Cass. com., 28 mai 2013, n° 12-18.990
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Avocats :
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Tiffreau, Corlay et Marlange
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 février 2012), que la société Paris Condorcet, constituée entre M. X... et M. Y..., a, le 8 septembre 2009, acquis le fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie de M. Y... ; qu'un litige ayant ultérieurement opposé M. Y... à M. X... et à la société Financière euro Condorcet, devenue associé majoritaire de la société Paris Condorcet, cette dernière, soutenant avoir été victime d'un dol, est intervenue à l'instance pour demander l'annulation de la cession du fonds de commerce ;
Attendu que les sociétés Paris Condorcet et Financière euro Condorcet et M. X... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté cette demande, alors, selon le moyen :
1°/ qu'il appartient aux juges du fond de se prononcer au regard des éléments de preuve qui leur sont apportés ; qu'outre les attestations du cabinet d'expertise comptable établissant la baisse du chiffre d'affaires réalisé pour la période d'avril 2009 au 31 août 2009 précédant immédiatement la vente du fonds de commerce du 8 septembre 2010, étaient produits par la partie adverse après sommation de communiquer, les bilans, journaux et grands livres pour les années 2007 à 2009 ; qu'il appartenait donc à la cour d'appel de vérifier s'il ne s'évinçait pas de ces documents comptables la baisse du chiffre d'affaires alléguée ; qu'en refusant de se prononcer sur cette baisse du chiffre d'affaires aux motifs que n'auraient été produits par les exposants « pour ce qui concerne le chiffre d'affaires du fonds de commerce qu'elle a acquis le 8 septembre 2009 et faire la preuve qui lui incombe, outre les comptes annuels pour l'exercice allant du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2008, que deux attestations de son propre expert-comptable sur les chiffres d'affaires mensuels TTC des exercices 2007/2008 et 2008/2009 établis sur des éléments comptables des époux Y... qui lui ont été transmis », la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs en violation des articles 9, 12, 132 (ancien), 561 et 563 du code de procédure civile ;
2°/ que le juge ne peut refuser une expertise sans rechercher si la partie intéressée n'était pas tenue, pour rapporter la preuve de sa prétention, de recourir à des éléments en la seule possession de son adversaire ; qu'en l'espèce, les exposants, à l'appui de leur demande de résolution de la vente ou de réduction du prix, ont produit des attestations d'un cabinet d'expertise-comptable établies sur la base des documents comptables fournis par le vendeur et révélant une baisse très conséquente (24 %) du chiffre d'affaires réalisé pour la période d'avril 2009 au 31 août 2009 précédant immédiatement la vente du fonds de commerce du 8 septembre 2010, chiffres non fournis au moment de cette vente ; qu'en refusant de nommer un expert pour évaluer la baisse du chiffre d'affaires au seul motif que « ces simples attestations sont insuffisantes en elles-mêmes à démontrer la réalité de la baisse du chiffre d'affaires allégué », la cour d'appel a manqué de base légale au regard de l'article 146 du code de procédure civile ;
3°/ que le dol ne peut s'évincer par une clause contraire ; qu'en l'espèce les exposants faisaient valoir la réticence dolosive du vendeur au motif que ce dernier n'avait pas révélé l'importante baisse du chiffre d'affaires (24 %) dans les cinq mois précédant immédiatement la vente du fonds de commerce ; qu'en refusant de prononcer la nullité du contrat aux motifs inopérants que l'acte de vente du 8 septembre 2009 prévoyait que « immédiatement après l'indication des chiffres d'affaires, non contestés, des exercices 2005/2006, 2006/2007, 2007/2008 et du 1er octobre 2008 au 30 avril 2009, que la société Paris Condorcet "déclare prendre acte des chiffres ci-énoncés et en tout cas les considérer comme suffisants pour son information" et en page 16 que "les chiffres d'affaires et les bénéfices commerciaux réalisés ainsi que les quintaux livrés seront complétés dans le contrat de vente pour la période courue jusqu'à la signature... L'acquéreur déclarant que ce manque de chiffres n'est pas de nature à entacher la régularité de la présente vente ni le montant du prix convenu », la cour d'appel a violé l'article 1116 du code civil ensemble les articles L. 141-1 et 2 du code de commerce ;
4°/ que le vendeur d'un fonds de commerce a le devoir de mettre à disposition de l'acheteur au jour de la cession non seulement les livres de comptabilité des trois exercices précédant la vente mais encore « un document présentant les chiffres d'affaires mensuels réalisés entre la clôture du dernier exercice et le mois précédant celui de la vente » ; que tout clause contraire est réputée non écrite ; qu'il est constant en l'espèce que ces documents n'ont pas été mis à disposition de l'acheteur pour la période de mai à août 2009 précédant la cession du fonds de commerce ; qu'en considérant cependant qu'il n'y avait pas lieu à nullité aux motifs inopérants que « les premiers juges ont exactement relevé que l'acte de vente mentionne immédiatement après l'indication des chiffres d'affaires, non contestés, des exercices 2005/2006, 2006/2007, 2007/2008 et du 1er octobre 2008 au 30 avril 2009, que la société Paris Condorcet "déclare prendre acte des chiffres ci-énoncés et en tout cas les considérer comme suffisants pour son information" et en page 16 que "les chiffres d'affaires et les bénéfices commerciaux réalisés ainsi que les quintaux livrés seront complétés dans le contrat de vente pour la période courue jusqu'à la signature... L'acquéreur déclarant que ce manque de chiffres n'est pas de nature à entacher la régularité de la présente vente ni le montant du prix convenu », la cour d'appel a violé les articles 1116 et 1134 du code civil ensemble les articles L. 141-1 et 2 du code de commerce ;
5°/ que la promesse synallagmatique de vente du fonds de commerce prévoyait expressément que « jusqu'à la date d'entrée en possession, le fonds de commerce restera sous la garde de l'actuel propriétaire qui s'engage à le tenir ouvert et à l'exploiter dans les conditions normales et légales et à maintenir dans leur état présent tous les éléments, y compris le chiffre d'affaires » ; qu'il s'évinçait de cette clause que le maintien du chiffre d'affaires était un élément essentiel de la vente si bien qu'il appartenait au vendeur d'informer son cocontractant de toute baisse significative du chiffre d'affaires ; qu'en refusant de prononcer la nullité de la vente aux motifs inopérants qu'une clause prévoyait que le fait que les chiffres n'étaient pas communiqués pour la période précédant immédiatement la vente du fonds de commerce n'était pas de nature à entacher la régularité de la vente, la cour d'appel a violé les articles 1116 et 1134 du code civil, ensemble les articles L. 141-1 et 2 du code de commerce ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que la demande d'annulation est fondée sur le manquement de M. Y... à ses obligations d'information et de renseignement qui auraient dû le conduire à signaler une importante baisse du chiffre d'affaires, l'arrêt retient que la société cessionnaire ne produit, pour faire la preuve qui lui incombe, outre les comptes annuels pour l'exercice allant du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2008, que deux attestations de son propre expert-comptable sur les chiffres d'affaires mensuels des exercices 2007-2008 et 2008-2009 établis sur des éléments comptables de M. et Mme Y... qui lui ont été transmis et que ces attestations sont en elles-mêmes insuffisantes à démontrer la réalité de la baisse du chiffre d'affaires alléguée ; qu'il retient encore que la prétendue baisse ne porterait que sur le chiffre d'affaires réalisé par M. Y... entre le mois de mai 2009 et le 8 septembre 2009 et que rien n'est dit de l'ensemble de l'exercice ni des exercices suivants ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines desquelles elle a déduit que la preuve du dol n'était pas rapportée, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les trois dernières branches, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter et n'a fait qu'user de son pouvoir discrétionnaire en refusant d'ordonner l'expertise demandée, a légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses trois dernières branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Paris Condorcet, la société Financière euro Condorcet et M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à M. Y... la somme globale de 2 500 euros et rejette leur demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mai deux mille treize.