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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 11 décembre 2024, n° 24/01642

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 24/01642

11 décembre 2024

N° RG 24/01642 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JUZC

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 11 DECEMBRE 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

24/00074

Ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire d'Evreux du 17 avril 2024

APPELANTE :

SAMCV THELEM ASSURANCES

RCS d'Orléans 085 580 488

[Adresse 10]

[Localité 6]

représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Elodie TORNE-CELER, avocat au barreau de Paris plaidant par Me FRANZINI

INTIMES :

Monsieur [K] [W]

né le [Date naissance 5] 1971 à [Localité 9]

[Adresse 8]

[Localité 3]

représenté par Me Anne DESLANDES de la SCP SPAGNOL DESLANDES MELO, avocat au barreau de l'Eure et assisté de Me Tiffany ATLAN, avocat au barreau des Hauts de Seine plaidant par Me KHAN

SA L'EQUITE

RCS de Paris 572 84 697

[Adresse 4]

[Localité 7]

représentée par Me Emmanuelle MENOU de la SCP RSD AVOCATS, avocat au barreau de l'Eure et assistée de Me Olivia RISPAL-CHATELLE, avocat au barreau de Paris

CPAM DU CALVADOS

[Adresse 1]

[Localité 2]

non constituée bien que régulièrement assignée par acte de commissaire de justice remis le 21 mai 2024 à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 7 octobre 2024 sans opposition des avocats devant Mme Magali DEGUETTE, conseillère, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, présidente de chambre

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DEBATS :

A l'audience publique du 7 octobre 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 11 décembre 2024

ARRET :

REPUTE CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 11 décembre 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Le 25 août 2018, M. [K] [W], circulant au guidon de son cyclomoteur [Adresse 12], à [Localité 11], et voulant tourner à gauche, est entré en collision avec le véhicule automobile conduit par M. [H] [Z] qui le dépassait par la gauche.

M. [W] a été hospitalisé. Lui ont été diagnostiquées notamment une fracture du plateau tibial externe du genou gauche associée à une perte de substance cutanée de la face dorsale et des lésions ligamentaires, et une rupture du ligament croisé antérieur et du ligament latéral interne du genou droit sans lésion cutanée.

M. [W] a accepté des provisions de 15 000 euros le 23 avril 2021 et de 50 000 euros le 31 octobre 2022 de la part de la société Thélem Assurances, assureur du véhicule conduit par M. [Z].

Une expertise médicale de M. [W] a été réalisée par le Dr [J] [U] à la demande de la société Thélem Assurances. Ce dernier a établi son rapport d'expertise le 2 août 2022.

Sur la base de ce rapport, la société Thélem Assurances a proposé à M. [W] de lui régler un solde d'indemnisation de 70 927,63 euros, après déduction des provisions déjà versées et une limitation du droit à indemnisation de M. [W] à 67 % eu égard aux circonstances de l'accident.

Par actes de commissaire de justice des 9, 12, 15 et 16 février 2024, M. [W] a fait assigner la société Thélem Assurances, la Cpam du Calvados, la Sasu Santiane.fr, l'Association Comité de Gestion des Oeuvres Sociales des Etablissements Hospitaliers, la Caisse des dépôts et consignations, et le Pôle Sanitaire du Vexin devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evreux. Il a notamment demandé le versement de provisions.

Par ordonnance réputée contradictoire du 17 avril 2024, le juge a :

- mis hors de cause la Caisse des dépôts et consignations,

- mis hors de cause la société Santiane.fr,

- déclaré recevable l'intervention volontaire de la Sa L'Equité,

- condamné la société Thélem Assurances à payer à M. [K] [W] la somme de 125 000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice,

- condamné la société Thélem Assurances à payer à M. [K] [W] la somme de 3 000 euros à titre de provision ad litem,

- condamné la société Thélem Assurances à payer à la Sa L'Equité la somme de

5 000 euros à titre de provision à valoir sur les sommes versées à M. [K] [W],

- dit qu'il n'y a lieu à référé sur les demandes de provision formées par M. [K] [W] au titre du doublement de l'intérêt légal, de la sanction au bénéfice du fonds de garantie des assurances obligatoires et du dommage en raison du retard de l'exécution de ses obligations par l'assureur,

- condamné la société Thélem Assurances à payer à M. [K] [W] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire,

- condamné la société Thélem Assurances aux entiers dépens,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 3 mai 2024, la société Thélem Assurances a formé un appel contre l'ordonnance uniquement contre M. [W], la Sa L'Equité, et la Cpam du Calvados.

Par décision du président de chambre du 13 mai 2024, l'affaire a été fixée à l'audience du 7 octobre 2024 suivant les modalités des articles 905 et suivants du code de procédure civile dans leur version applicable à ce litige.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 12 juillet 2024 et signifiées à la Cpam du Calvados le 4 juillet 2024, la société Thélem Assurances demande de voir en application des dispositions de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985, et des articles 490, 835, 699, 700, 809 et 905 du code de procédure civile :

- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle l'a condamnée à payer à M. [W] une provision complémentaire de 125 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel et une somme de 3 000 euros à titre de provision ad litem,

et statuant de nouveau :

- débouter M. [W] de sa demande de provision à hauteur de 282 881,40 euros,

- limiter à 30 000 euros la provision qu'elle allouera à M. [W] dans l'attente de l'évaluation définitive de ses préjudices,

- condamner M. [W] à lui rembourser le trop perçu indûment de ce chef de

95 000 euros (125 000 euros ' 30 000 euros) au titre de l'exécution provisoire,

- débouter M. [W] de sa demande de provision ad litem non justifiée en l'état,

- condamner M. [W] à lui rembourser la somme de 3 000 euros perçue indûment de ce chef au titre de l'exécution provisoire,

- renvoyer les parties à se pourvoir au fond s'agissant de l'étendue du droit à indemnisation de M. [W] et de la liquidation définitive de ses préjudices,

- débouter tant M. [W] que la Sa L'Equité de leurs demandes au titre des dépens et frais irrépétibles,

- laisser à chaque partie la charge de ses dépens et frais irrépétibles en cause d'appel,

- débouter M. [W] de l'ensemble de ses éventuelles demandes plus amples ou contraires en cause d'appel,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à la Cpam du Calvados et à la Sa L'Equité.

Elle fait valoir que M. [W] a commis des fautes de conduite de nature à limiter son droit à indemnisation comme l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 le prévoit ; qu'il ressort de l'enquête pénale qu'il a ainsi changé de trajectoire en tournant sur la gauche sans avertir les autres usagers de son intention en levant en amont son bras gauche, ni vérifier qu'il pouvait y procéder en toute sécurité en tournant la tête en arrière pour vérifier son angle mort ; qu'il est de jurisprudence constante que la faute de la victime conductrice ayant contribué à son dommage doit être appréciée sans égard au comportement des autres conducteurs impliqués dans l'accident.

Elle ajoute qu'au regard de ces fautes de conduite de M. [W] et de sa position à droite de la chaussée sans déport progressif vers l'axe médian avant de tourner à gauche, M. [Z] a pu légitimement croire que ce dernier allait continuer tout droit et ne pas procéder à un changement brusque de direction ; que l'ignorance de

M. [W] de la présence derrière lui du véhicule de M. [Z] ne relève que de sa propre inattention.

Elle indique à titre surabondant que M. [Z] n'a commis aucune faute prouvée, que le dépassement sur une voie à double sens de circulation avec ligne blanche continue est légal en application de l'article R.414-11 du code de la route dès lors que la partie gauche de la chaussée est libre ; que les traces de freinage et leur positionnement de biais en direction de la gauche confirment que M. [Z] n'a commencé à franchir la ligne blanche qu'une fois la manoeuvre intempestive de M. [W] débutée et pour tenter de l'éviter ; que l'hypothèse d'un dépassement dangereux par un non-respect des distances de sécurité émise par les services d'enquête n'a pas été vérifiée.

Elle estime donc qu'il existe des contestations sérieuses sur l'étendue du droit à indemnisation de M. [W] qui seront tranchées par les juges du fond ; que le juge des référés est allé au-delà de ses pouvoirs en ne limitant pas la provision complémentaire de M. [W] à un montant non sérieusement contestable eu égard aux provisions déjà versées, aux créances des organismes sociaux pouvant venir en déduction de son préjudice, aux éventuelles limitations de son droit à indemnisation et, le cas échéant, à l'offre définitive qu'elle présentait.

