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Décisions

Cass. com., 15 décembre 2021, n° 19-14.771

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Lion

Avocats :

SCP Foussard et Froger, SCP L. Poulet-Odent

Orléans, du 20 mars 2019

20 mars 2019

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel, statuant en référé (Orléans, 20 mars 2019), un juge des libertés et de la détention a, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, autorisé des agents de l'administration fiscale à effectuer des visites et saisies dans les locaux situés au [Adresse 1], susceptibles d'être occupés, notamment, par la société Juranville finance et par la société de droit espagnol Air Taxi et Charter International SL (la société Air Taxi), en vue de rechercher la preuve de la commission, par cette dernière, d'une fraude fiscale. Les opérations se sont déroulées le 4 juillet 2018 en présence d'un représentant de la société Juranville finance, seul occupant des lieux visités.

2. Après avoir formé un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisies, la société Air Taxi a saisi, en référé, le premier président d'une cour d'appel, sur le fondement de l'article 956 du code de procédure civile, afin qu'il ordonne à l'administration fiscale de lui communiquer la copie de l'ensemble des pièces et données saisies au cours de la visite du 4 juillet 2008.

Examen des moyens

Sur le premier moyen


Enoncé du moyen

3. L'administration fiscale fait grief à l'ordonnance de lui ordonner de communiquer à la société Air Taxi les pièces appréhendées lors de la visite de locaux appartenant à la société Juranville finance, alors :

« 1°/ qu'à la supposer possible, la demande de communication ne peut relever que du premier président de la cour d'appel, ou de son délégataire, statuant au fond, et non du premier président de la cour d'appel statuant en référé ; qu'en décidant le contraire, le juge du fond a violé les articles L. 16 B du livre des procédures fiscales et 956 du code de procédure civile ;

2°/ que dès lors qu'un recours en annulation des opérations de visites a été formé par la personne suspectée de fraude, la communication éventuelle des documents appréhendés ne peut relever que d'une demande incidente formée devant le premier président de la cour d'appel, statuant au fond ; qu'en décidant le contraire, le juge du fond a violé les articles L. 16 B du livre des procédures fiscales et 956 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article 956 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le premier président peut ordonner en référé, en cas d'appel, toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

5. Il résulte de ce texte que le premier président d'une cour d'appel peut être saisi, sur ce fondement, pour statuer en référé sur une demande de communication de pièces, avant les débats sur le recours formé, en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, contre le déroulement des opérations de visite et de saisies.

6. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc fondé en aucune de ses branches.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. L'administration fiscale fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que si la personne suspectée de fraude peut faire constater par le juge que les pièces appréhendées ne pouvaient pas l'être, car étant sans lien avec la fraude suspectée, en revanche, elle n'a pas qualité et intérêt à formuler une demande concernant la restitution des pièces appréhendées chez un tiers et appartenant à un tiers ; qu'en décidant le contraire, le juge du fond a violé les articles L. 16 B du livre des procédures fiscales et 31 du code de procédure civile ;

2°/ qu'une demande de la partie suspectée de fraude visant à l'obtention de pièces appréhendées chez un tiers est d'autant plus exclue que l'administration est tenue de les restituer à ce tiers dans un délai de six mois ; qu'à cet égard également, le juge du fond a violé l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte des dispositions des articles 31 du code de procédure civile et L. 16 B du livre des procédures fiscales que la personne suspectée de fraude, qui a intérêt à contester la régularité de la saisie, eût-elle été effectuée dans les locaux d'un tiers, a qualité et intérêt à demander la communication des pièces appréhendées dans les locaux d'un tiers, dès lors que, dans le cadre du recours qu'elle forme contre le déroulement des opérations de visite et de saisies, elle doit préciser et produire les pièces qui lui paraissent avoir été saisies irrégulièrement.

9. La restitution des pièces saisies au tiers occupant des lieux, dans le délai de six mois prévu par l'article L. 16 B, ne s'oppose pas à ce que l'administration fiscale en communique une copie à la personne suspectée de fraude.

10. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc fondé en aucune de ses branches.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

11. L'administration fiscale fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'une fois les opérations de visite et saisie achevées, les pièces appréhendées, dans les locaux d'un tiers non suspecté de fraude, demeurent sous la maîtrise exclusive de ce tiers ; qu'il appartient dès lors à la partie suspectée de fraude de demander à ce tiers la communication des pièces en cause ; qu'en décidant le contraire, le juge du fond a violé l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales et l'article 544 du code civil ;

2°/ qu'à supposer qu'il faille considérer que le tiers a refusé la communication, il appartient alors à la partie suspectée de fraude d'attraire le tiers devant le juge compétent à l'effet d'obtenir de ce tiers la communication des pièces appréhendées et restituées entre ses mains ; qu'en décidant le contraire, le juge du fond a violé les articles L. 16 B du livre des procédures fiscales et 544 du code civil. »

Réponse de la Cour

12. La demande de communication de pièces formée contre l'administration fiscale ne portant pas sur les pièces détenues par la société Juranville finance, par suite de leur restitution à l'issue des opérations de visite et de saisies, mais sur la copie de ces pièces, dont l'administration fiscale, régulièrement autorisée par le juge des libertés et de la détention à les appréhender, est en possession, c'est sans méconnaître les dispositions des articles 544 du code civil et L. 16 B du livre des procédures fiscales que le premier président a ordonné à l'administration fiscale de communiquer une copie de ces pièces à la société Air Taxi.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

14. L'administration fiscale fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'une demande de communication portant sur des pièces appréhendées chez un tiers et restituées à ce tiers ne peut être formulée devant le juge sans que ce tiers soit appelé à la procédure pour faire valoir son point de vue quant aux objections qui pourraient le cas échéant s'opposer à cette communication ; qu'en décidant le contraire, le juge du fond a violé les articles L. 16 B du livre des procédures fiscales et 14 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 14 du code de procédure civile et L. 103 du livre des procédures fiscales :

15. Selon le premier de ces textes, nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée.

16. Il résulte du second que les agents de l'administration fiscale appelés à recueillir des informations, à l'occasion de leurs fonctions, sont tenus au secret professionnel.

17. Pour ordonner à l'administration fiscale de communiquer à la société Air Taxi la copie de l'ensemble des pièces et données saisies au cours de la visite qui s'est déroulée dans les locaux de la société Juranville finance, l'ordonnance retient que, s'agissant de pièces appartenant à un tiers, il y a lieu de dire que les copies seront remises après que toutes les mentions nominatives concernant des personnes physiques ou morales, tierces au présent litige, auront été occultées.

18. En statuant ainsi, sans qu'ait été appelée en la cause la société Juranvile finance, qui n'a donc pas été mise en mesure de faire valoir d'éventuelles objections quant à la divulgation, par l'administration fiscale, tenue au secret professionnel, du contenu de documents lui appartenant, le premier président a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 20 mars 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel d'Orléans ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance de référé et les renvoie devant le premier président de la cour d'appel de Bourges ;

Condamne la société Air Taxi et Charter International SL aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance de référé cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille vingt et un.

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