Décisions
Cass. soc., 11 décembre 2024, n° 22-24.004
COUR DE CASSATION
Autre
Rejet
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 décembre 2024
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1266 F-D
Pourvois n°
W 22-24.004
K 23-10.359 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 DÉCEMBRE 2024
I. La Société Ecselis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Novalem, a formé le pourvoi n° W 22-24.004,
II. M. [G] [X], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 23-10.359,
contre le même arrêt rendu le 13 octobre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 5), dans les litiges les opposant.
La demanderesse au pourvoi n° W 22-24.004 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi n° K 23-10.359 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Ecselis, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [X], après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Douxami, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° W 22-24.004 et K 23-10.359 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 octobre 2022), M. [X] a été engagé en qualité de commercial à compter du 15 février 2010 par la société Novalem aux droits de laquelle vient la société Ecselis. En dernier lieu, il occupait les fonctions de directeur général.
3. Après avoir été convoqué le 21 novembre 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement et mis à pied à titre conservatoire, il a saisi, le 30 novembre 2017, la juridiction prud'homale pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
4. Ayant été licencié pour faute grave le 12 décembre 2017, il a ajouté à ses demandes initiales une demande d'annulation de son licenciement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi n° K 23-10.359 du salarié
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui, en sa seconde branche, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation et qui, en sa première branche, est irrecevable.
Sur le premier moyen du pourvoi n° W 22-24.004 de l'employeur
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement sur les condamnations prononcées au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, de prononcer la nullité du licenciement et de la condamner à verser au salarié diverses sommes à titre d'indemnité pour nullité du licenciement, d'indemnité conventionnelle de licenciement, de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et au titre de l'indemnité de congés payés afférente, alors :
« 1°/ que les juges doivent examiner les griefs de licenciement tels qu'ils sont formulés dans la lettre de rupture ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reprochait au directeur général d'avoir procédé à un chantage en ayant prétendu de façon mensongère, au cours de la procédure de licenciement initiée contre lui, être créancier d'importantes commissions pour un montant de plus de 280 000 euros et en menaçant de les réclamer s'il était mis fin à son contrat de travail ; qu'en se bornant à relever que les allégations" de M. [X] sur l'existence de commissions restant dues ne caractérisaient pas un abus de sa liberté d'expression, sans à aucun moment rechercher si les propos du salarié n'étaient pas mensongers, et menaçants, et ne participaient ainsi pas d'une stratégie de chantage , la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail et l'article L. 1235-1 du code du travail, dans leur version applicable au litige ;
2°/ que le fait pour un salarié de mentir, de menacer ou d'exercer un chantage sur son employeur ne participe pas de sa liberté d'expression ; que la cour d'appel a relevé que la lettre de licenciement reprochait au salarié le fait d'avoir lors de [la] convocation à entretien préalable à un éventuel licenciement [ ] déclaré que si nous mettions fin à votre contrat de travail, vous seriez en droit de réclamer vos commissions non versées depuis juin 2015. Vous avez réitéré cette menace dans le mail que vous nous avez adressé le 29 novembre 2017 veille de l'entretien, précisant que le montant dû était de près de 283 000 euros. Par là même vous vous êtes positionné de manière flagrante et incontestable en position de mensonge éhonté et vous avez délibérément choisi d'instaurer avec la société une forme de chantage" ; qu'un tel grief ne caractérise pas une atteinte à la liberté d'expression du salarié : qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et les articles L. 1235-1 et suivants du code du travail ;
