CA Basse-Terre, 2e ch., 27 décembre 2024, n° 23/01189
BASSE-TERRE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Gygh (SAS)
Défendeur :
Sdp Immo (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Robail
Conseillers :
M. Robail, Mme Cledat, M. Groud
Avocats :
Me Barre Aujoulat, Me Deraine
ARRET :
- Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC.
- Signé par M. Frank ROBAIL, président, et par Mme Lucile POMMIER, greffière principale, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Le 30 octobre 2014, la société GBG Immobilier 2 (ci-après GBG), bailleur, a conclu avec la société GYGH, preneur, un bail de courte durée, du 5 novembre 2014 au 31 octobre 2017, ayant pour objet un local à usage de bureaux et de location de véhicules d'une superficie d'environ 80 m2 situé [Adresse 2] [Localité 5].
Par acte authentique en date du 1er décembre 2017, les mêmes parties ont conclu un bail commercial portant sur le même local pour une durée de 9 ans du 1er novembre 2017 au 31 octobre 2026.
Le loyer a été fixé à la somme mensuelle de 2 000 euros HT, soit 2 170 euros TTC.
Le bail contenait en outre une clause résolutoire.
La locataire n'a pas réglé les loyers des mois d'août, septembre, octobre, novembre et décembre 2022. Pour justifier son arriéré, elle a soutenu, par courrier du 22 novembre 2002, que le bien loué n'était pas conforme aux normes ERP.
Par acte de commissaire de justice en date du 22 novembre 2022 le bailleur lui a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire pour la somme de 8871, 21 euros dont 8 680 euros en principal.
La société GYGH n'a pas payé, ni contesté les causes de ce commandement dans le délai d'un mois.
Par acte authentique en date du 27 décembre 2022, la société GBG a vendu à la société SDP IMMO l'ensemble immobilier comprenant le local loué par la société GYGH.
Cet acte contenait une clause de subrogation conventionnelle au profit de la société SDP IMMO portant sur la dette locative de la société GYGH, et plus généralement, sur toute action que la société GBG serait en droit d'exercer à l'encontre des locataires de l'immeuble, même pour des faits antérieurs à la vente.
Après avoir payé 1 302 euros en janvier, au lieu de 2 170 euros, la locataire a cessé de payer les loyers à compter de février 2023.
Par acte de commissaire de justice en date du 12 avril 2023, la SDP IMMO a fait assigner la société GYGH devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Pointe- à-Pitre, au visa des articles 835 alinéa 2 du code de procédure civile et L 145-1 du code de commerce ainsi que les articles 1103, 1231-1 et 1240 du code civil, aux fins de voir :
- déclarer l'action de la société SDP IMMO recevable ;
- constater la résiliation du bail commercial du 1er décembre 2017 par acquisition de la clause résolutoire au 22 décembre 2022.
En conséquence,
- ordonner l'expulsion de la société GYGH et de tous les occupants de son chef du local sis [Adresse 10] [Localité 5] , avec au besoin le concours de la force publique
- condamner la société GYGH à payer à la société SDP IMMO une somme provisionnelle de 10 850 euros à valoir sur la créance de loyers et charges impayés au 22 décembre 2022, avec intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2022.
- condamner la société GYGH à payer à la société SDP IMMO à titre provisionnel une indemnité d'occupation de 72,33 euros par jour à compter du 22 décembre 2022 jusqu'à complète libération des lieux ;
- condamner la société GYGH à payer à la société SDP IMMO une provision de 46 100 euros à valoir sur la créance au titre de la clause pénale ;
- condamner la société GYGH à payer à la société SDP IMMO la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par ordonnance contradictoire en date du 17 novembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Pointe à Pitre a :
- renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront, mais par provision
- dit y avoir lieu à référé
- déclaré l'action de la société SDP IMMO recevable et bien fondée ;
- rejeté l'ensemble des moyens de défense soulevés par la société GYGH ;
- constaté la résiliation du bail commercial du 1er décembre 2017 par acquisition de la clause résolutoire au 22 décembre 2022 ;
En conséquence,
- ordonné l'expulsion de la société GYGH et de tous occupants de son chef du local sis [Adresse 10] [Localité 5], avec au besoin le concours de la force publique ;
- condamné la société GYGH à payer à la société SDP IMMO une somme provisionnelle de 10 850 euros à valoir sur la créance de loyers et charges impayés au 22 décembre 2022, avec intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2022 ;
- condamné la société GYGH à payer à la société SDP IMMO à titre provisionnel une indemnité d'occupation journalière de 72,33 euros par jour à compter du 22 décembre 2022 jusqu'à complète libération des lieux ;
- condamné la société GYGH à payer à la société SDP IMMO une provision de 46 100 euros, à valoir sur la créance au titre de la clause pénale.
- condamné la société GYGH à payer à la société SDP IMMO la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société GYGH a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 12 décembre 2023, en visant expressément tous les chefs de jugement.
La procédure a fait l'objet d'une orientation à bref délai avec fixation de l'affaire à l'audience du 20 mai 2024.
Le 13 décembre 2023, la société GYGH a saisi le tribunal mixte de commerce d'une demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde.
Par jugement en date du 22 décembre 2023, le tribunal mixte de commerce a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société GYGH et désigné la SELARL BCM en qualité d'administrateur avec une mission de surveillance et Me [H] [U] en qualité de mandataire judiciaire.
Le 27 décembre 2023, Me [H] [U], ès qualités de mandataire judiciaire de la société GYGH, est intervenue volontairement à l'instance.
Le 22 janvier 2024, la société BCM, prise en la personne de Me [O] [E], ès qualités d'administrateur judiciaire de la société GYGH, est intervenue volontairement à l'instance.
En réponse à l'avis du greffe du 24 janvier 2024, la société GYGH a fait signifier, par acte de commissaire de justice du 29 janvier 2024, à la société SDP IMMO l'avis de déclaration d'appel, la déclaration d'appel, l'avis d'avoir à signifier la déclaration d'appel et l'ordonnance de fixation de l'affaire à bref délai.
La société SDP IMMO a remis au greffe sa constitution d'intimée par voie électronique le 16 février 2024.
A l'audience du 20 mai 2024, la décision a été mise en délibéré au 19 septembre 2024 ; les parties ont ensuite été avisées de la prorogation de ce délibéré à ce jour, par mise à disposition au greffe, en raison de la surcharge des magistrats.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1/ La société GYGH, Me [H] [U] et la SELARL BCM appelantes :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 23 avril 2024, par lesquelles la société GYGH, Me [H] [U], ès qualités de mandataire liquidateur de la société GYGH et la SELARL BCM prise en la personne de Me [O] [E], ès qualités d'administrateur judiciaire de la société GYGH, demandent à la cour de :
- déclarer la société GYGY recevable et fondée en son présent appel,
- donner acte à la SELARL BCM de son intervention volontaire en qualité d'administrateur de la société GYGH, et à Me [H] [U] de son intervention volontaire en qualité de mandataire judiciaire de la société GYGH,
A titre principal
- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 17 novembre 2022 par le Tribunal Judiciaire de Pointe- à-Pitre en ce qu'elle a :
dit y avoir lieu à référé,
déclaré l'action de la société SDP IMMO recevable et bien fondée,
rejeté l'ensemble des moyens de défense soulevés par la société GYGH,
constaté la résiliation du bail commercial du 1er décembre 222017 par acquisition de la clause résolutoire au 22 décembre 2022,
En conséquence,
ordonné l'expulsion de la société GYGH et de tous occupants de son chef du local sis [Adresse 10] [Localité 5], avec au besoin le concours de la force publique,
condamné la société GYGH à payer à la société SDP IMMO une somme provisionnelle de 10 850 euros à valoir sur la créance de loyers et charges impayés au 22 décembre 2022 avec intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2022,
condamné la société GYGH à payer à la société SDPIMMO à titre provisionnel une indemnité d'occupation journalière de 72,33 euros par jour à compter du 22 décembre 2022 jusqu'à complète libération des lieux,
condamné la société GYGH à payer à la société SDP IMMO une provision de 46 100 euros, à valoir sur la créance au titre de la clause pénale,
condamné la société GYGH à payer à la société SDP IMMO la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Statuant à nouveau,
- dire et juger la société SDP IMMO est irrecevable à poursuivre son action aux fins de résiliation de plein droit du bail commercial conclu avec la société GYGH,
- prononcer la caducité de l'ordonnance de référé rendue le 17 novembre 2023 par le tribunal Judiciaire de Pointe-à-Pitre en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail conclu entre la société SDP IMMO et la société GYGH et a condamné cette dernière au paiement de la somme de 10 850 euros au titre des loyers impayés et à celle de 46 100 euros au titre de la clause pénale,
- débouter la société SDP IMMO de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Subsidiairement,
- enjoindre à la société SDP IMMO de produire l'original du contrat de bail sous seing privé en date du 1er décembre 2017,
- procéder à la vérification d'écriture et de signature dudit contrat de bail ;
- ordonner toute mesure d'instruction utile à cet effet,
- déclarer le contrat de bail sous seing privé du 1er décembre 2017 inopposable à la société GYGH,
En conséquence,
- dire n'y avoir lieu à référé et inviter la société SDP IMMO à mieux se pourvoir ;
- débouter la société SDP IMMO de l'ensemble de ses demandes,
Très subsidiairement,
- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 17 novembre 2022 par le tribunal Judiciaire de Pointe-à-Pitre en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- dire n'y avoir lieu à référé et inviter la société SDP IMMO à mieux se pourvoir,
- débouter la société SDP IMMO de l'ensemble de ses demandes,
En tout état de cause
- condamner la société SDP IMMO à payer à la société GYGH la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société SDP IMMO aux entiers dépens d'instance, incluant le coût du commandement de payer délivré le 22 novembre 2022, et d'appel.
2/ la société SDP IMMO, intimée :
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 19 mars 2024 par lesquelles la société SDP IMMO demande à la cour, au visa des articles 835, alinéa 2, du code de procédure civile, L. 145-41 du code de commerce, 1103, 1231-1 et 1240 du code civil, de :
- confirmer l'ordonnance du 17 novembre 2023 en ce qu'elle a :
* dit y avoir lieu à référé ;
* déclaré son action recevable et bien fondée ;
* rejeté l'ensemble des moyens de défense soulevés par la société GYGH ;
* constaté la résiliation du bail commercial du 1er décembre 2017 par acquisition de la clause résolutoire au 22 décembre 2022 ;
En conséquence,
* ordonné l'expulsion de la société GYGH et de tous occupants de son chef du local sis [Adresse 10] [Localité 5], avec au besoin le concours de la force publique ;
* condamné la société GYGH à lui payer une somme provisionnelle de 10 850 euros à valoir sur la créance de loyers et charges impayés au 22 décembre 2022 avec intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2022 ;
* condamné la société GYGH à lui payer à titre provisionnel une indemnité d'occupation journalière de 72,33 euros par jour à compter du 22 décembre 2022 jusqu'à complète libération des lieux ;
* condamné la société GYGH à lui payer une provision à valoir sur la créance au titre de la clause pénale ;
* condamné la société GYGH à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
- débouter la société GYGH de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société GYGH à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux dernières conclusions pour un exposé détaillé des prétentions et moyens.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la recevabilité de l'appel
L'article 490 du code de procédure civile dispose que l'ordonnance de référé peut être frappée d'appel à moins qu'elle n'émane du premier président de la cour d'appel ou qu'elle n'ait été rendue en dernier ressort en raison du montant ou de l'objet de la demande. L'ordonnance rendue en dernier ressort par défaut est susceptible d'opposition. Le délai d'appel ou d'opposition est de quinze jours.
En l'espèce, l'ordonnance en date du 17 novembre 2023 a été signifiée à la société GYGH par acte de commissaire de justice du 11 décembre 2023. L'appel interjeté par cette société le 12 décembre 2023 est donc recevable quant aux délais.
Sur le bien-fondé de la demande
L'article L. 622-21-I du code de commerce dispose que le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :
1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.
Il est de jurisprudence constante que si à la date de l'ouverture de la procédure collective du locataire, l'ordonnance de référé constatantl'acquisition de la clause résolutoire est frappée d'appel, les poursuites se trouvent suspendues au préjudice du bailleur, peu important à cet effet que l'ordonnance de référé soit exécutoire à titre provisoire.
En l'espèce, l'ordonnance entreprise constatant l'acquisition de la clause résolutoire était frappée d'appel au moment de l'ouverture de la procédure de sauvegarde et n'avait, par conséquent, pas acquis force de chose jugée au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective, même s'il était assorti de l'exécution provisoire.
En conséquence, l'ordonnance déférée sera infirmée en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail, ordonné à la société GYGH de quitter les lieux, autorisé son expulsion sous astreinte, fixé une indemnité d'occupation, condamné la société GYGH à la régler à la société intimée, et prononcé d'autres condamnations pécuniaires.
Par ailleurs, l'article L. 622-21-I du code de commerce précité ne prévoyant nullement que l'ouverture de la procédure de sauvegarde du preneur entraîne la caducité de l'ordonnance de référé constatant l'acquisition de la clause résolutoire, la demande des appelants en ce sens sera rejetée.
Sur les dépens et frais irrépétibles
La société SDP IMMO succombant en appel en raison d'un évènement procédural dont elle n'est pas responsable, et qui est survenu postérieurement à l'introduction de son action, et cela, alors même que la société GYGH devait les sommes dont le règlement lui était demandé dans le commandement délivré, l'équité commande d'user de la faculté laissée au juge par l'article 696 du code de procédure civile de confirmer les dispositions de l'ordonnance relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, et de condamner la société GYGH aux entiers dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société SDP IMMO une indemnité de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable l'appel de la SAS GYGH,
Vu le jugement portant ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'égard de la SAS GYGH,
Confirme le jugement querellé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance mis à la charge de la société GYGH,
L'infirme pour le surplus de ses dispositions déférées,
Déclare la SARL SDP IMMO irrecevable en ses demandes en lien avec la constatation de la résiliation du bail commercial du 1er décembre 2017 par acquisition de la clause résolutoire au 22 décembre 2022,
Condamne la SAS GYGH aux d'appel et à payer à la société SDP IMMO la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile