Cass. soc., 12 juin 2019, n° 17-24.589
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvet
Rapporteur :
M. Le Corre
Avocats :
SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 juillet 2017), que M. Q..., engagé le 1er septembre 2010 par la société Paris Seine en qualité de second, a été licencié pour faute grave le 26 novembre 2012 ;
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire justifié le licenciement pour faute grave et de le débouter de sa demande tendant à voir dire son licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, de ses demandes d'indemnité de préavis et de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement nul ou abusif alors, selon le moyen :
1°/ que l'analyse des propos critiques tenus par le salarié ne peut être menée que sous l'angle de l'abus de la liberté d'expression, et non celui de la violation d'une obligation contractuelle ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reprochait au salarié d'avoir « contesté le bien-fondé de la position adoptée par la direction à l'égard de son supérieur hiérarchique » ; que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, l'arrêt retient que les faits litigieux ne relèvent pas d'une libre expression destinée à améliorer les conditions de travail mais d'une contestation du pouvoir de direction et disciplinaire de l'employeur, incompatible avec le lien de subordination ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser un abus dans la liberté d'expression par l'emploi de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, la cour d'appel a violé les articles L. 1121-1, L. 1232-1 et L. 1333-2 du code du travail ;
2°/ que ne constitue pas une contestation du pouvoir de direction et disciplinaire incompatible avec le lien de subordination, le fait pour un salarié de faire connaître à son employeur, sans insulte ou grossièreté, son désaccord avec une mesure prise à l'égard d'un collègue de travail ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1121-1, L. 1232-1 et L. 1333-2 du code du travail ;
3°/ que l'atteinte à une liberté fondamentale, telle que la liberté d'expression, entraîne à elle seule la nullité du licenciement ; que la lettre de rupture reprochait également au salarié d'avoir contesté, auprès des autres salariés, les décisions prises par la société; qu'en déclarant justifié le licenciement pour faute grave par le seul grief formulé au titre de l'échange verbal du 13 octobre 2012, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ce deuxième grief ne traduisait pas une violation de la liberté d'expression du salarié entraînant à elle seule la nullité du licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1, L. 1232-1 et L. 1333-2 du code du travail;
4°/ que la faute grave doit être appréciée in concreto en tenant compte de l'ancienneté du salarié et de l'existence ou non de reproches antérieurs ; qu'en se bornant à affirmer que les faits litigieux étaient incompatibles avec le lien de subordination, sans rechercher, ainsi que l'y invitait le salarié, si son ancienneté et l'absence de toute sanction antérieure n'étaient pas de nature à exclure la faute grave, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel, ayant retenu, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, que le salarié avait pris à parti verbalement son employeur le 13 octobre 2012 en exigeant des explications à propos d'une situation qui ne le concernait pas, et avait ainsi contesté son pouvoir de direction, devant des clients, en a exactement déduit que ce comportement agressif ne relevait pas de la liberté d'expression du salarié ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant retenu que la lettre de licenciement reprochait également au salarié d'adopter un comportement agressif et contestataire, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, et avait fait ressortir que l'ancienneté du salarié n'était que de deux ans, a pu décider que la contestation brutale autant qu'injustifiée par le salarié du pouvoir de direction et disciplinaire de l'employeur était constitutive d'une faute grave ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Q... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille dix-neuf.