurisprudence abondante de la Cour européenne des droits de l'homme, du Conseil constitutionnel, du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation illustre les limites admissibles de la polémique électorale au-delà desquelles le scrutin peut se trouver faussé par la communication d'une organisation syndicale au regard des droits à la liberté d'expression et à la liberté syndicale respectivement garantis par les articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l'homme comme par la Constitution française.

En l'occurrence, le règlement électoral du 22 septembre 2023, dont les prescriptions s'imposaient à l'ensemble des candidats et à leurs soutiens, définit de la manière suivante, §5.3, les modalités de la campagne :

" les candidats à la candidature pourront organiser à leur initiative des distributions de tracts papier, envoyer des mails ou des courriers postaux aux membres du personnel composant le collège électoral, dès lors que ceux-ci leur ont explicitement fourni des coordonnées de contact. Les candidats à la candidature pourront également organiser des réunions d'information dans les locaux d'Orange'.

Si ce règlement ne vise que les tracts papier, les mails, les courriers postaux et les réunions d'information, il n'exclut pas l'usage d'autres moyens de communication à destination des électeurs, l'expression " les coordonnées de contact " ne pouvant être entendue comme ne désignant qu'une adresse électronique.

L'usage par la CFE-CGC de démarchages téléphoniques des salariés actionnaires, l'envoi de SMS et l'organisation de réunions Teams n'ont donc pas porté atteinte aux règles prédéfinies de la compétition électorale, partant au principe d'égalité entre les candidats.

De même, si l'une des organisations syndicales a pu adresser plus de communications aux salariés actionnaires qu'une autre, cette différence de volume ne traduit que les efforts humains et financiers qu'elle a consacrés à sa campagne, sans comporter aucune atteinte au principe d'égalité des armes consacré par le droit électoral, lequel ne vise qu'à l'emploi de moyens de propagande de nature équivalente.

Le règlement électoral du 28 septembre 2023 n'interdit pas non plus aux candidats ou aux organisations syndicales de cibler durant la campagne certaines catégories d'électeurs.

En revanche, il résulte suffisamment de ce règlement que la condition de toute communication aux membres du corps électoral est la fourniture préalable et directe, par leurs destinataires, de coordonnées de contact.

Cette règle rejoint celle exprimée à l'article L. 2142-6 du code du travail, selon lequel un accord d'entreprise autorisant l'utilisation par les organisations syndicales des outils numériques disponibles dans l'entreprise pour diffuser des informations syndicales doit préserver la liberté de choix des salariés d'accepter ou de refuser un message.

A cette règle préétablie par le règlement adopté en vue de l'élection en cause ne peut suppléer aucune mention, dans un courrier électronique, de la possibilité pour son destinataire de demander son désabonnement de la liste de diffusion utilisée, dès lors que cette liste peut être constituée d'adresses électroniques dont les titulaires n'ont préalablement consenti à aucun envoi.

La CFE-CGC affirme que la base d'abonnés adhérents et de sympathisants à laquelle elle s'est adressée par voie électronique est d'environ 40 000 salariés.

Interrogée par EY sur ce point, Mme [Y] [J], candidate soutenue par la F3C CFDT, ainsi que M. [E], responsable de ce syndicat (rapport, p. 43), ont indiqué que le nombre de 40 000 destinataires identifiés pour la CFE-CGC était cohérent avec les moyens et le champ d'activité de cette organisation syndicale.

Pour autant, la CFE-CGC ne formule aucune offre de preuve au soutien de la thèse selon laquelle ces salariés lui auraient fourni directement leurs coordonnées.

En deuxième lieu, il résulte du rapport d'EY, p. 25, que la CFE-CGC a adressé certaines communications par courrier électronique aux salariés de certains sites et pas à d'autres.

Les appelants n'expliquent pas à partir de quelles cordonnées, livrées par les électeurs eux-mêmes, elle a été en mesure de procéder à un tel ciblage.

En troisième lieu, EY rapporte avoir interrogé cinq collaborateurs du groupe ayant reçu de la CFE-CGC des communications non sollicitées, par courrier électronique, SMS et appel téléphonique.

En quatrième lieu, trois de ces collaborateurs ont indiqué avoir été ciblés parce qu'ils n'avaient pas encore voté, ce qui accrédite la thèse d'une utilisation déloyale des listes d'émargement accessibles à partir de la plateforme de votation.

En cinquième lieu, le courriel produit par la CFE-CGC elle-même, constituant sa pièce 13, relatif aux élections en cause, se présente comme adressé par le président de ce syndicat à " tous les personnels d'Orange ", non aux seuls adhérents ou sympathisants du syndicat.

En sixième lieu, par un message rédigé le premier jour du second tour de scrutin litigieux, soit le 5 février 2024, le président de la CFE-CGC, M. [S] [D], a félicité ses militants d'avoir passé des appels pour inciter les personnels à voter et a incité tous ses adhérents à " faire voter un non-adhérent de plus qu'au premier tour ".

De ce faisceau d'indices concordants, il résulte suffisamment que la CFE-CGC a, durant la campagne, démarché des membres du corps électoral qui n'y avaient pas préalablement consenti, en violation des prescriptions du règlement électoral.

La CFFE-CGC fait valoir qu'il n'est pas démontré que les autres organisations syndicales aient elles-mêmes respecté ces prescriptions ; mais elle ne prétend pas qu'elles auraient méconnu ces règles et ne formule aucune offre de preuve correspondante.

Il convient donc de retenir que la méconnaissance du règlement électoral par la CFE-CGC au cours de la campagne a créé une rupture de l'égalité entre les candidats.

Par le message adressé à ses militants le 5 février 2024, le président de la CFE-CGC a détaillé les " arguments qui font mouche " à utiliser pendant la campagne, parmi lesquels :

- Le manque d'éthique de Iiste CFDT : les 100 000 euros de jetons de présence touchés par [O] [Z] en 2010/2012 (cf mon mail). Si ils l'emportent pour 4 ans, les deux empocheront 400 000 euros (en 10 ans Ies jetons de présence ont doublé, pas nos salaires...),

- La nomination de [O] [Z] par [L] [I] comme administrateur représentants Ies personnels actionnaires. Cela rappelle de très mauvais souvenirs aux anciens,

- L'âge du binôme et en particulier de la tête de liste. Après moi le déluge ou " la retraite à 64 ans, c'est non " comme dirait la CFDT...

Ces arguments ont, en substance, été déclinés par la CFE-CGC dans des courriels adressés par son président aux personnels de l'entreprise les 29 janvier, 30 janvier et 2 février 2024.

Il y est notamment prétendu que M. [Z] a été nommé au conseil d'administration en 2010 par [L] [I], ayant été choisi par la direction pour y représenter les personnels actionnaires.

Il est cependant établi par la convocation délivrée aux actionnaires en vue de l'assemblée générale du 9 juin 2010 que l'administrateur représentant les membres du personnel actionnaire y a été élu sur la proposition des FCPE, non désigné par la direction de l'entreprise ou son président.

L'allégation relative aux conditions dans lesquelles M. [Z] a été désigné à l'occasion d'un précédent mandat d'administrateur est donc fallacieuse.

Il en va de même de l'allégation contenu dans le courrier du 2 février 2024 selon lequel le versement de jetons de présence à M. [Z] au cours de ce mandat aurait été " la récompense du soutien public apporté à [L] [I] durant la crise sociale ", alors que le versement de jetons de présence aux administrateurs de l'entreprise ne dépend à l'évidence ni de la volonté de son président ni de la décision de sa direction.

Les trois communications électorales en cause insistent sur l'âge de Mme [Y] [J], présentée dans l'un deux comme devant atteindre 70 ans à la fin de son mandat.

Or Mme [Y] [J], née le [Date naissance 9] 1960, aurait atteint l'âge de 67 ans à la fin de son mandat. L'allégation relative à son âge est donc tout à la fois inexacte et indélicate.

Le courrier du 2 février 2024 présente Mme [Y] [J] et M. [Z] comme le " binôme de la honte " ; l'expression est offensante.

Enfin et surtout, dans son courriel du 29 janvier 2024, le président de la CFE-CGC indique que " la liste CFDT/AASGO (qui fut l'un des soutiens de [I] pendant la crise des suicides) est composée par deux personnes sans foi ni loi ".

Si la condamnation pénale de M. [I], dirigeant de l'entreprise, du chef de harcèlement moral, n'est pas définitive, dans une entreprise dont il n'est pas contesté qu'elle a été durement éprouvée sous son mandat par une crise sociale notamment caractérisée par plusieurs dizaines de suicides, le fait d'associer une organisation syndicale et, par extension, les deux candidats se présentant aux suffrages sous son étiquette, à cette période et à ce dirigeant, relève du dénigrement ; sont versées aux débats deux pièces dont il résulte que, début novembre 2023, juste avant le début du processus électoral en cause, un film documentaire relatif au procès de cette affaire en cause d'appel est sorti au cinéma, ravivant un souvenir exploité par la propagande critiquée.

Il résulte de l'ensemble de ces constats que la communication de la CFE-CGC durant la campagne a été mensongère et virulente au point de dépasser les limites admissibles de la liberté d'expression syndicale et de la polémique électorale.

- Sur la violation alléguée de l'obligation de neutralité d'Orange

Argumentation des parties

M. [M], Mme [R], le syndicat CFE-CGC Orange et l'ADEAS soutiennent que la direction d'Orange a manqué à son obligation de neutralité en refusant de réagir aux " spams " adressés par M. [Z] et de publier les résultats des élections.

La F3C-CFDT et Mme [Y] [J] répliquent que l'employeur sur qui pèse la charge d'organiser les élections, est tenu à une obligation de neutralité vis-à-vis des candidats et organisations syndicales dont la violation entraîne l'annulation du scrutin. Elles précisent qu'en l'espèce, la direction s'est abstenue de faire cesser les agissement illicites du syndicat CFE-CGC Orange et l'a favorisé en lui accordant des moyens de propagande refusés à ses concurrents alors que l'accord portant sur le dialogue social prévoyait des mesures à prendre en cas d'usage irrégulier de messageries professionnelles, que les panneaux d'affichage du syndicat CFDT ont été détériorés et vandalisés et qu'elle était informée de l'utilisation des messageries professionnelles des salariés au-delà des adhérents et sympathisants CFE-CGC. Elles soutiennent que l'alerte envoyée au syndicat CFE-CGC Orange sur l'illicéité de ses moyens de communication et le courriel d'information de la CFDT sur l'intention du syndicat CFE-CGC Orange d'organiser des " cafés gratuits " étaient tardives.

La société Orange réplique, dans l'hypothèse où la cour devait considérer que les dispositions du code électoral et les principes généraux du droit électoral sont applicables, qu'elle n'a pas violé son obligation de neutralité au regard de la propagande électorale syndicale qui a été faite par les soutiens des candidats, ni au titre d'un prétendu dépassement des limites de la propagande électorale ou de l'absence d'influence sur les résultats du vote. Elle précise qu'en l'espèce, elle s'est abstenue de tout acte de nature à influencer les votes des salariés actionnaires, mais a également, à plusieurs reprises, procédé à des " rappels à l'ordre " lorsqu'elle l'estimait nécessaire conformément à l'accord portant sur le dialogue social et qu'elle a démontré vouloir mettre en 'uvre tous les moyens à sa disposition afin de permettre l'élection d'un administrateur représentant les salariés actionnaires, notamment en mobilisant des ressources financières et humaines particulièrement importantes.

Réponse de la cour

L'obligation de neutralité de l'employeur est un principe général du droit électoral ; c'est à celui qui invoque la violation de cette obligation d'en rapporter la preuve (Soc, 18 mai 20222, n°20-21.529 ; Soc, 27 mai 2020, n°19-15.105 ; Soc, 31 mai 2011, n°10-60.228).

En l'occurrence, par un courriel du 7 février 2024, c'est-à-dire dans le courant du second tour, les opérations de vote ayant eu lieu entre le 5 et le 9 février 2024, la direction d'Orange a mis en garde la CFE-CGC Orange sur l'usage de moyens de propagande non prévus par l'accord sur le dialogue social en vigueur dans l'entreprise.

