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Décisions

Cass. 1re civ., 4 décembre 2024, n° 23-17.569

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Champalaune

Rapporteur :

Mme Kerner-Menay

Avocat général :

M. Aparisi

Avocats :

SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, SARL Le Prado - Gilbert, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet

Paris, du 20 avr. 2023

20 avril 2023

Exposé du litige

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 avril 2023), le 3 juin 2015, au cours d'une vente aux enchères publiques organisée par la société de ventes volontaires Baratoux Dubourg enchères (la société de ventes), mandatée par [N] [Y] [Z], assistée de son fils M. [S] [Y] [Z], la société Galerie De Bayser (la société De Bayser) a été déclarée adjudicataire d'un tableau décrit comme, « une huile sur toile «Visage alangui » XIXème siècle 46x56 cm. Provenance du tableau : Héritiers de [B] [X] », estimé entre 200 à 300 euros, pour un montant de 50 000 euros.

2. Ce tableau a été revendu le 10 juin 2015 par la société De Bayser pour un prix de 90 000 euros à une galerie qui l'a elle-même revendu le 15 juin 2015 au prix de 130 000 euros à un particulier qui a ultérieurement refusé que le tableau soit expertisé.

3. Faisant valoir que la société de ventes avait commis des fautes et que le consentement de [N] [Y] [Z], décédée le [Date décès 5] 2016, avait été vicié par l'erreur commise sur les qualités substantielles du tableau en présence de fortes présomptions que le tableau soit une oeuvre du peintre [L] ou d'un artiste de renom, ses ayants droit, M. [S] [Y] [Z], M. [M] [Y] [Z], assisté de son curateur l'Union départementale des associations familiales de Gironde, Mme [D] [Y] [Z], assistée de son curateur, l'association tutélaire des Hauts-de-Seine, M. [T] [Y] [Z] et Mme [R] [Y] [Z] (les consorts [Y] [Z]), ont assigné la société de ventes et la société De Bayser, en annulation de la vente pour erreur sur la substance et en responsabilité de la société de ventes.

Moyens

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Motivation

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Moyens

Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

5. Les consorts [Y] [Z] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en annulation de la vente, alors « qu'en tout état de cause, le caractère inexcusable de l'erreur s'apprécie in concreto, en fonction des circonstances de la conclusion du contrat, de l'âge, de la compétence et de la profession de la victime ; qu'en particulier, la victime de l'erreur ne peut se voir reprocher une erreur inexcusable si les éléments qu'elle avait en sa possession et qu'elle a transmis au professionnel à l'avis duquel elle s'en est remise n'ont pas permis à ce dernier de déceler la réalité contemporaine de la conclusion du contrat ; qu'il résulte en l'espèce des constatations de l'arrêt que le commissaire-priseur, ayant réalisé l'évaluation du tableau litigieux à la somme de 200 à 300 euros, non seulement avait entre les mains le tableau mais disposait également de l'ensemble des archives de la famille [Y] [Z], triées et classées par l'expert à qui il les avait confiées ; qu'il avait en outre connaissance des liens de la famille [Y] [Z] avec le peintre [X], ayant pris l'initiative, sans en avertir sa mandante, de mentionner ce lien dans la description du bien en vue de sa vente ; qu'en retenant, pour juger que [N] [Y] [Z] avait commis une erreur inexcusable, qu'elle était en possession du tableau depuis de nombreuses années, qu'elle n'ignorait pas qu'un de ses ancêtres était le peintre [X] et qu'elle avait confié au commissaire-priseur ses archives familiales sans tri préalable, cependant que l'ensemble de ces éléments, qui étaient à la disposition du commissaire-priseur ou dont il avait connaissance, n'avait été de nature ni à modifier son évaluation du tableau à la somme de 200 à 300 euros, ni à le conduire à faire appel à l'avis d'un expert plus qualifié, toutes circonstances qui excluaient par là-même la qualification d'erreur inexcusable commise par la venderesse, la cour d'appel a derechef violé l'article 1110 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ».

Motivation

Réponse de la Cour

Vu les articles 1109 et 1110 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

6. Il résulte de ces textes que l'erreur du vendeur sur les qualités substantielles de la chose vendue n'est une cause de nullité du contrat que dans la mesure où elle est excusable. Tel est le cas si le vendeur a transmis tous les éléments en sa possession au professionnel chargé de la vente en s'en remettant à son avis et que celui-ci n'a pas procédé aux recherches qui auraient permis d'éviter cette erreur.

7. Pour rejeter la demande, après avoir relevé que [N] [Y] [Z], persuadée du caractère ordinaire de la peinture, avait été victime d'une erreur dès lors qu'il existait un doute sur l'attribution possible du tableau à [L] qui ne pouvait être levé en l'absence d'expertise, l'arrêt retient que cette erreur est inexcusable en l'absence, par elle et de son fils, d'un examen préalable des archives familiales, alors qu'ils avaient connaissance que le peintre [X], dont le frère avait défendu le peintre [L] et son oeuvre le Radeau de la Méduse, était membre de leur famille ainsi que l'était également l'éditeur [W] [E] qui faisait partie du monde des arts au XIXème siècle.

8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société de ventes était elle-même en possession des archives familiales comprenant les documents permettant d'établir le lien de parenté entre la famille de [N] [Y] [Z] et le peintre [X], information qu'elle avait portée à la connaissance du public immédiatement avant la vente, sans modifier l'évaluation initiale, ni faire appel à l'avis d'un expert, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Moyens

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. Les consorts [Y] [Z] font grief à l'arrêt de rejeter leur action en responsabilité contractuelle à l'encontre de la société de ventes, alors « que l'opérateur de ventes volontaires est soumis à un devoir de transparence et de diligence à l'égard du vendeur tout au long du processus de vente ; qu'il est tenu de lui apporter tous les éléments d'information dont il dispose pour éclairer sa décision quant aux conditions de mise en vente de l'objet concerné, en effectuant les recherches appropriées pour identifier le bien qui lui est confié en vue de la vente et déterminer, en l'état actuel des connaissances, la qualité de celui-ci notamment en considération de sa nature, de son origine géographique et de son époque, en recourant le cas échéant à l'assistance d'un expert et en s'enquérant de l'authenticité de l'œuvre qu'il propose à la vente en faisant les démarches que l'on est en droit d'attendre de lui à cet effet ; qu'il lui appartient donc de questionner le vendeur sur les biens mis en vente et d'attirer l'attention de celui-ci sur certains d'entre eux le cas échéant ; qu'en retenant en l'espèce, pour juger que la société Baratoux Dubourg Enchères, qui n'avait réalisé aucune investigation particulière quant au tableau litigieux, n'avait pas engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de [N] [Y] [Z], faute pour cette dernière d'avoir attiré son attention sur le tableau litigieux, voire de l'avoir alerté ou d'avoir demandé à ce que le tableau soit expertisé, cependant que de telles obligations pesaient non pas sur la venderesse ou son fils, profanes en matière d'art, mais sur le commissaire-priseur, au titre de l'obligation de diligence, d'information et de conseil devant être remplie à l'égard de sa mandante, la cour d'appel a violé l'article L. 321-17 du code de commerce, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Motivation

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 321-17 du code de commerce et les articles 1.2.2 et 1.5.4. de l'arrêté du 21 février 2012 portant approbation du recueil déontologique des opérateurs de vente volontaires, applicables au litige :

10. Selon le premier de ces textes, l'opérateur de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques engage sa responsabilité au cours ou à l'occasion des prisées et des ventes de meubles aux enchères publiques, conformément aux règles applicables à ces ventes.

11. Selon le deuxième, il est soumis à un devoir de transparence et de diligence à l'égard du vendeur tout au long du processus de vente et il lui apporte tous les éléments d'information dont il dispose pour éclairer sa décision quant aux conditions de mise en vente de l'objet concerné.

12. Selon le troisième, il effectue les recherches appropriées pour identifier le bien qui lui est confié en vue de la vente et déterminer, en l'état actuel des connaissances, la qualité de celui-ci notamment en considération de sa nature, de son origine géographique et de son époque et le cas échéant, il recourt à l'assistance d'un expert.

13. Pour écarter l'existence d'une faute de la société de ventes, après avoir constaté que le tableau litigieux n'avait pas fait l'objet d'investigations particulières de la part du commissaire-priseur, l'arrêt retient que celui-ci n'a jamais été alerté et interrogé sur ce tableau et qu'il ne lui a pas été demandé d'expertise malgré les éléments figurant aux archives familiales.

14. En statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter la responsabilité de la société de ventes au regard des obligations lui incombant préalablement à une vente, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mises hors de cause

15. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société de ventes, ni la société De Bayser dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

Dispositif

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les fins de non-recevoir, l'arrêt rendu le 20 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.