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Décisions

Cass. com., 11 décembre 2024, n° 23-17.667

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Défendeur :

Ekip' (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

M. Riffaud

Avocat général :

M. de Monteynard

Avocats :

SCP Rocheteau, SCP Célice, SAS Hannotin Avocats

Pau, 2eme ch. sect. 1, du 25 avril 2023

25 avril 2023

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 25 avril 2023), l'EURL [U] [K], dont M. [M] [K] avait été désigné en qualité d'administrateur provisoire par une ordonnance du 6 septembre 2018, à la suite du décès de [U] [K], son fondateur et gérant, a été mise en liquidation judiciaire le 10 juillet 2019, la société Ekip' étant désignée en qualité de liquidateur.

2. Au cours du mois de septembre 2019, M. [M] [K], qui avait été remplacé dans ses fonctions d'administrateur provisoire par une ordonnance du 23 mai 2019, a créé une société, dénommée « Scarlet », qui, poursuivant une activité similaire à celle de l'EURL [U] [K], a embauché cinq de ses anciens salariés.

3. Par un jugement du 9 septembre 2020, la date de la cessation des paiements de l'EURL [U] [K], provisoirement fixée au 6 août 2018, a été reportée au 10 janvier de la même année.

4. Les héritiers de [U] [K] ayant renoncé à sa succession, une ordonnance du 3 août 2020 a désigné le trésorier payeur général de la Gironde, devenu le directeur régional des finances publiques de Nouvelle-Aquitaine et de Gironde, en qualité de curateur à la succession vacante.

5. Par actes des 3 et 4 mars 2021, le liquidateur a assigné M. [M] [K] et le curateur de la succession de [U] [K] en responsabilité pour insuffisance d'actif et en prononcé d'une mesure de faillite personnelle contre M. [M] [K].

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

7. M. [M] [K] fait grief à l'arrêt de dire qu'en qualité de dirigeant de droit de l'EURL [U] [K], il a frauduleusement augmenté le passif de cette dernière et de le condamner, solidairement avec le directeur régional des Finances Publiques de Nouvelle-Aquitaine et de Gironde, en sa qualité de curateur à la succession vacante de [U] [K], à payer à la société Ekip', ès qualités, l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de l'EURL [U] [K] [estimée à 836 823,77 euros], alors, « que lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal ne peut décider que cette insuffisance d'actif sera supportée en tout ou partie par le dirigeant, qu'en cas de faute de gestion de celui-ci y ayant contribué ; que toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée ; qu'en se bornant à relever (arrêt p. 10, dernier alinéa), que M. [M] [K] aurait laissé l'EURL [U] [K] se faire condamner à payer à des salariés des primes de 13e mois, ce qui constituait une simple négligence insusceptible de caractériser l'existence d'une faute de gestion susceptible d'engager la responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser l'existence d'une faute de gestion justifiant la condamnation au titre de l'insuffisance d'actif, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

8. Le liquidateur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est nouveau, mélangé de fait et de droit, M. [M] [K] n'ayant pas, devant la cour d'appel, soutenu que la circonstance qu'il n'ait pas soulevé la prescription de la demande des salariés pourrait n'avoir constitué qu'une simple négligence.

9. Cependant, le moyen est de pur droit. Il est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 651-2 du code de commerce :

10. Il résulte de ce texte qu'en cas de simple négligence dans la gestion de la société, la responsabilité du dirigeant au titre de l'insuffisance d'actif est écartée.
11. Pour condamner M. [M] [K] au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif, l'arrêt retient qu'il a laissé la société se faire condamner à payer à des salariés des primes de treizième mois indues ou prescrites et aurait ainsi « ménagé » les salariés attachés au fonds de commerce qu'il avait entrepris de détourner.

12. En se déterminant par de tels motifs impropres à établir que M. [M] [K] avait commis une faute de gestion non susceptible d'être analysée en une simple négligence, qui seule pouvait engager sa responsabilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le premier moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

13. M. [M] [K] fait grief à l'arrêt de dire qu'en qualité de dirigeant de droit de l'EURL [U] [K], il a détourné à son profit une partie de son actif, de dire que la faute de gestion ainsi commise se trouve directement à l'origine de l'aggravation de l'insuffisance d'actif de l'EURL [U] [K] et de le condamner, solidairement avec le directeur régional des Finances Publiques de Nouvelle-Aquitaine et de Gironde, ès qualités, à payer l'intégralité de l'insuffisance d'actif de l'EURL [U] [K], alors « que le jugement qui condamne le dirigeant d'une personne morale à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif de celle-ci doit préciser en quoi chaque faute retenue a contribué à l'insuffisance d'actif ; qu'en se bornant à affirmer qu'il était prouvé que M. [M] [K] se serait livré à un détournement du fichier clients au sein de sa nouvelle société Scarlet, sans préciser en quoi ce prétendu détournement du fichier clients avait contribué à l'insuffisance d'actifs de l'EURL [U] [K], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 651-2 du code de commerce :

14. Il résulte de ce texte que la faute de gestion doit avoir contribué à l'insuffisance d'actif.

15. Pour condamner M. [M] [K] à supporter l'insuffisance d'actif, l'arrêt retient encore, par motifs propres, qu'il est prouvé par la production d'une lettre adressée au liquidateur à l'occasion de la réalisation de l'actif, que M. [M] [K] se serait livré à un détournement du fichier clients au sein de sa nouvelle société Scarlet et, par motifs adoptés, que des éléments versés aux débats montrent qu'il a, par le biais de sa société Scarlet, tenté de reprendre la clientèle de l'EURL [U] [K] et n'a pas transmis l'intégralité du fichier clients cédé par le liquidateur à la société Tarrit.

16. En se déterminant par de tels motifs, impropres à démontrer en quoi le détournement de la clientèle reproché à M. [M] [K] avait contribué à l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

17. M. [M] [K] fait grief à l'arrêt de le condamner à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale, pour une durée de dix ans, alors « que l'interdiction édictée par l'article L. 653-8 du code de commerce ne peut porter que sur une entreprise commerciale ou artisanale, une exploitation agricole ou une personne morale ; qu'en interdisant à M. [M] [K] de diriger, gérer, administrer ou contrôler – outre toute entreprise commerciale ou artisanale, une exploitation agricole ou une personne morale – toute entreprise ayant toute autre activité indépendante, la cour d'appel a violé l'article L. 653-8 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

18. Le liquidateur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est nouveau, mélangé de fait et de droit, M. [M] [K] n'ayant pas, dans ses conclusions d'appel, contesté la sanction d'interdiction de gérer prononcée par le tribunal au regard des entreprises auxquelles elle s'appliquait.

19. Cependant, le moyen est de pur droit. Il est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 653-8 du code de commerce :

20. Il résulte de ce texte que l'interdiction édictée ne peut porter que sur une entreprise commerciale ou artisanale, une exploitation agricole ou une personne morale.

21. L'arrêt, interdit à M. [M] [K] de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pendant une durée de dix ans.

22. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a étendu le champ de l'application de la mesure d'interdiction de gérer à toute entreprise ayant toute autre activité indépendante qui ne soit ni commerciale, ni agricole ni artisanale, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

23. La condamnation à supporter l'insuffisance d'actif ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes de gestion, la cassation encourue à raison de l'une d'entre elles entraîne, en application du principe de proportionnalité, la cassation de l'arrêt de ce chef.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement, en ce que, confirmant le jugement rendu par le tribunal de commerce de Dax le 14 septembre 2022, il dit, qu'en qualité de dirigeant de droit de l'EURL [U] [K], M. [M] [K] a sciemment omis de déclarer son état de cessation des paiements dans les quarante-cinq jours de sa connaissance, qu'il a frauduleusement augmenté le passif de cette dernière et qu'il a détourné à son profit une partie de son actif, dit que les fautes ainsi commises par M. [M] [K] se trouvent directement à l'origine de l'aggravation de l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de l'EURL [U] [K], condamne M. [M] [K] à payer à la société Ekip', en sa qualité de liquidateur de l'EURL [U] [K], l'intégralité de l'insuffisance d'actif de cette société, estimée à 836 823,77 euros, et lui fait interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pendant une durée de dix ans et en ce qu'il statue, pour ce qui le concerne, sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 25 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne, la société Ekip', prise en sa qualité de liquidateur de l'EURL [U] [K], aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille vingt-quatre, et signé par lui et Mme Schmidt, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, et Mme Sezer, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.