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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 10 décembre 2024, n° 21/05807

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 21/05807

10 décembre 2024

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 36C

Chambre commerciale 3-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 10 DECEMBRE 2024

N° RG 21/05807 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UXYO

AFFAIRE :

[I] [A]

C/

S.A.S. [11]

S.E.L.A.R.L. [12]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Septembre 2021 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE

N° Chambre : 2

N° RG : 2019F00418

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Martine DUPUIS

Me Oriane DONTOT

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX DECEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANT

Monsieur [I] [A]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 2167102

Représentant : Me Anne-carine ROPARS-FURET de la SELEURL ANNE-CARINE ROPARS-FURET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R 052

****************

INTIME

S.A.S. [11]

N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 4] RCS PONTOISE

Ayant son siège

[Adresse 3]

[Localité 7]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 N° du dossier 20210838

Représentant : Me Denis AGRANIER de la SELARL P D G B, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : U0001 -

****************

PARTIE INTERVENANTE

S.E.L.A.R.L. [12] prise en la personne de Maître [N] [X], agissant ès-qualités de mandataire judiciaire de la SAS [11].

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20210838

Représentant : Me Denis AGRANIER de la SELARL P D G B, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : U0001

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 25 Juin 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Ronan GUERLOT, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,

Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,

Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,

EXPOSE DU LITIGE

La SAS [11] a été constituée le 22 janvier 2010. M. [J] en était le président et détenait 20 % des actions ; M. [I] [A], le directeur général, détenait 5% des actions ; et la société [13], représentée par M. [R] [D], en détenait 75 %.

Le 1er mars 2010, M. [A] a remplacé M. [J], démissionnaire, aux fonctions de président. Le 1er septembre 2011, M. [A] a lui-même démissionné de cette fonction, au profit de M. [J].

Par contrat de travail à durée indéterminée du 28 septembre 2011, M. [A] a été engagé par la société [11] en qualité de directeur administratif et financier. Le 30 septembre 2011 il a de nouveau été nommé directeur général.

Le 22 août 2017 M. [J] a démissionné de son mandat social et a été licencié pour faute lourde le 6 septembre 2017.

Le 5 mars 2018, la société [9] a été nommée présidente de la société [11].

Le 18 octobre 2018, M. [A] a été convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 26 octobre 2018. Le 9 novembre 2018, la société [11] lui a notifié son licenciement pour faute grave et pour insuffisance professionnelle. Par requête reçue au greffe le 8 avril 2019, M. [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise, qui par jugement du 21 avril 2021, a débouté M. [A] de sa contestation de licenciement. Par un arrêt du 20 avril 2023, la Cour d'appel de Versailles a confirmé le jugement.

Le 25 janvier 2019, le mandat de directeur général de M. [A] a été révoqué.

Le 6 mai 2019, M. [I] [A] a assigné la société [11] devant le tribunal de commerce de Pontoise lequel par jugement contradictoire du 10 septembre 2021, a :

- déclaré M. [A] mal fondé en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, l'en a débouté ;

- condamné M. [A] à payer à la société [11] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- déclaré M. [A] mal fondé en sa demande en paiement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'en a débouté ;

- condamné M. [A] aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 22 septembre 2021, M. [A] a interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs de disposition.

Par acte du 29 septembre 2021, la société [11] a constitué avocat.

Par dernières conclusions du 30 mai 2024, M. [A] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- rejeter toutes autres demandes formées par la société [11] ;

Et, statuant à nouveau,

- juger la révocation de M. [I] [A], en sa qualité de Directeur Général, irrégulière, abusive et vexatoire ;

- constater l'absence de motifs permettant de réunir les éléments constitutifs d'une faute grave ;

En conséquence,

- juger que l'article 4.5 du pacte d'actionnaires prévoyant une dévalorisation des titres de l'associé, en l'absence de l'existence d'une faute grave, est inapplicable à M. [A] ;

- fixer au passif de la société [11] la somme de 4 800 euros en réparation du préjudice lié à sa perte de rémunération ;

- fixer au passif de la société [11] la somme de 100 000 euros au titre du paiement de son indemnité de révocation ;

- fixer au passif de la société [11] la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de sa révocation abusive ;

- fixer au passif de la société [11] la somme 35 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société [11] aux entiers dépens ;

- juger qu'il ne pourra être tenu à aucune somme au titre des dépens et frais irrépétibles aussi bien de première instance qu'en cause d'appel.

Par dernières conclusions d'intervention volontaire du 28 février 2024, la société [12], agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société [11], demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- débouter M. [A] de toutes ses demandes ;

- très subsidiairement, si par impossible la Cour estimait faire droit, en son principe, à la demande d'indemnité de révocation formulée par M. [A] à hauteur de 100 000 euros, vu l'article 2231-5 du code civil, réduire cette indemnité à un euro symbolique ;

- condamner M. [A] à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel ;

- condamner M. [A] aux entiers dépens, dont distraction au profit de maître Dontot, JRF & Associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 13 juin 2024.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

1- Sur les circonstances de la révocation du mandat social de M. [A]

M. [A] soutient que la révocation de son mandat social de directeur général de la société [11] a été abusive.

Il prétend d'abord qu'elle a été préméditée.

Il ajoute ensuite que le caractère abusif de sa révocation résulte d'une violation du principe du contradictoire en ce qu'il n'a pu prendre connaissance de l'existence de l'assemblée générale que cinq jours avant sa tenue et que le rapport du président contenant les griefs qui lui étaient opposés ne lui a été communiqué que 48h avant l'assemblée générale. Il ajoute qu'un débat contradictoire n'a pas pu être instauré lors de l'assemblée générale qui n'a duré que 20 minutes. Il en conclut qu'il n'a pas été mis en mesure de présenter ses observations.

Il fait encore valoir que les conditions de sa révocation ont été humiliantes et vexatoires.

Les intimés répondent que les directeurs généraux sont révocables à tout moment par les associés sans justification de sorte que la cour n'a pas à apprécier la légitimité de la révocation ou si elle résulte d'un juste motif.

S'agissant des circonstances de la révocation, ils considèrent que le caractère prémédité d'une révocation n'est ni anormal, ni vexatoire. Ils expliquent qu'il est normal qu'une révocation fasse l'objet de discussions préalables entre le président et les actionnaires.

Ils exposent que le projet de lettre de démission de la filiale de la société [11] déposé sur le bureau de M. [A] ne constitue en rien en une man'uvre vexatoire à son encontre et que la lettre n'était pas exposée à la vue des salariés.

Ils expliquent que les embauches en qualité de directrice générale adjointe de Mme [E] et de Mme [K] en qualité de directrice des affaires réglementaires ne peuvent non plus être regardées comme des mesures vexatoires, soulignant que l'embauche de cette dernière est intervenue à la suite de la révocation de M. [A] et était indispensable compte tenu des menaces pesant sur l'entreprise de suspension du marquage CE sur toutes les gammes d'implants mamaires représentant historiquement 75% de ses ventes.

Contestant la violation du principe du contradictoire lors de la procédure de révocation, ils font valoir que l'appelant n'est allé chercher la lettre AR de convocation que cinq jours avant la tenue de l'assemblée générale alors que le courrier l'attendait à la poste depuis le 11 janvier 2019 et soulignent que les statuts ne prévoient pas l'envoi avec la convocation du rapport du président mais une mise à disposition au siège de la société.

Ils estiment que le principe du contradictoire n'a pas été méconnu, une durée de vingt minutes pour une assemblée générale ne comportant qu'une seule résolution étant suffisante et ajoutent que M. [A] a pu faire des observations.

Réponse de la cour

L'article L. 227-1 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose que " dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières prévues par le présent chapitre, les règles concernant les sociétés anonymes, à l'exception de l'article L. 224-2, du second alinéa de l'article L. 225-14, des articles L. 225-17 à L. 225-102-2, L. 225-103 à L. 225-126, L. 225-243, du I de l'article L. 233-8 et de l'article L. 236-17, sont applicables à la société par actions simplifiée. Pour l'application de ces règles, les attributions du conseil d'administration ou de son président sont exercées par le président de la société par actions simplifiée ou celui ou ceux de ses dirigeants que les statuts désignent à cet effet. "

L'article L. 227-5 de ce code prévoit que " les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée. "

Il résulte de la combinaison de ces articles que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général (Com., 12 octobre 2022, pourvoi n° 21-15.382).

L'article 1.7.2.2. des statuts de la société [11] mis à jour le 8 juin 2015 stipule que les directeurs généraux sont révocables à tout moment par la collectivité des associés qui n'a pas à justifier de sa décision.

Lorsqu'un dirigeant est révocable à tout moment, le bien-fondé des motifs de la révocation n'a pas à être apprécié (Com., 8 avril 2014, n° 13-11.650).

Selon une jurisprudence constante, même lorsque les statuts prévoient qu'il est révocable à tout moment, le dirigeant d'une société par actions simplifiée peut réclamer l'indemnisation de son préjudice lorsqu'il est révoqué dans des circonstances brutales ou vexatoires.

La révocation n'est abusive que si elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à sa réputation ou à son honneur ou si elle a été décidée brutalement, sans respecter l'obligation de loyauté dans l'exercice du droit de révocation (Com., 14 mai 2013, n° 11-22.845, publié).

L'absence de déloyauté est prise de la possibilité pour le dirigeant de s'expliquer sur les griefs dont il fait l'objet (Com., 8 avril 2014, n° 13-11.650).

Est abusive la révocation, fût-ce pour faute lourde, du président d'une société par actions simplifiée décidée sans que celui-ci ait été préalablement mis en mesure de présenter ses observations (Com., 11 octobre 2023, n° 22-12.361).

Le principe du contradictoire n'est pas violé si le dirigeant a été mis en mesure de présenter ses observations sur le ou les griefs qui lui ont été opposés quand bien même il n'aurait disposé que d'un délai de quatre jours pour les préparer (Com., 12 décembre 2018, n° 16-15.217).

En premier lieu, M. [A] estime que sa révocation a été abusive en ce qu'elle a été préméditée de sorte que la décision de le révoquer aurait été prise avant l'assemblée générale du 25 janvier 2019.

Toutefois, c'est juste titre que les premiers juges ont retenu qu'il était légitime que le président d'une SAS ne prenne l'initiative de mettre la révocation d'un mandataire social à l'ordre du jour d'une assemblée générale qu'en ayant prévu de rallier le soutien d'une majorité d'actionnaires.

Il ne saurait être reproché au président de la société d'avoir voulu anticiper la réunion de l'assemblée générale du 25 janvier 2019, de sorte que le moyen fondé sur la préméditation ne peut qu'être écarté.

Pour les mêmes raisons, il ne peut pas être non plus déduit de la durée de l'assemblée générale (vingt minutes) que la décision de révoquer M. [A] ait été prise avant l'assemblée, étant observé que seule la révocation était à l'ordre du jour.

Pour soutenir que la décision de le révoquer a été prise à l'avance, M. [A] affirme encore qu'il n'avait plus de missions depuis le 21 décembre 2018. A cet égard, il fait état d'un courriel du 18 janvier 2019 adressé au président de la société, M. [P], où l'appelant écrit :

" Je suis venu à mon bureau cette semaine comme indiqué aux équipes de [11].

J'ai constaté qu'il n'y avait plus aucun document à signer par mes soins.

Les équipes et plus particulièrement les responsables de l'équipe qualité et réglementaire, m'ont informé de ce que tu avais passé oralement la consigne de me sortir des signataires.

J'ai reçu plusieurs emails du système de validation des notes de frais [8] qui indiquent que je ne suis plus responsable de la validation des notes de frais.

Tu sembles t'étonner dans ton mail du 11 janvier dernier de ce que prenne l'initiative de ne pas passer mes journées au bureau à me tourner les pouces, mais dans ce contexte - ne pouvant vivre avec 800 euros de rémunération mensuelle et étant privé de chômage malgré mon licenciement, il faut que je pense à ma reconversion' "

Si ce message démontre l'existence d'un climat de défiance entre le président et son directeur général, il peut en être utilement déduit que la révocation de M. [A] était décidée à l'avance, même si cette hypothèse était manifestement envisagée avant la tenue de l'assemblée (voir sur ce point, notamment, la pièce 19 de l'appelant, courriel de M. [P] du 23 janvier 2019), ce qui n'est pas anormal dans le fonctionnement des sociétés

S'agissant de la lettre de démission de l'une des filiales de la société [11] rédigée au nom de M. [A] par M. [P], invoquée par l'appelant comme un élément de préméditation de sa révocation, outre que cette lettre ne concerne pas le mandat social en cause, la cour relève que l'appelant n'établit pas en quoi elle démontrerait que la décision de le révoquer avait été d'ores et déjà actée par les actionnaires, auxquels cette décision appartenait.

La cour relève toutefois, ainsi que le souligne l'appelant dans son courriel du 24 janvier 2019 adressée à M. [P], que cette lettre prérédigée de démission dénote un manque certain de délicatesse à l'égard de M. [A] (pièce 23), même s'il n'est pas discuté par l'appelant que la filiale dans lequel était exercé le mandat social était " une coquille vide ".

En deuxième lieu, M. [A] affirme qu'il n'a pas été en mesure de répondre utilement aux griefs qui lui étaient opposés. Il affirme ainsi qu'il n'a pas pu prendre connaissance des griefs suffisamment à l'avance et que la courte durée de l'assemblée générale démontre que le principe du contradictoire n'a pas été respecté.

Sur le premier point, la cour relève que M. [A] a été convoqué par lettre AR datée du 10 janvier 2019 à l'assemblée générale ordinaire de la société [11] appelée à délibérer le 25 janvier 2019 sur le rapport du président et sur la révocation de ses fonctions de directeur général (pièce 15 de l'appelant).

L'appelant affirme ne l'avoir réceptionnée que le 23 janvier 2019, ce qui serait selon lui corroboré par l'échange de courriels du 23 janvier 2019 entre M. [P] et M. [A] (pièce 20 de l'appelant), étant observé qu'il est joint à ces messages une photo de la lettre AR comportant la mention " avisé le 14 janvier 2019. "

La société [11] justifie toutefois que cette lettre a été distribuée le 11 janvier 2019 et qu'elle a été mise en attente de retrait au guichet de la poste le 15 janvier 2019 (pièce 17 de l'intimée).

Dans ces circonstances, il ne peut pas être reproché à la société de ne pas avoir mis M. [A] en mesure de connaître en temps utile la date et le motif de l'assemblée générale appelée à délibérer sur sa révocation et de préparer sa défense. Il importe peu dans ces conditions que M. [P] n'ait évoqué cette possible révocation que dans un courriel du 23 janvier 2019 (pièce 19 de l'appelant) et non à l'occasion de messages (pièce 18 de l'appelant) ou de réunions précédentes.

Au demeurant, il ressort de ce message que M. [P] s'est borné à répondre à une interrogation de l'appelant. Il y est écrit : " en plus des éléments de réponse adressés samedi dernier, je rebondis sur la question de l'assemblée générale de [11] soulevée à la fin de ton précédent message. Sache que celle-ci a été convoquée pour le 25 janvier 2019, à 9 heure, chez [14]. Tu trouveras ci-joint la copie de la convocation qui t'a été adressée par voie postale. Visiblement, tu ne l'as pas encore récupérée auprès des services postaux (cf., ci-joint suivi dudit RAR)' "

Si la convocation mentionnait la résolution relative à la révocation de M. [A] de son mandat de directeur général, il n'est pas discuté qu'elle ne comportait pas le rapport du président contenant l'énoncé des griefs.

Il n'est pas non plus discuté que ce rapport n'a été communiqué à M. [A] que le 23 janvier 2019 (pièce 23 de l'appelant ; courriel de M. [A] à M. [P]).

L'intimée observe cependant à juste titre que l'article 24-4 des statuts de la société [11] intitulé " information préalable des associés " prévoit que " quel qu'en soit le mode, toute consultation de la collectivité des associés doit faire l'objet d'une information préalable comprenant l'ordre du jour, le projet de texte des résolutions et tous documents, rapports et information permettant aux associés de se prononcer en connaissance de cause sur la ou les résolutions présentées à leur vote. Cette information doit faire l'objet d'une mise à disposition au siège quinze jour au moins avant la date de la consultation' "

Il n'est pas allégué que cette mise à disposition n'aurait pas été respectée et la cour observe que la date d'envoi de la lettre de convocation aurait permis à l'appelant de prendre connaissance de la convocation et ce faisant de s'organiser pour consulter, selon les modalités prévues par les statuts, le rapport du président et prendre ainsi connaissance des griefs.

Dès lors, M. [A] ne peut utilement soutenir qu'il n'a pas pu prendre connaissance des griefs en temps utile pour préparer sa défense et que de surcroît le président de la société aurait été animé " d'une volonté pernicieuse " (p. 20, in alto des conclusions de l'appelant.). Il ne peut donc sérieusement prétendre que l'absence de consultation du rapport du président antérieurementa porté atteinte au principe du contradictoire.

Selon ce rapport (pièce 21 [A]), les griefs sont ainsi énoncés :

" Il s'avère en effet que, compte tenu notamment de la procédure de licenciement pour faute grave initiée à l'encontre de M. [A], la société a perdu la confiance qu'elle avait placé en lui en tant que mandataire social.

Notamment, il apparaît que M. [A] a usé de son autorité de directeur général pour se faire payer, en tant que salarié, des droits à congés au prétexte qu'il n'était pas en mesure de les prendre, ce qui s'est concrètement traduit par une augmentation de sa rémunération effective hors toute procédure de contrôle.

Compte tenu de la gravité de la situation, il m'apparaît impossible que le mandat social de directeur général de M. [A] se poursuive.

C'est la raison pour laquelle je vous propose de révoquer, avec effet immédiat et pour faute grave, M. [A] de ses fonctions de directeur général de la société [11]. "

Si le principal grief concerne " un abus " d'autorité du directeur général, le rapport évoque plus généralement une perte de confiance à la suite " notamment " de la procédure de licenciement de M. [A] pour faute grave.

De là il résulte que, nonobstant le caractère distinct des procédures de licenciement et de révocation du mandat social, la perte de confiance évoquée dans le rapport étant liée notamment au licenciement, c'est à juste titre que le premier juge a considéré que M. [A] connaissait les griefs qui lui étaient adressés. En tout état de cause, le rapport énonce précisément le grief selon lequel l'appelant aurait augmenté unilatéralement sa rémunération en dehors de toute procédure de contrôle.

M. [A] affirme encore que la durée de l'assemblée générale démontre que le principe du contradictoire n'a pas été respecté.

Au regard de l'ordre du jour de l'assemblée générale du 25 janvier 2019, c'est à juste titre que le premier juge a retenu qu'un temps de 20 minutes paraît suffisant pour une assemblée ne comportant qu'une seule résolution.

Il résulte en outre du procès-verbal de l'assemblée générale du 25 janvier 2019 (pièce 12 [11]) que M. [A] a pu présenter ses observations concernant le grief mentionné dans le rapport du président relatif à l'indemnité compensatrice de congés payés. En effet, selon le procès-verbal, il a fait valoir en réponse au grief qu'il a continué à exercer ses fonctions au sein de la société jusqu'en décembre 2018, qu'il a beaucoup 'uvré et contribué au développement de la société, y compris au cours de l'exercice 2017 lorsqu'il a été désigné président du groupe.

Il ressort de ces éléments que la révocation de M. [A] n'a pas été brutale et que le principe du contradictoire a été respecté.

En troisième lieu, M. [A] affirme que sa révocation s'est faite dans des conditions particulièrement humiliantes et vexatoires, en ce qu'il lui a été demandé de manière injustifiée et brutale de restituer sur le champ ses effets professionnels et que la possibilité de saluer ses anciens collaborateurs a été conditionnée à ce qu'il rende immédiatement lesdits effets.

Le procès-verbal précité est ainsi rédigé :

" Le président demande comme conséquence de la cessation des fonctions de M. [A] que celui-ci restitue l'ensemble des biens appartenant au groupe et qui lui avait été confiés au titre de l'exercice de ses fonctions, en ce compris sa carte bleue, le véhicule de fonction, l'ordinateur portable, le téléphone portable, etc. "

Il ressort de ce document que M. [A] a remis en séance sa carte bleue, s'est engagé à restituer son véhicule le jour même à 15 h, a sollicité le bénéfice du transfert de son numéro de téléphone portable et a sollicité le rachat de son ordinateur à sa valeur nette comptable, ce qui lui a été accordé à condition qu'il restitue l'ensemble des biens et des données appartenant au groupe, sans qu'aucune copie ne soit faite.

Le procès-verbal indique également que " le président s'engage en outre à laisser un accès à M. [A] aux locaux de l'entreprise cet après-midi pour qu'il puisse récupérer ses effets personnels qu'il aurait laissés dans son bureau, même si selon le président, il n'y en a pas. "

La cour relève que dans le courriel précité du 23 janvier 2019, M. [P] a écrit :

" Dans l'éventualité où la révocation de ton mandat de directeur général serait votée par les actionnaires, je te prie de bien vouloir prendre tes dispositions pour la restitution immédiate de l'ensemble des biens appartenant à [11] : véhicule, ordinateur, téléphone, carte de règlement etc'.

Contrairement à ce que M. [A] écrit en page 11 de ses conclusions, il ne ressort pas de ce courriel que M. [P] ait exigé qu'il emporte ses effets personnels avant même l'issue de l'assemblée générale.

