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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 10 décembre 2024, n° 23/02660

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Sodise (SAS)

Défendeur :

4b distrib (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseillers :

Mme Clément, Mme Ramin

Avocats :

Me Le Jeune, Me Vivier, Me Chauvet, Me Gicquelay, Me de Penfentenyo

T. com. Quimper, du 24 mars 2023, n° 202…

24 mars 2023

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société Sodise demande à la cour de :

- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Quimper le 24 mars 2023, en ce qu'il a débouté la société Sodise en toutes ses demandes, fins et conclusions et l'a condamnée à payer à la société 4B Distrib la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Quimper le 24 mars 2023, en ce qu'il a débouté la société 4B Distrib de sa demande d'indemnisation à hauteur de 15 000 euros,

- statuant à nouveau :

- à titre principal :

- prononcer la nullité du contrat de vente conclu entre la société Sodise et la société 4B Distrib pour erreur sur les qualités substantielles de la chose, dès lors que la société Sodise a légitimement pu croire que les lingettes distribuées parla société 4B Distrib étaient des produits biocides, alors qu'il s'agit de simples produits cosmétiques, étant rappelé qu'en période de pandémie, le caractère désinfectant des lingettes était une propriété essentielle pour l'acheteur,

En conséquence :

- condamner la société 4B Distrib à lui rembourser la somme de 76.705,54 euros TTC, correspondant au prix des marchandises non-conformes en stock dans les locaux de la société Sodise, avec intérêts au taux légal à compter du 15 octobre 2020, date de la première mise en demeure,

- condamner la société 4B Distrib à récupérer la marchandise litigieuse dans les locaux de la société Sodise, à ses frais, dans un délai de 10 jours à compter de la décision à intervenir, faute de quoi la société Sodise sera autorisée à la détruire,

- à titre subsidiaire :

- prononcer la résolution du contrat de vente conclu entre la société Sodise et la société 4B Distrib aux torts exclusifs du vendeur pour manquement à ses obligations contractuelles, dès lors qu'il avait annoncé avant la vente, que les lingettes avaient des propriétés antibactériennes, désinfectantes, et même « virucides », ce qui n'est en réalité pas le cas, comme il le reconnaît désormais,

En conséquence :

- condamner la société 4B Distrib à la rembourser de la somme de 76 705,54 euros TTC, correspondant au prix des marchandises non-conformes en stock dans les locaux de la société Sodise, avec intérêts au taux légal à compter du 15 octobre 2020, date de la première mise en demeure,

- condamner la SAS 4B Distrib à récupérer la marchandise litigieuse dans les locaux de la société Sodise, à ses frais, dans un délai de 10 jours à compter de la décision à intervenir, faute de quoi la société Sodise sera autorisée à la détruire,

- en tout état de cause :

- condamner la société 4B Distrib à lui payer la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens.

La société 4B Distrib demande à la cour de :

- déclarer irrecevable la demande nouvelle en cause d'appel de la société Sodise tendant à voir prononcer la nullité du contrat pour erreurs sur les qualités substantielles de la chose,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu`il a débouté la société Sodise de l'ensemble de ses moyens, fins et prétentions,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société 4B Distrib de sa demande de dommages et intérêts du fait du comportement de la société Sodise,

- confirmer le jugement entrepris pour le surplus et, y ajoutant, condamner la société Sodise à verser a la société 4B Distrib la somme de 6 000 euros au titre l'article 700,

Statuant de nouveau :

- condamner la société Sodise à verser a la société 4B Distrib la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts au regard du préjudice subi par le comportement de l'appelante ;

- confirmer le jugement entrepris pour le surplus et, y ajoutant, condamner la société Sodise à verser à la société 4B Distrib la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700du code de procédure civile,

- condamner la société Sodise aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.

DISCUSSION

Sur les fins de non recevoir

La société 4B Distrib fait valoir l'irrecevabilité de la demande d'annulation du contrat de vente au motif qu'il s'agit d'une demande nouvelle en appel et par application du principe de l'estoppel.

L'article 564 du code de procédure civile dispose :

« A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. »

L'article 565 du même code précise :

« Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. »

La demande d'annulation qui, tout comme la demande de résolution, tend à l'anéantissement du contrat n'est pas une prétention nouvelle.

La fin de non recevoir au titre de l'estoppel sanctionne l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.

Elle ne peut s'appliquer au seul changement de prétentions qui tendent aux mêmes fins entre la première instance et l'instance d'appel. Ainsi, le fait que la société Sodise ait fait valoir un défaut d'exécution du contrat ne l'empêche pas de soutenir, désormais, le défaut de formation du contrat.

Les fins de non-recevoir sont rejetées.

Sur la demande d'annulation du contrat

En substance, la société Sodise soutient avoir commis une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue provoquée par la publicité trompeuse et la pratique commerciale trompeuse de la société 4B Distrib. Elle fait valoir que son erreur n'est pas inexcusable comme ayant été accréditée par des informations erronées transmises par un professionnel doté de compétences particulières quant aux biens acquis.

La société 4B Distrib soutient essentiellement que le caractère biocide des lingettes n'est pas entré dans le champ contractuel, que seul le caractère antibactérien attesté a été stipulé. Elle ajoute que ces lingettes sont conformes aux réglementations en vigueur et commercialisées, et qu'elles ne peuvent être constitutives d'une pratique commerciale trompeuse. Elle souligne que la société Sodise a, en outre, admis avoir vendu une partie des lingettes litigieuses sous des caractéristiques qu'elle estime pourtant inexactes. Elle fait valoir que la société Sodise exerce une activité concurrente à la sienne et a tenté de la déstabiliser.

Selon l'article 1132 du code civil :

« l'erreur de droit ou de fait, à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

L'article 1133 du même code précise :

« les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté. (...) »

Au préalable, il convient de souligner, au vu de l'ensemble des documents versés par les parties, qu'un produit biocide correspond à toute substance ou tout mélange constitué d'une ou plusieurs substances actives destiné à détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organisme nuisibles, à en prévenir l'action ou à les combattre de toute autre manière par une action autre qu'une simple action physique ou mécanique. Un produit biocide a ainsi pour objet de combattre les bactéries et/ou les virus et/ou les champignons.

Entre dans cette catégorie les lingettes dites désinfectantes.

Les produits biocides sont couverts par le règlement (UE) n°528/2012, à la différence des simples produits cosmétiques, et nécessitent, pour leur distribution, une autorisation de mise sur le marché.

Il est constant que la société 4B Distrib a adressé une plaquette commerciale concernant les lingettes de référence 800M017 et 800M018 à ses clients. L'un d'entre eux a transmis ladite plaquette à la société Sodise.

Cette plaquette commerciale, visant les lingettes, mentionne les éléments de publicité suivant :

« Stop coronavirus »

« matériels de désinfection »

« ' lingettes anti-bactériennes mains et surfaces »

« lingettes humides antibactériennes désinfectante virucide TM « Smile » contiennent du D-panthénol »

Après négociation par courriel et réception de la Fiche de données de sécurité en anglais, la société Sodise a procédé à deux commandes les 26 et 27 mai 2020.

La Fiche de données de sécurité ou « Material safety data sheet » (FDS ou MSDS), est intitulée « product name : smile antibacterial wet wipes with D-pantenal ». Il est précisé « MSDS approval date 24.04.2019 », « product use : hygienic skin care », et la composition du produit.

Hormis l'indication du nom du produit qui fait référence à une action antibactérienne, aucune information technique n'y est donnée quant aux caractéristiques précises antibactérienne et/ou virucide du produit.

Selon la mention portée sur les bons de commande, la société Sodise a commandé des lingettes « désinfectantes » sous la référence 800M017 et 800M018.

Après réception et paiement de la marchandise, la société Sodise a sollicité divers documents et notamment la preuve de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) s'agissant de lingettes présentées comme biocides, soulignant que la Fiche de données de sécurité était rédigée en anglais et ne comportait pas les éléments liés à la réglementation sur les biocides.

Par courrier du 5 juin 2020, la société 4B Distrib a admis que parmi les documents en leur possession, la présentation faite par le « laboratoire » (a priori le fabricant des lingettes), figure la mention H1N1. Ce document versé en procédure mentionne bien « bacteria, fungi, virus H1N1 ».

Les 5 et 9 juin 2020, la société Sodise a réitéré ses demandes d'informations complémentaires.

Le 11 juin 2020, la société 4B Distrib a transmis à la société Sodise une copie de courriel du fabriquant lequel indique, de manière contradictoire : « notez (...) que nos lingettes ne sont pas biocides. Nous utilisons du Benzalconium Chloride. Et la lingette que nous produisons est un antibactérien ».

Il est relevé que dans la FDS, le taux de Benzalconium Chloride n'est que de 0,08 %.

Le même jour, la société Sodise a rappelé à son cocontractant que le produit est pourtant présenté comme biocide par le fabriquant, sans preuve d'autorisation de mise sur le marché, et qu'elle ne peut dès lors le distribuer en France.

La Direction départementale de la protection des populations de Seine et Marne sollicitée par la société 4B Distrib pour savoir si les lingettes pouvaient être revendues, a procédé à un contrôle le 27 juillet 2020 sans que le résultat technique ne soit connu. Elle a simplement mentionné « pas de demande de

rapatriement, pas de demande de remboursement, pas d'indication de responsabilité ». Ce document évasif et non signé ne saurait faire la preuve de la caractéristique biocide ou non des lingettes, ou de la possibilité de leur revente.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Sodise a entendu acheter des lingettes biocides, ayant en particulier un effet sur la Covid-19, conformément à la plaquette commerciale et à ses bons de commande mentionnant des lingettes désinfectantes, et non de simples lingettes lavantes cosmétiques.

Avant la concrétisation de la vente, les factures pro-forma qui lui ont été adressées portaient, certes, seulement mention de lingettes antibactériennes, mais il ressort des échanges entre les parties que la société 4B Distrib assurait elle-même vendre des lingettes biocides avec les deux effets antibactérien et virucide, se référant en cela à la plaquette du fabricant, sans s'en être assurée préalablement.

S'il est établi que le produit n'a aucune propriété virucide, ses propriétés antibactériennes ne sont pas plus démontrées par la société 4B District. En effet, le rapport du laboratoire Ekolabos qu'elle verse porte sur un produit appelé Smile/ GoWipes antibacterial wet wipes D-Pantenol et non simplement Smile antibacterial wet wipes with D-pantenal, et vise des lots datés du 26 février 2020, ce qui ne correspond pas aux lots retrouvés par le commissaire de justice le 13 juillet 2020 à la société Sodise, lots des 27 avril 2020 et 7 mai 2020.

La précipitation manifeste en période de pandémie a conduit tant le vendeur que l'acheteur à manquer de vigilance.

Ainsi, sans qu'il soit besoin de rechercher l'existence d'une pratique commerciale trompeuse, l'erreur commise sur les qualités substantielles du produit entrées dans le champ contractuel a manifestement été partagée par l'acheteur et le vendeur professionnels, de sorte qu'il ne peut être considéré que l'erreur du premier serait inexcusable.

Il convient d'infirmer le jugement et de prononcer la nullité de la vente.

Les parties doivent être remises dans l'état antérieur à la vente. Cependant, la société Sodise justifie avoir vendu une partie du stock avant le présent litige. Il convient en conséquence de condamner la société 4B Distrib à restituer la somme de 76 705,54 euros TTC correspondant au prix, dont le calcul n'est pas, en lui-même, discuté, du stock restant, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2020, date de la demande en justice équivalente à la sommation de payer.

La société 4B Distrib devra récupérer la marchandise dans un délai de trente jours à compter de la signification de l'arrêt, à ses frais, auprès de la société Sodise laquelle devra tenir le stock à disposition. A défaut de récupération de la marchandise dans les délais, la société Sodise pourra en faire son affaire.

Sur la demande de dommages et intérêts de la société 4B Distrib

La société 4B Distrib sollicite l'indemnisation d'un préjudice résultant de la

stratégie adoptée par la société Sodise pour la déstabiliser en commandant en urgence l'intégralité de son stock.

La faute alléguée n'est caractérisée par aucun élément sérieux. Il est en outre relevé que la société 4B Distrib a elle-même exercé une forme de pression sur la société Sodise pour qu'elle contracte le plus rapidement possible en l'informant le 26 mai à 7H35 que son service commercial avait déjà vendu 300 cartons de 36 lingettes en à peine deux heures et qu'elle subissait une « forte demande de toute part ».

La société 4B Distrib sollicite également l'indemnisation d'un préjudice résultant de l'action abusive en justice de la société Sodise.

Aucun abus dans le droit de faire valoir ses droits en justice n'a été relevé de la part de la société Sodise, à laquelle il a, au demeurant, été donné raison.

Il convient de confirmer le jugement.

Frais et dépens

Il convient de condamner la société 4B Distrib aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de ne pas faire droit aux demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Rejette les fins de non recevoir,

Infirme le jugement en ce qu'il a :

- débouté la société Sodise en toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société Sodise aux entiers dépens,

Confirme le jugement pour le surplus des dispositions soumises à la cour et y ajoutant :

Prononce la nullité du contrat de vente passé entre la société 4B Distrib et la société Sodise selon bons de commande des 26 et 27 mai 2020,

Condamne la société 4B Distrib à restituer la somme de 76 705,54 euros TTC à la société Sodise, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2020,

Dit que la société 4B Distrib devra récupérer la marchandise dans un délai de trente jours à compter de la signification de l'arrêt, à ses frais, auprès de la société Sodise laquelle devra tenir le stock à disposition,

Dit qu'à défaut de récupération de la marchandise par la société 4B Distrib dans ce délai, la société Sodise pourra en faire son affaire,

Rejette toute autre demande des parties,

Condamne la société 4B Distrib aux dépens de première instance et d'appel.