Décisions
Cass. crim., 8 janvier 2025, n° 23-84.535
COUR DE CASSATION
Autre
Rejet
N° M 23-84.535 FS-B+R
N° 00001
GM
8 JANVIER 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 JANVIER 2025
M. [D] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle, en date du 27 avril 2023, qui, pour dénonciation calomnieuse, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, et 8 000 euros d'amende dont 4 000 euros avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de Me Descorps-Declère, avocat de M. [D] [U], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 23 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Labrousse, Leprieur, MM. Cavalerie, Maziau, Turbeaux, Seys, Dary, Mme Thomas, MM. Laurent, Gouton, Brugère, Mme Chaline-Bellamy, MM. Hill, Tessereau, conseillers de la chambre, M. Mallard, Mmes Merloz, Guerrini, M. Pradel, Mme Diop-Simon, conseillers référendaires, M. Aubert, avocat général référendaire, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [D] [U] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de harcèlement moral pour avoir adressé, entre le 22 janvier et le 17 septembre 2018, notamment au président du [2] ([2]), des courriers qui avaient pour objet de signaler les agissements de deux experts judiciaires, MM. [N] [Y] et [N] [E], qualifiés de « manifestement parjures et corrompus », qui auraient agi de « façon occulte » et « sous influence » dans des procédures qu'il avait initiées et dont les rapports «intentionnellement frelatés » tendaient à « couvrir les auteurs de malversations commises au préjudice de sa tante. »
3. Par jugement du 20 novembre 2020, le tribunal correctionnel a requalifié les faits en dénonciation calomnieuse, déclaré M. [D] [U] coupable, et prononcé sur les peines et les intérêts civils.
4. L'appel a été formé par le prévenu et à titre incident par le ministère public.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi, au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses autres branches, et le second moyen
6. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement correctionnel entrepris sur la déclaration de culpabilité après requalification des faits en dénonciation calomnieuse et a en conséquence, statuant à nouveau sur la peine, condamné M. [U] à quatre mois d'emprisonnement délictuel avec sursis ainsi qu'au paiement d'une amende de 8 000 euros dont 4 000 euros avec sursis, a confirmé le jugement entrepris en ses dispositions civiles sauf à modifier le montant de l'indemnisation du préjudice moral et l'a condamné à payer à MM. [Y] et [E] la somme de 3 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral, outre la somme de 1 200 euros à M. [E] au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, alors :
« 1°/ que les abus de la liberté d'expression, prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881, ne peuvent être poursuivis et réparés que sur le fondement de ce texte, sauf à ce que les circonstances dans lesquelles les propos litigieux sont émis suffisent à qualifier d'autres infractions ; que les trois courriers litigieux, qui dénonçaient le comportement de deux experts judiciaires, contenaient des propos non-publics contenant des imputations le cas échéant susceptibles de porter atteinte à leur honneur ou à leur considération ; qu'aux termes de l'article 226-10 du code pénal, l'infraction de dénonciation calomnieuse n'est matériellement constituée que lorsque la dénonciation est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée ; que pour retenir M. [U] dans les liens de la prévention, la cour d'appel, après avoir relevé que ces courriers ont été adressés au président du [2], a jugé que ce destinataire « était une autorité ayant le pouvoir d'initier une sanction à l'encontre de Messieurs [N] [E] et [N] [Y] » ; que le président du [2] n'étant pas une autorité de poursuite ou de sanction disciplinaire des experts judiciaires, les faits reprochés à M. [U] n'auraient tout au plus été susceptibles de poursuites que sur le fondement des articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 et R. 621-1 du code pénal ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé ces textes, ensemble l'article 226-10 du code pénal ;
4°/ que la possibilité pour les citoyens de faire part aux autorités compétentes - ou perçues comme telles - d'une conduite qui leur paraît irrégulière ou illicite de la part d'agents publics constitue l'un des principes de l'État de droit ; que les limites de la liberté d'expression sont plus larges lorsqu'il est question de la critique d'agents du service public agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles que de la critique d'un simple particulier ; que ces principes sont également applicables à la critique des experts judiciaires qui, dans l'exercice de leurs fonctions d'auxiliaires de justice, collaborateurs du service public, doivent s'attendre à une critique et un examen de leur conduite plus rigoureux que ceux encourus par de simples particuliers ; qu'en se bornant à affirmer qu'« il ne saurait y avoir disproportion s'agissant de propos sans nuance et graves de corruption c'est-à-dire d'une infraction pénale précise, ne reposant sur rien », pour écarter le moyen de M. [U] invoquant le bénéfice du fait justificatif d'exercice du droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
7. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, statuant à nouveau sur la peine, condamné M. [U] à quatre mois d'emprisonnement délictuel avec sursis ainsi qu'au paiement d'une amende de 8 000 euros dont 4 000 euros avec sursis, alors « que la dénonciation du comportement perçu comme illicite de la part d'experts judiciaires s'est faite par voie de correspondance privée à destination des autorités perçues comme compétentes et n'a pas porté atteinte publique au crédit des experts visés ou de l'institution judiciaire ; que dans ces conditions, la condamnation de M. [U] à de l'emprisonnement avec sursis et au paiement d'une amende de 8 000 euros au titre de la peine d'amende dont 4 000 euros assortis du sursis, a porté une atteinte disproportionnée au droit à sa liberté d'expression ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
8. Les moyens sont réunis.
Sur le moyen, pris en sa première branche
9. Pour déclarer le prévenu coupable de dénonciation calomnieuse, l'arrêt attaqué énonce notamment qu'il a adressé plusieurs courriers au président du [2] en accusant MM. [Y] et [E], experts judiciaires, notamment d'être corrompus.
10. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 226-10 du code pénal.
11. En effet, l'autorité destinataire de la dénonciation visée à ce texte peut être non seulement celle qui dispose d'un pouvoir de poursuite ou de sanction mais aussi celle qui, n'en disposant pas, a qualité pour saisir l'autorité compétente. Tel est le cas du président du [2].
12. Ainsi, le grief doit être écarté.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, et le second moyen
13. Selon l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne a droit à la liberté d'expression, et l'exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui.
14. Ainsi que le juge la Cour de cassation, l'incrimination d'un comportement constitutif d'une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, compte tenu de la nature et du contexte de l'agissement en cause (Crim., 26 octobre 2016, pourvoi n° 15-83.774, Bull. crim. 2016, n° 278 ; Crim., 26 février 2020, pourvoi n° 19-81.827, publié au Bulletin ; Crim., 22 septembre 2021, pourvoi n° 20-85.434, publié au Bulletin ;
Crim., 18 mai 2022, pourvoi n° 21-86.685, publié au Bulletin).
15. Lorsque le prévenu invoque une atteinte disproportionnée à sa liberté d'expression, il appartient au juge, après s'être assuré, dans l'affaire qui lui est soumise, du lien direct entre le comportement incriminé et la liberté d'expression sur un sujet d'intérêt général, de vérifier le caractère proportionné de la déclaration de culpabilité, puis de la peine. Ce contrôle de proportionnalité nécessite un examen d'ensemble, qui doit prendre en compte, concrètement, entre autres éléments, les circonstances des faits, la gravité du dommage ou du trouble éventuellement causé.
16. Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que suggérer qu'une personne a commis une infraction pour laquelle il n'a pas été condamné est de nature à affecter la réputation de ce dernier, laquelle relève de sa vie privée au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 7 février 2012, Axel Springer AG c. Allemagne [GC], n° 39954/08).
17. Le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher, en cas de conflit, un juste équilibre entre ces deux droits (Ass. plén., 25 octobre 2019, pourvoi n° 17-86.605, publié au Bulletin).
18. L'article 226-10 du code pénal réprime la dénonciation mensongère, en connaissance de cause, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions, adressée notamment à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente.
19. Cette disposition, qui incrimine la substance de propos, constitue une ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression, justifiée par la nécessité d'assurer la protection de la réputation d'autrui (CEDH, 26 mars 2020, affaire Tête c. France, requête n° 59636/16), de sorte qu'il ne peut plus être jugé, comme l'avait fait précédemment la Cour de cassation, que des faits de dénonciation calomnieuse ne sauraient être justifiés par le droit d'informer le public défini par l'article 10, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme (Crim., 12 avril 2016, pourvoi n° 14-87.124).
20. La proportionnalité de cette ingérence doit être appréciée en prenant en compte divers éléments, tels, notamment, dans le cas de la dénonciation calomnieuse, la nature et la forme des propos poursuivis, le contexte de leur expression ou de leur diffusion, la gravité des accusations, ainsi que leurs conséquences pour les personnes visées.
21. En l'espèce, pour écarter le moyen de défense pris de l'atteinte à la liberté d'expression, déclarer le prévenu coupable de dénonciation calomnieuse et le condamner aux peines susvisées, l'arrêt attaqué énonce que M. [U] a gravement mis en cause l'intégrité morale de MM. [Y] et [E], experts judiciaires, en les accusant notamment de corruption, dans des termes sans nuances.
22. Les juges retiennent que ces accusations ne reposent que sur le mécontentement de l'intéressé à la lecture des rapports des experts.
23. Ils ajoutent que l'intéressé n'a pas exercé les recours dont il disposait pour remettre en cause le contenu des expertises, qu'il a été débouté, avant l'envoi des courriers litigieux, de son action en responsabilité engagée contre M. [Y], et a été condamné à lui verser des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.
24. Ils retiennent que les agissements de M. [U] ont eu des conséquences importantes pour ses victimes, lesquelles ont pu craindre que leur dignité soit attaquée gratuitement à l'occasion de leurs travaux et en dehors des voies de droit prévues pour critiquer leurs conclusions.
25. Ils relèvent encore que M. [U] est retraité, qu'il a été directeur de la [3] à [Localité 1], qu'il dispose d'une retraite de 45 000 euros par an, s'acquitte d'un loyer mensuel de 1 000 euros, et qu'il a déjà été condamné à une peine d'amende avec sursis pour expédition de correspondance à découvert contenant une diffamation.
26. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen et des principes ci-dessus rappelés pour les motifs qui suivent.
27. En premier lieu, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que les propos poursuivis mettaient en cause la probité d'experts judiciaires et portaient à ce titre sur un sujet d'intérêt général.
28. En second lieu, les déclarations de culpabilité et les peines prononcées ne sont pas disproportionnées.
29. En effet, la cour d'appel a constaté que les propos, bien que n'ayant pas fait l'objet d'une diffusion publique, portaient sur des accusations graves, dénuées de fondement et formulées sans nuance, à l'encontre d'experts judiciaires, de nature à porter atteinte à leur réputation professionnelle, et que leur auteur avait déjà fait l'objet d'une sanction civile pour procédure abusive à l'encontre de l'un des experts.
30. Elle a enfin prononcé une peine d'emprisonnement avec sursis et une peine d'amende partiellement assortie du sursis en prenant en compte la gravité des faits, les éléments de personnalité et les antécédents judiciaires du prévenu.
31. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
32. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du huit janvier deux mille vingt-cinq.
N° 00001
GM
8 JANVIER 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 JANVIER 2025
M. [D] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle, en date du 27 avril 2023, qui, pour dénonciation calomnieuse, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, et 8 000 euros d'amende dont 4 000 euros avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de Me Descorps-Declère, avocat de M. [D] [U], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 23 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Labrousse, Leprieur, MM. Cavalerie, Maziau, Turbeaux, Seys, Dary, Mme Thomas, MM. Laurent, Gouton, Brugère, Mme Chaline-Bellamy, MM. Hill, Tessereau, conseillers de la chambre, M. Mallard, Mmes Merloz, Guerrini, M. Pradel, Mme Diop-Simon, conseillers référendaires, M. Aubert, avocat général référendaire, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [D] [U] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de harcèlement moral pour avoir adressé, entre le 22 janvier et le 17 septembre 2018, notamment au président du [2] ([2]), des courriers qui avaient pour objet de signaler les agissements de deux experts judiciaires, MM. [N] [Y] et [N] [E], qualifiés de « manifestement parjures et corrompus », qui auraient agi de « façon occulte » et « sous influence » dans des procédures qu'il avait initiées et dont les rapports «intentionnellement frelatés » tendaient à « couvrir les auteurs de malversations commises au préjudice de sa tante. »
3. Par jugement du 20 novembre 2020, le tribunal correctionnel a requalifié les faits en dénonciation calomnieuse, déclaré M. [D] [U] coupable, et prononcé sur les peines et les intérêts civils.
4. L'appel a été formé par le prévenu et à titre incident par le ministère public.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi, au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses autres branches, et le second moyen
6. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement correctionnel entrepris sur la déclaration de culpabilité après requalification des faits en dénonciation calomnieuse et a en conséquence, statuant à nouveau sur la peine, condamné M. [U] à quatre mois d'emprisonnement délictuel avec sursis ainsi qu'au paiement d'une amende de 8 000 euros dont 4 000 euros avec sursis, a confirmé le jugement entrepris en ses dispositions civiles sauf à modifier le montant de l'indemnisation du préjudice moral et l'a condamné à payer à MM. [Y] et [E] la somme de 3 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral, outre la somme de 1 200 euros à M. [E] au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, alors :
« 1°/ que les abus de la liberté d'expression, prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881, ne peuvent être poursuivis et réparés que sur le fondement de ce texte, sauf à ce que les circonstances dans lesquelles les propos litigieux sont émis suffisent à qualifier d'autres infractions ; que les trois courriers litigieux, qui dénonçaient le comportement de deux experts judiciaires, contenaient des propos non-publics contenant des imputations le cas échéant susceptibles de porter atteinte à leur honneur ou à leur considération ; qu'aux termes de l'article 226-10 du code pénal, l'infraction de dénonciation calomnieuse n'est matériellement constituée que lorsque la dénonciation est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée ; que pour retenir M. [U] dans les liens de la prévention, la cour d'appel, après avoir relevé que ces courriers ont été adressés au président du [2], a jugé que ce destinataire « était une autorité ayant le pouvoir d'initier une sanction à l'encontre de Messieurs [N] [E] et [N] [Y] » ; que le président du [2] n'étant pas une autorité de poursuite ou de sanction disciplinaire des experts judiciaires, les faits reprochés à M. [U] n'auraient tout au plus été susceptibles de poursuites que sur le fondement des articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 et R. 621-1 du code pénal ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé ces textes, ensemble l'article 226-10 du code pénal ;
4°/ que la possibilité pour les citoyens de faire part aux autorités compétentes - ou perçues comme telles - d'une conduite qui leur paraît irrégulière ou illicite de la part d'agents publics constitue l'un des principes de l'État de droit ; que les limites de la liberté d'expression sont plus larges lorsqu'il est question de la critique d'agents du service public agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles que de la critique d'un simple particulier ; que ces principes sont également applicables à la critique des experts judiciaires qui, dans l'exercice de leurs fonctions d'auxiliaires de justice, collaborateurs du service public, doivent s'attendre à une critique et un examen de leur conduite plus rigoureux que ceux encourus par de simples particuliers ; qu'en se bornant à affirmer qu'« il ne saurait y avoir disproportion s'agissant de propos sans nuance et graves de corruption c'est-à-dire d'une infraction pénale précise, ne reposant sur rien », pour écarter le moyen de M. [U] invoquant le bénéfice du fait justificatif d'exercice du droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
7. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, statuant à nouveau sur la peine, condamné M. [U] à quatre mois d'emprisonnement délictuel avec sursis ainsi qu'au paiement d'une amende de 8 000 euros dont 4 000 euros avec sursis, alors « que la dénonciation du comportement perçu comme illicite de la part d'experts judiciaires s'est faite par voie de correspondance privée à destination des autorités perçues comme compétentes et n'a pas porté atteinte publique au crédit des experts visés ou de l'institution judiciaire ; que dans ces conditions, la condamnation de M. [U] à de l'emprisonnement avec sursis et au paiement d'une amende de 8 000 euros au titre de la peine d'amende dont 4 000 euros assortis du sursis, a porté une atteinte disproportionnée au droit à sa liberté d'expression ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
8. Les moyens sont réunis.
Sur le moyen, pris en sa première branche
9. Pour déclarer le prévenu coupable de dénonciation calomnieuse, l'arrêt attaqué énonce notamment qu'il a adressé plusieurs courriers au président du [2] en accusant MM. [Y] et [E], experts judiciaires, notamment d'être corrompus.
10. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 226-10 du code pénal.
11. En effet, l'autorité destinataire de la dénonciation visée à ce texte peut être non seulement celle qui dispose d'un pouvoir de poursuite ou de sanction mais aussi celle qui, n'en disposant pas, a qualité pour saisir l'autorité compétente. Tel est le cas du président du [2].
12. Ainsi, le grief doit être écarté.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, et le second moyen
13. Selon l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne a droit à la liberté d'expression, et l'exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui.
14. Ainsi que le juge la Cour de cassation, l'incrimination d'un comportement constitutif d'une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, compte tenu de la nature et du contexte de l'agissement en cause (Crim., 26 octobre 2016, pourvoi n° 15-83.774, Bull. crim. 2016, n° 278 ; Crim., 26 février 2020, pourvoi n° 19-81.827, publié au Bulletin ; Crim., 22 septembre 2021, pourvoi n° 20-85.434, publié au Bulletin ;
Crim., 18 mai 2022, pourvoi n° 21-86.685, publié au Bulletin).
15. Lorsque le prévenu invoque une atteinte disproportionnée à sa liberté d'expression, il appartient au juge, après s'être assuré, dans l'affaire qui lui est soumise, du lien direct entre le comportement incriminé et la liberté d'expression sur un sujet d'intérêt général, de vérifier le caractère proportionné de la déclaration de culpabilité, puis de la peine. Ce contrôle de proportionnalité nécessite un examen d'ensemble, qui doit prendre en compte, concrètement, entre autres éléments, les circonstances des faits, la gravité du dommage ou du trouble éventuellement causé.
16. Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que suggérer qu'une personne a commis une infraction pour laquelle il n'a pas été condamné est de nature à affecter la réputation de ce dernier, laquelle relève de sa vie privée au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 7 février 2012, Axel Springer AG c. Allemagne [GC], n° 39954/08).
17. Le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher, en cas de conflit, un juste équilibre entre ces deux droits (Ass. plén., 25 octobre 2019, pourvoi n° 17-86.605, publié au Bulletin).
18. L'article 226-10 du code pénal réprime la dénonciation mensongère, en connaissance de cause, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions, adressée notamment à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente.
19. Cette disposition, qui incrimine la substance de propos, constitue une ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression, justifiée par la nécessité d'assurer la protection de la réputation d'autrui (CEDH, 26 mars 2020, affaire Tête c. France, requête n° 59636/16), de sorte qu'il ne peut plus être jugé, comme l'avait fait précédemment la Cour de cassation, que des faits de dénonciation calomnieuse ne sauraient être justifiés par le droit d'informer le public défini par l'article 10, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme (Crim., 12 avril 2016, pourvoi n° 14-87.124).
20. La proportionnalité de cette ingérence doit être appréciée en prenant en compte divers éléments, tels, notamment, dans le cas de la dénonciation calomnieuse, la nature et la forme des propos poursuivis, le contexte de leur expression ou de leur diffusion, la gravité des accusations, ainsi que leurs conséquences pour les personnes visées.
21. En l'espèce, pour écarter le moyen de défense pris de l'atteinte à la liberté d'expression, déclarer le prévenu coupable de dénonciation calomnieuse et le condamner aux peines susvisées, l'arrêt attaqué énonce que M. [U] a gravement mis en cause l'intégrité morale de MM. [Y] et [E], experts judiciaires, en les accusant notamment de corruption, dans des termes sans nuances.
22. Les juges retiennent que ces accusations ne reposent que sur le mécontentement de l'intéressé à la lecture des rapports des experts.
23. Ils ajoutent que l'intéressé n'a pas exercé les recours dont il disposait pour remettre en cause le contenu des expertises, qu'il a été débouté, avant l'envoi des courriers litigieux, de son action en responsabilité engagée contre M. [Y], et a été condamné à lui verser des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.
24. Ils retiennent que les agissements de M. [U] ont eu des conséquences importantes pour ses victimes, lesquelles ont pu craindre que leur dignité soit attaquée gratuitement à l'occasion de leurs travaux et en dehors des voies de droit prévues pour critiquer leurs conclusions.
25. Ils relèvent encore que M. [U] est retraité, qu'il a été directeur de la [3] à [Localité 1], qu'il dispose d'une retraite de 45 000 euros par an, s'acquitte d'un loyer mensuel de 1 000 euros, et qu'il a déjà été condamné à une peine d'amende avec sursis pour expédition de correspondance à découvert contenant une diffamation.
26. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen et des principes ci-dessus rappelés pour les motifs qui suivent.
27. En premier lieu, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que les propos poursuivis mettaient en cause la probité d'experts judiciaires et portaient à ce titre sur un sujet d'intérêt général.
28. En second lieu, les déclarations de culpabilité et les peines prononcées ne sont pas disproportionnées.
29. En effet, la cour d'appel a constaté que les propos, bien que n'ayant pas fait l'objet d'une diffusion publique, portaient sur des accusations graves, dénuées de fondement et formulées sans nuance, à l'encontre d'experts judiciaires, de nature à porter atteinte à leur réputation professionnelle, et que leur auteur avait déjà fait l'objet d'une sanction civile pour procédure abusive à l'encontre de l'un des experts.
30. Elle a enfin prononcé une peine d'emprisonnement avec sursis et une peine d'amende partiellement assortie du sursis en prenant en compte la gravité des faits, les éléments de personnalité et les antécédents judiciaires du prévenu.
31. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
32. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du huit janvier deux mille vingt-cinq.