En revanche, il en résulte que M. [A] pouvait s'attendre à l'éventualité de sa révocation avec comme conséquence la remise de ses effets professionnels, mesure qui n'a pas été mise en 'uvre brutalement puisqu'il s'infère du procès-verbal qu'il a été laissé à M. [A] un délai pour la restitution de son véhicule et de son ordinateur.

S'agissant des conditions de la remise du véhicule de fonction, les parties tirent des conséquences différentes de l'attestation de M. [Y], directeur des opérations du [11] (pièce 34 [11]).

Ce dernier écrit : " je confirme avoir assisté en présence de M. [P] à la remise des effets professionnels de M. [A] le vendredi 25 janvier 2019. M. [A] était attendu pour 15 h et est arrivé à 18 h 30 sans avoir prévenu de son retard. Nous étions seuls dans le bâtiment car le CE de [11] avait organisé le repas d'entreprise. M. [A] a remis les biens professionnels et a restitué sa voiture. Il manquait le téléphone et l'ordinateur qui ont été envoyé par la suite. L'échange a été froid mais respectueux. M. [A] n'a pas manifesté le désir de se rendre dans son bureau, ce dernier ayant été vidé par lui-même plusieurs jours auparavant. "

Si l'on ne peut déduire de ce témoignage, rédigé par un salarié de [11], que la révocation a été brutale ou vexatoire en ce qu'il aurait été réprimandé devant les collaborateurs pour son retard lors de la restitution de ses effets professionnel, la cour relève que que le projet de procès-verbal a été communiqué aux actionnaires le soir même (pièce 26 [A]) accompagné du commentaire suivant :

" Par ailleurs, je tiens à vous signaler que M. [I] [A], qui fait partie des destinataires de ce message, n'a pas respecté ses engagements pris ce matin devant l'assemblée des actionnaires de restituer l'ensemble de ses effets professionnels à 15 h au siège de la société. Seul le véhicule a été restitué à 18 h. Son état ainsi que la restitution des documents afférents (ex carnet d'entretien) devront être vérifiés. En revanche, n'ont pas été restitués, par oubli de M. [A] : l'ordinateur portable et son contenu, le téléphone portable, les clefs du bâtiment administratif. M. [A] n'a pas indiqué de date de restitution de ces trois éléments, propriété de l'entreprise. Il a également refusé de signer le bordereau de restitution / non-restitution des effets professionnels qu'il s'était engagé à restituer. "

Les circonstances de la remise des effets professionnels par M. [A] doivent être également appréciées au regard des échanges de courriels entre ce dernier et M. [P] et notamment le mail du 29 janvier 2019, où l'appelant (pièce 29 [A]) écrit :

" Concernant la restitution du téléphone portable, de l'ordinateur et des clefs, je n'ai plus aucune envie de subir tes humiliations et tes menaces répétées, en devant ne serait-ce que de te croiser à nouveau lors de cette restitution. Je te les adresse par la poste. Je renonce pour les mêmes raisons à faire mes adieux aux salariés du [11], quoique cela m'affecte énormément après tant d'années de collaboration.

Toutes ces chicaneries pour trois heures de retard, alors que j'ai été révoqué, après 10 ans d'engagement sans réserve, à la suite de 20 minutes d'un semblant de débat, relève vraiment de la mesquinerie' "

Si M. [A] n'établit pas qu'on lui a interdit d'accéder à son bureau ou de saluer ses collaborateurs, la cour considère que la communication à l'ensemble des actionnaires de commentaires sur la remise des effets professionnels de M. [A] en mentionnant qu'il n'avait pas respecté ses engagements et en indiquant que l'état du véhicule et de ses documents devront être " vérifiés ", instillant ainsi un doute quant à la probité de M. [A] de nature à porter atteinte à sa réputation, constitue un procédé vexatoire.

Ainsi, contrairement à ce que le tribunal a retenu, la cour estime que la révocation de M. [A] est intervenue dans des conditions vexatoires causant à ce dernier un préjudice.

2- Sur le caractère fautif de la révocation et ses conséquences

2-1- Sur la qualification de faute grave et l'indemnité de rupture de mandat social

L'appelant explique que le seul grief lui étant reproché, à savoir une rémunération abusive par le rachat de ses congés payés, ne constitue pas une faute grave et que la société [11] tente d'apporter a postériori des éléments constituant une faute grave qui ne sont pas mentionnés dans le rapport du président ni dans la lettre de griefs.

Il fait valoir que sa rémunération supplémentaire (paiement de congés payés) a été soumise au directeur administratif et financier et qu'elle a dû être tranchée et ou soumise à l'assemblée générale des actionnaires approuvant les comptes clos en juin 2018. Il observe que la question des congés payés relève du droit du travail.

Il ajoute que les autres arguments relevés par le tribunal (notamment l'attribution d'une montre Rolex de 12 500 euros constituant une rémunération complémentaire relevant du pacte d'actionnaires) sont postérieurs à l'assemblée générale, qu'en outre son contrat de travail prévoyait une part variable et que les actionnaires avaient été informés de cet avantage de sorte que son octroi n'était pas fautif. Il observe que ce grief ne lui est pas reproché à l'occasion de la révocation de son mandat social et n'a donc pas été débattu lors de l'assemblée générale.

Les intimés expliquent que, si la nouvelle direction n'a découvert qu'à la lecture d'un rapport [10] de 2019 le fonctionnement dégradé de la société sous l'empire de l'ancienne direction, les actionnaires ont eu toutefois conscience du rôle négatif de M. [A] lors de la correction des comptes 2017 intervenue en 2018, de sorte qu'ils ont décidé de le révoquer " pour la partie émergée de l'iceberg ", soit l'augmentation unilatérale de sa rémunération qu'il s'était consenti en rachetant ses congés payés.

Ils ajoutent que le comportement de M. [A] doit être apprécié au regard d'unefalsification des comptes à laquelle il a participé et compte tenu du fait qu'ilest resté taisant sur les dérives d'un compte client devenu irrecouvrable.

Ils précisent qu'ont été ensuite révélés des faits portant sur l'achat d'une montre Rolex d'une valeur de 12 500 euros, sur l'acquisition à la demande de M. [A] d'une berline de fonction d'une valeur de 100 109 euros lorsque les comptes de la société et de sa filiale allemande étaient préoccupants.

Répondant à M. [A], ils admettent que ces faits n'ont pas été évoqués dans la décision de révocation mais qu'ils apportent un éclairage sur la faute de rachat des congés reprochée à M. [A] et qu'ils s'inscrivent dans une tendance à s'octroyer des avantages indus.

Ils font valoir que les conditions du report des congés payés sont douteuses et que l'indemnité compensatrice de congés payés représente 10 % de la rémunération annuelle fixe de l'appelant. Ils soutiennent que le rachat unilatéral par l'appelant de ses congés payés constitue une violation de l'article 3-4-2 du pacte d'actionnaires.

Les intimés affirment que l'allocation d'une somme de 10 400 euros au titre d'indemnités de congés payés est illicite dans la mesure où une jurisprudence constante retient qu'aucune indemnité compensatrice de congés payés ne peut être versée hormis en cas de rupture du contrat de travail d'une part, et que M. [A] a pris seul l'initiative de s'octroyer cette rémunération complémentaire, sans la soumettre à une procédure de contrôle.

Ils prétendent que, contrairement aux affirmations de l'appelant, la société [11] peut invoquer une faute grave tant dans la procédure de licenciement que de révocation et qu'il n'existe pas d'interdiction du cumul de sanctions entre contrat de travail et mandat social.

Réponse de la cour

L'article 19 des statuts prévoit un comité stratégique chargé d'orienter le président et le cas échéant, les directeurs généraux délégués sur les objectifs stratégiques de la société et sur leur application.

L'article 3.4.2 du pacte d'actionnaires conclu le 8 juin 2015 précise une liste de décisions qui ne pourront être adoptées par le président ou le directeur général ou l'assemblée générale de la société qu'à la condition de recueillir l'approbation préalable de la majorité des membres présents ou représentés du comité stratégique, dont (b) " toute décision de recrutement d'employés de la société, hors budget, ou de modification significative des termes du contrat de travail (en ce compris la rémunération) de tout employé de la société, dont la rémunération annuelle est supérieure ou égale à 60 000 euros " et (g) " toute décision de concéder aux employés (en ce compris les dirigeants) de la société une augmentation de leurs avantages exceptionnels, tels qu'existant à la date de ce jour, notamment en matière de bonus, d'indemnité de licenciement ou de révocation ' "

L'article 3-8 stipule que la rémunération de M. [A] est de 9 600 euros bruts annuels augmenté au titre de son mandat social augmenté d'un bonus annuel variable égal au plus à 20 % de la partie fixe, de 100 404 euros bruts annuels au titre de son contrat de travail augmenté d'un bonus annuel variable égal au plus à 20 % de la partie fixe.

Si l'article 17-2-1 des statuts prévoient que les directeurs généraux sont révocables à tout moment par la collectivité des associés qui n'a pas à justifier de sa décision, l'article 3-8 précité énonce également " qu'en cas de révocation ou de non renouvellement de l'un des dirigeants non motivée par une faute grave ou lourde au sens de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, la société versera au dirigeant une indemnité calculée de la manière suivante : (') concernant [I] [A], une indemnité de base de 100 000 euros bruts ' "

Selon la jurisprudence de la chambre sociale, " la faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise " (par exemple : Soc. 27 septembre 2007, n° 06-438.67, publié ; Soc., 14 octobre 2015, n° 14-16.651). La charge de la preuve de la faute grave pèse sur l'employeur (Soc. 9 octobre 2001 n° 99-42.204 publié).

Il n'est pas discuté que M. [A] a perçu en décembre 2017 une indemnité compensatrice de congés payés, ce qui est corroboré par son bulletin de salaire de ce mois (pièce 15 [11]), qui fait apparaître une indemnité compensatrice de congés payés d'un montant de 10 400 euros.

La cour relève que M. [A] qui affirme que l'indemnité de congés payés lui était due, n'apporte aucune précision sur la procédure qui a permis l'allocation de cette indemnité.

Ce dernier se borne à indiquer dans ses écritures, p. 10, " qu'il s'est rémunéré les congés payés qu'il n'a pas pu prendre, c'est parce qu'il s'est investi durant les périodes les plus compliquées (') et qu'ainsi il n'a pas eu l'occasion de poser ses jours de congé " et que cette rémunération a été nécessairement approuvée notamment par le directeur administratif et financier, le commissaire aux comptes, le président ou soumise aux actionnaires lors de l'approbation des comptes de l'exercice 2018.