3°/ subsidiairement, que l'abus par le salarié de sa liberté d'expression est caractérisé lorsqu'il tient des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs ; que caractérise un tel abus, du fait de leur caractère excessif, les propos consistant pour un salarié à se prétendre créancier d'importantes sommes d'argent de façon mensongère et à menacer l'employeur de les lui réclamer en cas de poursuite de la procédure de licenciement initiée contre lui ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la lettre de licenciement reprochait au salarié le fait d'avoir lors de [la] convocation à entretien préalable à un éventuel licenciement [ ] déclaré que si nous mettions fin à votre contrat de travail, vous seriez en droit de réclamer vos commissions non versées depuis juin 2015. Vous avez réitéré cette menace dans le mail que vous nous avez adressé le 29 novembre 2017 veille de l'entretien, précisant que le montant dû était de près de 283 000 euros. Par là même vous vous êtes positionné de manière flagrante et incontestable en position de mensonge éhonté et vous avez délibérément choisi d'instaurer avec la société une forme de chantage" ; qu'en se bornant à relever que les allégations" du salarié sur l'existence de commissions restant dues ne caractérisaient pas un abus de sa liberté d'expression, sans rechercher si le salarié n'avait pas délibérément menti avec l'intention de menacer son employeur et d'exercer une forme de chantage pour le contraindre à ne pas le licencier, ce qui était de nature à caractériser des propos excessifs et donc un abus dans l'exercice de la liberté d'expression, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1121-1 du code du travail ;
4°/ qu'une atteinte à la liberté d'expression du salarié, consistant pour l'employeur à lui reprocher des propos qu'il a tenus pour justifier un licenciement, n'entraine pas nécessairement la nullité de ce licenciement, le juge devant apprécier si l'atteinte portée à la liberté du salarié est suffisamment grave, au regard notamment des autres causes de licenciement avancées par l'employeur, pour affecter la validité du licenciement dans son ensemble ; qu'en affirmant en l'espèce que l'atteinte à la liberté d'expression retenue suffit à entacher le licenciement de nullité sans qu'il soit nécessaire d'apprécier le bien-fondé des autres griefs formulés par l'employeur", la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 et les articles L. 1235-1 et suivants du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression.
8. Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice, par le salarié, de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.
9. La cour d'appel a d'abord relevé que le grief reproché au salarié dans la lettre de licenciement était le suivant : « mensonges sur votre situation contractuelle : il s'ajoute encore que lors de votre convocation à entretien préalable à un éventuel licenciement [...] vous nous avez déclaré que si nous mettions fin à votre contrat de travail, vous seriez en droit de réclamer vos commissions non versées depuis juin 2015. Vous avez réitéré cette menace dans le mail que vous nous avez adressé le 29 novembre 2017, veille de l'entretien, précisant que le montant dû était de près de 283 000 euros. Par là même vous vous êtes positionné de manière flagrante et incontestable en position de mensonge éhonté et vous avez délibérément choisi d'instaurer avec la société une forme de chantage ».
10. Elle a ensuite retenu que les allégations du salarié sur l'existence de commissions qui lui seraient dues n'étaient ni injurieuses ni diffamatoires ni excessives et ne suffisaient pas à caractériser un abus de sa liberté d'expression, peu important qu'il n'en ait finalement pas sollicité le paiement devant la cour.
11. Elle en a exactement déduit, sans avoir à examiner les autres griefs invoqués dans la lettre de licenciement dès lors qu'il était notamment reproché au salarié cet exercice non abusif de sa liberté d'expression, que le licenciement était nul.
12. Le moyen n'est donc pas fondé
Sur le second moyen du pourvoi n° W 22-24.004 de l'employeur
Enoncé du moyen
13. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à verser au salarié une certaine somme à titre d'indemnité pour nullité du licenciement, alors « qu'en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l'un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d'examiner l'ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l'évaluation qu'il fait de l'indemnité à allouer au salarié ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré le licenciement nul puis a fixé l'indemnité pour licenciement nul sans examiner tous les griefs de licenciement, ce alors même que l'employeur lui demandait subsidiairement de réduire la demande de dommages-intérêts pour licenciement nul à la somme de 60 000 euros" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu son office et violé l'article L. 1235-2-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
14. Aux termes de l'article L. 1235-2-1 du code du travail, en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l'un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d'examiner l'ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l'évaluation qu'il fait de l'indemnité à allouer au salarié, sans préjudice des dispositions de l'article L. 1235-3-1.
15. Ces dispositions offrent ainsi à l'employeur un moyen de défense au fond sur le montant de l'indemnité à laquelle il peut être condamné, devant être soumis au débat contradictoire.
16. Il en résulte que, lorsque l'employeur le lui demande, le juge examine si les autres motifs invoqués sont fondés et peut, le cas échéant, en tenir compte pour fixer le montant de l'indemnité versée au salarié qui n'est pas réintégré, dans le respect du plancher de six mois prévu par l'article L. 1235-3-1.
