Cass. crim., 18 décembre 2024, n° 24-85.777
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
Mme Piazza
Avocat général :
Mme Gulphe-Berbain
Avocat :
SCP Spinosi
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Une information a été ouverte en 2016 à la suite d'une enquête préliminaire diligentée sur les plaintes de personnes, dont M. [W] [N] et Mme [B] [N], qui ont investi des fonds auprès des sociétés [2] et [1].
3. Par ordonnance en date du 29 août 2022, le juge d'instruction a ordonné, d'une part, un non-lieu, notamment, des chefs d'escroqueries sous couvert de la société [2] commises avant le 15 juin 2010, d'abus de confiance, d'association de malfaiteurs et de fourniture illégale de services d'investissement à des tiers à titre de profession habituelle, d'autre part, la requalification des escroqueries et du blanchiment en bande organisée, en escroqueries et blanchiment, et du blanchiment reproché à Mme [F] en complicité de blanchiment, enfin, le renvoi devant le tribunal correctionnel de MM. [K] [U], [J] [X], [V] [F] et de Mme [T] [D], épouse [F] notamment des chefs susvisés.
4. M. et Mme [N] ont relevé appel de cette ordonnance, circonscrit au non-lieu partiel.
Examen des moyens
Sur les premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, et le troisième moyen
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu partiel, requalification et renvoi devant le tribunal correctionnel, en ce qu'elle a ordonné le non-lieu du chef de fourniture illégale de services d'investissements à des tiers à titre de profession habituelle, alors :
« 1°/ que d'une part, en confirmant le non-lieu du chef de fourniture illégale de services d'investissements à des tiers à titre de profession habituelle concernant Monsieur [X] en subordonnant cette qualification à l'existence de faits distincts du délit d'exercice irrégulier de l'activité de conseil en investissement financier pour lequel il était déjà renvoyé, la chambre de l'instruction, qui s'est prononcée par des motifs inopérants, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, L. 573-1 du code monétaire et financier, 211, 212, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que d'autre part, en confirmant le non-lieu du chef de fourniture illégale de services d'investissements à des tiers à titre de profession habituelle concernant Messieurs [F] et [U] en retenant que l'infraction n'était pas constituée, aux motifs que les sociétés qu'ils dirigeaient n'avaient pas pour objet l'investissement de produits financiers mais la promotion de maisons de retraite médicalisées ou le recyclage des matières plastiques en pétrole, circonstances n'étant pas de nature à exclure l'existence du délit, la chambre de l'instruction n'a pas davantage justifié sa décision. »
Réponse de la Cour
7. Pour dire n'y avoir lieu à suivre contre quiconque du chef de fourniture illégale de services d'investissements à des tiers à titre de profession habituelle, l'arrêt attaqué énonce qu'aucun fait distinct de ceux d'exercice irrégulier de l'activité de conseil en investissement financier retenus à l'égard de M. [X] ne lui sont imputables et que les sociétés contrôlées par MM. [F] et [U] n'avaient pas pour objet l'investissement de produits financiers mais la promotion de maisons de retraite médicalisées ou le recyclage des matières plastiques en pétrole.
8. En l'état de ces énonciations exemptes d'insuffisance ou de contradiction, qui procèdent de son appréciation souveraine, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
9. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu partiel, requalification et renvoi devant le tribunal correctionnel, en ce qu'elle a considéré que les faits d'escroquerie commis en relation avec la société [2] étaient prescrits, alors :
« 1°/ que d'une part, la prescription, en matière d'escroquerie, ne commence à courir qu'à partir de la dernière remise lorsque les manuvres frauduleuses constituent une opération délictueuse unique ; qu'en l'espèce, pour considérer l'infraction d'escroquerie partiellement prescrite, la chambre de l'instruction a retenu qu' « il ne peut être considéré que les versements au profit de [2] font partie d'un même ensemble de remises avec ceux effectués au profit d'Immo-Vitalis, les deux bénéficiaires étant des personnes morales distinctes et les remises n'étant pas de même nature, obligations remboursables pour la première et prêts remboursables pour la seconde » (arrêt, p. 14) ; qu'en se déterminant ainsi sans tenir compte, comme cela lui était demandé, de ce que les financements demandés aux parties civiles reposaient sur les mêmes manuvres frauduleuses, à savoir la présentation de futures activités rémunératrices telles que la construction de maisons de retraite ou la transformation du plastique en pétrole, de sorte qu'il s'agissait de manuvres frauduleuses répétées, exécutées et poursuivies sur une longue période, formant entre elles un tout indivisible et provoquant des remises successives dans le but de réaliser une opération délictueuse unique, la prescription ne commençant à courir qu'à compter de la dernière remise, la chambre de l'instruction a méconnu le principe précité et a violé les articles 6, 8, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 313-1 du code pénal ;
2°/ que d'autre part et en tout état de cause, le point de départ de la prescription est différé lorsque l'infraction est occulte ou dissimulée et doit être fixé au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant la mise en mouvement de l'action publique ; qu'est dissimulée l'infraction dont l'auteur accomplit délibérément toute manuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte ; qu'en l'espèce, et ainsi que les parties civiles le soutenaient dans leurs conclusions, les mis en examen avaient accompli délibérément des manuvres tendant à empêcher la découverte de l'infraction, en exécutant partiellement les contrats par le biais d'un système de cavalerie, en l'espèce en versant aux parties civiles des intérêts pour dissimuler le caractère frauduleux des placements jusqu'au mois d'août 2013, l'infraction était dissimulée et le point de départ du délai de prescription devant être fixé à cette dernière date, et l'acte interruptif de prescription datant du mois de juin 2013, la chambre de l'instruction a, en retenant que le délit d'escroquerie n'est, selon la jurisprudence traditionnelle, pas défini comme une infraction dissimulée ou occulte, comme l'abus de confiance, de sorte que le point de départ du délai de prescription est la date de remise des biens et ne peut être reporté à la date de découverte de l'infraction (arrêt attaqué, p. 13), pour dire que les faits antérieurs au 15 juin 2010 étaient couverts par la prescription de l'action publique, méconnu les articles 6, 8, 9-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 313-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
11. Pour déclarer prescrites les escroqueries portant sur les investissements de fonds entrepris le 5 mai 2008 par M. et Mme [N] auprès de la société [2], l'arrêt attaqué énonce que ce délit n'est pas une infraction occulte ou dissimulée qui, comme l'abus de confiance, permet de reporter le point de départ de la prescription à la date de sa découverte.
12. Les juges précisent que si le nouvel article 9-1 du code de procédure pénale introduit par la loi du 27 février 2017 donne une définition générale de l'infraction occulte ou dissimulée, elle n'est pas applicable à la répression des infractions prescrites avant son entrée en vigueur.
13. Ils ajoutent qu'en application de l'article 8 du même code, pris dans sa rédaction applicable au moment des faits, la prescription était acquise pour les faits antérieurs au 15 juin 2010, le premier acte interruptif de prescription retenu par le juge d'instruction étant constitué d'un soit-transmis pour enquête du procureur de la République en date du 14 juin 2013.
14. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
15. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
16. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
17. Pour retenir la prescription de l'escroquerie portant sur les versements effectués avant le 15 juin 2010 auprès de la société [2] et écarter le moyen pris de l'existence d'une opération délictueuse unique dont le point de départ du délai de prescription est retardé à la date du dernier investissement, l'arrêt attaqué énonce que les sociétés [2] et [1] sont des personnes morales distinctes et que la nature des investissements entrepris dans chacune d'elles est différente.
18. En se déterminant ainsi, alors qu'il résulte de l'arrêt attaqué et de l'ordonnance qu'il confirme que les escroqueries ont été commises par fausse entreprise, le projet économique des deux sociétés étant une fiction, par des manoeuvres frauduleuses identiques, selon un mode opératoire commun, que l'une des sociétés est détenue à 80 % par l'autre et que les acteurs économiques réels de celles-ci sont les mêmes, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
19. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
20. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives au non-lieu ordonné du chef d'escroquerie. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, en date du 25 janvier 2024, mais en ses seules dispositions relatives au non-lieu ordonné du chef d'escroquerie, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;