Elle ajoute que les éléments présentés par M. [W] pour chaque poste de préjudice sont criticables sur les bases de calcul et les montants à retenir et constituent des contestations sérieuses relevant de discussions devant les juges du fond.

Elle expose par ailleurs que le juge des référés, lequel a alloué une provision pour les frais d'avocat déjà engagés dans le cadre de la phase amiable de 3 000 euros, qui est sans lien avec la demande initiale, et qui fait doublon avec la provision allouée au titre des frais divers, a manqué de base légale et n'a pas justifié sa décision ; qu'il ne peut être alloué une provision pour les frais d'une instance non encore débutée au surplus en présence d'une contestation sérieuse sur l'étendue du droit à indemnisation de M. [W] et donc sur le bien-fondé d'une éventuelle action future de la part de celui-ci ; que cette demande de provision ad litem est injustifiée tant dans son principe que dans son montant.

Par dernières conclusions notifiées le 3 juillet 2024 et signifiées à la Cpam du Calvados le 9 juillet 2024, M. [K] [W] sollicite de voir en vertu des dispositions de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985, des articles 809 et 700 du code de procédure civile, R.313-14 II du code de la route, et L.314-2-1 du code de l'action sociale et des familles :

- confirmer l'ordonnance de référé rendue le 17 avril 2024 en ce qu'elle a écarté toute contestation sérieuse concernant son droit à réparation intégrale de ses préjudices issus de l'accident de la circulation du 25 août 2018 et en ce qu'elle a condamné l'assurance Thélem à lui verser une provision ad litem de 3 000 euros,

- infirmer partiellement l'ordonnance en ce qu'elle a limité la provision qu'elle lui a octroyée au titre de son préjudice corporel à 125 000 euros,

statuant à nouveau,

- condamner la société Thélem Assurances à lui verser une provision de

282 881,40 euros à titre de provision à valoir sur la liquidation de ses préjudices et la somme de 3 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des entiers dépens,

- débouter la société Thélem Assurances de l'ensemble de ses demandes.

Il fait valoir que la société Thélem Assurances a d'ores et déjà reconnu son obligation d'indemnisation des suites de l'accident du 25 août 2018 puisqu'elle lui a versé deux provisions, que celle-ci n'est donc pas contestable.

Il expose que l'absence de clignotant sur le cyclomoteur, qui est prévue par l'article R.313-14 II du code de la route, ne peut lui être reprochée ; que l'appelante ne se fonde sur aucun élément objectif, ni témoignage, ni constatation matérielle, pour démontrer la faute qu'il aurait commise et justifier une limitation de son droit à indemnisation ; qu'il nie avoir brusquement tourné à gauche sans prévenir, que ce reproche est antinomique avec le fait qu'il roulait à une vitesse réduite ; qu'il ne peut être tiré de ses déclarations spontanées faites plus d'un an après l'accident suivi d'un coma qu'il n'a pas indiqué son changement de direction ; que l'indication des changements de direction était un réflexe pour lui, conducteur sérieux, de surcroît pilotant un véhicule ne comportant pas de clignotant.

Il précise qu'au contraire, les fautes de M. [Z] sont nombreuses et exclusives dans la survenance de l'accident et des préjudices qu'il a subis ; que les enquêteurs visent un dépassement dangereux sur une ligne continue et un non-respect d'une priorité et des distances de sécurité de M. [Z] et n'indiquent aucun facteur présumé de l'accident lié à M. [W] ; que M. [Z] était âgé de 18 ans et en permis probatoire obtenu environ trois mois avant l'accident ; que les déclarations de ce dernier démontrent son manque total de connaissance du code de la route, de considération des autres usagers, et de maîtrise de son véhicule ; que l'enquête pénale permet uniquement d'établir de manière incontestable la responsabilité de M. [Z] dans la survenance de l'accident.

Il en conclut que la société Thélem Assurances ne dispose d'aucun élément permettant d'invoquer une quelconque faute de sa part qui aurait participé à la survenance de l'accident, qu'elle devra donc procéder à son indemnisation de manière intégrale et sans aucune limitation ; qu'aucune contestation sérieuse n'étant avérée sur son droit intégral à réparation, sa demande d'octroi d'une provision est fondée.

