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Cass. 1re civ., 18 décembre 2024, n° 23-19.224

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Mienta France (SAS), Fides (Selarl)

Défendeur :

Groupe SEB-Moulinex (SAS), SEB (SA), MISR Intercommerce (SA), NILE Intercommerce (SARL), Blendex Egypt SAE (SA), Bouri Center (SARL), Bouri Général Trading (SARL), International Polytrade (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Champalaune

Rapporteur :

Mme Corneloup

Avocats :

SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, SCP Alain Bénabent

Paris, pôle 5 ch. 4, du 7 juin 2023

7 juin 2023

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 juin 2023), statuant sur renvoi après cassation (1re Civ., 26 mai 2021, pourvoi n° 19-15.102), par un accord du 18 novembre 2002, les sociétés Groupe SEB-Moulinex et SEB (le groupe SEB), ayant repris les actifs de la société Moulinex, ont défini le cadre dans lequel se poursuivrait la relation commerciale avec les sociétés égyptiennes Misr Intercommerce (la société Intercommerce) et Blendex Egypt (la société Blendex), filiales du groupe Bouri, ayant toutes deux pour activité le négoce, la fabrication, l'importation et la distribution d'équipements domestiques et électroménagers. Le groupe SEB a concédé à la société Intercommerce la représentation et la distribution exclusive des produits finis électroménagers de la marque Moulinex sur le territoire égyptien et à la société Blendex, pour le même territoire, premièrement, une licence d'exploitation exclusive des marques internationales Moulinex, deuxièmement, une licence de fabrication de certains produits, troisièmement, un prêt de moules et la fourniture de produits et composants nécessaires à la fabrication des appareils portant la marque Moulinex.

2. Un différend ayant opposé les parties lors de la cessation de leurs relations contractuelles, le groupe SEB a assigné les sociétés Intercommerce et Blendex en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies.

3. Le groupe SEB a assigné en intervention forcée la société Mienta France, en lui reprochant des faits de concurrence déloyale et de parasitisme.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens du pourvoi principal, et le deuxième moyen des pourvois incidents

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le premier moyen des six pourvois incidents, rédigés en des termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

5. Les sociétés Mienta France, Blendex, Intercommerce, Nile Intercommerce, Bouri Center, Bouri General Trading et International Polytrade font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer au groupe SEB la somme de trois millions d'euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre d'une concurrence déloyale et parasitaire, alors :

« 1°/ que, d'une part, il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande de celui qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ; que, pour décider qu'était constitutif d'un acte de concurrence déloyale le fait d'imiter les produits d'un concurrent même en l'absence de droits privatifs, l'arrêt attaqué s'est contenté de retranscrire l'article 66 du code de commerce égyptien et d'adopter purement et simplement l'un des deux avis juridiques antagonistes qui lui était soumis ; qu'en se prononçant de la sorte sans même rechercher, de son propre mouvement, la teneur exacte du droit égyptien et d'établir son contenu de manière impartiale, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil ;

2°/ que, d'autre part, en déclarant qu'en application de l'article 66 du code civil égyptien était constitutif d'un acte de concurrence déloyale le fait d'imiter les produits d'un concurrent même en l'absence de droits privatifs sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, si les articles 120 et 127 du code de commerce égyptien prévoyaient que, en l'absence d'un enregistrement d'un dessin ou d'un modèle industriel ou à l'expiration de la période de protection, l'intéressé n'avait pas la faculté d'empêcher le tiers de les fabriquer ou de les imiter, la cour d'appel a violé derechef l'article 3 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article 3 du code civil qu'il incombe au juge français, qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.

7. Après avoir déduit des avis juridiques des deux professeurs de droit égyptien versés aux débats, dont il a rappelé la teneur, qu'à la suite de la promulgation de la loi commerciale n°17-1999, la concurrence déloyale est régie par les dispositions de l'article 66 du code de commerce égyptien qui en est issu, l'arrêt reproduit les termes du premier alinéa de cet article et en déduit qu'un acte de concurrence déloyale pourra être retenu au sens de ce texte en présence d'un acte de nature à semer la confusion quant aux produits d'une personne ou à affaiblir la confiance envers ses produits. Se fondant sur la notice explicative relative à cet article, jugée comme faisant foi de l'intention du législateur, et sur l'analyse juridique qu'il a estimé la plus pertinente, l'arrêt ajoute que les cas énumérés à l'article 66 du code de commerce égyptien avec l'adverbe « notamment » ne sont pas limitatifs, de sorte que si l'agissement parasitaire n'est pas cité, la généralité des agissements fautifs permet d'introduire le parasitisme dans les actes prohibés.

8. En cet état, le moyen, sous couvert de griefs pris de la méconnaissance de son office dans l'interprétation de la loi étrangère, ne fait que s'attaquer à l'appréciation souveraine, par la cour d'appel, des termes de la loi en cause dont elle a déduit que, selon celle-ci, la faute en matière de concurrence déloyale n'est pas liée à un droit subjectif ou privatif et que le fait d'imiter les produits d'un concurrent, même en l'absence de droits privatifs, est constitutif d'un acte de concurrence déloyale.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le quatrième moyen du pourvoi principal et le troisième moyen des six pourvois incidents, rédigés en des termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

10. Les sociétés Mienta France, Blendex, Intercommerce, Nile Intercommerce, Bouri Center, Bouri General Trading et International Polytrade font grief à l'arrêt de leur interdire in solidum de fabriquer et commercialiser les produits d'une marque dont elles étaient licenciées, alors « qu'il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande de celui qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ; qu'en [leur] interdisant [...], par motifs adoptés, de fabriquer et commercialiser les produits sans même examiner le contenu du droit égyptien afin de s'assurer s'il prévoyait ce type d'injonction pour sanctionner des actes de concurrence déloyale et parasitaire, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

11. Le groupe SEB conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que les sociétés requérantes n'ont jamais contesté, dans leurs dernières conclusions d'appel, l'injonction qui leur avait été faite par les premiers juges de ne pas fabriquer et commercialiser les produits contrefaits.

12. Cependant, le moyen, étant de pur droit, est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 3 du code civil :

13. ll résulte de ce texte qu'il incombe au juge français, qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher, soit d'office soit à la demande d'une partie qui l'invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.

14. Pour confirmer le jugement en ses dispositions faisant interdiction aux sociétés Mienta France, Blendex, Intercommerce, Nile Intercommerce, Bouri Center, Bouri General Trading et International Polytrade de fabriquer et commercialiser les produits litigieux, l'arrêt se borne à dire que les sociétés défenderesses ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'égard du groupe SEB.

15. En statuant ainsi exclusivement par confirmation d'un jugement rendu en application de la loi française, alors qu'elle a dit le droit égyptien applicable au litige, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fait interdiction aux sociétés Mienta France, Blendex, Intercommerce, Nile Intercommerce, Bouri Center, Bouri General Trading et International Polytrade de fabriquer et commercialiser les produits de marque Mienta suivants : Mini Chopper, Easy Plus, Genuine Plus, Super Blender et Chopper plus Combi, sous astreinte de vingt euros par copie servile fabriquée et / ou commercialisée à compter de huit jours de la signification du jugement, l'arrêt rendu le 7 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne le groupe SEB aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

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