S'il est très vraisemblable que la rémunération litigieuse ait été visée par le service paye de la comptabilité de la société puisqu'un bulletin de paye a été dûment établi avec la ligne indemnité compensatrice de congés payés, il n'en demeure pas moins que cette rémunération complémentaire entre dans le champ du pacte d'actionnaires.

En effet, l'article 3-4-2 susmentionné est rédigé en termes généraux de sorte que sont incluses toutes les modifications significatives de rémunération ponctuelle ou non des salariés percevant une rémunération annuelle égale ou supérieure à 60 000 euros, ce qui est le cas de M. [A]. C'est donc à juste titre que le tribunal a considéré que la rémunération de M. [A] entrait dans le champ du pacte d'actionnaires.

Représentant environ 10 % de sa rémunération annuelle de M. [A], l'indemnité litigieuse de 10 400 euros constitue, au sens du paragraphe (b) de l'article 3-4-2, une modification significative de la rémunération de l'appelant. En tout état de cause, ce supplément peut être également considéré comme " une décision de concéder aux employés (') une augmentation de leurs avantages exceptionnels " au sens du paragraphe (g) du même article.

Dès lors, contrairement à qu'affirme l'appelant, le comité stratégique devait, en application de l'article 3-4-2, préalablement approuver, l'allocation de ce supplément de rémunération, comme l'a justement retenu le tribunal.

Il n'appartient pas à la cour d'apprécier le motif de la révocation, celle-ci pouvant intervenir " à tout moment " et non sur le fondement d'un juste motif, de sorte qu'est inopérante l'argumentation de l'appelant selon laquelle les organes de la société ne pouvaient pas en aucun cas prononcer sa révocation " sur la base d'un prétendu manquement à des règles lui étant applicables en tant que salariés ", la cour devant, comme indiqué ci-dessus, se limiter à apprécier les conditions de la révocation.

En revanche, la cour doit apprécier au regard des stipulations du pacte d'actionnaires relatives à l'indemnité de rupture du mandat si les conditions d'octroi de cette indemnité sont réunies, à savoir une révocation non fondée sur une faute grave ou lourde au sens de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation.

Le seul grief expressément opposé par la société à l'appelant est indiqué dans le rapport précité du président qui, comme rappelé ci-dessus, reproche à M. [A] d'avoir usé de ses fonctions de directeur général pour se faire attribuer des droits à congés à payer qu'il n'était pas en mesure de prendre et d'avoir ainsi augmenté sa rémunération hors de toute procédure de contrôle (pièce 21 [11], précitée).

Le procès-verbal de l'assemblée générale du 25 janvier 2019 fait état " des raisons invoquées dans le rapport du président ", à savoir l'indemnité de congés payés.

Même s'il indique que " M. [J] relève pour sa part que le rapport du président mentionne notamment au titre des griefs invoqués, ce que confirme le président ", il n'est pas fait état d'autres reproches sur lesquells M. [A] aurait pu s'exprimer.

Il en résulte qu'il ne peut pas être tenu compte, comme l'a fait le tribunal, de l'avantage relatif à l'octroi d'une montre Rolex d'une valeur de 12 500 euros au titre d'un bonus prévu par son contrat de travail.

La cour relève au demeurant que M. [A] admet qu'un tel bonus devait être approuvé par le comité stratégique (pièce 44 [A], courrier du 4 août 2017). Il en résulte qu'a fortiori, l'octroi d'une indemnité de 10 400 euros devait l'être également.

Au regard de ce qui précède, c'est à juste titre que le tribunal a retenu que les éléments d'une faute grave étaient constitués. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [A] de sa demande de paiement de la somme de 100 000 euros au titre de l'indemnité de rupture de mandat social.

2-2- Sur la valorisation des titres de M. [A]

M. [A] soutient que l'article 4-5 du pacte d'actionnaires ne lui est pas applicable. Il prétend que sa révocation pour faute grave a pour effet de le priver de la cession de ses titres à un juste prix évalué à 854 021,28 euros au moment de son départ de la société. Il explique que l'assemblée générale du 21 avril 2020 avait autorisé le président à procéder à une augmentation de capital ; que la société avait fixé le prix d'émission des actions A1, objet de l'augmentation de capital, à 10 euros par action avec une prime de 40 euros, soit une prime totale d'émission de 50 euros ; que la valorisation à 50 euros par action correspond à la dernière valorisation de la société confirmée par le rapport du 29 avril 2020 de l'expert [U] ; que l'orchestration frauduleuse dont il a été victime a abouti à faire perdre la possibilité de céder ses titres à leur valeur au moment de son départ de la société.

Les intimés contestent que sa révocation pour faute grave n'aurait eu pour finalité que de permettre aux actionnaires d'acquérir ses 13 759 actions pour 210 236,26 euros alors sur la base de la clause 4-5 dite " bad leaver " du pacte d'actionnaires, alors que leur juste prix serait de 854 021,28 euros.

Ils répondent que la valorisation proposée par l'appelant est fausse de par sa méthode de calcul et son montant et par son application du " bad leaver " qui revient à valoriser davantage ses titres (210 236,26 euros) alors que leur valeur de marché se situe entre 145 852 euros (base fonds propres) et 174 998,52 euros (base augmentation de capital).

Ils ajoutent que pour justifier sa valorisation à hauteur de 855 021,28 euros, l'appelant fait référence à des tentatives de cession n'ayant pas abouti pour des entreprises du même secteur mais qui ne se trouvent pas dans les mêmes conditions.

Réponse de la cour

L'article 4-5-1 du pacte d'actionnaires prévoit notamment :

" Chacun des investisseurs ('désignés'comme bénéficiaire de l'option) pourra exiger, à sa seule option, dans les six mois suivant la cessation fautive de fonction ou la violation du dirigeant concerné, qu'il (') lui cède, dans un délai de 30 jours à compter de l'exercice de l'option d'achat, tout ou partie, au choix du bénéficiaire de l'option, des titres qu'il détiendra alors (les titres sous option) et le dirigeant concerné (le promettant) s'engage en cas de cessation fautive de fonction ou de violation, si un ou plusieurs bénéficiaires de l'option exercent la présente option d'achat et si les conditions à cet exercice sont réunies, à leur céder un nombre de titres déterminés au choix par le(s) bénéficiaire(s) de l'option. "

Le prix de cession est déterminé par l'article 4-5-3 aux termes duquel il est notamment prévu :

" en cas de faute lourde, faute grave ou de violation, le prix de cession des titres sous options sera égal à la moyenne pondérée des prix auxquels lesdits titres ont été acquis par le dirigeant concerné.

(')

A défaut d'accord sur la valeur de marché des titres sous option entre le dirigeant concernés (') et le(s) bénéficiaire(s) de l'option ayant exercé son option d'achat, dans un délai de trente jours à compter de la date de ladite levée d'option, la valeur de marché de la société à la date de la cessation fautive d'activité ou de la violation sera déterminée par un expert et agissant dans les conditions de l'article 4-2-2 (g) (')

A l'issue de la procédure d'expertise prévue ci-dessus, le(s) bénéficiaire(s) ayant exercé la présente option pourra (ont) librement décidé de ne pas donner suite à la cession'"

M. [A] affirme que la méthode d'évaluation fondée sur les fonds propres proposée par la société aboutit à dévaluer la valeur de ses titres et à minorer l'impact de son travail sur la valorisation de la société.

Il s'appuie sur des cessions d'actions sur les conclusions d'une note technique établie le 29 avril 2020 par M. [U], expert, à l'occasion de l'action en responsabilité engagée par la société [11] contre ses commissaires aux comptes (pièce 38 [A]).

La cour relève que l'objet de l'expertise de M. [U] n'était pas d'évaluer les titres de la société [11] et que le passage relevé par M. [A] dans ses écritures, p. 40, s'inscrit dans un paragraphe intitulé " état de cessation des paiements ", dans lequel l'expert constate que l'augmentation de capital du 25 juillet 2018 a été réalisée au prix de 50 euros par titre.

On peut notamment lire : " cette augmentation de capital a été réalisée au prix de 50 euros par titre ; ce qui valorise la SAS [11] à 20,4 millions d'euros (1 000 050 euros / 4,9 % X 50 %)'.

L'expert [U], qui n'a pas été désigné dans cette instance, n'a donc pas évalué les titres selon la méthode prévue par l'article 4-5-3 du pacte d'actionnaires.

La cour relève en outre que M. [A] n'établit avoir recouru à l'expertise prévue par le pacte d'actionnaires en cas de désaccord sur l'évaluation des titres objet d'une option. Il ne démontre pas non plus que la méthode qu'il propose est conforme à celle de l'article 4-5-3 du pacte d'actionnaires à laquelle il était assujetti contrairement à ce qu'il affirme.

En effet, compte tenu des motifs précédents, la cour ne peut que retenir que l'article 4-5-3 du pacte d'actionnaires est applicable à M. [A]. C'est donc à juste titre que le tribunal a considéré que cet article lui est opposable.

3- Sur les préjudices allégués

Outre l'indemnité de rupture de mandat social de 100 000 euros, l'appelant expose que son préjudice doit être calculé en fonction du nombre de mensualités restant à courir depuis la date de sa révocation intervenue en janvier 2019 jusqu'à la fin de son mandat en juin 2019, soit la somme de 4 800 euros.

Il évalue en outre son préjudice qui résulterait du caractère vexatoire de sa révocation à 50 000 euros.

Les intimés répondent que la demande de dommages-intérêts à hauteur de 50 000 euros n'est pas fondée. Ils ajoutent que la demande de paiement de la somme de 4 800 euros au titre d'une perte de rémunération est injustifiée au regard du principe de révocabilité ad nutum prévue par les statuts.

Réponse de la cour

C'est par de juste motifs que la cour adopte que le tribunal a rejeté la demande de M. [A] en paiement de la somme de 4 800 euros au titre d'une perte de revenus consécutive à la révocation de son mandat de directeur général.

En revanche, la cour a retenu le caractère vexatoire de la révocation de M. [A]. Ce caractère vexatoire lui a causé un préjudice en ce qu'il a porté atteinte à sa réputation et à sa probité à l'égard de tous les actionnaires.

En conséquence, la société [11] sera condamnée à lui payer la somme de 10 000 euros, qui sera fixée au passif de sa liquidation.

4- Sur les demandes accessoires

Succombant en la plupart de ses demandes, M. [A] sera condamné aux dépens d'appel. L'équité commande que chaque partie conserve la charge de ses frais irrépétibles. Ces demandes seront donc rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire ;

Confirme le jugement sauf en ce qui a retenu que la révocation n'était pas abusive et qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts à ce titre ;

Statuant à nouveau du chef infirmé ;

Dit que la révocation de M. [A] de ses fonctions de directeur général présente un caractère vexatoire ;

Fixe au passif de la liquidation de la société [11] la somme de 10 000 euros ;

Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [A] aux dépens d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Cyril ROTH, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT