Cass. 1re civ., 2 juillet 2014, n° 13-16.730
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 février 2013), qu'en avril 2003 M. X..., éditeur et dirigeant de la société Les Éditions du carquois, aux droits de laquelle se trouve la société RLD Partners, a publié un livre intitulé " François Y... : l'empire menacé ", écrit par M. Z..., lui-même présenté comme " journaliste économique et financier... ayant collaboré à de nombreux journaux et magazines, et dirigé les rédactions de La tribune Desfossés et de L'expansion ", l'ouvrage exprimant des doutes sur la capacité financière de la société Pinault-Printemps-Redoute (la société PPR), dénommée depuis Kering, à tenir son engagement de racheter à la société LVMH des actions de la société Gucci, une reproduction de la couverture de l'ouvrage étant par ailleurs affichée dans l'emplacement consacré aux cours de bourse de la société PPR au sein d'un espace publicitaire du site Boursorama. com acquis par l'éditeur ; que la société PPR, après l'échec définitif d'une procédure pénale pour diffusion d'informations fausses ou trompeuses de nature à agir sur le cours d'un titre réglementé, a recherché la responsabilité civile pour faute de MM. Z..., X... et de la société RLD Partners, leur reprochant d'avoir, par mots imprudents ou agressifs, introduit dans l'esprit des détenteurs ou acquéreurs du titre une image dégradée de celui-ci et d'elle-même ; qu'elle a été déboutée ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société PPR fait grief à l'arrêt de la débouter, alors, selon le moyen :
1°/ que l'atteinte portée à « l'image » d'une entreprise en jetant le doute et la suspicion sur sa situation économique et financière relève d'une action en responsabilité de droit commun fondée sur l'article 1382 du code civil ; qu'en vertu de ce texte, la liberté d'expression est soumise aux mêmes limites que tout autre droit et notamment au devoir de prudence et d'objectivité ; que la cour d'appel qui a cependant affirmé, par principe, qu'une telle atteinte ne peut être fondée sur l'application de ce texte dès lors qu'elle résulte de la publication ou diffusion de propos écrits mettant en jeu la liberté d'expression, a violé l'article 1382 du code civil par refus d'application, ensemble l'article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ qu'en affirmant, par motif éventuellement adopté des premiers juges, que la société PPR ne pouvait exiger de M. Z... de « s'astreindre aux obligations qui sont faites par l'article L. 544-1 du code monétaire et financier aux personnes exerçant à titre de profession habituelle une activité d'analyse financière », obligations qui n'étaient nullement invoquées à l'encontre de l'auteur et de l'éditeur par la société PPR dans ses conclusions d'appel, la cour d'appel a alors méconnu les termes du litige, tels qu'ils résultaient desdites écritures, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en se bornant à relever, par motif éventuellement adopté des premiers juges, que « le point de vue exprimé par M. Z... dans son ouvrage (était) plus nuancé et en tout cas plus ouvert que (la société PPR ne le soutenait) », sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée de façon précise par les conclusions d'appel de la société PPR, si l'omission par M. Z..., journaliste financier, des éléments d'information déterminants pour son sujet et parfaitement connus de lui, concernant la trésorerie disponible qui permettait au groupe PPR de finaliser sans difficulté l'opération de rachat des titres Gucci de la société LVMH, n'avait pas constitué un manquement au devoir de prudence et d'objectivité incombant à un professionnel averti en matière de finance, de nature à porter atteinte à l'image de la société PPR quant à sa bonne santé financière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ensemble l'article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que l'arrêt, qui retient exactement que, hors restriction légalement prévue, la liberté d'expression est un droit dont l'exercice, sauf dénigrement de produits ou services, ne peut être contesté sur le fondement de l'article 1382 du code civil relève que, par son intitulé même, l'ouvrage litigieux s'adressait à une clientèle plus large que celle des publications spécialisées en matière financière, et que, " dans l'affaire du rachat de Gucci par la société PPR ", il a été définitivement jugé que les informations livrées par M. Z... n'étaient ni mensongères, ni fausses, ni trompeuses, de sorte qu'en livrant aux lecteurs son opinion, fût-elle empreinte de subjectivité et d'une insuffisante rigueur, l'auteur n'a en rien méconnu les exigences du second paragraphe de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la cour d'appel, qui par ailleurs n'avait pas à suivre la société PPR dans le détail de ses argumentations, a légalement justifié sa décision ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société Kering fait encore grief à l'arrêt de statuer ainsi qu'il le fait, alors, selon, le moyen :
1°/ que le titre " François Y... : L'empire menacé " constitue une mise en garde suffisamment claire et précise visant à dissuader les investisseurs boursiers de se porter sur la société PPR ou à les inciter à la vente de leurs titres PPR ; qu'ayant constaté la présence de l'encart publicitaire, acheté par la société éditrice, faisant ressortir le titre « François Y... : L'empire menacé » sur le site d'information boursière Boursorama, à l'endroit précis « où apparaissait la valeur en cours de la société PPR » sans en déduire la volonté de la société des Editions du Carquois, aux droits de laquelle vient la société RLD Partners, de jeter la suspicion et le discrédit sur la santé financière de la société PPR, en portant ainsi atteinte à son image, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 1382 du code civil, ensemble les dispositions de l'article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que, dans ses dernières conclusions d'appel signifiées le 26 avril 2012 et resignifiées le 3 mai 2012, la société PPR faisait valoir, avec une précision particulière, étayée par les pièces versées aux débats, que la société éditrice avait sollicité et obtenu, pour une campagne de promotion de l'ouvrage litigieux sur le site Boursorama, des encarts publicitaires « placés en exclusivité sur la page de cours de PPR », faisant ressortir le titre « François Y... : L'empire menacé » juste en dessous de « l'onglet « passer un ordre » (qui) permettait d'acheter ou de céder des titres PPR » et qu'après avoir rappelé que le site Boursorama n'était pas « un simple site d'information financière mais aussi un opérateur permettant de passer des ordres de vente et d'achat », la société PPR en concluait que, s'il était vrai que la couverture ne se confondait pas avec le contenu du livre, « l'énoncé lapidaire d'une menace planant sur le groupe PPR » à cet endroit en regard du cours du titre constituait un « dénigrement fautif » ; qu'en se bornant à affirmer que la référence au titre de l'ouvrage, à l'exclusion de son contenu, sur le site « Boursorama » serait un élément « insuffisamment précis et explicite » pour caractériser une atteinte fautive à l'image de la société PPR, sans s'expliquer sur ces éléments de nature à établir la perversité du procédé mis en place pour influencer les investisseurs dans un sens néfaste à la société PPR et à caractériser ainsi l'intention de jeter la suspicion et le discrédit sur la santé financière de PPR, soit un dénigrement fautif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, ensemble les dispositions de l'article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ qu'en présence d'un concours de fautes à l'origine d'un dommage, la victime peut réclamer la réparation de l'entier dommage à un seul auteur à raison de sa faute personnelle et qu'il appartient à celui-ci d'exercer, dans la même instance ou ultérieurement, l'action récursoire lui permettant d'obtenir de chacun des coresponsables sa part contributive à proportion de la gravité de leurs fautes respectives ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui, pour débouter la société PPR de sa demande en responsabilité contre François Z... et la société RLD Partners, venant aux droits de la société des éditions du Carquois, a énoncé que le responsable du site, libre de contrôler le contenu et l'emplacement des informations publicitaires y figurant, n'avait pas vu sa responsabilité recherchée par la société PPR, a statué par un motif impropre à justifier légalement sa décision au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel a estimé que la présentation de l'ouvrage sur le site Boursorama, faite en termes peu précis, peu explicites, sans le moindre élément relatif à son contenu, ne révélait aucune intention maligne ou perverse visant à discréditer la situation économique ou financière de la société PPR ou à nuire à son image ; d'où il suit que les deux premières branches ne peuvent être accueillies, et que la troisième est surabondante ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société PPR aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux juillet deux mille quatorze.