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Décisions

Cass. com., 18 décembre 2024, n° 22-21.487

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Lefeuvre

Avocats :

SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia

Versailles, du 19 juill. 2022

19 juillet 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 19 juillet 2022) et les productions, [U] [Y] et [Z] [D] ont constitué à parts égales la SARL World People. [U] [Y] est décédé le 21 avril 2001, en laissant pour lui succéder ses deux enfants issus d'une première union, MM. [E] et [N] [Y], ainsi que son épouse, Mme [F],et leurs trois enfants, [C], [G] et [X]. [Z] [D] est décédé le 15 juillet 2008, en l'état d'un testament léguant ses parts aux enfants de M. [N] [Y], Mme [A] [Y] et M. [W] [Y]. A cette même date, M. [N] [Y] a repris la gérance de la société World People, antérieurement assurée par [Z] [D].

2. Auparavant, le 2 octobre 2000, la société World People avait conclu avec M. [N] [Y], exploitant de l'entreprise Le Web, une convention de collaboration prévoyant des prestations croisées. Le 15 novembre 2002, la société Le Web avait été constituée entre M. [N] [Y], détenteur de 999 parts, et [Z] [D], détenteur d'une part, qui a repris la convention du 2 octobre 2000. Cette convention a fait l'objet d'avenants successifs jusqu'en 2011.

3. Lui reprochant différentes fautes de gestion, Mme [F], Mme [C] [Y] et MM. [G] et [X] [Y] (les consorts [Y]) ont assigné M. [N] [Y], ainsi que la société World People, aux fins de voir annuler plusieurs assemblées générales auxquelles ils n'avaient pas été convoqués, désigner un expert pour évaluer leur préjudice, révoquer M. [N] [Y] de ses fonctions de gérant et mettre en œuvre sa responsabilité personnelle, et désigner un administrateur provisoire.

4. Le 7 mars 2023, la société World People a été mise en liquidation judiciaire, la société JSA étant désignée liquidateur.

Examen des moyens

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. M. [N] [Y] fait grief à l'arrêt de dire que l'instance en cours n'est pas périmée, alors :

« 1°/ que l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ; que les diligences accomplies par une partie dans une instance n'interrompent la péremption de l'autre instance que s'il existe un lien de dépendance directe et nécessaire entre les deux instances ; que, par un jugement du 8 janvier 2014, le tribunal de commerce de Versailles a, d'une part, statué sur les demandes en nullité des décisions de l'assemblée générale de la société World People et a, d'autre part, sursis à statuer quant à la révocation du gérant, [N] [Y] dans l'attente d'une expertise qu'il a ordonnée avant dire droit ; qu'il a été interjeté appel à l'encontre du jugement en ce qu'il avait statué sur la validité des décisions sociales, sur lequel il a été statué sur renvoi après cassation par un arrêt de la cour d'appel de Versailles en date du 19 septembre 2019 ; que ce n'est que le 23 septembre 2019, soit plus de deux ans et trois mois après le dépôt du rapport d'expertise judiciaire intervenu le 7 juin 2017, que les consorts [Y] ont sollicité la réinscription au rôle de l'affaire devant le tribunal de commerce ; que, pour écarter la péremption de l'instance, la cour d'appel a retenu qu' "il existait un lien de dépendance directe entre l'instance pendante devant la cour ayant donné lieu à l'arrêt du 19 septembre 2019 et celle encore pendante devant le tribunal de commerce resté saisi des demandes de révocation du gérant et d'indemnisation ayant fait l'objet du sursis à statuer ordonné dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert" et que "la société World People et M. [N] [Y] ont formé une demande de nullité du jugement du 8 janvier 2014 […] en sorte que les premiers juges ne pouvaient statuer sur les demandes dont ils étaient saisis sans attendre l'arrêt à intervenir" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui s'est fondée sur un motif impropre à établir un lien de dépendance entre les deux instances dès lors que la demande en nullité du jugement ne faisait pas obstacle à la poursuite de l'instance devant les premiers juges sur les chefs du litige qui n'avaient pas été tranchés par ledit jugement, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 386 du code de procédure civile ;

2°/ que l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ; que les diligences accomplies par une partie dans une instance n'interrompent la péremption de l'autre instance que s'il existe un lien de dépendance directe et nécessaire entre les deux instances ; que pour établir un lien de dépendance nécessaire entre les deux instances, la cour d'appel a considéré que "les consorts [Y] ont sollicité l'annulation des assemblées des années 2002 à 2010, [dont] celle du 30 juillet 2008 ayant désigné M. [N] [Y] en qualité de gérant de la société World People, en sorte que les premiers juges ne pouvaient statuer sur les demandes dont ils étaient saisis sans attendre l'arrêt à intervenir" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui s'est fondée sur un motif impropre à établir un lien de dépendance entre les deux instances dès lors que la demande en nullité de la désignation du gérant est indépendante de la demande en révocation de celui-ci, a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 386 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Ayant retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, qu'il existait un lien de dépendance direct et nécessaire entre l'instance ayant donné lieu à l'arrêt du 19 septembre 2019 et celle encore pendante devant le tribunal de commerce, la cour d'appel en a exactement déduit que les actes accomplis par les consorts [Y] à l'occasion de la première, notamment leurs dernières conclusions notifiées moins de deux ans après le dépôt du rapport d'expertise, avaient eu un effet interruptif sur la seconde, et, par voie de conséquence, que l'instance n'était pas périmée.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

9. M. [N] [Y] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer une certaine somme à la société World People, de le révoquer de ses fonctions de gérant et de désigner la société [P] [K] en qualité d'administrateur provisoire de la société World People, alors :

« 1°/ que les conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et l'un de ses gérants ou associés sont soumises à des dispositions spéciales, distinctes de celles, générales, relatives à la responsabilité pour faute de gestion du gérant ; qu'en l'espèce, pour condamner M. [N] [Y] à payer à la société World People la somme de 1 932 514 euros, la cour d'appel a retenu qu'il était responsable "d'avoir poursuivi les relations contractuelles entre la société World People et la société Le Web dont il détenait 999/1000 parts du capital social à des conditions financières totalement défavorables pour la société World People qu'il dirigeait", jugeant qu' "il s'agi[ssait] d'une faute de gestion" ; qu'en appliquant les dispositions relatives aux fautes de gestion du gérant, quand le litige concernait une convention réglementée, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 223-22 du code de commerce et par refus d'application l'article L. 223-19 de ce code ;

2°/ que le gérant ne supporte les conséquences de la convention réglementée préjudiciable à la société qu'en l'absence d'approbation de ladite convention ; qu'en condamnant M. [N] [Y] à payer à la société World People la somme de 1 932 514 euros en réparation des conséquences dommageables de la convention conclue entre la société World People et la société Le Web pour l'ensemble de la période 2009-2013, tandis que la conclusion et la poursuite de cette convention et de ses avenants avaient été ratifiées par les assemblées générales ordinaires, à l'encontre desquelles l'action en nullité a été jugée prescrite par l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 19 septembre 2019, à l'exception des seules assemblées générales de 2010 et 2012, pour les exercices 2009/2010 et 2012/2013, la cour d'appel a violé l'article L. 223-19 du code de commerce ;

3°/ que les décisions prises en assemblée générale s'imposent aux associés, sous réserve de leur annulation ; qu'en l'espèce, pour condamner M. [N] [Y] à payer à la société World People la somme de 1 932 514 euros, en réparation des conséquences dommageables de la convention conclue entre la société World People et la société Le Web, la cour d'appel a jugé que "M. [N] [Y] ne [pouvait] s'exonérer de sa responsabilité en raison de l'absence des consorts [Y] aux différentes assemblées générales ayant approuvé les comptes" ; qu'en statuant ainsi, quand l'absence des consorts [Y] aux assemblées générales ayant approuvé les comptes était indifférente dès lors que leurs demandes en annulation de celles-ci ont été jugées prescrites, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles L. 223-17 et L. 223-19 du code de commerce ;

4°/ que le gérant contractant, directement ou par personne interposée, avec la société ne doit supporter que les conséquences du contrat préjudiciables à la société ; que la cour d'appel a relevé que "l'avenant à la convention signé le 20 novembre 2008 […] prévo[yait] que les prestations de la société Le Web au bénéfice de la société World People [seraient] facturées forfaitairement par application d'un taux de 25 % sur le chiffre d'affaires réalisé par la société World People" et que " l'avenant à la convention signé le 13 juin 2011 […] prévo[yait] que les prestations de la société Le Web au bénéfice de la société World People [seraient] facturées forfaitairement par application d'un taux de 20 % sur le chiffre d'affaires réalisé par la société World People" avant de constater que "le taux de 25 % puis de 20 % sur le chiffre d'affaires de la société World People n'était en réalité pas appliqué", ce dont il résultait que la convention de collaboration telle que modifiée par les avenants de 2008 et 2011 n'avait pas été respectée ; qu'en condamnant néanmoins M. [N] [Y] à payer à la société World People la somme de 1 932 514 euros en réparation des conséquences dommageables de la convention conclue entre la société World People et la société Le Web, tandis qu'il résultait de ses propres constatations que le préjudice ne résultait pas de l'exécution de la convention mais de sa méconnaissance, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 223-19 du code de commerce ;

5°/ que le gérant contractant, directement ou par personne interposée, avec la société ne doit supporter que les conséquences du contrat préjudiciables à la société ; qu'en l'espèce, pour condamner M. [N] [Y] à payer à la société World People la somme de 1 932 514 euros, la cour d'appel a retenu qu'il résultait du rapport d'expertise que "pour la période de 2009 à 2013 le total qui aurait pu être facturé par la société Le Web à la société World People dans des conditions normales [était] de 1 340 090 euros sur la période de 2009 à 2013 alors […] qu'a été facturée par la société Le Web à la société World People pour cette même période une somme totale de 3 212 446 euros, soit un trop facturé de 1 872 356 euros qui constitue le préjudice de la société" ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que les sommes effectivement facturées ne correspondaient pas aux stipulations de la convention entre les sociétés World People et Le Web, ce dont il résultait que le préjudice résultant du contrat ne pouvait être égal qu'à la différence entre le montant qui aurait dû être normalement facturé, calculé par l'expert, et celui qui aurait dû être facturé en application du contrat, la cour d'appel a violé l'article L. 223-19 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

10. La possibilité, prévue à l'article L. 223-19, alinéa 4, du code de commerce, de mettre à la charge du gérant les conséquences préjudiciables à la société des conventions réglementées non approuvées n'est pas exclusive de la mise en jeu de sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 223-22 du même code, que ces conventions aient ou non été approuvées.

11. Le moyen, qui, en chacune de ses branches, postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

12. M. [N] [Y] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que les conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et l'un de ses gérants ou associés sont soumises à des dispositions spéciales, distinctes de celles, générales, relatives à la responsabilité pour faute de gestion du gérant ; qu'en l'espèce, pour condamner M. [N] [Y] à payer à la société World People la somme de 1 932 514 euros, la cour d'appel a retenu que "la cession à hauteur de 37 251 euros [des parts sociales de la SCI VJC au profit de M. [N] [Y]], sans être autorisée par l'assemblée générale de la société World People, ne s'est pas faite dans des conditions normales" pour en déduire qu' "il s'agi[ssait] également d'une faute de gestion imputable au gérant de la société World People" ; qu'en appliquant les dispositions relatives aux fautes de gestion du gérant, quand le litige concernait une convention réglementée, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 223-22 du code de commerce et par refus d'application l'article L. 223-19 de ce code ;

2°/ que les conventions entre la société et l'un de ses gérants ou associés ne sont pas soumises à autorisation préalable mais seulement à approbation par l'assemblée générale ; qu'en l'espèce, il ressort de la procédure que la cession de la participation de la société World People dans la SCI VJC à M. [N] [Y] a été expressément approuvée par l'assemblée générale du 29 novembre 2013 ; que, pour condamner M. [N] [Y] à payer à la société World People la somme de 1 932 514 euros, la cour d'appel a retenu que "la cession à hauteur de 37 251 euros, sans être autorisée par l'assemblée générale de la société World People, ne s'est pas faite dans des conditions normales" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a, en violation de l'article L. 223-19 du code de commerce, ajouté une condition, l'autorisation de la cession, que ce texte ne prévoit pas ;

3°/ que le gérant contractant, directement ou par personne interposée, avec la société ne doit supporter que les conséquences du contrat préjudiciables à la société ; qu'en l'espèce, l'expert a évalué les parts sociales de la SCI VJC à 9 740,88 euros, en déduisant de la valeur de l'immeuble (1 111 671 euros) le montant des emprunts restant à rembourser au 31 décembre 2011 (151 582,78 euros), avant de conclure, à propos de la cession de ces parts qu'"il serait équitable de verser plus que les 37.251 euros déjà payés. S'il partage notre analyse, le magistrat pourra faire sa propre estimation d'un complément compris, par exemple, entre zéro et 60.158 euros, voire plus" ; qu'en se bornant, pour évaluer le préjudice de la société World People, à reprendre l'évaluation de la valeur des parts sociales par l'expert, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il n'y avait pas lieu de déduire non seulement le montant de l'emprunt restant à rembourser, mais également la totalité des mensualités qui avaient d'ores et déjà été remboursées par M. [N] [Y] sur ses deniers personnels, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-19 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

13. La cour d'appel ayant, à bon droit, fait application des dispositions de l'article L. 223-22 du commerce pour statuer sur la demande d'indemnisation du préjudice résultant de la cession, par M. [N] [Y], des parts de la société VJC détenues par la société World People, le moyen, qui, en chacune de ses branches, invoque une violation de l'article L. 223-19 du même code, est inopérant.

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

14. M. [N] [Y] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer la somme de 2 000 euros à chacun des consorts [Y] au titre du préjudice moral, alors :

« 1°/ que la responsabilité civile suppose un lien de causalité entre la faute et le dommage ; que pour condamner M. [N] [Y] à payer à chacun des consorts [Y] la somme de 2 000 euros, la cour d'appel, par des motifs expressément adoptés, a retenu que "les consorts [Y] ont été contraints de faire valoir leurs droits et justifient de conséquences sur leur vie privée du fait de la durée de la procédure engagée" ; qu'en statuant ainsi, tandis que les seules "conséquences sur leur vie privée" invoquées par les consorts [Y] consistaient en la perte de son emploi par Mme [Y], laquelle n'était pas la conséquence des fautes de gestion retenues par les juges du fond, mais résultait d'un licenciement pour faute grave confirmé par une décision prud'homale, la cour d'appel s'est fondée sur un motif impropre à établir que les fautes alléguées à l'encontre de M. [N] [Y] auraient causé le préjudice invoqué par les consorts [Y] et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 de ce code ;

2°/ que la responsabilité civile suppose un lien de causalité entre la faute et le dommage ; que, pour condamner M. [N] [Y] à payer à chacun des consorts [Y] la somme de 2 000 euros, la cour d'appel, par des motifs expressément adoptés, a retenu que "les consorts [Y] ont été contraints de faire valoir leurs droits et justifient de conséquences sur leur vie privée du fait de la durée de la procédure engagée" ; qu'en statuant ainsi, quand la durée de la procédure n'est pas imputable à M. [N] [Y], dès lors que la cour d'appel a cru pouvoir retenir que "les premiers juges ne pouvaient statuer sur les demandes dont ils étaient saisis sans attendre l'arrêt à intervenir" dans l'instance ayant abouti à l'arrêt du 19 septembre 2019, lequel a jugé prescrite les demandes des consorts [Y], la cour d'appel s'est fondée sur un motif impropre à établir que les fautes alléguées à l'encontre de M. [N] [Y] auraient causé le préjudice invoqué par les consorts [Y] et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 de ce code. »

Réponse de la Cour

15. D'une part, il ne ressort ni de l'arrêt ni des conclusions d'appel de M. [N] [Y] que celui-ci ait soutenu que la perte d'emploi de Mme [Y] ne résultait pas des fautes de gestion retenues par les premiers juges mais d'un licenciement pour faute grave dont l'intéressée aurait fait l'objet, et qu'il en ait tiré la conséquence que le préjudice moral invoqué par les consorts [Y] ne lui était pas imputable.

16. D'autre part, l'arrêt retient que les consorts [Y] ont été contraints de faire valoir leurs droits et qu'ils justifient de conséquences sur leur vie privée du fait de la durée de la procédure engagée.

17. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte l'existence d'un lien de causalité entre les fautes invoquées à l'encontre de M. [N] [Y] et le préjudice subi par les consorts [Y], la cour d'appel a légalement justifié sa décision de condamner le premier à payer à chacun des seconds la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts.

18. Irrecevable en sa première branche, comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.

Mais sur le premier moyen du pourvoi incident formé par les consorts [Y] et sur le premier moyen du pourvoi incident formé par les sociétés World People, [P] [K] et JSA, rédigés en termes identiques

Enoncé du moyen

19. Les consorts [Y] et les sociétés World People, [P] [K] et JSA font grief à l'arrêt de limiter à la somme de 1 932 514 euros la condamnation de M. [N] [Y] à l'égard de la société World People, alors « que le juge ne peut refuser de réparer le dommage dont il a constaté l'existence en son principe, motif pris de l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; que la cour d'appel a retenu que M. [N] [Y] avait commis une faute de gestion en mettant à la disposition de la société Le Web sans contrepartie la base de données textuelles de la société World People ; que pour rejeter néanmoins le demande en indemnisation formée à ce titre dans l'intérêt de la société World People, la cour d'appel a retenu que "le préjudice doit être évalué en fonction de la marge commerciale brute dont la victime du dommage a été privée de sorte que doivent être déduits du chiffre d'affaires qu'elle n'a pas réalisé les coûts variables qu'elle n'a pas eu à exposer", que "les consorts [Y] se contentent de réclamer le paiement de la somme de 69 900 euros par an au titre de la redevance sans calculer la marge commerciale brute dont la société World People a été privée du fait de la non perception de cette redevance et [que] la cour ne dispose pas des éléments lui permettant de calculer cette marge" ; qu'en refusant ainsi d'évaluer, fût-ce en ordonnant une mesure d'instruction complémentaire, le montant d'un dommage dont elle avait constaté l'existence en son principe, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code civil :

20. En application de ce texte, le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice dont il constate l'existence en son principe en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.

21. Pour limiter le montant de la condamnation de M. [N] [Y] à la somme de 1 932 514 euros, l'arrêt, après avoir énoncé que le préjudice subi par la société World People du fait de l'absence de paiement d'une redevance au titre de l'utilisation, par la société Le Web, de sa base de données ne peut consister en une perte de chiffre d'affaires mais qu'il doit être évalué en fonction de la marge commerciale brute dont la société World People a été privée, de sorte que doivent être déduits du chiffre d'affaires non réalisé les coûts variables non exposés, retient que les consorts [Y] se bornent à réclamer le paiement de la somme de 69 900 euros par an sans calculer la marge commerciale brute dont la société World People a été privée du fait de la non-perception de cette redevance, ajoutant que la cour d'appel ne dispose pas des éléments lui permettant de calculer cette marge.

22. En statuant ainsi, alors qu'il lui incombait d'évaluer le préjudice dont elle avait constaté l'existence en son principe, au besoin en ordonnant un complément d'expertise, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen du pourvoi incident formé par les consorts [Y] et sur le second moyen du pourvoi incident formé par les sociétés World People, [P] [K] et JSA, rédigés en termes identiques

Enoncé du moyen

23. Les consorts [Y] et les sociétés World People, [P] [K] et JSA font le même grief à l'arrêt, alors « que le juge ne peut refuser de réparer le dommage dont il a constaté l'existence en son principe, motif pris de l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; que la cour d'appel a retenu que M. [N] [Y] avait commis une faute de gestion en poursuivant "les relations contractuelles entre la société World People et la société Le Web dont il détenait 999/1000 parts du capital social à des conditions financières totalement défavorables pour la société World People qu'il dirigeait" ; que pour débouter néanmoins Mme [V] [Y] et ses enfants de leur demande d'indemnisation de la société World People à ce titre pour la période postérieure à 2013, la cour d'appel a retenu que "les consorts [Y] n'apportent aucun élément chiffré pour la période postérieure [à 2013] en sorte qu'aucune somme ne peut être allouée à la société World People à ce titre" ; qu'en refusant ainsi d'évaluer, fût-ce en ordonnant une mesure d'instruction complémentaire, le montant d'un dommage dont elle avait constaté l'existence en son principe, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code civil :

24. Pour limiter le montant de la condamnation de M. [N] [Y] à la somme de 1 932 514 euros, l'arrêt, après avoir énoncé que le préjudice subi par la société World People du fait de la poursuite des relations contractuelles avec la société Le Web consiste en une surfacturation des prestations effectuées par cette dernière, retient que les consorts [Y] n'apportent aucun élément chiffré pour la période postérieure, de sorte qu'aucune somme ne peut être allouée à la société World People pour cette période.

25. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté l'existence du préjudice subi par la société World People en son principe, de sorte qu'elle devait procéder à son évaluation, au besoin en ordonnant un complément d'expertise, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée de la cassation

26. Les deuxième, troisième et quatrième moyens du pourvoi principal étant rejetés, la portée de la cassation est limitée aux chefs de demandes de dommages et intérêts visés pas les pourvois incidents.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à 1 932 514 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt le montant des sommes que M. [N] [Y] est condamné à payer à la société World People et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 19 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles.