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Décisions

CAA Paris, 9e ch., 13 décembre 2024, n° 22PA04574

PARIS

Arrêt

Annulation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carrère

Rapporteur :

M. Lemaire

Rapporteur public :

M. Sibilli

Avocats :

Me Laude, Me Derenne

TA Paris, du 23 juin 2022, n° 2108979

23 juin 2022

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société coopérative de droit belge Eurelec Trading a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision en date du 28 août 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France lui a infligé des sanctions administratives pour un montant total de 6 340 000 euros, ensemble la décision implicite par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a rejeté son recours hiérarchique, à titre subsidiaire, de réduire le montant de ces sanctions dans la limite d'un montant maximal de 375 000 euros, d'ordonner le retrait immédiat à compter du jugement à intervenir du communiqué publié sur le site internet de la direction général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne.

Par un jugement n° 2108979 du 23 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société Eurelec Trading.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 octobre 2022 et 24 avril 2023, la société Eurelec Trading, représentée par Mes Laude, Boularbah et Derenne, demande à la Cour :

1°) d' annuler le jugement n° 2108979 du tribunal administratif de Paris en date du 23 juin 2022 ;

2°) d'annuler la décision en date du 28 août 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France lui a infligé des sanctions administratives d'un montant total de 6 340 000 euros, ensemble la décision implicite du ministre de l'économie, des finances et de la relance rejetant son recours hiérarchique ;

3°) à titre subsidiaire, de réduire le montant des sanctions qui lui ont été infligées dans la limite d'un montant maximal de 375 000 euros ;

4°) d'ordonner le retrait immédiat, à compter de l'arrêt à intervenir, du communiqué publié sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes faisant état des sanctions prononcées à son encontre ;

5°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes :

" 1. L'article 34 TFUE (libre circulation des marchandises) doit-il s'interpréter comme s'opposant à l'application extraterritoriale à une entreprise établie dans un Etat membre et ayant pour activité la négociation et l'achat dans cet Etat membre de produits provenant de divers Etats membres et Etats tiers, destinés à être mis en vente dans plusieurs Etats membres, d'une législation nationale du type de celle en cause dans le litige au principal (article L. 441-7 (ancien) du Code de commerce français, devenu article L. 441-3) dès lors que cette législation : (i) impose un formalisme tenant à la conclusion au 1er mars de chaque année d'une convention écrite entre fournisseurs et distributeurs, lequel formalisme a pour effet d'entraver la commercialisation de produits en France depuis un autre Etat Membre en empêchant la tenue de négociations uniques paneuropéennes à l'achat, (ii) ne s'applique qu'aux fournisseurs et distributeurs ou prestataires de services et (iii) n'affecte pas de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et des produits en provenance d'autres Etats membres ' Pour répondre à cette question, il serait utile de clarifier si la dichotomie " caractéristiques du produit / modalités de vente " établie par l'arrêt Keck et Mithouard est toujours d'application, ou s'il faut désormais se pencher plutôt sur les effets potentiellement discriminatoires de la disposition en cause à l'encontre des situations transnationales ' Si cette dichotomie doit toujours être appliquée, est-ce qu'une disposition comme l'article L. 441-7 (ancien) du code de commerce français doit s'interpréter comme concernant " une modalité de vente " '

2. L'article 49 TFUE (liberté d'établissement) doit-il s'interpréter comme s'opposant à l'application extraterritoriale d'une législation nationale du type de celle en cause à la question 1 à une entreprise établie dans un Etat membre et ayant pour activité la négociation et l'achat dans cet Etat membre de produits provenant de divers Etats membres et Etats tiers, destinés à être mis en vente dans plusieurs États membres, dès lors que cette législation réduit l'intérêt économique pour l'entreprise d'exercer ses activités en dehors du territoire de l'Etat membre qui est à l'origine de ladite législation '

3. L'article 56 TFUE (libre prestation de services) doit-il s'interpréter comme s'opposant à l'application extraterritoriale à une entreprise établie dans un Etat membre et ayant pour activité la négociation et l'achat dans cet Etat membre de produits provenant de divers Etats membres et Etats tiers, destinés à être mis en vente dans plusieurs Etats membres, d'une législation nationale du type de celle en cause à la question 1 '

4. L'article 16 de la Directive 2006/123/CE (" Directive services ") doit-il s'interpréter comme s'opposant à l'application extraterritoriale à une entreprise établie dans un Etat membre et ayant pour activité la négociation et l'achat dans cet Etat membre de produits provenant de divers Etats membres et Etats tiers, destinés à être mis en vente dans plusieurs États membres, d'une législation nationale du type de celle en cause à la question 1 '