Le même jour, elle a avisé les candidats soutenus par la F3C-CFDT de l'intention de la CFE-CGC Orange d'organiser des cafés gratuits sur plusieurs sites le lendemain.

Ces réactions manifestent le souci de rétablir l'égalité entre les candidats et la loyauté de la propagande ; leur retenue ne démontre aucun parti-pris de l'entreprise en faveur de l'un des syndicats.

Le moyen pris de la violation par Orange de son obligation de neutralité au cours des opérations de vote est donc mal fondé, ainsi que l'a retenu à juste titre le tribunal.

- Sur la composition du bureau de vote

Argumentation des parties

M. [M], Mme [R], le syndicat CFE-CGC Orange et l'ADEAS soutiennent qu'aucun texte ni aucune jurisprudence de la Cour de cassation n'interdisent à un candidat de faire partie du bureau de vote et qu'à défaut de dispositions spécifiques, la désignation des membres du bureau de vote ne peut pas être laissée à la discrétion de l'employeur. Ils font valoir qu'en cas d'irrégularité de la composition du bureau de vote, des réserves doivent être émises avant la tenue des élections et le juge judiciaire du contentieux préélectoral doit être saisi ; qu'en l'espèce, la F3C-CFDTet Mme [Y] [J] n'ont émis aucune réserve concernant le processus électoral et l'application du règlement électoral ; qu'ainsi, la demande d'annulation de la préconsultation doit être rejetée.

La F3C-CFDT et Mme [Y] [J] répliquent, invoquant les articles R. 52 et R. 64 du code électoral, que les membres du bureau de vote sont tenus à une obligation de neutralité, ce qui empêche les candidats d'en être membres, tout comme l'employeur. Elles ajoutent que les candidats ne sauraient être à la fois juge et partie du bon déroulement des opérations électorales et que la présence d'un candidat au sein du bureau de vote, est de nature, en-elle-même, à instaurer une apparence de partialité qui compromet la loyauté et la sincérité du scrutin. Elles précisent qu'en l'espèce, en application du règlement, le bureau de vote était composé de Mme [Y] [J], candidate sur la liste CFDT/AASGO, et de M. [M], candidat sur la liste CFE-CGC Orange ; qu'ainsi, le scrutin doit être annulé. Elles répliquent, en réponse aux considérations des appelantes sur l'impossibilité de se prévaloir d'une irrégularité prévue par le protocole d'accord préélectoral en l'absence de réserves émises par le syndicat, qu'en l'espèce, la F3C-CFDT et Mme [Y] [J] invoquent une irrégularité contraire à l'ordre public ou aux principes généraux du droit électoral et qu'il ne peut être opposé à une personne physique, en l'occurrence Mme [Y] [J], son absence de réserve.

La société Orange soutient que le droit électoral n'est pas applicable à la consultation des salariés actionnaires et qu'aucun texte n'interdit à un candidat d'être membre du bureau de vote dès lors que celui-ci a bien la qualité d'électeur, conformément aux dispositions de l'article L. 2314-18 du code du travail et de l'article 1.1 du règlement électoral, ce qui est le cas de Mme [Y] [J] et de M. [M]. Elle ajoute que l'irrégularité de la désignation du bureau ne pourra entraîner l'annulation du scrutin que s'il est démontré qu'elle pouvait en fausser les résultats, qu'en l'espèce, la F3C -CFDT et le syndicat CFE-CGC Orange étaient tous deux représentés dans la composition du bureau de vote, empêchant toute tentative d'influence sur les résultats par l'une ou l'autre de ces organisations et que le vote était réalisé de manière électronique, ce qui limite les effets que pourrait avoir la composition du bureau de vote sur le déroulé des élections, le processus technique étant entièrement automatisé et dématérialisé.

Réponse de la cour

Un bureau de vote a, d'une manière générale, ainsi qu'il résulte par exemple des articles R. 52 et R. 64 du code électoral, pour mission de surveiller le dépouillement du scrutin et de statuer provisoirement sur les difficultés touchant aux opérations électorales.

Pour autant, contrairement à ce que soutiennent la F3C CFDT et Mme [Y] [J], le bureau de vote n'est pas un tribunal impartial au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Aucune disposition du code du travail ou du code électoral, aucun principe général du droit électoral dégagé par la jurisprudence n'interdisent à un candidat de composer le bureau de vote.

Les statuts d'Orange et l'accord de gouvernance précités sont muets sur la composition du bureau de vote.

En revanche, le règlement électoral précité énonce :

" Le choix des membres du bureau de vote constitué d'un Président et de deux assesseurs s'effectue sur les trois candidats titulaires ou remplaçants les plus âgés acceptant de composer le bureau de vote, l'acceptant le plus âgé devenant Président du bureau de vote. A défaut de candidats acceptant de constituer le bureau de vote, celui-ci sera composé par des membres de la Direction. "

De l'annexe 1 au règlement électoral, il résulte que ce bureau de vote est composé avant le premier tour de l'élection et que sa composition n'est pas modifiée entre les deux tours.

Le bureau de vote a en l'occurrence été constitué de Mme [Y] [J], candidate, de M. [M], candidat de l'autre binôme, et de M. [H], membre de la direction du groupe.

Compte tenu des modalités du vote, auquel il a été procédé par voie électronique, la présence de candidats au sein de cette composition, conforme aux prescriptions du règlement électoral adopté par délégation du conseil d'administration de l'entreprise, n'a pu avoir aucune influence sur les résultats du scrutin.

Le moyen d'annulation pris de la présence de Mme [Y]-[J] dans cette composition est donc inopérant, comme l'a retenu le tribunal à juste titre.

- Sur les irrégularités alléguées du procès-verbal

Argumentation des parties

M. [M], Mme [R], le syndicat CFE-CGC Orange et l'ADEAS rappellent que l'absence d'établissement d'un procès-verbal constitue une irrégularité justifiant l'annulation des élections, que le résultat du scrutin doit être publié par affichage dans la salle de vote ou par tout moyen permettant l'accessibilité de ce résultat et que le procès-verbal des opérations électorales doit être établi par l'un des membres du bureau de vote ou par l'un des électeurs présents choisi par lui. Ils soutiennent qu'en l'espèce, le procès-verbal des élections est régulier dès lors qu'il a été dûment rédigé, renseigné et signé par tous les membres du bureau de vote y compris par Mme [Y] [J] ; que cette dernière ne peut pas se prévaloir du fait qu'elle n'aurait pas apposé l'heure de clôture du scrutin sur le procès-verbal, que les opérations électorales litigieuses ont été organisées par voie électronique, qu'aucun formalisme n'était requis ni formulaire Cerfa mis à disposition et que le constat d'huissier établi au sujet des opérations de vote ne devait pas être annexé au procès-verbal de proclamation des résultats.

L'AASGO et M. [Z] répliquent que des réserves ont été émises sur les procès-verbaux de dépouillement du scrutin concernant la violation par le syndicat CFE-CGC Orange des dispositions du règlement électoral et de l'accord sur la gouvernance. Ils précisent que le rapport du cabinet EY démontre, grâce à des témoignages de collaborateurs, que la campagne du syndicat CFE-CGC Orange a été menée au profit de M. [M] et Mme [R] au mépris de l'article 5.3 du règlement électoral, en relançant les électeurs pour qu'ils votent pour leurs candidats selon des modes de communications non autorisés et sans que ces électeurs aient consenti à ce que leurs données à caractère personnel soient utilisées. Ils considèrent que ces agissements caractérisent une rupture d'égalité des chances dans le scrutin ou " d'égalité des armes " justifiant l'annulation du second tour du scrutin dès lors que les autres candidats et leurs soutiens ont respecté les règles électorales.

La F3C-CFDT et Mme [Y] [J] soutiennent que les heures d'ouverture et de clôture du scrutin figurent sur un document annexé au procès-verbal et que l'absence de mention de l'heure de clôture du scrutin au procès-verbal justifie, à elle seule, l'annulation des élections. Elles font valoir qu'en l'espèce, le procès-verbal ne mentionne ni l'heure de clôture ni la date d'ouverture du scrutin, qu'en conséquence, cette irrégularité affecte la sincérité du scrutin et doit entraîner son annulation. Elles ajoutent que le procès-verbal de commissaire de justice produit par la société Orange n'est pas de nature à régulariser le procès-verbal de proclamation des résultats dès lors qu'il n'y a pas été annexé et qu'il ne mentionne pas la date et l'heure d'ouverture du scrutin. Elles répliquent, en réponse aux considérations des appelantes, qu'aucune spécificité tenant au vote électronique ne justifie qu'il soit dérogé aux mentions écrites exigées dans le procès-verbal et que le procès-verbal n'a pas été rédigé par Mme [Y] [J] mais a été automatiquement généré par le logiciel utilisé par la société Orange.

La société Orange soutient que le procès-verbal de consultation est régulier. Elle précise que la mention de l'heure de clôture du scrutin peut être effectuée sur un document annexé au procès-verbal et établi concomitamment, que ce critère de l'annexion n'est pas requis en présence d'un constat d'huissier qui doit seulement être établi immédiatement après la fin de dépouillement, qu'en l'espèce, le constat d'huissier, dressé concomitamment au dépouillement des votes et non contesté, précise bien l'heure de clôture du scrutin.

Réponse de la cour

Au visa de l'article R. 67 du code électoral, la Cour de cassation a jugé que l'absence de procès-verbal des opérations électorales rédigé immédiatement après la fin du dépouillement et signé des membres du bureau est de nature à affecter la sincérité des opérations électorales et justifie à elle seule l'annulation des élections (Soc, 7 décembre 2016, n°15-26.096, publié).

L'article R. 57 du code électoral, selon lequel le procès-verbal dressé par le bureau de vote mentionne les heures d'ouverture et de clôture du scrutin, n'est pas applicable en cas de vote par correspondance (Soc, 15 avril 2015, n°14-60.688) ; en outre, il peut être suppléé aux mentions horaires prévues à ce texte, qui a pour finalité d'assurer la sincérité du scrutin, par le procès-verbal de constat dressé par un huissier (Soc, 28 janvier 2015, n°14-60.413, publié).

Ces principes juridiques peuvent être considérés comme applicables, mutatis mutandis, à l'élection prévue à l'article L. 225-23 du code de commerce.

En l'espèce, l'article 5.4 du règlement électoral prévoit qu'un procès-verbal de proclamation des résultats est signé par le bureau de vote sous contrôle d'huissier.

L'annexe 1 à ce règlement intérieur prévoit que les opérations de votation au titre du second tour ont lieu entre le 5 février 2024 à 09h00 et le 9 février 2024 à 14h00 ; que les résultats en sont arrêtés le 9 février 2024 après 14h00.

Si le procès-verbal dressé par le bureau de vote à l'issue de ces opérations (pièce Orange n°16) ne comporte pas d'heure, il n'est pas contesté qu'il a été dressé au jour prévu à ce calendrier, soit dans l'après-midi du 9 février 2024.

Le constat dressé le jour même par Mme [F], commissaire de justice, comporte la description circonstanciée de l'ensemble des opérations du bureau de vote et des horaires auxquels elles ont été réalisées.

L'absence de mention la date d'ouverture du scrutin et de l'horaire de fin des opérations au procès-verbal dressé par le bureau de vote n'a dans ces conditions pu causer aucune atteinte à la sincérité du scrutin.

Sur les conséquences à tirer des irrégularités constatées

L'élection des salariés actionnaires prévue à l'article L. 225-23 du code de commerce ne fait l'objet d'aucune réglementation à ce code ou au code du travail.

Pour autant, il a été établi que devaient s'y appliquer tous les principes du droit électoral.

Dans la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation relative aux élections au conseil social et économique, corpus juridique le plus pertinent ici compte tenu de la nature de l'élection en cause, les irrégularités commises dans l'organisation et le déroulement du scrutin ne peuvent constituer une cause d'annulation que si elles ont exercé une influence sur le résultat des élections ou si elles sont directement contraires aux principes généraux du droit électoral (Soc, 17 décembre 2014, n°14-12.401, publié ; Soc, 10 mars 2010, n°09-60.236, publié ; Soc, 13 janvier 2010, n°09-60.203, publié ; Soc, 1er juin 2022, n°21-60.076).

L'égalité des candidats aux élections professionnelles est un principe général du droit électoral (Soc., 11 mars 1992, pourvoi numéros 91-60.160, 91-60.161, 91-60.162 et 91-60.163, publié) ; elle implique notamment l'égalité des moyens de propagande employés (Soc., 27 janvier 2021, n° 19-25.227 ; Soc., 27 mai 2020, n° 19-15.105).

En revanche, même lorsque le contenu de la propagande a dépassé les limites admissibles de la polémique électorale, l'élection ne peut être annulée que si son résultat en a été faussé (Soc., 18 février 1988, n° 87-60.027, publié ; Soc., 5 mars 1986, n° 85-60.496, publié).

En l'espèce, la cour a constaté, d'une part, une atteinte sérieuse à l'égalité des moyens de propagande utilisés par les candidats et leurs soutiens durant la campagne, principe général du droit électoral.

La cour a constaté, d'autre part, que la loyauté de la campagne avait été affectée par le dépassement des limites admissibles de la polémique électorale.

Il n'est pas contesté que le nombre des électeurs personnes physiques était de 81 000 environ ; or au premier tour, les résultats agrégés ont montré un écart de 1,40% entre les deux binômes de candidats ; selon un mail interne adressé par la CFE-CGC à ses adhérents le 9 février 2024, cet écart correspond au vote de 300 personnes physiques ; d'où il peut être inféré que l'écart entre les deux binômes constaté à l'issue du second tour, soit 55,07 - 44,93 = 10,14%, correspond au vote de quelque 2 171 personnes physiques, soit 2,68% du corps électoral.

La cour estime que l'écart entre les binômes constaté à l'issue du second tour contesté est ainsi, au regard de l'importance du corps électoral, faible au point que les allégations imputables à la CFE-CGC au cours de la brève campagne ayant précédé le second tour en cause n'ont pu que fausser le scrutin, quand bien même l'audience de cette organisation syndicale aurait doublé au cours des dix dernières années.

La cour retient que, compte tenu de ce faible écart, à supposer que la rupture de l'égalité des moyens de propagande employés ne puisse être considérée comme portant atteinte à un principe fondamental du droit électoral, elle n'a pu, elle aussi, que fausser le scrutin.

Enfin, la cour considère que l'inversion des résultats d'un tour à l'autre, entre le 26 janvier et le 9 février 2024, soit en deux semaines seulement, démontre l'influence qu'ont pu exercer sur les résultats du scrutin l'atteinte à l'égalité des candidats et le dépassement des limites admissibles de la polémique électorale imputables à la CFE-CGC constatés au cours de la campagne ayant précédé le second tour litigieux.

Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a annulé ce scrutin.

3. Sur les demandes accessoires

Compte tenu de l'issue du litige, le jugement doit être confirmé en ce qui concerne les dépens et frais non compris dans les dépens.

L'équité commande de mettre les dépens d'appel à la charge de la seule CFE-CGC et d'allouer à l'organisation syndicale, à l'association et à l'entreprise intimées les indemnités de procédure prévues au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

la cour, statuant contradictoirement,

Dit recevable la demande tendant à voir écarter des débats la pièce produite par la F3C-CFDT et Mme [Y] [J] sous le numéro 14 ;

Admet cette production ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Condamne la CFE-CGC aux dépens d'appel, avec distraction au profit de M. Lenôtre et de M. Chateauneuf, avocats au barreau de Versailles ;

Au titre des frais non compris dans les dépens, condamne la CFE-CGC à payer à la F3C-CFDT la somme de 2 500 euros, à l'AASGO la somme de 2 000 euros, à la société Orange la somme d'un euro.

- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT,