Cass. 2e civ., 24 juin 2021, n° 20-10.946
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. PIREYRE
Rapporteur :
Mme Taillandier-Thomas
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 5 décembre 2019), l'URSSAF des Pays de la Loire (l'URSSAF) a adressé à la société Euro Peinture 37 (la société) une lettre d'observations en date du 18 juillet 2014 l'avisant de la mise en oeuvre de la solidarité financière prévue par l'article L. 8222-2 du code du travail et du montant des cotisations dues, en suite d'un procès-verbal de travail dissimulé établi à l'encontre de son sous-traitant, M. Ramzi B..
2. La société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors :
« 1/ que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent à toutes les autorités juridictionnelles avec une autorité absolue ; que dans sa décision n 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a retenu que les dispositions de l'article L. 8222-2 du code du travail, prévoyant une solidarité financière des donneurs d'ordre à l'égard de leur contractants ou sous-traitants, « ne sauraient, sans méconnaître les exigences qui découlent de l'article 16 de la Déclaration de 1789, interdire au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu » ; qu'au cas présent, pour solliciter l'annulation de son redressement opéré au titre de la solidarité financière en qualité de donneur d'ordre, la société faisait valoir que le refus opposé par l'URSSAF de lui communiquer le procès-verbal de constat d'infraction que cette dernière prétendait avoir dressé à l'encontre de son sous-traitant l'empêchait de vérifier et de contester utilement le bien-fondé et la régularité de la procédure ainsi que l'exigibilité des cotisations et majorations dont le paiement lui était réclamé ; que la cour d'appel a néanmoins rejeté son recours au motif que l'URSSAF n'était pas tenue de communiquer le procès-verbal d'infraction qu'elle alléguait avoir dressé à l'encontre du sous-traitant de la société ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé l'exposante de la possibilité de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé ainsi que l'exigibilité des cotisations sociales et majorations de retard dont le paiement solidaire lui était réclamé, en violation de l'article L. 8222-2 du code du travail, tel qu'interprété par la décision n 2015-479 QPC du 31 juillet 2015 Conseil constitutionnel, ensemble l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et l'article 62 de la constitution du 4 octobre 1958 ;
2/ que le principe de l'égalité des armes, découlant du droit à un procès équitable, implique que chaque partie puisse présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ; que la solidarité financière du donneur d'ordre à l'égard de son contractant, prévue par les articles L. 8222-1 à L. 8222-3 du code du travail, ne peut être mise en oeuvre que lorsqu'un procès-verbal pour travail dissimulé a préalablement été dressé à l'encontre dudit contractant ; qu'au cas présent, la société faisait valoir que le refus opposé par l'URSSAF de lui communiquer le procès-verbal de constat d'infraction que cette dernière prétendait avoir dressé à l'encontre de son sous-traitant l'empêchait de vérifier et de contester utilement le bien-fondé de son propre redressement, en violation du principe de l'égalité des armes ; que la cour d'appel a néanmoins validé le redressement de la société au titre de la solidarité financière des donneurs d'ordre, après avoir considéré, d'une part, que l'URSSAF n'était pas tenue de communiquer le procès-verbal d'infraction qu'elle alléguait avoir dressé à l'encontre du sous-traitant, d'autre part, que l'existence de ce procès-verbal était suffisamment établie par deux courriers faisant référence à l'existence d'un procès-verbal émanant de l'URSSAF elle-même et, enfin, que les éléments produits par la société n'étaient pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de ce procès-verbal ; qu'en dispensant ainsi l'URSSAF de produire le procès-verbal de constat d'infraction du sous-traitant, pourtant indispensable à la mise en oeuvre de la solidarité financière du donneur d'ordre, la cour d'appel a placé la société en situation de net désavantage par rapport à son adversaire en l'empêchant de plaider utilement sa cause et a violé le principe de l'égalité des armes garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 9 du code de procédure civile et les articles L. 8222-1 à L. 8222-3 du code du travail ;
3/ que les juges du fond doivent répondre aux conclusions communiquées par les parties ; que la société soutenait que son redressement au titre de la solidarité financière du donneur d'ordre, sans qu'aucun procès-verbal de constat d'infraction au travail dissimulé commis par son sous-traitant ne lui soit communiqué, méconnaissait le principe de l'égalité des armes garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en validant néanmoins le redressement de l'exposante, sans répondre à ce moyen déterminant, tiré du non-respect de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions et méconnu les exigences des articles 455 et 458 du code de procédure civile ;
4/ que la solidarité financière des donneurs d'ordre à l'égard de leurs contractants, prévue par les articles L. 8222-1 à L. 8222-3 du code du travail, ne peut être mise en oeuvre que lorsqu'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé a préalablement été dressé à l'encontre dudit contractant ; que l'article 9 du code de procédure civile impose à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ; qu'il en résulte que pour engager la solidarité financière d'un donneur d'ordre et lui réclamer le paiement des cotisations et majorations de retard dues par son sous-traitant, l'URSSAF doit démontrer que le sous-traitant a préalablement fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé ; qu'au cas présent, la société faisait valoir que les conditions d'application de la solidarité financière des donneurs d'ordre à l'égard de leurs cocontractants n'étaient pas réunies dès lors que l'URSSAF n'était pas en mesure de produire un procès-verbal constatant une infraction au travail dissimulé commise par M. B. ; qu'après avoir constaté que l'URSSAF s'abstenait de produire le procès-verbal ainsi allégué, la cour d'appel aurait dû en déduire que les conditions légales de la mise en oeuvre de la solidarité financière des donneurs d'ordre n'étaient pas réunies ; qu'en validant néanmoins le redressement de la société, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles L. 8222-1 à L. 8222-3 du code du travail, ensemble l'article 9 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 9 du code de procédure civile et L. 8222-1 et L. 8222-2, alinéa 2, du code du travail :
4. Aux termes du premier de ces textes, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
5. Selon le troisième, le donneur d'ordre qui méconnaît les obligations de vigilance énoncées au deuxième est tenu solidairement au paiement des cotisations obligatoires, pénalités et majorations dues par son sous-traitant qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé.
6. Par une décision n 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, sous réserve qu'elles n'interdisent pas au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.
7. Il en résulte que si la mise en oeuvre de la solidarité financière du donneur d'ordre n'est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l'encontre du cocontractant, l'organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d'ordre de l'existence ou du contenu de celui-ci.
8. Pour rejeter le recours de la société, l'arrêt retient essentiellement que l'existence du procès-verbal de travail dissimulé est démontrée par la lettre d'observations ainsi que par le courrier de l'URSSAF au parquet d'Angers y faisant référence et qu'il n'y a pas lieu d'en ordonner la production.
9. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que l'URSSAF n'avait pas produit devant la juridiction de sécurité sociale le procès-verbal de constat de travail dissimulé établi à l'encontre du sous-traitant, alors que le donneur d'ordre en contestait l'existence, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS , la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne l'URSSAF des Pays de la Loire aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'URSSAF des Pays de la Loire et la condamne à payer à la société Euro Peinture 37 la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre juin deux mille vingt et un.