5. La notion " d'ordre public ", en tant que notion autonome du droit de l'Union ne pouvant être invoquée qu'en cas de " menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société " (par ex., arrêt CJUE du 14 mars 2000, Association Eglise de scientologie de Paris et Scientology International Reserves Trust c. Premier ministre, C-54/99, EU:C:2000:124, point 18) doit-elle s'interpréter, au regard des articles 56 et 57 du TFUE et de l'article 16 § 1 de la Directive 2006/123/CE (et des arrêts CJUE du 23 novembre 1999, Arblade, C-369/96, EU:C:1999:575, point 31 et du 17 octobre 2013, Unamar, C-184/12, EU:C:2013:663, point 46), comme justifiant nécessairement l'entrave à la libre prestation de services résultant de l'application extraterritoriale d'une législation nationale du type de celle en cause à la question 1, au seul motif que cette législation est qualifiée, en droit national, de loi de police '

6. La condition de proportionnalité visée à l'article 16 § 1 c) de la Directive 2006/123/CE (" Directive services ") doit-elle s'interpréter comme s'opposant à l'application extraterritoriale à une entreprise établie dans un Etat membre et ayant pour activité la négociation et l'achat dans cet Etat membre de produits provenant de divers Etats membres et Etats tiers, destinés à être mis en vente dans plusieurs Etats membres, d'une législation nationale du type de celle en cause à la question 1, dès lors que (i) cette législation impose, à peine d'amende, un calendrier pour la conclusion d'accords de distribution, et que (ii) si plusieurs Etats membres venaient à adopter une législation similaire, il serait impossible pour des centrales d'achat européennes de poursuivre leur activité, puisqu'elles ne seraient plus en mesure de conduire des négociations uniques à l'achat à destination de plusieurs Etats membres '

7. Les réponses aux questions 5 et 6 s'appliquent-elles, mutatis mutandis, à l'appréciation des justifications des entraves à la libre circulation des marchandises et au libre établissement en cause aux questions 1 et 2 ' " ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 25 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que les moyens tirés de la non-compatibilité avec le droit de l'Union européenne ne sont pas écartés de façon suffisamment motivée ;

- le tribunal a omis d'examiner le moyen tiré de ce que l'application des dispositions en litige prive d'effet utile les règles du droit européen de la concurrence ;

- il n'a pas rempli son office de juge de la sanction prononcée, en n'examinant pas de manière complète le moyen tiré de l'absence de proportionnalité de la sanction ;

- il a commis une erreur de fait en estimant sa création artificielle ;

- elle n'a pas été créée artificiellement pour éviter l'application de la loi française ; elle ne met pas en place un processus de négociation déséquilibré et opaque avec les fournisseurs et les conventions qu'elle a conclues avec ses fournisseurs ne produisent pas d'effets uniquement sur le marché français ;

- les décisions attaquées ont été prises en méconnaissance des stipulations du 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la concentration des pouvoirs d'enquête, de poursuite et de sanction de l'administration violant les exigences de ces stipulations et aucune disposition n'assurant l'impartialité et l'indépendance de ses agents ;

- l'enquête a été menée à charge et en violation des droits de la défense et du contradictoire ;

- les dispositions en litige de l'ancien article L. 441-7 du code de commerce et de l'article L. 470-2 de ce code portent atteinte, sans justification admissible, au principe de libre circulation des marchandises, garanti par l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, au principe de libre établissement, garanti par l'article 49 de ce traité, et au principe de libre prestation de services, garanti par les articles 56 et 57 du même traité, ainsi que par l'article 16 de la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur ; ces dispositions ne sont en tout état de cause ni nécessaires, ni proportionnées par rapport à l'objectif poursuivi ;

- l'application des dispositions en litige prive d'effet utile les règles du droit européen de la concurrence, et en particulier l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- les dispositions en litige sont contraires au protocole n° 27 sur le marché intérieur et la concurrence du traité sur l'Union européenne, à l'article 4, paragraphe 3, de ce traité et à l'article 3 du règlement CE n° 1/2003 du 16 décembre 2002 ;

- l'ancien article L. 441-7 du code de commerce, qui ne poursuit pas un objectif crucial pour la sauvegarde des intérêts publics de la France, ne constitue pas une loi de police qui lui serait opposable ;

- en tout état de cause, les manquements qui lui sont reprochés ne sont pas établis, les dispositions en litige n'imposant pas la signature des conventions, mais leur conclusion ; avant le 1er mars 2019, elle avait conclu des conventions avec la plupart des fournisseurs visés par les décisions attaquées, à savoir les sociétés Pepsico, Essity, Mars Petfood et Food, Danone Produits Frais, Jacob Douwe Egberts, Johnson et Johnson, Kellogg's, Nestlé, Reckitt Benckiser, Red Bull Off Premise, Fromageries Bel, Glaxo Smith Kline Gp Santé, Lactalis SCPR et Lactalis Fromage, Froneri, Continental Foods, Bacardi Martini, Barilla, Beiersdorf, Findus, Procter et Gamble et Moët Hennessy Diageo ; seuls les prix ont été révisés annuellement dans le cadre d'accords commerciaux constatés par écrit avant le 1er mars 2019 ; les éventuels retards ou l'absence de conclusion d'une convention ne lui sont pas imputables ;

- aucun grief relatif au contenu des accords trouvés avec les fournisseurs n'a originellement été formulé et ne lui est à présent opposable ;

- en tout état de cause, les sanctions infligées, à savoir les amendes et la publication des motifs et du dispositif de la décision de sanction, méconnaissent le principe de personnalité des peines, garanti par les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; le non-respect de la date-butoir est imputable à plusieurs fournisseurs, à savoir les sociétés Glaxo Smith Kline, Froneri, Beiersdorf, Findus et Moët Hennessy Diageo ;

- le montant total des amendes infligées méconnaît le principe de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- les sanctions infligées doivent être réduites à de plus justes proportions.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 février 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Eurelec Trading ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 ;

- le règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 ;

- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ;

- le code de commerce ;

- la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 ;

- la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 ;

- la décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014 du Conseil constitutionnel ;

- la décision n° 2021-984 QPC du 25 mars 2022 du Conseil constitutionnel statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Eurelec Trading ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lemaire,

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,

- les observations de Me Laude, représentant la société Eurelec Trading,

- et les observations de Me Derenne.

Une note en délibéré a été enregistrée le 2 décembre 2024 pour la société Eurelec Trading.

Considérant ce qui suit :

1. La société Eurelec Trading, société coopérative de droit belge, a été fondée le 23 juin 2016 par plusieurs sociétés représentant la coopérative française de commerçants indépendants regroupés sous l'enseigne de grande distribution " E. Leclerc " et le groupe Rewe, coopérative allemande de commerçants indépendants. Cette société, qui exerce une activité de centrale d'achats pour le compte de ces commerçants, a fait l'objet d'une enquête, à l'issue de laquelle l'administration a considéré qu'elle avait commis vingt-et-un manquements à l'obligation de signer les conventions avec les fournisseurs au plus tard le 1er mars de l'année de leur prise d'effet, prévue par les dispositions alors codifiées au 3° du I de l'article L. 441-7 du code de commerce et désormais codifiées à l'article L. 441-3 de ce code. Par une décision en date du 28 août 2020, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France a en conséquence infligé à la société Eurelec Trading, sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 441-7 de ce code, désormais codifiées à l'article L. 441-6 de ce code, vingt-et-une amendes pour un montant total de 6 340 000 euros, et il a décidé, sur le fondement de l'article L. 470-2 du même code, de publier un communiqué sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour rendre ces amendes publiques. La société Eurelec Trading relève régulièrement appel du jugement en date du 23 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision, ainsi que de la décision implicite par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a rejeté le recours hiérarchique qu'elle avait présenté le 26 octobre 2020.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. A l'appui de sa demande, la société Eurelec Trading soutenait notamment que l'article L. 441-7 du code de commerce, sur le fondement duquel les amendes en litige lui avaient été infligées par la décision en date du 28 août 2020, avait pour effet de restreindre le droit des sociétés l'ayant constituée de mettre en place et de tirer profit d'une centrale internationale d'achats par un accord n'ayant aucun effet restrictif de concurrence, en méconnaissance du 2 de l'article 3 du règlement du Conseil du 16 décembre 2002 susvisé, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, privant ainsi d'effet utile les dispositions de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qu'il n'a pas analysé dans les visas et qui n'était pas inopérant. Par suite, son jugement doit être annulé.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Eurelec Trading devant le tribunal administratif de Paris.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Il appartient au juge du fond, saisi d'une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré, de prendre une décision qui se substitue à celle de l'administration et, le cas échéant, de faire application d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue. Par suite, compte tenu des pouvoirs dont il dispose ainsi pour contrôler une sanction de cette nature, le juge se prononce sur la contestation dont il est saisi comme juge de plein contentieux.

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 470-2 du code de commerce :

" I. - L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements mentionnés au titre IV du présent livre (...) ".

6. Il résulte de l'instruction que, par une décision du 2 juin 2020, régulièrement publiée le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture de région d'Île-de-France, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France a donné délégation à M. B... A..., directeur régional adjoint, responsable du pôle " Concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie ", à l'effet de signer les décisions infligeant les sanctions visées à l'article L. 470-2 du code de commerce. La société Eurelec Trading n'est dès lors pas fondée à soutenir que le signataire de la décision en date du 28 août 2020 ne disposait pas de la compétence pour lui infliger les sanctions en litige.

7. En deuxième lieu, aux termes du II de l'article L. 450-1 du code de commerce : " Des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l'économie peuvent procéder aux enquêtes nécessaires à l'application des dispositions du présent livre ". Aux termes de l'article L. 470-2 du même code : " (...) / III. - Les manquements passibles d'une amende administrative sont constatés par procès-verbal (...). / IV. - Avant toute décision, l'administration informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l'invitant à présenter, dans le délai de soixante jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales. / (...) ".

8. D'une part, contrairement à ce que soutient la société Eurelec Trading, les dispositions précitées du code de commerce n'ont pas pour objet d'instaurer une procédure contradictoire pour la constatation des manquements. D'autre part, il résulte de l'instruction que le procès-verbal de l'enquête dont la société Eurelec Trading a fait l'objet, établi le 26 août 2019 conformément aux dispositions précitées du III de l'article L. 470-2 du code de commerce, a été communiqué à cette société par une lettre du 19 décembre 2019, à laquelle étaient également jointes l'ensemble des pièces recueillies lors de cette enquête. Par cette lettre, conformément aux dispositions du IV de cet article, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France a informé la société Eurelec Trading des sanctions envisagées, lui a indiqué qu'elle pouvait se faire assister du conseil de son choix et l'a invitée à présenter ses observations dans un délai de soixante jours, ce qu'elle a fait par une lettre du 21 février 2020. Dans ces conditions, et alors même que ses représentants n'ont pas été auditionnés au cours de l'enquête, préalablement à l'établissement du procès-verbal, la société Eurelec Trading n'est pas fondée à soutenir que les sanctions en litige ont été infligées en méconnaissance des droits de la défense et du principe du contradictoire.

9. En troisième lieu, en vertu de l'article L. 470-2 du code de commerce, la décision infligeant une amende administrative sanctionnant les manquements constatés au titre IV du livre IV de ce code doit être motivée.

10. Il résulte de l'instruction que la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France en date du 28 août 2020 mentionne les circonstances de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. La société Eurelec Trading n'est dès lors pas fondée à soutenir que cette décision n'est pas suffisamment motivée, en méconnaissance de l'article L. 470-2 du code de commerce.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) ".

12. D'une part, eu égard à sa nature et à ses attributions, l'autorité infligeant des amendes administratives sanctionnant les manquements constatés au titre IV du livre IV du code de commerce, qui ne prend pas une décision collégiale à l'issue d'une procédure de type juridictionnel et qui demeure soumise au contrôle hiérarchique, ne peut pas être regardée comme un tribunal, au sens des stipulations précitées de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. D'autre part, et en tout état de cause, les amendes et la publication d'un communiqué, qui sont décidées à l'issue d'une procédure contradictoire, peuvent faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant le juge administratif, ainsi que, le cas échéant, d'un référé permettant d'en obtenir provisoirement la suspension, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. Au demeurant, il résulte des points 67 à 69 de la décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014 du Conseil constitutionnel que l'attribution à l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, de la compétence pour constater les manquements aux obligations prévues par le code de commerce et pour sanctionner ces manquements ne méconnaît ni le principe de la séparation des pouvoirs, ni aucun autre principe ou aucune règle de valeur constitutionnelle. Dans ces conditions, la société Eurelec Trading n'est pas fondée à soutenir que les stipulations précitées de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales faisaient obstacle à ce que la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi puisse à la fois prendre l'initiative des enquêtes et des poursuites et exercer le pouvoir de sanction.

En ce qui concerne le bien-fondé des sanctions infligées :

13. Aux termes de L. 441-3 du code de commerce : " I. - Une convention écrite conclue entre le fournisseur (...) et le distributeur ou le prestataire de services mentionne les obligations réciproques auxquelles se sont engagées les parties à l'issue de la négociation commerciale, dans le respect des articles L. 442-1 à L. 442-3. Cette convention est établie soit dans un document unique, soit dans un ensemble formé par un contrat-cadre et des contrats d'application. / (...) / III. - La convention mentionnée au I fixe, aux fins de concourir à la détermination du prix convenu, les obligations suivantes : / 1° Les conditions de l'opération de vente des produits ou des prestations de services, y compris les réductions de prix, et le cas échéant les types de situation dans lesquelles et les modalités selon lesquelles des conditions dérogatoires de l'opération de vente sont susceptibles d'être appliquées ; / 2° Les services de coopération commerciale, propres à favoriser la commercialisation des produits ou services du fournisseur, que le distributeur ou le prestataire de service lui rend, ne relevant pas des obligations d'achat et de vente, en précisant l'objet, la date prévue, les modalités d'exécution, la rémunération de ces services ainsi que les produits ou services auxquels ils se rapportent et la rémunération globale afférente à l'ensemble de ces obligations ; / 3° Les autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services, en précisant pour chacune l'objet, la date prévue et les modalités d'exécution, ainsi que la rémunération ou la réduction de prix globale afférente à l'ensemble de ces obligations ; / 4° L'objet, la date, les modalités d'exécution, la rémunération et les produits auxquels il se rapporte de tout service ou obligation relevant d'un accord conclu avec une entité juridique située en dehors du territoire français, avec laquelle le distributeur est directement ou indirectement lié. / IV. - La convention mentionnée au I est conclue pour une durée d'un an, de deux ans ou de trois ans, au plus tard le 1er mars de l'année pendant laquelle elle prend effet ou dans les deux mois suivant le point de départ de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier. Lorsqu'elle est conclue pour une durée de deux ou de trois ans, elle fixe les modalités selon lesquelles le prix convenu est révisé. Ces modalités peuvent prévoir la prise en compte d'un ou de plusieurs indicateurs disponibles reflétant l'évolution du prix des facteurs de production. / V. - Le fournisseur communique ses conditions générales de vente au distributeur dans un délai raisonnable avant le 1er mars (...) ". Aux termes de l'article L. 441-6 de ce code : " Tout manquement aux dispositions des articles L. 441-3 à L. 441-5 est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder (...) 375 000 euros pour une personne morale. / (...) ". Aux termes de l'article L. 470-2 du même code : " (...) / VII. - Lorsque, à l'occasion d'une même procédure ou de procédure séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l'encontre d'un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s'exécutent cumulativement. / (...) ".

S'agissant du moyen tiré de la méconnaissance des droits et libertés garantis par la Constitution :

14. Par la décision du 25 mars 2022 susvisée, le Conseil constitutionnel, statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Eurelec Trading, a considéré que les dispositions de l'article L. 470-2 du code de commerce citées au point précédent ne méconnaissaient ni le principe de proportionnalité des peines, ni le principe de légalité des délits et des peines, ni le principe non bis in idem, et il les a déclarées conformes à la Constitution. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par ces dispositions, des droits et libertés que la Constitution garantit ne peut qu'être écarté.

S'agissant des moyens tirés de la non-compatibilité avec le droit de l'Union européenne :

15. En premier lieu, aux termes de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les Etats membres ".

16. La société Eurelec Trading soutient que l'obligation de conclure avec les fournisseurs une convention écrite avant le 1er mars de l'année de sa prise d'effet, prévue par les dispositions précitées de l'article L. 441-3 du code de commerce, constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation. Toutefois, cette obligation ne régit que les relations contractuelles, et non les caractéristiques des produits. En outre, elle s'applique à tous les opérateurs exerçant leur activité sur le marché français et entrant dans le champ de ces dispositions et elle affecte de la même manière la commercialisation des produits, quelle que soit leur provenance. Par ailleurs, elle n'impose pas que la négociation et la conclusion d'un accord aux fins de concourir à la détermination du prix convenu aient lieu en France. Enfin, en tant que cette obligation a une incidence sur les modalités de vente des produits, elle a vocation à régir les ventes de produits en France. Le moyen tiré de ce que les dispositions précitées de l'article L. 441-3 du code de commerce, en tant qu'elles prévoient cette obligation, ne sont pas compatibles avec la liberté de circulation garantie par les dispositions précitées de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit dès lors être écarté.

17. En deuxième lieu, aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre. / La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, (...) dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants (...) ".

