CA Versailles, ch. civ. 1-1, 17 décembre 2024, n° 22/06889
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Manes
Conseillers :
Mme Cariou, Mme du Crest
Avocats :
Me Mimoun, Me Teriitehau, Me Cordelier
FAITS ET PROCÉDURE
La société [12] (ci-après la société [11] ), dont l'activité est la diffusion d'offres et de services en télécommunication, a conclu le 25 juin 2003 un contrat de distribution avec la société [10], devenue [15], puis [16].
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 2 février 2005, la société [16] a résilié ce contrat.
La société [11] a alors pris attache avec M. [Z], avocat au barreau de Paris, exerçant au sein de la SCP [Z] - [Z]-Bitton & [Z], en vue notamment d'être indemnisée du préjudice consécutif à la rupture des relations commerciales.
Par acte d'huissier de justice du 20 mai 2010, la société [11] a ainsi fait assigner la société [16] devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'indemnisation.
Par jugement du 15 mai 2015, le tribunal de commerce de Paris a déclaré caduque l'assignation de la société [11] et l'a condamnée à verser à la société [16] la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 15 octobre 2015, la société [11] a été déboutée de sa demande en rétractation de cette décision.
Par arrêt du 5 mai 2017, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du 15 mai 2015, à l'exception des frais irrépétibles qui ont été minorés.
Par actes d'huissier de justice du 20 juillet 2020, la société [11] a fait assigner la SCP [Z] - [Z]-Bitton & [Z] et son assureur la société [14] en responsabilité civile professionnelle.
Par un jugement du 29 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Versailles a :
- donné acte à la société [14] de ce qu'elle garantit la SCP [Z]-[Z]-Bitton & [Z] prise en la personne de M. [Z] de toutes condamnations prononcées à son encontre dans les limites contractuelles,
- dit que la SCP [Z] - [Z]-Bitton & [Z] prise en la personne de M. [Z] a commis des fautes au préjudice de la société [11] engageant sa responsabilité civile professionnelle,
- condamné la SCP [Z] - [Z]-Bitton & [Z] prise en la personne de M. [Z] à payer à la Sarl [11] la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi en lien avec la durée de la procédure,
- condamné la société [14] à garantir la SCP [Z] - [Z]-Bitton & [Z] prise en la personne de Me [Z] de toutes condamnations prononcées à l'encontre de cette dernière dans les limites du contrat souscrit,
- débouté la société [11] de ses demandes de dommages et intérêts formulées au titre de la perte de chance subie au titre des commissions impayées, de l'indemnité de rupture anticipée du contrat de distribution,
- condamné la SCP [Z] - [Z]-Bitton & [Z] prise en la personne de Me [Z] à payer la Sarl [11] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCP [Z] - [Z]-Bitton & [Z] prise en la personne de Me [Z] aux dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par déclaration du 17 novembre 2022, la société [11] a interjeté appel de cette décision à l'encontre de la SCP [Z] - [Z]-Bitton & [Z] et [14].
Par dernières conclusions notifiées au greffe le 21 décembre 2023, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement du 29 septembre 2022 en ce qu'il l'a déboutée des demandes suivantes :
* 98 719,11 euros au titre des commissions impayées,
* 348 475,98 euros HT au titre de l'indemnité pour rupture anticipée du contrat de distribution soit la somme de 418 171,17 euros TTC en application de la TVA au taux de 20 %,
* 6 000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation des frais irrépétibles exposés et des tracas et autres frais liés aux mesures de saisies.
Statuant de nouveau,
- condamner la SCP [Z] - [Z]-Bitton & [Z] prise en la personne de Me [Z] à lui verser les sommes suivantes :
* 98 719,11 euros au titre des commissions impayées,
* 348 475,98 euros HT au titre de l'indemnité pour rupture anticipée du contrat de distribution à compter de la mise en demeure du 8 juin 2017 et capitalisation,
* 50 000 euros liés à la rupture brutale de la relation commerciale,
* 6 000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation des frais irrépétibles exposés et des tracas et autres frais liés aux mesures de saisies,
* 10 000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel,
- condamner la SCP [Z] ' [Z]-Bitton & [Z] pris en la personne de Me [Z] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Abdelaziz Mimoun, avocat constitué.
Par dernières conclusions notifiées au greffe le 2 octobre 2024, la SCP [Z] - [Z]-Bitton & [Z] et la [14] demandent à la cour de :
Vu la règle nul ne plaide par procureur,
Vu l'article 1231-1 du code civil,
Vu la police souscrite auprès des [13],
- réformer le jugement rendu le 29 septembre 2022 en ce qu'il :
* a dit qu'elle avait commis des fautes au préjudice de la Sarl [11] engageant sa responsabilité civile professionnelle
* l'a condamnée à verser à la Sarl [11] la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi en lien de causalité avec la durée de la procédure
* a condamné les [13] à garantir la SCP [Z] ' [Z]-Bitton & [Z]
* l'a condamnée à verser à la Sarl [11] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre aux dépens.
- le confirmer de surplus.
Statuant à nouveau,
- déclarer la Sarl [11] irrecevable en sa demande de garantie formée à l'encontre des [13] en ce qu'elle sollicite au nom de l'assuré la garantie de son assureur,
- juger que la SCP [Z] n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité,
- juger que le préjudice dont se prévaut la Sarl [11] constitue une perte de chance,
- déclarer que la Sarl [11] ne justifie pas d'une chance sérieuse d'avoir pu obtenir du tribunal de commerce le règlement des sommes attendues de la société [16],
- déclarer que la Sarl [11] ne justifie pas d'un préjudice indemnisable,
- débouter la Sarl [11] de l'intégralité de ses demandes,
- donner acte aux [13] de ce qu'elles accordent leur garantie à la SCP [Z] dans les limites du contrat souscrit,
Subsidiairement,
- ramener dans les plus justes proportions le préjudice dont se prévaut la Sarl [11] pour tenir compte de sa qualification de perte de chance, et le caractère indemnitaire (sic),
- débouter la Sarl [11] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires,
- condamner la Sarl [11] à verser à la SCP [Z] et aux [13] chacun la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Sarl [11] aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Cordelier & associés, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 17 octobre 2024.
SUR CE, LA COUR,
Sur les limites de l'appel
Le jugement est querellé en toutes ses dispositions. L'affaire se présente donc dans les mêmes termes qu'en première instance.
Sur faute de l'avocat
Pour dire que M. [Z] avait commis une faute au préjudice de la société [11], le tribunal a retenu que ce dernier avait omis de communiquer ses pièces à l'appui de ses demandes en dépit d'injonctions prononcées par le tribunal, qu'il ne s'était pas présenté à plusieurs reprises aux audiences et qu'il n'avait pas déposé son dossier de plaidoirie.
Il a ajouté qu'il n'avait présenté aucun motif légitime à sa carence à l'occasion de sa demande en rétractation du jugement rendu le 15 mai 2015.
Moyens des parties
M. [Z] et la SCP [Z] poursuivent l'infirmation du jugement en faisant valoir qu'un avocat n'est tenu que d'une obligation de moyens et ne peut garantir le résultat d'un procès.
La société [11] conclut à la confirmation du jugement en arguant de manquements au devoir de conseil et d'un choix de stratégie de défense inadaptée. Elle souligne l'inertie de M. [Z] qui a conduit à un allongement de la procédure et au final à un jugement de caducité.
Appréciation de la cour
Il résulte de l'article 411 du code de procédure civile que le mandat de représentation en justice emporte pouvoir et devoir d'accomplir au nom du mandant les actes de la procédure.
C'est par des motifs exacts et suffisants, adoptés par la cour, que le tribunal a retenu une faute à l'encontre de M. [Z] qui par sa négligence, a conduit cette juridiction à rendre un jugement de caducité.
Il sera ajouté que c'est en vain que l'intéressé fait valoir qu'il ne serait tenu que d'une obligation de moyens.
Il importe peu en effet de déterminer si l'avocat est débiteur d'une obligation de moyens, ce qui oblige alors le client insatisfait à rapporter la preuve de l'existence d'une faute de son conseil, ou d'une obligation de résultat, ce qui le dispense de cette obligation, puisque dans cette dernière hypothèse, la seule preuve d'une inexécution ou d'une mauvaise exécution suffit.
En effet, en l'espèce, le manque de diligence de l'avocat, qui entre juillet 2014 et mai 2015 omet de conclure et ne déplace pas même aux audiences du tribunal, est partent, de sorte que, même tenu d'une obligation de moyens, la preuve est largement établie par la société [11] d'une faute commise par M. [Z].
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu une faute à l'encontre de M. [Z].
Sur les demandes de la société [11] au titre de la perte de chance d'être indemnisée devant le tribunal de commerce
La société [11] sollicitait devant le tribunal de commerce le paiement de trois factures et des indemnités de rupture du contrat. La société [16] entendait lui opposer la prescription.
Sur la prescription
Moyens des parties
M. [Z] soutient, comme la société [16] l'avait fait dans ses conclusions déposées devant le tribunal de commerce, que l'action en paiement était prescrite et n'avait pu être interrompue ni par la procédure engagée en référé, laquelle n'avait pas pour objet le paiement des sommes réclamées mais la communication de documents, ni par la prétendue reconnaissance de sa dette par la société [16].
La société [11] fait valoir que la résiliation litigieuse est intervenue en février 2005 et a fait courir la prescription de l'article L 110-4 I du code de commerce applicable aux obligations nées entre commerçants de dix ans.
Appréciation de la cour
C'est à tort que la société [16] entendait se prévaloir devant le tribunal de commerce de la prescription de droit commune de 5 ans (article 2227 ancien du code civil devenu l'article 2224).
Les deux parties ayant la qualité de commerçant, il y a lieu d'appliquer les dispositions de l'article L 110-4 du code de commerce.
Dans sa version applicable à l'espèce, cet article prévoyait que ' Les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes '.
La loi du 17 juin 2008 a uniformisé les délais de prescription et ramené le délai à 5 ans. Les dispositions transitoires ont en outre prévu que pour les prescriptions en cours au jour de l'entrée en vigueur du texte, les délais expireraient au 17 juin 2013, sous réserve que la durée totale n'excède pas le délai prévu par la loi antérieure.
Il y a lieu ensuite de fixer le point de départ de la prescription de l'action engagée par la société [11].
S'agissant des indemnités sollicitées au titre de la rupture, il doit être fixé au jour de la résiliation. C'est en effet à cette date que la société [16] devenait, le cas échéant, redevable d'indemnités de rupture.
Ainsi, la résiliation étant intervenue le 2 février 2005, le délai de prescription initial devait expirer le 2 mai 2015, ramené au 17 juin 2013 par l'effet des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008. Dès lors, l'action en paiement d'indemnités de rupture introduite le 20 mai 2010 n'encourait pas la prescription.
S'agissant des commissions réclamées, le point de départ se situe au jour où la prestation commandée a été exécutée (Com., 26 février 2020, n°18-25.036).
La société [11] a émis les factures au titre des commissions qu'elle estimait lui être dues le 30 avril 2007 après avoir obtenu en référé la communication de certaines informations détenues par la société [16].
A cet égard, il convient de préciser qu'il résulte effectivement de l'article 4.3 du contrat d'application liant les parties que la société [10] devait fournir au distributeur un bordereau lui permettant de calculer ses commissions. La société [16] n'est donc pas fondée à opposer à la société [11] une émission tardive de ses factures.
Les factures portent sur des prestations accomplies par la société [11] entre juillet 2003 et novembre 2004. Toute demande en paiement devait donc être effectuée avant le 17 juin 2013, toujours en application des dispositions transitoires précitées.
L'action engagée au titre du paiement de ces factures, par assignation du 20 mai 2010, n'encourait donc pas davantage la prescription.
Au total, l'action tendant à faire déclarer l'action en réparation prescrite qu'aurait pu intentée la société [16] en l'absence de faute de M. [Z] était donc vouée à l'échec.
Sur la perte de chance au titre des commissions impayées et des indemnités de rupture anticipée
Le tribunal a tout d'abord et exactement rappelé que le préjudice résultant d'un manquement par un avocat à ses obligations s'évalue en termes de perte de chance.
Il a ensuite débouté la société [11] de ses prétentions au motif que, outre l'absence de justification du quantum demandé, celle-ci n'apportait pas la preuve du caractère abusif de la résiliation du contrat par la société [16].
Il a ajouté, s'agissant des commissions impayées, que les factures avaient été émises plus de 14 mois après la résiliation du contrat alors que, selon le contrat, seules les factures devaient être présentées un mois après l'acceptation des clients par la société [16].
Il a enfin souligné qu'en application du contrat, le distributeur est privé de rémunération en cas de faute grave.
Il a donc estimé que la société [11] ne rapportait pas la preuve d'une perte de chance sérieuse d'avoir pu obtenir les sommes demandées, qu'il s'agisse des demandes au titre de la résiliation abusive ou du paiement des commissions impayées.
Moyens des parties
La société [11] conclut à l'infirmation du jugement en soutenant qu'elle avait des chances réelles d'obtenir une indemnisation en raison du caractère abusif de la rupture, les pièces produites par la société [16] ne permettant pas d'établir la réalité des fautes qu'elle lui imputait.
Elle soutient que M. [Z] aurait dû plaider la rupture brutale des relations commerciales au visa de l'article L 442-6, 1, 5° du code de commerce et obtenir une indemnisation au titre du manque à gagner et du préjudice découlant du caractère brutal de la résiliation.
S'agissant du paiement des commissions qu'elle estime lui être dues, elle fonde ses demandes sur trois factures impayées du 30 avril 2007 qui n'ont pu être établies qu'après les procédures engagées devant le juge des référés pour obtenir la communication des décomptes.
M. [Z] conclut à la confirmation du jugement en faisant valoir que la société [11] ne démontre pas autrement que par des allégations que les motifs de la résiliation, à savoir l'existence de fautes graves, étaient infondés.
Appréciation de la cour
C'est de façon parfaitement exacte que le tribunal a indiqué que pour évaluer la perte de chance, il convenait de reconstituer fictivement la discussion qui aurait pu s'instaurer devant le juge pour évaluer les chances de succès de l'action qui n'a pas été exercée.
Il convient donc d'évaluer quelles étaient les chances de la société [11] d'obtenir devant le tribunal de commerce, si la procédure s'était déroulée normalement, le paiement des sommes qu'elle estime lui être dues au titre des commissions impayées, au titre de la résiliation injustifiée et au titre de la rupture abusive.
Sur les fautes graves
Dans son courrier de résiliation du 2 février 2005, la société [10], aux droits de laquelle vient la société [16], reprochait à la société [11] de lui avoir adressé des contrats contenant des faux en écriture. Elle lui rappelait l'avoir mise en demeure de mettre en place des processus de contrôle renforcé. Elle lui reprochait enfin d'avoir cessé unilatéralement toute activité au mois de décembre 2004 et janvier 2005.
Les parties étaient liées par deux contrats, le premier dit contrat cadre et le second dit contrat d'application.
Le contrat cadre de distribution stipule en son article 12-1 que ' Le présent contrat peut être résilié par la société [10] immédiatement et de plein droit, sans indemnité au profit du distributeur, par lettre recommandée avec avis de réception :
- en cas de cessation d'activité du distributeur pour quelque cause que ce soit,
- en cas de manquement grave du distributeur aux obligations du présent contrat et notamment de non respect de tout ou partie des obligations définies à l'article 4 ci-dessus,
- en cas de plainte écrites répétées des clients de [10] portant sur la qualité des prestations du distributeur '
Il ressort des conclusions déposées par la société [16] devant le tribunal de commerce de Paris qu'elle entendait justifier les motifs invoqués lors de la rupture du contrat par les pièces suivantes :
- courrier électronique du 22/11/2024,
- mémo interne décembre 2004,
- courrier électronique du 16 mars 2005.
Ces pièces, versées au débat devant la cour par la société [11], sont des pièces purement internes à la société [10] dont la force probante est donc très relative. Elle ne sont en outre corroborées par aucun autre élément extérieur à l'entreprise, tels des témoignages de clients qui auraient été victimes de pratiques de vente douteuses par la société [11].
Par ailleurs, le seul fait que la société [11] n'ait pas contesté les manquements qui lui avaient été reprochés par la société [10] dans un courrier du 6 décembre 2004 n'est pas davantage probant.
En revanche, cette dernière s'est également fondée sur la cessation de toute activité de distribution de la société [11] au mois de décembre 2004 et janvier 2005 pour procéder à la résiliation du contrat.
Or, devant la cour, la société [11] ne démontre pas qu'elle aurait été en mesure d'apporter la preuve contraire devant le tribunal de commerce et n'apporte pas davantage la preuve d'une exécution du contrat au cours de ces deux mois litigieux.
Il est du reste patent de constater que la société [11] n'a émis aucune facture au titre de ses prestations sur les mois de décembre 2004 et janvier 2005, ce qui n'aurait pas manqué d'être le cas si elle avait poursuivi normalement son activité.
Il est rappelé qu'en application de l'article 12-1 du contrat ci-dessus visé, la cessation d'activité par le distributeur est une cause de résiliation du contrat sans indemnité.
Les chances que le tribunal considère que la résiliation du contrat par la société [10] n'était pas justifiée par des fautes graves, au sens du contrat liant les parties, étaient donc minces, compte tenu de cette cessation d'activité, et seront évaluées à 30 %.
Cette perte de chance doit être appliquée aussi bien aux demandes portant sur le paiement des factures que sur les demandes d'indemnités de rupture anticipée du contrat.
Sur la perte de chance de percevoir des indemnités au titre de la rupture abusive
La société [11] affirme que M. [Z] aurait dû solliciter une indemnité à titre de dommages et intérêts au visa de l'article L 442-6, 1, 5° du code de commerce.
Dans sa version applicable à l'espèce, cet article prévoyait ' Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers ( ... )5° « de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. ( ... ). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure (...) '.
Il convient donc de rechercher quelles étaient les chances que le tribunal de commerce accueille cette demande complémentaire.
Il sera observé que ce texte rappelle que ' Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ( ...) '.
Or, précisément la société [16] s'est prévalue notamment de la cessation de toute activité par la société [11], ce qui constitue une inexécution contractuelle, pour mettre un terme au contrat.
En outre, à supposer que les demandes fondées sur la responsabilité contractuelle et sur la rupture brutale des relations commerciales soient cumulables, encore faut-il démontrer l'existence de deux préjudices distincts.
En l'espèce, la société [11] se contente d'affirmer qu'elle a été déstabilisée par cette rupture brutale, ce qui est manifestement insuffisant pour revendiquer un préjudice distinct à hauteur de la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts.
Les chances d'obtenir une indemnisation au titre de la procédure abusive étaient donc également minces et seront évaluées également à 30 %.
Sur l'évaluation des préjudices
Sur la demande au titre de la rupture anticipée du contrat
La société [11] revendique une indemnisation au titre de la perte de chiffres d'affaires qu'elle aurait réalisée pour la durée restant à courir du contrat, soit du 2 février 2005 au 26 juin 2006 qu'elle évalue à la somme de 348 475,98 euros HT.
Cependant, un chiffre d'affaires ne constitue pas un préjudice indemnisable, seul le bénéfice net ou le revenu qui en est tiré est susceptible d'être indemnisé. Une activité peut générer un chiffre d'affaires sans pour autant permettre de dégager un bénéfice.
La société [11], qui ne fournit aucun élément permettant de calculer quelles sommes elle comptait tirer de son activité sur les 18 mois restant à courir, déduction faite des charges, ne justifie pas l'existence d'un préjudice, ni en son principe, ni en son quantum.
Elle ne peut donc prétendre à aucune indemnisation à ce titre.
S'agissant de l'indemnité au titre de la rupture brutale des relations commerciales, la société [11] se contente d'alléguer, sans le démontrer ni développer son propos, qu'elle a été déstabilisée par l'attitude de la société [10] qui était son seul client.
Dès lors, il est raisonnable d'estimer que ce préjudice n'aurait pas pu être évalué à une somme supérieure à 20 000 euros par le tribunal de commerce, à laquelle il convient d'affecter le coefficient de perte de chance de 30 %.
Dès lors, l'indemnité qui sera allouée à la société [11] au titre de la rupture brutale des relations commerciales sera fixée à la somme de 6 000 euros.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté la société [11] de ses demandes au titre de la résiliation du contrat par la société [16].
Sur la demande au titre des commissions impayées
L'article 5.3 du contrat dit d'application stipule que (souligné par la cour) ' La résiliation du présent contrat entraîne la cessation immédiate de toute rémunération au profit du distributeur, à l'exception toutefois des rémunérations fixes restant à payer à la date de prise d'effet de la résiliation et des rémunérations récurrentes restant à percevoir au titre des 36 mois restant à courir, ou de la rémunération récurrente prévue en l'article 4.5, sauf en cas de faute grave du distributeur'.
La résiliation du contrat pour faute grave ne prive donc pas le distributeur des rémunérations fixes qui resteraient dues à la date de la résiliation. Du reste, dans son courrier de résiliation, la société [10] précisait ' Nous procéderons au paiement du solde éventuel qui vous revient, étant entendu que, conformément au contrat qui nous lie, nous nous réservons de retenir les rémunérations que nous vous avons indûment versées et l'indemnité qui nous est due notamment au titre des contrats irrégulièrement établis, dont le nombre s'élève aujourd'hui à plus de trente, avant validation globale'.
La société [11] sollicite le paiement de trois factures de commissions :
- une facture au titre des commissions récurrentes de 74 944,29 euros. Cependant, dans ses conclusions devant le tribunal de commerce, la société [16] avait exposé que le système de rémunération avait évolué depuis la signature du contrat et conformément aux prévisions de celui-ci et avait mis un terme aux rémunérations récurrentes.
La société [11], qui ne s'explique pas devant la cour sur ce point, ne démontre pas que contrairement à ce que la société [10] affirmait, elle devait percevoir des ' rémunérations récurrentes ', n'avait donc aucune chance de les percevoir.
Elle ne peut donc prétendre à aucune indemnité à ce titre, la perte de chance étant inexistante.
- deux factures de 6 225,79 euros et 17 944,29 euros au titre des prises de commandes. Il s'agit manifestement des rémunérations fixes restant dues même en présence d'une faute grave.
La société [16] entendait plaider la prescription pour s'opposer au paiement, moyen repris par M. [Z] et retenu par le tribunal.
Il a déjà été indiqué les motifs pour lesquels ce moyen devait être écarté.
Outre la prescription, la société [16] entendait soulever le caractère fantaisiste du calcul opéré par la société [11] et exposait de manière détaillée pourquoi les demandes étaient infondées.
Devant la cour, la société [11] ne justifie pas avec la précision nécessaire le mode de calcul de ses deux factures.
Les chances d'en obtenir le paiement devant le tribunal de commerce étaient donc particulièrement minces et seront en conséquence évaluées à 10 %.
La société [11] peut donc se prévaloir d'un préjudice de 2 417 euros (6 225,79 + 17 944,29 euros x 10%), somme que M. [Z] sera condamné à lui payer au titre de la perte de chance de percevoir les commissions réclamées.
Sur la demande au titre de la durée excessive de la procédure de 2010 à 2017
Le tribunal a alloué à la société [11] une somme de 5 000 euros au titre du préjudice découlant de la perte de chance de voir son affaire jugée dans un délai plus court.
M. [Z] conteste cette décision, en faisant valoir que le tribunal s'est contredit en faisant état des faibles chances de succès de la requérante devant le tribunal de commerce.
Il est exact à cet égard que le préjudice lié à la longueur de la procédure est la conséquence directe des fautes retenues à l'encontre de M. [Z], à savoir son inertie et son manque de diligence.
Pour autant, ce préjudice est réel et a été correctement évalué. Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SCP [Z] - [Z]-Bitton & [Z] prise en la personne de M. [Z] à payer à la Sarl [11] la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi en lien avec la durée de la procédure, le dispositif n'évoquant pas une perte de chance mais bien un préjudice direct.
Sur la demande de dommages et intérêts de 6 000 euros
La société [11] demande en cause d'appel une somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés, des tracas et autres frais liés aux mesures d'exécution forcée subies dans le cadre du litige l'ayant opposée à la société [10]/[16] devant le tribunal de commerce, prétention à laquelle s'oppose M. [Z] en faisant valoir que toute procédure judiciaire comporte un aléa.
La demande doit s'analyser en une perte de chance de renoncer à une procédure vouée à l'échec en raison d'un manque de conseil de M. [Z] ou de supporter des frais de justice inutilement.
Il résulte de ce qui précède que la société [11] n'avait que peu de chances de voir ses prétentions aboutir et que l'inertie de M. [Z] devant la juridiction commerciale a nécessairement favorisé sa condamnation au paiement de frais irrépétibles.
Cette perte de chance d'éviter cette condamnation sera évaluée à 30 %, ce qui conduit à allouer une somme de 1 800 euros.
Sur la garantie des sociétés [13]
Les sociétés [13] demandent à la cour de déclarer la société [11] irrecevable en ce qu'elle sollicite au nom de l'assuré la garantie de son assureur.
Néanmoins, elles n'explicitent pas cette demande et ne présentent aucun moyen de droit à son soutien. Elles ne sauraient dès lors voir cette demande prospérer.
Au demeurant, elles ne contestent pas leur garantie, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société [14] à garantir la SCP [Z] - [Z]-Bitton & [Z] prise en la personne de Me [Z] de toutes condamnations prononcées à l'encontre de cette dernière dans les limites du contrat souscrit.
Sur les demandes accessoires
Le sens de la présente décision commande de confirmer les dispositions du contrat relatives aux frais irrépétibles et aux dépens qui pourront être recouvrés directement en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La SCP [Z]-[Z]-Bitton & [Z] sera condamnée aux dépens d'appel et à verser à la société [11] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement en ce qu'il a débouté la société [11] de sa demande de dommages et intérêts formulée au titre de la perte de chance subie au titre des commissions impayées,
Le CONFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau et ajoutant,
CONDAMNE la SCP [Z]-[Z]-Bitton & [Z] à payer la société [11] les sommes de :
- 2 417 euros au titre de la perte de chance de percevoir les commissions réclamées,
- 6 000 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales,
- 1 800 euros à titre de dommages et intérêts au titre des frais supportés à l'occasion de la procédure devant le tribunal de commerce,
CONDAMNE la SCP [Z] - [Z]-Bitton & [Z] aux dépens de la procédure d'appel,
DIT qu'ils pourront être recouvrés directement en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SCP [Z] - [Z]-Bitton & [Z] à payer la société [11] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande.
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,
INFIRME le jugement en ce qu'il a débouté la société [11] de sa demande de dommages et intérêts formulée au titre de la perte de chance subie au titre des commissions impayées,
Le CONFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau et ajoutant,
CONDAMNE la SCP [Z]-[Z]-Bitton & [Z] à payer la société [11] les sommes de :
- 2 417 euros au titre de la perte de chance de percevoir les commissions réclamées,
- 6 000 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales,
- 1 800 euros à titre de dommages et intérêts au titre des frais supportés à l'occasion de la procédure devant le tribunal de commerce,
CONDAMNE la SCP [Z]-[Z]-Bitton & [Z] aux dépens de la procédure d'appel,
DIT qu'ils pourront être recouvrés directement en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SCP [Z]-[Z]-Bitton & [Z] à payer la société [11] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.