Il indique que, depuis l'accident il y a six ans, il n'a perçu qu'une provision de

65 000 euros, alors que ses souffrances endurées ont été évaluées à 4,5/7 ; que son atteinte à l'intégrité physique et psychique (Aipp) l'a été à 15 %, et que des dépenses de santé futures, des pertes de gains professionnels, une incidence professionnelle, des besoins en tierce personne et d'un véhicule adapté, un déficit fonctionnel temporaire, des préjudices esthétiques, et un préjudice d'agrément ont été caractérisés par l'expert amiable et ne souffrent d'aucune contestation sérieuse ; que compte tenu de la réduction conséquente appliquée à chaque chiffrage, ses prétentions ne sauraient être assimilées à une liquidation du préjudice.

Il précise ne pas solliciter de provision au titre des dépenses de santé actuelles.

Il explique que, du fait du refus de l'indemnisation de certains postes de préjudices et de la limitation de son droit à indemnisation que l'appelante entendait lui imposer, il a été contraint de saisir le juge des référés et le sera de nouveau à l'égard du juge au fond pour être indemnisé intégralement ; qu'il serait inéquitable qu'il utilise la provision versée au titre de l'indemnisation de son préjudice corporel pour payer les frais de procédure au fond ; que l'octroi d'une provision à cet effet est justifié d'autant plus que la société Thélem Assurances multiplie les procédures.

Par conclusions notifiées le 19 juin 2024, la Sa L'Equité, assureur complémentaire santé de M. [W], demande de voir sur la base de l'article 29 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 :

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :

. mis hors de cause la société Santiane.fr,

. alloué à l'Equité une provision de 5 000 euros à valoir sur sa créance,

y ajoutant,

- réserver les frais futurs,

- condamner la société Thélem Assurances à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

- rejeter toutes demandes plus amples ou contraires.

Elle précise qu'elle a remboursé à son assuré des frais de santé sur la période du

20 septembre 2018 au 12 avril 2024 pour un montant total de 8 753,30 euros, de sorte qu'elle est bien fondée à exercer le recours subrogatoire prévu par les articles 28 et 29 de la loi du 5 juillet 1985 contre la société Thélem Assurances qui ne conteste pas son droit à indemnisation.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens, il est renvoyé aux écritures des parties ci-dessus.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 7 octobre 2024. A cette date, la Cpam du Calvados, à qui la déclaration d'appel avait été signifiée à personne habilitée le

21 mai 2024, n'avait pas constitué avocat.

MOTIFS

Sur les demandes de provisions de M. [W]

Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier.

S'il appartient au demandeur à une provision d'établir l'existence de la créance qu'il invoque, c'est à son adversaire de prouver que cette créance est sérieusement contestable.

1) sur la provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice corporel

En vertu de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985, la faute commise par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur victime d'un accident de la circulation a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation de son dommage dès lors qu'elle a contribué à sa réalisation.

Ce n'est pas la gravité du préjudice qui permet ou non de réduire ou d'exclure le droit à réparation, mais la faute de la victime. Celle-ci doit être en relation de causalité directe et certaine avec la réalisation du dommage subi. Peu importe que cette faute soit la cause exclusive ou non du dommage, le seul critère d'appréciation de la limitation ou de l'exclusion de l'indemnisation étant celui du degré de gravité de celle-ci. A cette fin, il n'y a pas lieu de tenir compte du comportement du conducteur de l'autre véhicule impliqué.

Aux termes de l'article R.412-10 du code de la route, tout conducteur qui s'apprête à apporter un changement dans la direction de son véhicule ou à en ralentir l'allure doit avertir de son intention les autres usagers, notamment lorsqu'il va se porter à gauche, traverser la chaussée, ou lorsque, après un arrêt ou stationnement, il veut reprendre sa place dans le courant de la circulation.

En l'espèce, le cyclomoteur conduit par M. [W] n'était pas muni de feux indicateurs de direction, ce que l'article R.313-14 II du code de la route permet.

Toutefois, il lui appartenait de faire connaître son intention de tourner à gauche par un autre moyen, pouvant être le geste de lever son bras gauche, suffisamment de temps avant d'entamer sa manoeuvre. Il devait également au préalable s'assurer qu'il pouvait entreprendre celles-ci sans gêne pour les autres usagers de la route et en toute sécurité pour eux et pour lui-même. Il lui appartenait donc de procéder à cette vérification en regardant dans son rétroviseur et en tournant la tête vers la gauche aux fins de contrôle de son champ de vision et de l'absence d'obstacle à l'arrière, mais également devant lui sur la voie parallèle de circulation en sens inverse.

Or, M. [W] a indiqué, lors de son audition par les gendarmes le 23 septembre 2019, qu'il ne savait pas d'où venait la voiture qui l'a percuté, qu'il ne comprenait pas car il aurait dû la voir arriver. S'il a précisé que, prenant régulièrement cette route et n'ayant pas les clignotants sur la mobylette, il faisait toujours attention dans les rétroviseurs s'il pouvait tourner, il n'a pas dit qu'il avait effectué un geste et/ou un signe manifestant sa volonté de tourner à gauche, ni procédé au contrôle de son champ de vision vers l'arrière en amont de cette manoeuvre.

Entendu le 24 mai 2020, M. [Z] a confirmé que la mobylette devant lui à droite n'avait jamais manifesté son envie de tourner à gauche, qu'il n'y avait eu aucun geste du bras, ni de la tête, de son pilote concernant le fait qu'il voulait tourner à gauche. Il a ajouté qu'il était bien présent derrière lui, qu'il roulait normalement, qu'il le voyait au loin, et qu'il avait mis son clignotant pour le dépasser.

Aucune autre personne identifiable n'a été témoin de l'accident.

Il ressort des explications cohérentes précitées des conducteurs impliqués que

M. [W] a commis des fautes de conduite dont l'incidence sur la réalisation de son dommage et, subséquemment, sur l'étendue de son droit à indemnisation constitue une contestation sérieuse relevant du débat devant le juge du fond.

Cependant, une provision peut être allouée même si le montant de l'obligation est encore sujet à controverse, dès lors que le principe même de l'obligation d'indemnisation de la société Thélem Assurances n'est pas sérieusement contestable.

Eu égard aux provisions de 65 000 euros déjà versées à M. [W], à l'éventuelle limitation de son droit à indemnisation, et à la discussion relevant du débat au fond sur les bases de calcul de chaque poste de préjudice, la provision de 30 000 euros non contestable proposée par la société Thélem Assurances sera allouée à M. [W].

Le montant arrêté par le premier juge à hauteur de 125 000 euros sera infirmé.

2) sur la provision pour frais d'instance

Le premier juge a fait droit à cette demande à hauteur de 3 000 euros pour indemniser les frais de procédure déjà engagés par M. [W] au titre des honoraires de son avocat dans le cadre de la phase amiable.

Or, une telle provision ne peut être accordée en référé que pour couvrir les frais du procès, c'est-à-dire d'une instance intentée devant une juridiction, et non pas les frais d'avocat exposés dans la phase amiable en-dehors de toute procédure judiciaire.

En revanche, l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile permet au juge des référés d'accueillir une demande de provision pour frais d'instance dès lors que l'obligation d'indemnisation de la partie à l'égard de laquelle cette demande est formée n'est pas sérieusement contestable.

L'obligation d'indemnisation de la société Thélem Assurances n'est pas sérieusement contestable, même si son montant est discuté en raison d'une contestation sérieuse. L'examen de celle-ci relève du débat devant le juge du fond dont la saisine par

M. [W] est indispensable pour liquider l'indemnisation de ses préjudices dans le cadre d'une procédure avec représentation obligatoire. Une provision de 3 000 euros lui sera accordée à cet effet.

La décision du premier juge sera confirmée mais pour un motif autre que celui qu'il a retenu.

Par ailleurs, il n'y a pas lieu de statuer sur les restitutions sollicitées de sommes versées en ce que leur objet relève de l'exécution des décisions judiciaires.

Sur les demandes accessoires

Partie perdante au final, M. [W] sera condamné aux dépens d'appel.

L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Dans les limites de l'appel formé,

Confirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a condamné la société Thélem Assurances à payer à M. [K] [W] la somme de 125 000 euros, à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice corporel,

Statuant à nouveau sur ce chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la société Thélem Assurances à payer à M. [K] [W] une provision de 30 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice,

Déclare cet arrêt commun et opposable à la Cpam du Calvados,

Déboute les parties du surplus des demandes,

Condamne M. [K] [W] aux dépens d'appel.

Le greffier, La présidente de chambre,