18. La société Eurelec Trading soutient que l'obligation de conclure avec les fournisseurs une convention écrite avant le 1er mars de l'année de sa prise d'effet, prévue par les dispositions précitées de l'article L. 441-3 du code de commerce, constitue une restriction à la liberté d'établissement. Toutefois, cette obligation concerne tous les opérateurs exerçant leur activité sur le marché français et entrant dans le champ de ces dispositions, quel que soit leur lieu d'établissement. Elle n'a ni pour objet, ni pour effet, contrairement à ce que soutient la société requérante, d'inciter à s'établir en France ou de dissuader ou de limiter la faculté de s'établir sur le territoire d'un autre Etat membre. Le moyen tiré de ce que les dispositions précitées de l'article L. 441-3 du code de commerce, en tant qu'elles prévoient cette obligation, ne sont pas compatibles avec la liberté d'établissement garantie par les dispositions précitées de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit dès lors être écarté.

19. En troisième lieu, aux termes de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation. / (...) ". Aux termes de l'article 57 de ce traité : " Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. / (...) ". Aux termes de l'article 16 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 susvisée, relative aux services dans le marché intérieur : " 1. Les Etats membres respectent le droit des prestataires de fournir des services dans un Etat membre autre que celui dans lequel ils sont établis. / (...) ".

20. La société Eurelec Trading soutient que l'obligation de conclure avec les fournisseurs une convention écrite avant le 1er mars de l'année de sa prise d'effet, prévue par les dispositions précitées de l'article L. 441-3 du code de commerce, constitue une restriction à la libre prestation de services. Toutefois, d'une part, à supposer que la société requérante puisse être regardée, à l'égard des fournisseurs, comme un prestataire de service au sens des dispositions citées au point précédent, cette obligation ne constitue pas une restriction au libre exercice de la fonction d'interlocuteur unique et aux services de coopération commerciale qu'elle soutient leur rendre. D'autre part, si elle peut être regardée comme rendant à ses associés des services de négociation des prix et d'approvisionnement en marchandises, il résulte en tout état de cause des travaux préparatoires des lois des 3 janvier 2008 et 17 mars 2014 susvisées que cette obligation de conclusion des conventions, qui consiste à imposer une date-butoir à la négociation commerciale, n'a pas été instituée à titre principal pour faciliter les contrôles de l'administration, contrairement à ce que soutient la société requérante, mais pour garantir la loyauté des transactions commerciales et pour préserver un équilibre dans la relation entre les fournisseurs et les distributeurs. Cette obligation, qui est ainsi justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, est nécessaire à la protection des fournisseurs et n'est ni constitutive d'une discrimination, ni disproportionnée. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article L. 441-3 du code de commerce, en tant qu'il prévoit l'obligation de conclure les conventions entre fournisseurs et distributeurs avant une date déterminée, n'est pas compatible avec la libre prestation de services garantie par ces mêmes dispositions doit être écarté.

21. En quatrième lieu, aux termes de l'article 4 du traité sur l'Union européenne : " (...) / 3. (...) / Les Etats membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l'exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l'Union. / Les Etats membres facilitent l'accomplissement par l'Union de sa mission et s'abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'Union ". Aux termes de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur (...) ". Aux termes de l'article 3 du règlement du Conseil du 16 décembre 2002 susvisé, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité : " (...) / 2. L'application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l'interdiction d'accords, de décisions d'associations d'entreprises ou de pratiques concernées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres, mais qui n'ont pas pour effet de restreindre la concurrence (...) ".

22. L'obligation, prévue par les dispositions précitées de l'article L. 441-3 du code de commerce, de conclure une convention écrite entre fournisseurs et distributeurs avant le 1er mars de l'année de sa prise d'effet n'a ni pour objet, ni pour effet d'empêcher ou de restreindre la faculté de constituer une centrale internationale d'achats par un accord entre entreprises n'ayant aucun effet restrictif de concurrence. Le moyen tiré de ce que ces dispositions ne sont pas compatibles avec les dispositions citées au point précédent et privent d'effet utile celles de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit, dès lors et en tout état de cause, être écarté.

23. En dernier lieu, la société Eurelec Trading ne saurait utilement se prévaloir du protocole n° 27 sur le marché intérieur et la concurrence, annexé au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en tant qu'il prévoit que " le marché intérieur (...) comprend un système garantissant que la concurrence n'est pas faussée ", ces dispositions n'ayant en tout état de cause ni pour objet, ni pour effet d'empêcher les Etats membres de l'Union d'imposer une date-butoir à la conclusion des conventions entre les fournisseurs et les distributeurs.

S'agissant du moyen tiré de l'inopposabilité de l'obligation prévue par l'article L. 441-3 du code de commerce :

24. Aux termes de l'article 9 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 susvisé, sur la loi applicable aux relations contractuelles : " 1. Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement. / (...) ".

25. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 20, l'obligation, prévue par les dispositions précitées de l'article L. 441-3 du code de commerce, de conclure une convention écrite entre fournisseurs et distributeurs avant le 1er mars de l'année de sa prise d'effet, consiste à imposer une date-butoir à la négociation commerciale et n'a pas été instituée à titre principal pour faciliter les contrôles de l'administration, contrairement à ce que soutient la société Eurelec Trading, mais pour garantir la loyauté des transactions commerciales et pour préserver un équilibre dans la relation entre les fournisseurs et les distributeurs, en protégeant les premiers contre la remise en cause tardive des négociations par les seconds. En tant qu'il prévoit cette obligation, l'article L. 441-3 du code de commerce contient une disposition impérative, dont le respect est crucial pour la préservation d'une certaine égalité entre fournisseurs et distributeurs et qui s'avère ainsi indispensable pour l'organisation économique et sociale de la France. Par suite, et sans qu'y fassent obstacle les circonstances, dont la société Eurelec Trading se prévaut, que les conventions qu'elle conclut prévoient l'application de la loi belge et que ladite obligation ne permettrait pas à elle seule de lutter contre les dysfonctionnements du marché de la grande distribution, cette disposition doit être regardée comme une loi de police, s'appliquant à toute situation entrant dans son champ d'application.

26. D'autre part, il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal du 26 août 2019, que les sanctions en litige ont été infligées à la société Eurelec Trading à raison du retard dans la conclusion de vingt-et-une conventions avec des sociétés de droit français, bien qu'appartenant à des groupes internationaux pour la plupart d'entre elles, pour l'achat de produits destinés au marché français. Ces conventions entraient dès lors dans le champ d'application de l'article L. 441-3 du code de commerce, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que la société requérante conclue par ailleurs d'autres conventions avec des fournisseurs non-français pour l'achat de produits non destinés au marché français.

27. Il résulte de ce qui a été dit aux points 25 et 26 que la société Eurelec Trading n'est pas fondée à soutenir que les dispositions précitées de l'article L. 441-3 du code de commerce ne lui sont pas opposables.

S'agissant du moyen tiré de l'inexactitude matérielle des faits :

28. En vertu des dispositions précitées de l'article L. 441-3 du code de commerce, il incombe au distributeur, auquel le fournisseur doit avoir adressé ses conditions générales de vente dans un délai raisonnable avant le 1er mars de l'année pendant laquelle elle prend effet, de conclure avant cette date une convention écrite mentionnant les obligations réciproques auxquelles ils se sont engagés à l'issue de la négociation commerciale, cette convention étant établie soit dans un document unique, soit dans un ensemble formé par un contrat-cadre et des contrats d'application. Cette convention est établie pour une durée limitée d'un an, de deux ans ou de trois ans, et, lorsqu'elle est conclue pour une durée de deux ou trois ans, elle fixe les modalités selon lesquelles le prix convenu est révisé.

29. Il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal établi le 26 août 2019 par les services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France et des procès-verbaux de déclaration et de prise de copie de document établis avec chacun des fournisseurs concernés, qu'au titre de l'année 2019, la société Eurelec Trading a conclu une convention écrite, au sens de l'article L. 441-3 du code de commerce, postérieurement au 1er mars 2019, avec six de ses fournisseurs, soit les sociétés de droit français Pepsico France, JDE FR, Red Bull France, Lactalis, Barilla et PG France. Pour quinze autres fournisseurs, soit les sociétés de droit français Essity France, Mars PF, Danone Produits Frais France, Johnson et Johnson Santé Beauté France, Kellogg's France, Nestlé France, Reckitt Benckiser, Bel Fromageries, GlaxoSmithKline Santé Grand Public, Froneri France, Continental Foods, Baccardi Martini France, Beiersdorf, Findus France et Moët Hennessy Diageo, elle n'a conclu aucune convention écrite avant le 10 juillet 2019, date du dernier acte de l'enquête dont elle a fait l'objet. Alors qu'ainsi qu'il a été dit au point précédent, les dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce imposent la conclusion d'une convention écrite mentionnant l'ensemble des obligations réciproques du fournisseur et du distributeur, la société requérante ne saurait soutenir que les conventions avaient été tacitement conclues avant le 1er mars 2019. Elle ne saurait davantage se prévaloir d'échanges de courriers électroniques, qui ne peuvent pas être regardés comme des conventions écrites au sens et pour l'application de ces dispositions. Enfin, si elle fait valoir qu'elle avait conclu des contrats-cadres en 2017 et en 2018 avec certains de ses fournisseurs, il ne résulte pas de l'instruction que, conformément aux dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce, ces contrats-cadres prévoyaient des modalités de révision des prix. En tout état de cause, la société Eurelec Trading ne saurait se prévaloir de ces contrats-cadres alors qu'elle était engagée, à la fin de l'année 2018, dans des négociations commerciales avec les fournisseurs en cause, qui lui avaient envoyé leurs conditions générales de vente plus de trois mois avant le 1er mars 2019, conformément aux dispositions alors applicables de l'article L. 441-7 du code de commerce. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les faits retenus pour lui infliger les sanctions en litige sont matériellement inexacts.

S'agissant du moyen tiré de la méconnaissance du principe de la personnalité des peines :

30. La société Eurelec Trading soutient que l'absence de conclusion de conventions écrites, au sens de l'article L. 441-3 du code de commerce, avant la date-butoir prévue par ces dispositions ne lui est pas imputable. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment du procès-verbal établi le 26 août 2019 par les services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France, que les sanctions en litige lui ont été infligées à raison de l'absence de conclusion d'une convention écrite avant le 1er mars 2019 avec vingt-et-un fournisseurs, avec lesquels elle avait engagé des négociations et qui lui avaient tous envoyé leurs conditions générales de vente plus de trois mois avant cette date, conformément aux dispositions alors applicables de l'article L. 441-7 de ce code, soit dans un délai raisonnable permettant la conclusion des conventions écrites avant la date-butoir. En tout état de cause, la société requérante n'apporte aucun élément de nature à établir qu'en dépit du délai dont elle disposait ainsi, elle a été empêchée par ses fournisseurs de respecter l'obligation prévue par cet article.

S'agissant du moyen tiré de la disproportion des amendes :

31. Il résulte de l'instruction que, par la décision en date du 28 août 2020, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France a infligé à la société Eurelec Trading vingt-et-une amendes pour un montant total de 6 340 000 euros, dont onze amendes d'un montant unitaire de 375 000 euros, soit le montant maximum prévu par l'article L. 441-6 du code de commerce, et dix amendes d'un montant variant de 35 000 euros à 295 000 euros, fixé en fonction de la gravité du manquement apprécié au regard du chiffre d'affaires prévisionnel des conventions en cause, de la conclusion ou non d'une convention écrite et, le cas échéant, de la date de sa signature. Alors que la plupart de ses fournisseurs avaient en amont, de façon répétée, attiré son attention sur l'existence et l'opposabilité de l'obligation résultant de l'article L. 441-3 du code de commerce, la société Eurelec Trading a pourtant méconnu cette obligation à l'égard de vingt-et-un de ses vingt-six fournisseurs, dans des conditions portant gravement atteinte aux exigences de loyauté et d'équilibre des relations commerciales, le retard moyen de conclusion de la convention écrite s'élevant à 109 jours, sans tenir compte de la date réelle de conclusion des quinze conventions non conclues le 10 juillet 2019, date du dernier acte de l'enquête dont elle a fait l'objet. En outre, alors que le chiffre d'affaires prévisionnel correspondant à l'application des conventions conclues tardivement par la société requérante s'élève à près de 2,4 milliards d'euros, le montant total des amendes qui lui ont été infligées ne représente que 0,27 % de ce chiffre d'affaires prévisionnel. Dans ces conditions, la société Eurelec Trading n'est pas fondée à soutenir que ces amendes sont disproportionnées.

32. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 31, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles, que la société Eurelec Trading n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France en date du 28 août 2020 et de la décision implicite par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a rejeté le recours hiérarchique qu'elle avait présenté le 26 octobre 2020. Les conclusions à fin d'annulation présentées par la société Eurelec Trading doivent dès lors être rejetées, ainsi que, pour les mêmes motifs et en tout état de cause, ses conclusions tendant à la réduction du montant total des sanctions qui lui ont été infligées et au retrait du communiqué publié sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

33. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, le versement de la somme que la société Eurelec Trading demande au titre des frais qu'elle a exposés.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2108979 du tribunal administratif de Paris en date du 23 juin 2022 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Eurelec Trading devant le tribunal administratif de Paris et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société coopérative Eurelec Trading et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.