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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 28 juin 2019, n° 18/08504

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Irisbat (SARL)

Défendeur :

Carrefour Proximité France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bouvier

Conseillers :

Mme Grison Pascail, Mme Thomas

Avocats :

Me Pedroletti, Me Tessler, Me Bourdot

CA Versailles n° 18/08504

27 juin 2019

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Carrefour Proximité France (société CPF) est propriétaire d'un fonds de commerce situé ... (78), exploité en location gérance sous l'enseigne 'Carrefour City' par la SARL Irisbat, suivant contrat en date du 14 octobre 2016, conclu pour une durée de un an, renouvelable tacitement pour une durée indéterminée.

Un contrat de franchise a été également signé avec la société CPF le 19 octobre 2016 pour une durée de sept ans, devenant caduc en cas de fin du contrat de location gérance ainsi qu'un contrat d'approvisionnement avec la société CSF, chargée de l'approvisionnement des magasins exploités en franchise, et ce, à la même date.

Par courrier du 10 août 2018, la société CPF a notifié à la société Irisbat sa décision de mettre un terme au contrat de location gérance, la résiliation de ce contrat entraînant de plein droit la caducité de tous les contrats conclus pour ce point de vente, avec un préavis de trois mois.

Le 26 octobre 2018, la société CPF a invité la société Irisbat à procéder à l'inventaire de sortie le 14 novembre 2018.

Par courrier du 2 novembre 2018, M. X, gérant de la société Irisbat, a contesté la décision de résiliation.

C'est dans ce contexte que par acte du 13 novembre 2018, la société Irisbat a assigné en référé la société Carrefour Proximité France devant le président du tribunal de commerce de Versailles afin qu'il soit ordonné à la société CPF de surseoir à toutes opérations d'inventaire et d'éviction de son locataire gérant, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur les droits de ce dernier à acquérir le fonds de commerce exploité sous l'enseigne « Carrefour City », situé à Viroflay et, subsidiairement, d'être autorisée à se maintenir dans les lieux.

Par ordonnance contradictoire rendue le 12 décembre 2018 (RG 2018 R 00290), le juge des référés, retenant notamment que le contrat de location gérance permet à chacune des parties de mettre fin au contrat trois mois avant l'expiration de la période initiale ou à tout moment au cours de la période de reconduction ; qu'aucun motif n'est requis ; qu'il n'appartient pas au juge des référés d'interpréter les intentions des parties, la société Irisbat se prévalant de son droit à l'acquisition du fonds de commerce ; qu'il importe peu que l'interruption du contrat soit liée à la décision du locataire gérant de constituer une association de franchisés, les stipulations du contrat devant être appliquées, a :

- ordonné aux parties de procéder ou faire procéder à un inventaire avant le 23 décembre 2018,

- ordonné à la SARL Irisbat de rendre les clefs avant le 23 décembre 2018,

- dit que passé cette date, la société Carrefour Proximité France pourra requérir la force publique pour faire procéder à l'expulsion de la SARL Irisbat, après le 23 décembre 2018 et au plus tôt deux jours après la signification de l'assignation si elle intervient après le 21 décembre 2018,

- dit que les relations contractuelles entre les parties devront se poursuivre jusqu'à la remise des clefs et qu'elles cesseront après le 23 décembre 2018,

- dit qu'après le 23 décembre 2018, la 'société Carrefour Proximité France' sera redevable de l'indemnité forfaitaire de 1 000 euros par jour de retard prévue à l'article 4.16 du contrat de location gérance,

- dit n'y avoir lieu d'assortir ces décisions d'une astreinte,

- dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL Irisbat aux dépens.

Par ordonnance contradictoire du 16 janvier 2019 (RG 2018 R 00336), le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles a rectifié les erreurs matérielles figurant dans son ordonnance du 12 décembre 2018, comme suit :

- MOTIFS : page 5, 3ème alinéa :

« - jusqu'à la remise des clefs, les relations contractuelles entre les parties devront se poursuivre; après le 23 décembre 2018, IRISBAT sera redevable de l'indemnité forfaitaire de 1 000 euros par jour de retard prévue à l'article 4.16 du contrat de location gérance » ;

- DISPOSITIF : page 5, 6ème alinéa :

« Disons qu'après le 23 décembre 2018, la société IRISBAT sera redevable de l'indemnité forfaitaire de 1 000 euros par jour de retard prévue à l'article 4.16 du contrat de location gérance»;

- DISPOSITIF : page, 4ème alinéa :

'Disons que passé cette date, la SAS CARREFOUR PROXIMITE FRANCE pourra requérir la force publique pour faire procéder à l'expulsion d'IRISBAT, après le 23 décembre 2018 et au plus tôt deux jours après la signification de l'ordonnance si elle intervient après le 21 décembre 2018"

Le 17 décembre 2018, la société Irisbat a formé appel de l'ordonnance rendue le 12 décembre 2018 par un acte visant l'ensemble des chefs de décision sauf en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu d'assortir ces décisions d'une astreinte et dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 31 janvier 2019, le premier président de cette cour a arrêté l'exécution provisoire de plein droit attachée à l'ordonnance de référé rendue le 12 décembre 2018.

Le 8 février 2019, la société Irisbat a formé appel de l'ordonnance rectificative du 16 janvier 2019 par un acte visant les rectifications prononcées des dispositions erronées :

- au titre des MOTIFS,

- au titre du DISPOSITIF 'page 5, 6ème alinéa : Disons que passé cette date, la SAS CARREFOUR PROXIMITE FRANCE pourra requérir la force publique pour faire procéder à l'expulsion d'IRISBAT, après le 23 décembre 2018 et au plus tôt deux jours après la signification de l'ordonnance si elle intervient après le 21 décembre 2018".

Par ordonnance du 18 février 2019, la jonction des deux procédures enregistrées sous les numéros RG n° 18/8504 et RG n° 19/916 a été ordonnée, l'instance se poursuivant sous le seul numéro RG 18/8504.

Dans ses conclusions transmises au greffe le 22 février 2019, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Irisbat, appelante, demande à la cour de :

A titre principal,

- la dire recevable et bien fondée en son appel ;

- annuler l'ordonnance entreprise prononcée le 12 décembre 2018 ainsi que l'ordonnance rectificative en date du 16 janvier 2019, le juge des référés s'étant abstenu à tort d'exercer tous les pouvoirs qui sont les siens, en prétendant que ses pouvoirs juridictionnels lui imposeraient d'appliquer strictement les clauses du contrat ;

Subsidiairement,

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

- ordonné aux parties de procéder ou faire procéder à un inventaire avant le 23 décembre 2019,

- ordonné à la SARL Irisbat de rendre les clefs avant le 23 décembre 2018,

- dit que passé cette date, la société Carrefour Proximité France pourra requérir la force publique pour faire procéder à l'expulsion d'Irisbat, après le 23 décembre 2018 et au plus tôt deux jours après la signification de l'assignation si elle intervient après le 21 décembre 2018,

- dit que les relations contractuelles entre les parties devront se poursuivre jusqu'à la remise des clefs et qu'elles cesseront après le 23 décembre 2018,

- dit qu'après le 23 décembre 2018, la société Carrefour Proximité France sera redevable de l'indemnité forfaitaire de 1000 euros par jour de retard prévue à l'article 4.16 du contrat de location gérance,

- condamné la SARL Irisbat aux dépens dont les frais de greffe s'élèvent à la somme de 42,79 euros,

- ordonner à la société Carrefour Proximité France de surseoir à toutes opérations d'inventaire et d'éviction de son locataire gérant, la société Irisbat, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur les droits de la société Irisbat à acquérir le fonds de commerce qu'elle exploite sous enseigne « Carrefour City », sis à Viroflay ;

- ordonner son maintien dans les lieux jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur ses droits à acquérir le fonds de commerce qu'elle exploite sous enseigne « Carrefour City », sis à Viroflay ;

- 'réformer' l'ordonnance en ce qu'elle l'a condamnée au paiement d'une somme de 1000 euros par jour de retard au profit de la société Carrefour Proximité France ;

Subsidiairement,

- 'dire et juger' que l'indemnité forfaitaire de 1 000 euros par jour de retard prévue à l'article 4.16 du contrat de location gérance constitue une clause pénale telle que visée par l'article 1231-5 du Code Civil ;

- réduire la clause pénale manifestement excessive à l'euro symbolique ; dire qu'elle ne courra qu'à compter de la décision de la cour ;

En tout état de cause,

- 'réformer' l'ordonnance en ce qu'elle l'a condamnée au paiement des dépens dont les frais de greffe s'élevant à la somme de 42,79 euros ;

- condamner la société Carrefour Proximité France à lui payer la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de son conseil, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, la société Irisbat fait valoir en substance :

- que le juge des référés a commis un excès de pouvoir en n'exerçant pas les pouvoirs qu'il tient de la loi, ce qui justifie l'annulation de l'ordonnance ; que saisi sur le fondement de l'article 873, alinéa 1, du code de procédure civile, il avait le pouvoir d'ordonner une mesure conservatoire en présence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent, en interprétant les actes et conventions qui lui étaient soumis, dans leur globalité ;

- qu'il se devait d'examiner les contradictions entre les clauses des contrats et la portée de la lettre de CPF du 10 novembre 2016 prévoyant la possibilité pour le locataire gérant d'acquérir le fonds de commerce pendant un délai de quatre ans, confirmé par l'avenant au contrat de location gérance ; qu'il existe une promesse de vente du fonds de commerce donné en location gérance au profit du locataire gérant, qui a déterminé sa décision de prendre le fonds en location gérance ;

- que face à ces contradictions, le juge des référés devait prendre des mesures conservatoires, le juge du fond devant déterminer l'intention des parties ; que toute clause permettant à Carrefour d'évincer son locataire gérant sans motif doit être réputée non écrite, s'agissant d'un contrat d'adhésion ; qu'ainsi le juge des référés a statué en deçà de ce que la loi lui prescrit de faire en affirmant qu'il ne lui appartenait pas d'interpréter les intentions des parties ;

- que si les contrats s'inscrivent dans les nouvelles dispositions adoptées par la loi Macron sous l'article L.341-1 du code de commerce, ces dispositions sont délibérément violées puisqu'il n'existe pas d'échéance commune entre les contrats et qu'il existe une clause de dénonciation 'discrétionnaire' qui s'apparente à un abus de droit caractérisé, justifiant l'annulation de ladite clause, caractérisant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ;

- que ladite clause, en théorie à la dispositions des deux parties, n'a pas la même incidence; que pour le locataire gérant, cela signifie la perte de son outil de travail et de toute possibilité d'acquérir le fonds pour lequel il s'est investi ; pour la société CPF, la dénonciation n'a aucune conséquence ;

- que la décision de CPF est étroitement liée à la constitution d'une association de franchisés qu'elle a notifiée au groupe Carrefour le 11 août 2018 ;

- que la clause prévue à l'article 4.16 du contrat de location gérance est une clause pénale au sens de l'article 1231-5 du code civil ; qu'en raison de son caractère manifestement excessif, constituant pour la société Irisbat le bénéfice d'une année de travail, elle devra être ramenée à l'euro symbolique ;

- que les manquements qui lui sont reprochés pour justifier de la dénonciation du contrat ne sont pas établis ;

- qu'elle subit un trouble manifestement illicite avec la décision de non renouvellement de son contrat de location gérance alors que la société CPF se devait de lui offrir d'acheter le fonds de commerce pendant une durée de quatre ans ; que son expulsion lui occasionne un dommage imminent, car elle s'expose à la liquidation et perdra le bénéfice de son travail et des investissements coûteux qu'elle a engagés ;

- que subsidiairement, elle sollicite le droit de rester dans les lieux du fait de la nullité du contrat de location gérance par application combinée des articles 1188, 1189 et 1190 du code civil (interprétation du contrat), 1130 du code civil (vices du consentement), 1170 du code civil (la clause de durée du contrat de location gérance est réputée non écrite), L.442-6- I 2° du code de commerce visant les pratiques restrictives de concurrence.

Dans ses conclusions transmises au greffe le 26 février 2019, auxquelles il convient de se reporter

pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Carrefour Proximité France, intimée, demande à la cour de :

- débouter la société Irisbat de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée, rectifiée par ordonnance du 16 janvier 2019.

Y ajoutant,

- condamner la société Irisbat au paiement à son profit d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure dilatoire et abusive et d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Irisbat aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de son conseil, dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, la société Carrefour Proximité France fait valoir essentiellement :

- que les conditions de dénonciation du contrat de location gérance sont parfaitement symétriques; que les clauses sont claires ; qu'aucun motif n'est requis ; que néanmoins, le magasin était assez mal tenu ; qu'un système de site 'drive piéton' avait été mis en place sans autorisation, toute modification de la nature du commerce étant exclue sauf accord du bailleur; que cette dénonciation répondait à des dysfonctionnements ou manquements objectifs du locataire gérant;

- que le dirigeant de la société Irisbat est un commerçant averti, exerçant depuis de nombreuses années en franchise et en collaboration avec le groupe Carrefour ; qu'il ne peut sérieusement soutenir qu'il s'agirait d'un contrat d'adhésion, alors qu'il est partenaire de Carrefour depuis 25 ans ;

- qu'il est erroné de soutenir que les parties étaient liées pendant une durée de quatre ans ; que la possibilité pour le locataire gérant de devenir à moyenne échéance propriétaire d'un fonds de commerce, qui n'est pas nécessairement celui qu'il exploite, n'est pas de nature à priver d'effet la faculté de dénonciation unilatérale du contrat par chacune des parties ; qu'aucun engagement de cession n'a été pris par la société CPF ;

- que la constitution d'une association de franchisés n'est pas le motif de la dénonciation ; qu'il ne peut être reproché au juge des référés d'avoir appliqué les clauses claires d'un contrat régulièrement dénoncé ;

- qu'aucune juridiction n'a la pouvoir de faire revivre un contrat qui est définitivement expiré depuis le 10 novembre 2018 par suite de sa dénonciation, le litige devant se résoudre en dommages intérêts ;

- que l'indemnité forfaitaire prévue au contrat s'analyse en une forme d'astreinte conventionnelle pour contraindre le preneur à s'exécuter ; que l'astreinte n'a pas de caractère indemnitaire.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 27 février 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes tendant à ce qu'il soit 'dit et jugé' en ce qu'elles constituent des moyens et non des prétentions.

Sur la demande d'annulation de l'ordonnance

Il y a excès de pouvoir lorsque le juge refuse de reconnaître un pouvoir que la loi lui confère aussi bien que dans les cas où il sort du cercle de ses attributions légales.

En l'espèce, le premier juge a été saisi sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile, les demandes de la société Irisbat étant fondées sur l'existence d'un trouble manifestement illicite et d'un dommage imminent.

La société Irisbat reproche au juge des référés un excès de pouvoir négatif pour avoir interprété 'en faveur de CPF les clauses dont il dit lui même qu'elles sont contradictoires aux motifs d'une insuffisance de pouvoirs' et avoir ainsi refusé d'ordonner les mesures conservatoires sollicitées, en accueillant en revanche les demandes reconventionnelles de la société CPF.

En réalité, l'appelante critique la motivation du premier juge, qu'elle estime empreinte de contradictions, ce qui l'a conduite à relever appel de l'ordonnance, étant rappelé que, contrairement à ce que soutient la société Irisbat, le juge des référés n'a pas le pouvoir d'interpréter des conventions ou des actes qu'il estime ambigus en déterminant la commune intention des parties, telle que la portée de la lettre litigieuse du 10 novembre 2016 adressée par la société CPF à la société Irisbat.

En l'espèce, en refusant d'ordonner la poursuite du contrat de location gérance, après avoir analysé les éléments du dossier, même de façon incomplète ou en commettant le cas échéant des erreurs de droit, et même en présence de contestations sérieuses, le juge des référés a considéré implicitement qu'il n'existait ni trouble manifestement illicite ni dommage imminent, étant en présence de clauses claires figurant dans le contrat et d'une dénonciation régulière de ce contrat.

Il n'y a donc pas lieu d'annuler l'ordonnance rendue le 12 décembre 2018, rectifiée par ordonnance du 16 janvier 2019, aucun excès de pouvoir du premier juge n'étant en l'espèce caractérisé.

Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite et/ou d'un dommage imminent

Aux termes de l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une

contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s'entend du « dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer » et le trouble manifestement illicite résulte de « toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit ».

Il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le premier juge a statué et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage, d'un préjudice ou la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines, qu'un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés ; la constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets.

Il résulte des éléments versés aux débats :

- que la société Irisbat a conclu avec la société CPF un contrat de location gérance le 14 octobre 2016 pour une durée initiale d'une année entière à compter du 19 octobre 2016 pour se terminer le 18 octobre 2017, le contrat ayant vocation à être reconduit tacitement pour une durée indéterminée à l'expiration de la période initiale, chacune des parties pouvant mettre fin au contrat par l'envoi d'un courrier recommandé avec avis de réception, trois mois avant la date d'expiration de la période initiale ou à tout moment au cours de la période de reconduction en respectant également un délai de préavis de trois mois (article 3),

- que le 19 octobre 2016, les parties ont conclu un contrat de franchise 'Carrefour City' pour une durée de sept ans, renouvelable par périodes successives de sept ans (article 6), étant précisé que si le contrat de location gérance prend fin pour quelque cause que ce soit, le contrat de franchise devient caduc de plein droit, immédiatement et sans formalité (article 5.2),

- que la société Irisbat a signé à la même date un contrat d'approvisionnement avec la société CSF, chargée de l'approvisionnement des magasins exploités en franchise, pour une durée de sept années, renouvelable par tacite reconduction par période de sept ans,

- que par courrier en date du 10 novembre 2016 adressé à la société Irisbat, la société CPF, rappelant qu'elle souhaitait permettre aux candidats auxquels sont donnés des fonds de commerce en location gérance, d'investir à court terme dans l'acquisition d'un fonds, a indiqué à la société Irisbat que faute pour elle de procéder à l'acquisition d'un fonds de commerce parmi ceux qui pourraient lui être présentés dans un délai maximum de quatre années, la société CPF se réservait le droit de dénoncer le contrat de location gérance à tout moment 'conformément aux dispositions du contrat', étant précisé que ce courrier n'apportait aucun changement ou novation aux dispositions du contrat de location gérance, 'notamment celles relatives à la clause durée, ses dispositions conservant leur

plein effet',

- qu'un avenant au contrat de location gérance, non daté mais signé, prévoit une réduction du montant de la redevance, rétroactivement à la date de signature du contrat, dans l'hypothèse où le locataire gérant acquiert dans les 48 mois un fonds de commerce parmi ceux proposés par CPF, aucune autre modification n'étant apportée au contrat de location gérance, qui continue de produire son plein et entier effet dans toutes ses dispositions,

- que par courrier recommandé du 10 août 2018, réceptionné le 13 août, la société CPF a notifié à la société Irisbat qu'elle mettait un terme au contrat de location gérance signé le 14 octobre 2016, avec un préavis de trois mois, la résiliation de ce contrat entraînant de plein droit la caducité de tous les contrats conclus pour le point de vente,

- que par courrier recommandé du 2 novembre 2018, la société Irisbat a indiqué à la société CPF qu'elle contestait la dénonciation du contrat et son non renouvellement, refusant l'inventaire prévu le 14 novembre et se maintenant dans les lieux.

La société Irisbat soutient que son éviction du fonds de commerce qui lui a été donné en location gérance constitue un trouble manifestement illicite alors même qu'elle dispose d'un droit à acquérir le fonds de commerce pendant une durée de quatre années, la lettre du 10 novembre 2016 comportant une obligation pour la société CPF de formuler une offre de cession du fonds en sa faveur, ce qui fait obstacle à toute possibilité pour la société CPF de refuser le renouvellement du contrat de location gérance sans juste motif durant cette période.

Elle fait encore valoir que son expulsion entraînerait pour elle un dommage imminent alors même qu'elle dispose du droit d'exploiter le fonds de commerce durant quatre années, qu'elle serait vouée à la liquidation et privée de toute faculté de rebond, étant dans l'incapacité d'exploiter un autre fonds de commerce sous une autre enseigne, eu égard aux engagements de non concurrence souscrit par M. X dans le cadre du contrat de franchise de son premier magasin, perdant encore le bénéfice du travail de dynamisation du fonds de commerce qu'elle a réalisé.

La société CPF invoque de son côté l'existence d'un trouble manifestement illicite pour solliciter l'expulsion du locataire gérant, en raison de son impossibilité de récupérer les locaux qui lui appartiennent et ce, depuis le début du mois de novembre 2017, suite à la dénonciation régulière du contrat.

Il est constant que la dénonciation du contrat de franchise a été faite dans le respect des stipulations contractuelles, par lettre recommandée avec avis de réception envoyée au locataire gérant trois mois avant l'expiration de la durée initiale de une année, ce que ne conteste pas l'appelante qui n'a d'ailleurs émis aucune contestation immédiate à réception de cette dénonciation le 13 août 2018. En outre le contrat ne prévoit pas que cette dénonciation doit être motivée.

Par ailleurs, l'article 4.16 'Restitution des lieux' du contrat de location gérance prévoit expressément :

' De convention expresse entre les parties, le maintien irrégulier du 'PRENEUR' dans les lieux sera constitutif d'une faute grave de ce dernier, nonobstant toute faute du 'BAILLEUR', y compris l'abus de droit ou la mauvaise foi. Le 'PRENEUR' accepte en effet expressément et irrévocablement que toute faute du 'BAILLEUR' soit exclusivement réparée par l'octroi de dommages et intérêts, à l'exclusion de toute réparation en nature.

Par maintien irrégulier dans les lieux, il faut entendre notamment l'absence de restitution des lieux après la date d'effet de la cessation du présent contrat résultant soit du jeu, soit de la clause résolutoire de plein droit telle que prévue par l'article 4.10 du présent contrat, soit de la dénonciation telle que prévue à l'article DUREE du présent contrat. (...)

En outre les parties conviennent expressément et irrévocablement que tout maintien irrégulier dans les lieux, tel que défini ci dessus, sera constitutif d'un trouble manifestement illicite relevant de la compétence du juge des référés conformément à l'article 873 du NCPC et justifiant l'expulsion immédiate du 'PRENEUR'.'

Ainsi dès lors que la société Irisbat s'est maintenue dans les lieux postérieurement au terme du préavis malgré la dénonciation régulière du contrat par la société CPF, il existe un trouble manifestement illicite caractérisé pour la société CPF.

En effet, les contestations qu'oppose le locataire gérant à son éviction, relatives aux conditions de mise en oeuvre de la dénonciation du contrat par le loueur, fussent elles sérieuses, ne sont pas de nature à faire obstacle au pouvoir du juge des référés de faire cesser par ailleurs le trouble manifestement illicite constaté, invoqué en l'espèce par l'intimée, alors même que la société Irisbat ne caractérise pas en l'espèce le caractère manifeste du trouble dénoncé tiré de son éviction du fonds donné en location gérance suite à la dénonciation du contrat qui lui a été notifiée, conforme aux stipulations contractuelles qui s'imposent aux parties.

Il n'existe en effet aucune violation manifeste du droit allégué par le locataire gérant à se maintenir dans les lieux durant quatre années compte tenu de l'engagement de la société CPF de lui proposer l'acquisition d'un fonds de commerce, étant souligné qu'il ne s'agit pas nécessairement du fonds de commerce exploité par le locataire gérant mais d'un fonds de commerce parmi ceux proposés par le groupe Carrefour, dès lors, qu'en l'absence de toute évidence, il incombe au seul juge du fond d'apprécier si le courrier du 10 novembre 2016 s'analyse en une promesse de vente au profit du locataire gérant, si la commune intention des parties a été de maintenir le contrat de location gérance pendant une durée irrévocable de quatre années nonobstant la clause expresse de durée mentionnée au contrat et de la mention selon laquelle le courrier litigieux n'apporte aucun changement aux dispositions du contrat de location gérance 'notamment celles relatives à la clause durée', ou si le consentement de la société Irisbat a été vicié, étant par ailleurs relevé que la société Irisbat ne justifie pas avoir diligenté à ce jour une action au fond en revendication de la propriété du fonds de commerce ou en nullité du contrat.

N'est pas plus manifeste :

- la nullité de la clause abusive permettant d'évincer le locataire gérant sans motif ni manquement contractuel dans le temps de l'offre de vente, tirée du déséquilibre significatif entre les parties et de la nature de contrat d'adhésion du contrat de location gérance alors que le gérant de la société Irisbat est partenaire du groupe Carrefour depuis plus de 25 ans et qu'il exploite depuis le 18 janvier 2012 un autre fonds de commerce en franchise CPF à Villepreux,

- la violation alléguée de l'exigence de bonne foi qui doit présider à l'exécution de toute convention et des motifs illégitimes supposés ayant conduit la société CPF à dénoncer le contrat, à raison de la constitution d'une association de franchisés et locataires gérants dont la société CPF a été informée par courriel du 11 août 2018, étant relevé que la dénonciation du contrat a précédé l'envoi dudit courriel,

- la violation tirée des dispositions nouvelles intégrées par la loi Macron à l'article L.341-1 du code de commerce faute d'échéance commune des contrats, par la présence d'une clause de dénonciation unilatérale dans le contrat de location gérance, à tout moment et sans motif, que chacune des parties peut toutefois mettre en oeuvre.

Il doit être également souligné que le contrat de location gérance exclut formellement que tout manquement du bailleur, à supposer qu'il soit caractérisé, soit réparé par une exécution en nature, laquelle est précisément réclamée par l'appelante, même si elle l'est à titre conservatoire.

En conséquence de ces constatations et énonciations, et sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans le débat opposant les parties et relatif aux motifs qui ont pu motiver la dénonciation du contrat par la société CPF, la société Irisbat ne démontre pas le caractère illicite manifeste du trouble dénoncé pas plus qu'elle n'établit l'existence d'un dommage imminent, principalement fondé sur le droit à se maintenir dans les lieux pendant quatre années, le gérant de la société exploitant par ailleurs un autre fonds de commerce et ayant disposé de fait, depuis plusieurs mois, du temps nécessaire pour réorganiser son activité, dès lors que le trouble manifestement illicite dénoncé par la société CPF, à raison de l'occupation sans droit ni titre en raison du maintien dans les lieux de la société Irisbat et de la poursuite de l'exploitation du fonds postérieurement au terme du préavis, est caractérisé.

C'est donc à bon droit que le premier juge a ordonné l'expulsion de la société Irisbat pour faire cesser le trouble manifestement illicite dénoncé par la société CPF et ordonné aux parties de procéder à l'inventaire des lieux.

L'ordonnance déférée doit donc être confirmée en ce qu'elle a :

Sur la demande au titre de l'indemnité forfaitaire

L'article 4.16 du contrat de location gérance stipule que :

' En cas de maintien irrégulier du 'PRENEUR' dans les lieux, pour quelque cause que ce soit et nonobstant toute contestation de ce dernier sur les causes de cessation du présent contrat, le

'PRENEUR' sera redevable, immédiatement et de plein droit, envers le 'BAILLEUR' d'une somme forfaitaire, définitive et non révisable de 1 000 euros par jour de retard, et ce, sans préjudice de dommages et intérêts que le 'BAILLEUR' pourrait demander en raison du maintien irrégulier dans les lieux et de toute demande d'expulsion'.

Le paiement d'une indemnité due au titre de la clause pénale n'est que l'exécution d'une clause librement acceptée qui vise à sanctionner le manquement d'une partie à ses obligations contractuelles.

Si le juge des référés ne peut modérer la clause pénale, il peut accorder une provision à valoir sur le montant non contestable de cette clause, qui n'a d'autre limite que le montant prévu au contrat.

En l'espèce, au vu des contestations émises par la société Irisbat, qui fait valoir notamment que la société CPF a bénéficié des cotisations de franchise et qu'elle même présente de faibles résultats, cette indemnité constituant le bénéfice d'une année de travail, il n'y a pas lieu d'accorder à la société CPF une provision à valoir sur la clause pénale prévue au contrat, contestée en son principe et en son quantum, que seul le juge du fond a le pouvoir de modérer ou d'écarter.

L'ordonnance déférée sera donc infirmée en ce qu'elle a accueilli la demande.

Sur la demande de dommages intérêts pour procédure abusive

L'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages intérêts que lorsqu'est caractérisée une faute en lien de causalité directe avec un préjudice ; en l'espèce, un tel comportement de la part de l'appelante n'est pas caractérisé ; la demande incidente de l'intimée est rejetée.

Sur les mesures accessoires

Il convient de confirmer l'ordonnance pour le surplus.

L'équité ne commande pas de faire droit à la demande de l'intimée présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; sa demande est rejetée.

Partie perdante, l'appelante ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS LA COUR

Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

DIT n'y avoir lieu à annulation de l'ordonnance du 12 décembre 2018, rectifiée par l'ordonnance du  16 janvier 2019,

INFIRME l'ordonnance rendue le 12 décembre 2018, rectifiée par l'ordonnance du 16 janvier 2019, en ce qu'elle a dit qu'après le 23 décembre 2018, la société Irisbat sera redevable de l'indemnité forfaitaire de 1 000 euros par jour de retard prévue à l'article 4.16 du contrat de location gérance,

LA CONFIRME pour le surplus,

STATUANT À NOUVEAU,

DIT n'y avoir lieu à référé sur la demande au titre de l'indemnité forfaitaire,

DÉBOUTE la société Carrefour Proximité France de sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive,

REJETTE la demande des parties fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que la société Irisbat supportera les dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

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