17. Après avoir retenu que l'un des griefs invoqués par l'employeur portait atteinte à la liberté d'expression du salarié et alors que l'employeur n'avait pas demandé au juge, à titre subsidiaire, d'examiner si les autres griefs invoqués étaient fondés pour réduire le montant de l'indemnité, la cour d'appel a apprécié souverainement le montant du préjudice.
18. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen du pourvoi n° K 23-10.359 du salarié
Enoncé du moyen
19. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à voir ordonner sa réintégration et au paiement des sommes dues entre le 12 décembre 2017 et le jour de sa réintégration, alors « que le salarié dont licenciement est nul a droit à réintégration dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent à moins qu'il soit justifié que cette réintégration est matériellement impossible ; que lorsque l'entreprise au sein de laquelle était employé le salarié a fait l'objet d'une cession postérieurement à son licenciement, le droit à réintégration du salarié s'exerce auprès de l'entreprise cessionnaire qui ne peut s'y opposer qu'à la condition de justifier de l'impossibilité matérielle dans laquelle elle se trouve de procéder à cette réintégration ; que la cour d'appel a constaté que la société Ecselis venait aux droits de la société Novalem ; qu'en retenant, pour dire impossible la réintégration du salarié, que la société Novalem n'existait plus et avait été radiée du registre du commerce quand seule l'impossibilité matérielle de réintégrer le salarié au sein de la société Ecselis pouvait caractériser une impossibilité justifiant le rejet de sa demande de réintégration, la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier sa décision et violé les articles L. 1121-1, L. 1224-1 et L. 1235-3-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
20. Il résulte des articles L. 1235-3 du code du travail et 1227 à 1229 du code civil que lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d'une même instance, le juge, qui constate la nullité du licenciement, ne peut faire droit à la demande de réintégration.
21. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, l'arrêt qui a relevé que le salarié demandait la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d'une même instance et constaté que le licenciement était nul, se trouve légalement justifié en ce qu'il déboute le salarié de sa demande de réintégration.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille vingt-quatre.
CH9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 décembre 2024
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1266 F-D
Pourvois n°
W 22-24.004
K 23-10.359 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 DÉCEMBRE 2024
I. La Société Ecselis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Novalem, a formé le pourvoi n° W 22-24.004,
II. M. [G] [X], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 23-10.359,
contre le même arrêt rendu le 13 octobre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 5), dans les litiges les opposant.
La demanderesse au pourvoi n° W 22-24.004 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi n° K 23-10.359 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Ecselis, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [X], après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Douxami, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° W 22-24.004 et K 23-10.359 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 octobre 2022), M. [X] a été engagé en qualité de commercial à compter du 15 février 2010 par la société Novalem aux droits de laquelle vient la société Ecselis. En dernier lieu, il occupait les fonctions de directeur général.
3. Après avoir été convoqué le 21 novembre 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement et mis à pied à titre conservatoire, il a saisi, le 30 novembre 2017, la juridiction prud'homale pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
4. Ayant été licencié pour faute grave le 12 décembre 2017, il a ajouté à ses demandes initiales une demande d'annulation de son licenciement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi n° K 23-10.359 du salarié
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui, en sa seconde branche, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation et qui, en sa première branche, est irrecevable.
Sur le premier moyen du pourvoi n° W 22-24.004 de l'employeur
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement sur les condamnations prononcées au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, de prononcer la nullité du licenciement et de la condamner à verser au salarié diverses sommes à titre d'indemnité pour nullité du licenciement, d'indemnité conventionnelle de licenciement, de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et au titre de l'indemnité de congés payés afférente, alors :
« 1°/ que les juges doivent examiner les griefs de licenciement tels qu'ils sont formulés dans la lettre de rupture ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reprochait au directeur général d'avoir procédé à un chantage en ayant prétendu de façon mensongère, au cours de la procédure de licenciement initiée contre lui, être créancier d'importantes commissions pour un montant de plus de 280 000 euros et en menaçant de les réclamer s'il était mis fin à son contrat de travail ; qu'en se bornant à relever que les allégations" de M. [X] sur l'existence de commissions restant dues ne caractérisaient pas un abus de sa liberté d'expression, sans à aucun moment rechercher si les propos du salarié n'étaient pas mensongers, et menaçants, et ne participaient ainsi pas d'une stratégie de chantage , la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail et l'article L. 1235-1 du code du travail, dans leur version applicable au litige ;
2°/ que le fait pour un salarié de mentir, de menacer ou d'exercer un chantage sur son employeur ne participe pas de sa liberté d'expression ; que la cour d'appel a relevé que la lettre de licenciement reprochait au salarié le fait d'avoir lors de [la] convocation à entretien préalable à un éventuel licenciement [ ] déclaré que si nous mettions fin à votre contrat de travail, vous seriez en droit de réclamer vos commissions non versées depuis juin 2015. Vous avez réitéré cette menace dans le mail que vous nous avez adressé le 29 novembre 2017 veille de l'entretien, précisant que le montant dû était de près de 283 000 euros. Par là même vous vous êtes positionné de manière flagrante et incontestable en position de mensonge éhonté et vous avez délibérément choisi d'instaurer avec la société une forme de chantage" ; qu'un tel grief ne caractérise pas une atteinte à la liberté d'expression du salarié : qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et les articles L. 1235-1 et suivants du code du travail ;
3°/ subsidiairement, que l'abus par le salarié de sa liberté d'expression est caractérisé lorsqu'il tient des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs ; que caractérise un tel abus, du fait de leur caractère excessif, les propos consistant pour un salarié à se prétendre créancier d'importantes sommes d'argent de façon mensongère et à menacer l'employeur de les lui réclamer en cas de poursuite de la procédure de licenciement initiée contre lui ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la lettre de licenciement reprochait au salarié le fait d'avoir lors de [la] convocation à entretien préalable à un éventuel licenciement [ ] déclaré que si nous mettions fin à votre contrat de travail, vous seriez en droit de réclamer vos commissions non versées depuis juin 2015. Vous avez réitéré cette menace dans le mail que vous nous avez adressé le 29 novembre 2017 veille de l'entretien, précisant que le montant dû était de près de 283 000 euros. Par là même vous vous êtes positionné de manière flagrante et incontestable en position de mensonge éhonté et vous avez délibérément choisi d'instaurer avec la société une forme de chantage" ; qu'en se bornant à relever que les allégations" du salarié sur l'existence de commissions restant dues ne caractérisaient pas un abus de sa liberté d'expression, sans rechercher si le salarié n'avait pas délibérément menti avec l'intention de menacer son employeur et d'exercer une forme de chantage pour le contraindre à ne pas le licencier, ce qui était de nature à caractériser des propos excessifs et donc un abus dans l'exercice de la liberté d'expression, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1121-1 du code du travail ;
4°/ qu'une atteinte à la liberté d'expression du salarié, consistant pour l'employeur à lui reprocher des propos qu'il a tenus pour justifier un licenciement, n'entraine pas nécessairement la nullité de ce licenciement, le juge devant apprécier si l'atteinte portée à la liberté du salarié est suffisamment grave, au regard notamment des autres causes de licenciement avancées par l'employeur, pour affecter la validité du licenciement dans son ensemble ; qu'en affirmant en l'espèce que l'atteinte à la liberté d'expression retenue suffit à entacher le licenciement de nullité sans qu'il soit nécessaire d'apprécier le bien-fondé des autres griefs formulés par l'employeur", la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 et les articles L. 1235-1 et suivants du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression.
8. Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice, par le salarié, de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.
9. La cour d'appel a d'abord relevé que le grief reproché au salarié dans la lettre de licenciement était le suivant : « mensonges sur votre situation contractuelle : il s'ajoute encore que lors de votre convocation à entretien préalable à un éventuel licenciement [...] vous nous avez déclaré que si nous mettions fin à votre contrat de travail, vous seriez en droit de réclamer vos commissions non versées depuis juin 2015. Vous avez réitéré cette menace dans le mail que vous nous avez adressé le 29 novembre 2017, veille de l'entretien, précisant que le montant dû était de près de 283 000 euros. Par là même vous vous êtes positionné de manière flagrante et incontestable en position de mensonge éhonté et vous avez délibérément choisi d'instaurer avec la société une forme de chantage ».
10. Elle a ensuite retenu que les allégations du salarié sur l'existence de commissions qui lui seraient dues n'étaient ni injurieuses ni diffamatoires ni excessives et ne suffisaient pas à caractériser un abus de sa liberté d'expression, peu important qu'il n'en ait finalement pas sollicité le paiement devant la cour.
11. Elle en a exactement déduit, sans avoir à examiner les autres griefs invoqués dans la lettre de licenciement dès lors qu'il était notamment reproché au salarié cet exercice non abusif de sa liberté d'expression, que le licenciement était nul.
12. Le moyen n'est donc pas fondé
Sur le second moyen du pourvoi n° W 22-24.004 de l'employeur
Enoncé du moyen
13. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à verser au salarié une certaine somme à titre d'indemnité pour nullité du licenciement, alors « qu'en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l'un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d'examiner l'ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l'évaluation qu'il fait de l'indemnité à allouer au salarié ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré le licenciement nul puis a fixé l'indemnité pour licenciement nul sans examiner tous les griefs de licenciement, ce alors même que l'employeur lui demandait subsidiairement de réduire la demande de dommages-intérêts pour licenciement nul à la somme de 60 000 euros" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu son office et violé l'article L. 1235-2-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
14. Aux termes de l'article L. 1235-2-1 du code du travail, en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l'un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d'examiner l'ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l'évaluation qu'il fait de l'indemnité à allouer au salarié, sans préjudice des dispositions de l'article L. 1235-3-1.
15. Ces dispositions offrent ainsi à l'employeur un moyen de défense au fond sur le montant de l'indemnité à laquelle il peut être condamné, devant être soumis au débat contradictoire.
16. Il en résulte que, lorsque l'employeur le lui demande, le juge examine si les autres motifs invoqués sont fondés et peut, le cas échéant, en tenir compte pour fixer le montant de l'indemnité versée au salarié qui n'est pas réintégré, dans le respect du plancher de six mois prévu par l'article L. 1235-3-1.
17. Après avoir retenu que l'un des griefs invoqués par l'employeur portait atteinte à la liberté d'expression du salarié et alors que l'employeur n'avait pas demandé au juge, à titre subsidiaire, d'examiner si les autres griefs invoqués étaient fondés pour réduire le montant de l'indemnité, la cour d'appel a apprécié souverainement le montant du préjudice.
18. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen du pourvoi n° K 23-10.359 du salarié
Enoncé du moyen
19. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à voir ordonner sa réintégration et au paiement des sommes dues entre le 12 décembre 2017 et le jour de sa réintégration, alors « que le salarié dont licenciement est nul a droit à réintégration dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent à moins qu'il soit justifié que cette réintégration est matériellement impossible ; que lorsque l'entreprise au sein de laquelle était employé le salarié a fait l'objet d'une cession postérieurement à son licenciement, le droit à réintégration du salarié s'exerce auprès de l'entreprise cessionnaire qui ne peut s'y opposer qu'à la condition de justifier de l'impossibilité matérielle dans laquelle elle se trouve de procéder à cette réintégration ; que la cour d'appel a constaté que la société Ecselis venait aux droits de la société Novalem ; qu'en retenant, pour dire impossible la réintégration du salarié, que la société Novalem n'existait plus et avait été radiée du registre du commerce quand seule l'impossibilité matérielle de réintégrer le salarié au sein de la société Ecselis pouvait caractériser une impossibilité justifiant le rejet de sa demande de réintégration, la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier sa décision et violé les articles L. 1121-1, L. 1224-1 et L. 1235-3-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
20. Il résulte des articles L. 1235-3 du code du travail et 1227 à 1229 du code civil que lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d'une même instance, le juge, qui constate la nullité du licenciement, ne peut faire droit à la demande de réintégration.
21. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, l'arrêt qui a relevé que le salarié demandait la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d'une même instance et constaté que le licenciement était nul, se trouve légalement justifié en ce qu'il déboute le salarié de sa demande de réintégration.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille vingt-quatre.