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Décisions

Cass. com., 8 janvier 2025, n° 22-22.610

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Charles Faraud (SAS), Charles & Alice (SAS), Charles & Alice développement (SAS)

Défendeur :

Materne (SAS), MBMA (SAS), MBMA Holding (SAS), Andros (SNC), Andros et Cie (SAS), Délis (SA), Groupe Lactalis (SA), BSA (SAS), Valade (SAS), Financière Lubersac (SAS), Conserves France (SA), Conserve Italia (Sté), Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

M. Regis

Avocats généraux :

M. Douvreleur, Mme Texier

Avocats :

SCP Duhamel, SAS Hannotin Avocats, SCP Melka-Prigent-Drusch, SCP Piwnica et Molinié, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Marlange et de La Burgade

Paris, pôle 5 ch. 7, du 6 oct. 2022, n° …

6 octobre 2022

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-22.610, 22-22.676, 22-22.679 et 22-22.728 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 octobre 2022), le rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) a été destinataire d'une demande sommaire de clémence pour le compte des sociétés Coroos Conserven, Coroos Beheer et Stichting Administratiekantoor (les sociétés du groupe Coroos), révélant l'existence d'une entente dans le secteur des fruits en coupelles et en gourdes vendus en France, en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas.

3. Après s'être saisie d'office des pratiques ainsi dénoncées sur le marché français, l'Autorité, par une décision n° 19-D-24 du 17 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes (la décision), a dit qu'il était établi que les sociétés Materne, Andros, Conserves France, Délis, Vergers de [Localité 8], Charles Faraud, Charles & Alice, Valade et Coroos Conserven avaient enfreint les dispositions de l'article 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (le TFUE), et de l'article L. 420-1 du code de commerce, en participant, entre le 5 octobre 2010 et le 10 janvier 2014, à une entente unique et continue sur le marché français des fruits transformés cuits commercialisés en coupelles et en gourdes et vendus à la grande distribution sous marques de distributeurs et aux distributeurs de la restauration hors foyer, qui visait à manipuler les prix et à se répartir les clients et les volumes.

4. L'Autorité a prononcé des sanctions pécuniaires à l'encontre de la société Materne et des sociétés MBMA et MBMA Holding, ses sociétés mères, de la société Andros et de la société Andros et Cie, sa société mère, de la société Conserves France et de la société Conserve Italia societa cooperativa agricola, sa société mère, des sociétés Délis et Vergers de [Localité 8] ainsi que des sociétés Groupe Lactalis et BSA, leurs sociétés mères, des sociétés Charles Faraud et Charles & Alice ainsi que de la société CAI développement, leur société mère, de la société Valade et de la société Financière Lubersac, sa société mère. Elle a accordé une exonération totale de sanction aux sociétés du groupe Coroos.

5. Les sociétés Materne, MBMA, MBMA Holding, Andros, Andros et Cie, Valade, Financière Lubersac, Délis, Vergers de [Localité 8], Groupe Lactalis, BSA, Charles Faraud, Charles & Alice, CAI développement, Conserves France et Conserve Italia societa cooperativa agricola ont formé un recours contre cette décision devant la cour d'appel de Paris.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens du pourvoi n° 22-22.610, le moyen, pris en ses première à douzième branches et en ses quatorzième à seizième branches, du pourvoi n° 22-22.676, les premier et troisième moyens, le quatrième moyen, pris en ses première à troisième branches, et le sixième moyen du pourvoi n° 22-22.679

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi n° 22-22.679

Enoncé du moyen

7. Les sociétés Délis, Vergers de [Localité 8], Groupe Lactalis et BSA font grief à l'arrêt de rejeter les demandes d'annulation de la décision, fondées sur le moyen pris de la violation du principe d'impartialité des services de l'instruction, alors :

« 1°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial et que cette exigence doit s'apprécier objectivement ; que le juge ou le rapporteur de l'Autorité qui se prononce sur l'existence de présomptions d'infraction préjuge de l'affaire au fond et fait naître un doute sur son impartialité pour connaître de la suite de la procédure ; qu'en décidant que le rapporteur qui propose la clémence n'exerce pas une fonction de poursuite après avoir constaté qu'il lui incombait d'apprécier si les éléments fournis par le demandeur en clémence étaient de nature à faire présumer l'existence d'une infraction, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, L. 464-2, IV du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020, et R. 464-5 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2021-568 du 10 mai 2021 ;

2°/ que le principe de la séparation des fonctions de poursuite et d'instruction et, partant, le principe d'impartialité, découlent de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et s'imposent au rapporteur de l'Autorité ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ainsi que l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

3°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; que cette exigence doit s'apprécier objectivement et subjectivement ; que le juge ou le rapporteur de l'Autorité qui se prononce sur l'existence de présomptions d'infraction préjuge de l'affaire au fond et fait naître un doute sur son impartialité pour décider de la suite de la procédure ; qu'en considérant que l'impartialité du rapporteur ne pouvait pas être mise en doute bien qu'il ait émis un avis sur la demande de clémence assimilable, selon le législateur, à un préjugement, puis instruit l'affaire au fond et cosigné la notification des griefs confirmant son analyse initiale, la cour d'appel a violé les articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

8. En premier lieu, lorsqu'il est applicable, le principe d'impartialité, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la Convention), n'exige pas une séparation entre les fonctions d'enquête et de poursuite (X et Y c. France, n° 48158/11, § 40, 1er septembre 2016).

9. Le moyen, pris en sa deuxième branche, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

10. En second lieu, si, par application du droit interne, le rapporteur général, qui n'est pas un tribunal au sens de l'article 6 § 1 de la Convention, et, sous son autorité, les rapporteurs sont tenus à un devoir d'impartialité, celui-ci consiste à instruire les affaires dont ils sont saisis de manière objective, c'est-à-dire en enquêtant à charge et à décharge. Le fait pour un rapporteur de proposer au collège de l'Autorité d'émettre un avis de clémence, lequel n'a pas pour objet de prendre parti sur les faits dénoncés, n'est pas, en soi, de nature à faire naître un doute légitime sur son impartialité.

11. Le moyen, pris en ses première et troisième branches, n'est donc pas fondé.

Sur les deuxième et cinquième moyens du pourvoi n° 22-22.679, réunis

Enoncé des moyens

12. Par leur deuxième moyen, les sociétés Délis, Vergers de [Localité 8], Groupe Lactalis et BSA font grief à l'arrêt de rejeter la demande faite par la société BSA d'annuler la décision, sur le moyen pris de la violation du principe de la contradiction et des droits de la défense, alors :

« 1°/ que méconnaît le principe de la contradiction le juge qui relève d'office un moyen sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur celui-ci ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que "le principe de l'égalité de traitement n'a vocation à s'appliquer qu'aux entreprises mises en cause par l'Autorité de la concurrence qui dispose de la faculté mais non de l'obligation d'imputer la responsabilité de l'infraction à une société mère lorsque les conditions d'une telle imputation sont remplies et donc [de] la faculté et non de l'obligation d'engager des poursuites en lui notifiant les griefs", sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que le principe de l'égalité de traitement ou de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié ; que la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que si la Commission européenne dispose d'une marge d'appréciation concernant le choix des entités juridiques auxquelles elle impose une sanction pour une infraction au droit de la concurrence de l'Union, elle doit néanmoins exercer ce choix dans le respect des droits fondamentaux garantis par l'Union, notamment le principe de l'égalité de traitement, lequel s'applique lorsqu'elle choisit de sanctionner certaines sociétés mères des sociétés ayant directement participé à l'infraction ; qu'ainsi lorsqu'elle décide de notifier le grief et de sanctionner une société mère de l'un des auteurs directs d'un entente, ce principe lui impose de mettre en cause et de sanctionner également les sociétés mères des autres participants à l'entente placées dans la même situation ; qu'en affirmant au contraire, pour décider qu'en sa qualité de société mère des sociétés Délis, Vergers de [Localité 8] et Groupe Lactalis, la société BSA n'était pas fondée à se prévaloir de l'absence de mise en cause de la société LBO France en sa qualité de société mère de la société Materne, si bien que l'absence de communication à la société BSA des pièces relatives à la détention capitalistique indirecte par la société LBO France de la société Materne, en leur version intégrale, n'a pas pu méconnaître ses droits de la défense, que "le principe de l'égalité de traitement n'a vocation à s'appliquer qu'aux entreprises mises en cause par l'Autorité de la concurrence qui dispose de la faculté mais non de l'obligation d'imputer la responsabilité de l'infraction à une société mère lorsque les conditions d'une telle imputation sont remplies et donc [de] la faculté et non de l'obligation d'engager des poursuites en lui notifiant les griefs", la cour d'appel a violé les articles 101 du TFUE, L. 420-1 du code de commerce, ainsi que les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

3°/ que le principe de l'égalité de traitement ou de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié ; que la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que si la Commission européenne dispose d'une marge d'appréciation concernant le choix des entités juridiques auxquelles elle impose une sanction pour une infraction au droit de la concurrence de l'Union, elle doit néanmoins exercer ce choix dans le respect des droits fondamentaux garantis par l'Union, notamment le principe de l'égalité de traitement, lequel s'applique lorsqu'elle choisit de sanctionner certaines sociétés mères des sociétés ayant directement participé à l'infraction ; qu'ainsi lorsqu'elle décide de notifier le grief et de sanctionner une société mère de l'un des auteurs directs d'un entente, ce principe lui impose de mettre en cause et de sanctionner également les sociétés mères des autres participants à l'entente placées dans une situation similaire ; qu'en affirmant au contraire, pour décider qu'en sa qualité de société mère des sociétés Délis, Vergers de [Adresse 7] et Groupe Lactalis, la société BSA n'était pas fondée à se prévaloir de l'absence de mise en cause de la société LBO France en qualité de société mère de Materne, de sorte que l'absence de communication à la société BSA des pièces relatives à la détention capitalistique indirecte par la société LBO France de la société Materne, en leur version intégrale, n'a pas pu méconnaître ses droits de la défense, que si le principe de l'égalité de traitement requiert que l'Autorité adopte la même méthode pour apprécier la responsabilité des sociétés mères mises en cause devant elle à raison du comportement de leurs filiales, ce principe n'a vocation à s'appliquer qu'aux entreprises mises en cause par l'Autorité de la concurrence et ne saurait être invoqué par une entreprise mise en cause pour avoir enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce pour échapper à sa propre responsabilité lorsque celle-ci a été établie de manière régulière, la cour d'appel a violé de plus fort les textes susvisés ainsi que les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

13. Par leur cinquième moyen, les sociétés Délis, Vergers de [Adresse 7], Groupe Lactalis et BSA font grief à l'arrêt de condamner la société BSA solidairement, en tant que société mère, avec les sociétés Délis, Vergers de [Localité 8] et Groupe Lactalis, à payer une sanction pécuniaire de 5 709 483 euros au titre des pratiques reprochées aux sociétés Délis et Vergers de [Localité 8], alors :

« 1°/ que méconnaît le principe de la contradiction, le juge qui relève d'office un moyen sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur celui-ci ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que "le principe de l'égalité de traitement n'a vocation à s'appliquer qu'aux entreprises mises en cause par l'Autorité de la concurrence qui dispose de la faculté mais non de l'obligation d'imputer la responsabilité de l'infraction à une société mère lorsque les conditions d'une telle imputation sont remplies et donc [de] la faculté et non de l'obligation d'engager des poursuites en lui notifiant les griefs", sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que le principe de l'égalité de traitement ou de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié ; que la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que si la Commission dispose d'une marge d'appréciation concernant le choix des entités juridiques auxquelles elle impose une sanction pour une infraction au droit de la concurrence de l'Union, elle doit néanmoins exercer ce choix dans le respect des droits fondamentaux garantis par l'Union, notamment le principe de l'égalité de traitement, lequel s'applique lorsqu'elle choisit de sanctionner certaines sociétés mères des sociétés ayant directement participé à l'infraction ; qu'ainsi lorsqu'elle décide de notifier le grief et de sanctionner une société mère de l'un des auteurs directs d'un entente, ce principe lui impose donc de mettre en cause et de sanctionner également les sociétés mères des autres participants à l'entente placées dans une situation similaire ; qu'en affirmant au contraire, pour décider qu'en sa qualité de société mère des sociétés Délis, Vergers de [Localité 8] et Groupe Lactalis la société BSA n'était pas fondée à se prévaloir de l'absence de mise en cause de la société LBO France en qualité de société mère de Materne, que "le principe de l'égalité de traitement n'a vocation à s'appliquer qu'aux entreprises mises en cause par l'Autorité de la concurrence qui dispose de la faculté mais non de l'obligation d'imputer la responsabilité de l'infraction à une société mère lorsque les conditions d'une telle imputation sont remplies et donc [de] la faculté et non de l'obligation d'engager des poursuites en lui notifiant les griefs", la cour d'appel a violé les articles 101 du TFUE, L. 420-1 du code de commerce, ainsi que les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

3°/ que le principe de l'égalité de traitement ou de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié ; que la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que si la Commission européenne dispose d'une marge d'appréciation concernant le choix des entités juridiques auxquelles elle impose une sanction pour une infraction au droit de la concurrence de l'Union, elle doit néanmoins exercer ce choix dans le respect des droits fondamentaux garantis par l'Union, et notamment du principe de l'égalité de traitement, lequel s'applique lorsqu'elle choisit de sanctionner certaines sociétés mères des sociétés ayant directement participé à l'infraction ; qu'ainsi, lorsqu'elle décide de notifier le grief et de sanctionner une société mère de l'un des auteurs directs d'un entente, ce principe lui impose de mettre en cause et de sanctionner également les sociétés mères des autres participants à l'entente placées dans la même situation ; qu'en affirmant au contraire, pour décider qu'en sa qualité de société mère des sociétés Délis, Vergers de [Localité 8] et Groupe Lactalis la société BSA n'était pas fondée à se prévaloir de l'absence de mise en cause de la société LBO France en qualité de société mère de Materne, que si le principe de l'égalité de traitement requiert que l'Autorité adopte la même méthode pour apprécier la responsabilité des sociétés mères mises en cause devant elle à raison du comportement de leurs filiales, ce principe n'a vocation à s'appliquer qu'aux entreprises mises en cause par l'Autorité de la concurrence et ne saurait être invoqué par une entreprise mise en cause pour avoir enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce pour échapper à sa propre responsabilité lorsque celle-ci a été établie de manière régulière, la cour d'appel a violé les textes susvisés ainsi que les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

14. La Cour de justice de l'Union européenne juge que, lorsque la réglementation de l'Union laisse aux États membres un choix entre plusieurs modalités d'application, les États membres sont tenus d'exercer leur pouvoir discrétionnaire dans le respect des principes généraux du droit de l'Union, parmi lesquels figure le principe d'égalité de traitement (CJUE, arrêt du 9 mars 2017, Milkova, C-406/15, point 53).

15. La Cour de justice juge également que, dans l'hypothèse où le principe d'égalité de traitement est applicable et que deux sociétés se trouvent dans une situation comparable du point de vue des critères d'imputation d'une entente prohibée par l'article 101 du TFUE, ce principe doit néanmoins être concilié avec le principe de légalité selon lequel nul ne peut invoquer à son profit une illégalité commise en faveur d'autrui, de sorte qu'une société qui s'est régulièrement vu infliger une amende du fait de sa participation à une entente prohibée ne peut demander l'annulation ou la réduction de cette amende, au motif qu'un autre participant à la même entente n'aurait pas été sanctionné, alors qu'il aurait dû l'être, pour une partie ou pour l'intégralité de sa participation à ladite entente (arrêt du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., C-628/10 P, points 60 à 63 ; arrêt du 24 septembre 2020, Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi/Commission, C-601/18 P, points 107 à 109 ; arrêt du 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission, C-611/16 P, points 163 à 166).

16. L'arrêt énonce qu'une entreprise mise en cause pour avoir enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ne saurait invoquer l'absence de mise en cause et, partant, de sanction d'une entreprise dont la responsabilité aurait également pu être engagée, pour échapper à sa propre responsabilité dès lors que celle-ci a été établie de manière régulière. Il ajoute qu'à supposer, comme le soutenait la société BSA devant l'Autorité, que la société LBO France ait détenu indirectement la totalité ou la quasi-totalité du capital de la société Materne au cours de la période infractionnelle, le moyen tiré de l'absence de mise en cause de la société LBO France en qualité de société mère ne pouvait pas être opposé par la société BSA pour échapper à sa propre responsabilité en qualité de société mère des sociétés Délis, Vergers de [Localité 8] et Lactalis.

17. En l'état de ses énonciations, constatations et appréciations, dont il ressort que la société BSA invoquait à son profit une prétendue illégalité commise par l'Autorité dans son choix de ne pas imputer l'infraction à la société LBO France au titre de la présomption d'influence déterminante qu'elle aurait exercée à l'égard de la société Materne, la cour d'appel, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par la deuxième branche des moyens, a exactement conclu au caractère inopérant des griefs dont elle était saisie.

18. Les moyens, pris en leur deuxième et troisième branches, ne sont donc pas fondés.

19. Le rejet des deuxième et troisième branches rend la première branche des deux moyens inopérante.

20. Les moyens, pris en leurs deuxième et troisième branches, qui invoquent une violation du droit de l'Union, étant inopérants, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle, dont l'examen n'est pas nécessaire à la solution du litige.

Sur le quatrième moyen, pris en sa quatrième branche, du pourvoi n° 22-22.679

Enoncé du moyen

21. Les sociétés Délis, Vergers de [Localité 8], Groupe Lactalis et BSA font grief à l'arrêt de dire, par confirmation partielle de la décision, que la société Vergers de [Localité 8] avait participé à l'entente, de la condamner en conséquence, en tant que société mère de la société Délis, mais aussi en tant qu'auteure de la pratique, à payer solidairement avec les sociétés Groupe Lactalis et BSA une sanction pécuniaire de 5 709 483 euros, alors « que le principe de l'égalité de traitement ou de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié ; que la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que si la Commission de l'Union européenne dispose d'une marge d'appréciation concernant le choix des entités juridiques auxquelles elle impose une sanction pour une infraction au droit de la concurrence de l'Union, elle doit néanmoins exercer ce choix dans le respect des droits fondamentaux garantis par l'Union, notamment le principe de l'égalité de traitement ; qu'ainsi, lorsqu'elle décide de notifier le grief et de sanctionner une société mère de l'un des auteurs directs d'une entente comme auteure directe de l'entente au prétexte que l'un des représentants de la société mère aurait participé aux pratiques et aurait ainsi engagé à la fois la société qu'il représente et une autre société du groupe, ce principe lui impose de mettre en cause et de sanctionner également toutes les sociétés, filiale ou société mère, dont les représentants ont agi de la même manière dans le cadre de cette entente ; qu'en affirmant au contraire, pour décider que la société Vergers de [Localité 8] ne pouvait pas invoquer une rupture d'égalité de traitement pour échapper à sa propre responsabilité au seul motif de l'absence de mise en cause de la société Novandie, filiale d'Andros, que le principe de l'égalité de traitement n'a vocation à s'appliquer qu'entre les entreprises mises en cause par l'Autorité de la concurrence et ne saurait être invoqué par une entreprise mise en cause pour avoir enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce pour échapper à sa propre responsabilité lorsque celle-ci a été établie de manière régulière, la cour d'appel a violé les textes susvisés ainsi que les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

22. La cour d'appel ayant relevé que, durant la période infractionnelle, la société Délis était détenue à 99,99 % par la société Vergers de [Localité 8] et retenu que cette dernière société engageait sa responsabilité par application de la présomption d'influence déterminante qu'elle exerçait sur sa filiale, le moyen est inopérant.

23. Dès lors, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle dont l'examen n'est pas nécessaire à la solution du litige.

Sur le moyen unique du pourvoi n° 22-22.728

Enoncé du moyen

24. Le président de l'Autorité fait grief à l'arrêt de réformer l'article 2 de la décision et, statuant à nouveau, d'infliger une sanction de 9 396 434 euros solidairement aux sociétés Materne, MBMA et MBMA Holding, de 5 328 512 euros solidairement aux sociétés Andros et Andros et Cie, de 1 290 984 euros solidairement aux sociétés Conserves France et Conserve Italia societa cooperativa agricola, de 1 850 418 euros solidairement aux sociétés Valade et Financière Lubersac, de 8 000 000 euros solidairement aux sociétés Charles Faraud, Charles & Alice et CAI développement et de 5 709 483 euros solidairement aux sociétés Délis, Vergers de [Localité 8], Groupe Lactalis et BSA et de rappeler que les sommes qui auraient été payées excédant les montants ainsi fixés devraient être remboursées aux sociétés concernées, outre les intérêts au taux légal à compter de la notification de l'arrêt et, s'il y avait lieu, capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil, alors :

« 1°/ que le communiqué du 16 mai 2011 publié par l'Autorité, relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (le communiqué sanctions), constitue une directive au sens administratif du terme, désormais qualifié de lignes directrices, qui lui est opposable, sauf à ce qu'elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général la conduisant à s'en écarter dans un cas donné ; que si la cour d'appel doit vérifier que la sanction a été prononcée conformément aux règles définies par la loi, elle ne peut se dispenser de s'assurer préalablement que l'Autorité a respecté le communiqué sanctions qu'elle a publié et qui s'impose à elle ; que le point 41 du communiqué sanctions énonce que la proportion de la valeur des ventes retenue au titre de la gravité des faits et du dommage à l'économie "est comprise entre 15 et 30 % dans le cas des accords horizontaux entre concurrents ayant pour objet une fixation des prix, une répartition des marchés ou des clients, ou encore une limitation de la production, en fonction du dommage qu'ils cause à l'économie" ; que la cour d'appel peut certes modifier le taux retenu par l'Autorité pour calculer une sanction, suivant sa propre appréciation de la gravité des faits et du dommage à l'économie, qui sont des critères prévus par l'article L. 464-2 du code de commerce, mais en restant dans la fourchette de 15 à 30 % ci-dessus lorsqu'elle constate que l'Autorité a respecté la méthode de calcul de la sanction énoncée au communiqué sanctions ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'Autorité avait respecté les termes du communiqué sanctions et retenu un taux de 16 %, dans la fourchette de 15 à 30 % ; que la cour d'appel a cependant réduit le taux à 12 %, soit moins que le seuil plancher de 15 %, aux motifs que le taux appliqué par l'Autorité ne prenait pas en considération les effets de l'infraction sur le marché, que celle-ci ne revêtait pas les caractéristiques les plus graves qui soient et qu'elle n'avait eu qu'un très faible impact sur le jeu concurrentiel des secteurs concernés ; qu'en se fondant sur ces motifs inopérants pour retenir un taux inférieur au taux plancher, tandis qu'elle avait constaté que l'Autorité avait respecté le communiqué sanctions, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du code de commerce ;

2°/ que si la cour d'appel considère que l'application de la méthode énoncée au communiqué sanctions conduit à une sanction disproportionnée, elle doit, soit motiver les raisons la conduisant à écarter l'application de ce communiqué et calculer le montant de la sanction au regard des seuls critères prévus à l'article L. 464-2 du code de commerce, soit appliquer ce communiqué en réduisant la proportion de la valeur des ventes servant de base de calcul à la sanction en restant à l'intérieur de la fourchette de 15 à 30 % énoncée au point 41 du communiqué ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui n'a pas écarté l'application du communiqué pour le calcul de la sanction, a appliqué un taux de 12 %, inférieur au plancher de 15 % ; qu'en statuant ainsi, de façon incohérente, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du code de commerce ;

3°/ que la gravité d'une infraction anticoncurrentielle est appréciée en tenant compte des circonstances de l'espèce, en se fondant sur un faisceau d'indices non cumulatifs ; que les accords horizontaux de fixation de prix ou de répartition de marchés, généralement secrets, sont, par leur nature même, parmi les restrictions de concurrence les plus graves ; qu'en l'espèce, les pratiques en cause consistaient en une entente secrète sur la fixation des prix et des volumes de vente d'un produit de grande consommation et sur la répartition des marchés dans le cadre d'appels d'offres, ce qui caractérisait une manipulation directe des paramètres essentiels de la concurrence et, partant, une infraction parmi les plus graves au sens de la jurisprudence des juridictions de l'Union européenne, également qualifiée d' "injustifiable" par le communiqué sanctions ; qu'en affirmant cependant que la particulière gravité de l'infraction, retenue par l'Autorité, devait être "tempér[ée]" en l'absence de "mécanisme de surveillance, de police ou encore de représailles" et du fait que l'instruction "n'avait pas établi que [les objectifs chiffrés objet de l'accord] avaient été renouvelés ou actualisés pour les années 2012 et 2013", tandis que de telles circonstances n'étaient pas de nature à atténuer la gravité de l'infraction tenant à sa nature même, la cour d'appel, qui s'est ainsi fondée sur des motifs inopérants pour écarter l'application du taux plancher de 15 % de la valeur des ventes au titre de la gravité des pratiques et du dommage à l'économie énoncé au communiqué sanctions de 2011, a violé les articles 101 du TFUE, L. 420-1 et L. 464-2 du code de commerce ;

4°/ qu'une entente horizontale pour la fixation des prix et des volumes par un cartel étant, par elle-même, de nature à emporter des effets négatifs sur le prix, la quantité ou la qualité des produits et services, elle cause nécessairement un dommage à l'économie ; qu'en considérant que le taux plancher de 15 % au titre de la gravité des pratiques et du dommage à l'économie énoncé par le communiqué sanctions de 2011 devait être écarté, aux motifs que ce taux aboutissait à "retenir une proportion de la valeur des ventes excessive au regard de certaines des caractéristiques objectives des pratiques" "sans considération de [leurs] effets sur le marché", après avoir pourtant constaté que les entreprises avaient participé à une entente unique et continue constituée d'accords horizontaux sur les prix et les volumes ainsi que d'échanges d'informations tarifaires ou relatives au volume de production en vue de coordonner leurs comportements et ainsi augmenter leurs prix et se répartir les marchés, ce dont il résultait que la pratique en cause revêtait la qualification de restriction de concurrence par objet et était donc présumée entraver la concurrence et causer un dommage à l'économie, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des considérations inopérantes pour écarter le taux plancher de 15 % prévu par le communiqué sanctions au titre de la gravité des pratiques et du dommage à l'économie, a violé les articles 101 du TFUE, L. 420-1 du code de commerce et l'article L. 464-2 du code de commerce ;

5°/ que la sanction infligée à une entreprise auteur de pratiques anticoncurrentielles doit avoir un caractère dissuasif, a fortiori lorsqu'il s'agit d'une pratique grave par nature ; qu'il appartient à la cour d'appel, qui ne remet pas en cause l'application de la méthode énoncée au communiqué sanctions, tout en s'en écartant sur un point, de veiller à ce que la sanction ainsi réduite garde un caractère dissuasif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a apprécié la gravité des pratiques et le dommage à l'économie en se référant au communiqué sanctions, tel que mis en œuvre par l'Autorité ; qu'elle s'est néanmoins écartée du plancher de 15 % de la valeur des ventes, conçu pour conférer un caractère dissuasif à la sanction, prévu au point 41 du communiqué sanctions "dans le cas des accords horizontaux entre concurrents ayant pour objet une fixation des prix, une répartition des marchés ou des clients, ou encore une limitation de la production, en fonction du dommage qu'ils cause à l'économie" et a réduit cette proportion à 12 % aux motifs qu'elle entendait prendre en considération les effets de l'infraction sur le marché, considérée comme de très faible impact ; qu'en s'abstenant de rechercher si la sanction de pratiques dont elle a admis qu'elles présentaient un certain caractère de gravité conservait, ainsi réduite, un caractère dissuasif, quod non, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

25. En premier lieu, l'Autorité dispose de la faculté de publier des communiqués explicitant, à droit constant, la méthode qu'elle envisage de suivre pour mettre en œuvre les critères de proportionnalité et d'individualisation des sanctions fixés par l'article L. 464-2, I, du code de commerce, tel son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (le communiqué sanctions). Si ces communiqués, qui constituent des lignes directrices au sens administratif du terme, sont opposables à l'Autorité, sauf à ce qu'elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général qui la conduisent à s'en écarter dans un cas donné (Com., 18 octobre 2016, pourvoi n° 15-10.384, Bull. 2016, IV, n° 131), ils ne revêtent pas une nature réglementaire.

26. Il en résulte que, si la cour d'appel de Paris peut, dans l'exercice de son pouvoir de réformation des décisions de l'Autorité, se référer à la méthodologie et aux critères retenus par le communiqué sanctions, elle n'est en revanche tenue que par les critères édictés à l'article L. 464-2, I, du code de commerce ainsi que par les normes de rang supérieur, tels les principes de proportionnalité et d'égalité de traitement.

27. Le moyen, pris en ses première et deuxième branches, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

28. En second lieu, sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi et de manque de base légale, le moyen, pris en ses troisième à cinquième branches, ne tend qu'à remettre en cause devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine par la cour d'appel du caractère proportionné de la sanction au regard, d'une part, de la gravité des faits et de leurs effets sur le marché, d'autre part, du caractère suffisamment dissuasif du montant des amendes retenu.

29. Le moyen ne peut donc être accueilli pour le surplus.

Sur la treizième branche du moyen unique du pouvoir n° 22-22.676

Enoncé du moyen

30. Les sociétés Valade et Financière Lubersac font grief à l'arrêt de réformer la décision et, statuant à nouveau, de leur infliger solidairement une sanction de 1 850 418 euros, alors « que, s'agissant de la sanction et, en premier lieu, de la prétendue gravité des pratiques, si, en principe, la gravité de la pratique anticoncurrentielle retenue s'apprécie de manière objective en s'attachant uniquement, quand elle est établie, à l'infraction unique et continue, il en va différemment lorsque le degré de participation concrète de chacun des membres supposés de l'entente globale apparaît comme étant très variable ; que la sanction prononcée par l'Autorité étant une sanction à caractère de punition, il n'est en effet pas possible de déterminer la sanction infligée à une entreprise particulière en fonction de critères dont il est constant qu'ils ont été caractérisés par des actes et comportements clairement imputables à d'autres entreprises ; qu'au cas présent, parmi les facteurs retenus par la cour d'appel de Paris en faveur du constat d'un certain degré de gravité de l'infraction unique et continue, figurent : – premièrement, l'identification d'échanges, appel d'offre par appel d'offre, en application de l'entente-cadre retenue, cependant qu'il est constant que la société Valade n'a participé à aucun échange concernant le secteur de la RHF, et qu'elle n'a participé, au mieux, qu'à un échange téléphonique (avec Coroos) concernant un seul et unique appel d'offre du secteur des GMS, – deuxièmement, un objectif qui aurait consisté à "coordonner leur comportement sur le marché pour faire passer des hausses de prix auprès de leurs clients distributeurs de la GMS et de la RHF, et pour se répartir les volumes et les clients et préserver ainsi leurs parts de marché", cependant que la société Valade n'a absolument pas réussi à "faire passer" la moindre "hausse de prix" sur la période, et n'a pas non plus "préservé" sa part de marché, – troisièmement, la mise en œuvre de l'entente s'était effectuée "surtout par téléphone", cependant que la société Valade ne s'est vue imputer (à tort) qu'un seul et unique échange téléphonique (avec Coroos, pour un seul et unique appel d'offres), – quatrièmement, "certains membres [ont] utilisé des téléphones portables spécialement dédiés à sa mise en œuvre (Charles Faraud, Materne et Coroos), recouru à leur messagerie personnelle pour échanger des informations (Andros, Materne)", cependant que, manifestement, Valade n'était pas impliquée dans ces pratiques, – cinquièmement, "l'intensité des échanges", cependant que Valade ne s'est vue imputer qu'un seul échange concernant un seul et unique appel d'offres sur les 21 auxquels elle a participé pour le secteur GMS sur la période infractionnelle, et que la société Valade ne s'est vue imputer strictement aucun échange concernant le moindre appel d'offres du secteur RHF, à comparer aux 250 appels d'offres auxquels elle a participé sur ladite période ; qu'en imputant malgré tout à faute à la société Valade ces éléments auxquels elle était parfaitement étrangère, au prétexte du caractère prétendument objectif" de l'appréciation de la gravité de l'infraction, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L. 464-2 du code de commerce, l'article 101 du TFUE, ensemble le principe d'interprétation stricte de la notion d'infraction unique et continue, ainsi que de concurrence par objet, et les exigences probatoires requises en la matière, le principe de la personnalité des délits et des peines, les principes régissant les sanctions à caractère de punition, et l'article 6 § 1 de la Convention. »

Réponse de la Cour

31. Sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par laquelle la cour d'appel a approuvé l'Autorité, d'une part, de faire application, au stade de l'appréciation de la gravité des faits, des points 25 et 26 du communiqué sanctions prévoyant que cette gravité est appréciée de manière objective et globale, en présence d'une pluralité de participants, sans considération de la durée ou de l'intensité de la participation à l'infraction de chacune des entreprises en cause dont il est tenu compte à un autre titre, d'autre part, de retenir que les sociétés Valade et Financière Lubersac avaient participé à une entente unique et continue, constituée d'accords horizontaux secrets, ayant pris la forme d'échanges d'informations tarifaires ou relatives au volume de production, en vue de coordonner leur comportement sur le marché pour faire passer des hausses de prix auprès de leur clients et pour se répartir les volumes et les clients afin de préserver leurs parts de marché, infraction qui, portant sur des paramètres essentiels de la concurrence, fait partie des infractions les plus graves aux règles de la concurrence.

32. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Sur le troisième moyen du pourvoi n° 22-22.610

Enoncé du moyen

33. Les sociétés Charles Faraud, Charles & Alice et Charles & Alice développement font grief à l'arrêt de ne réformer que partiellement l'article 2 de la décision relatif à la sanction pécuniaire, de leur infliger solidairement une sanction de 8 millions d'euros et de rejeter tout autre moyen d'annulation et/ou de réformation plus ample ou contraire, alors :

« 1°/ que les sanctions pécuniaires doivent être appréciées au regard de la gravité de l'infraction, de la situation de l'entreprise sanctionnée et de l'éventuelle réitération de pratiques prohibées et être déterminées individuellement pour chaque entreprise dans le respect des principes d'individualisation de la peine, d'égalité et de proportionnalité ; qu'à cet effet, le communiqué sanctions prévoit l'adaptation à la baisse du montant de base de la sanction encourue lorsque l'entreprise concernée réalise l'essentiel de son activité sur le secteur ou le marché en relation avec l'infraction ; qu'en jugeant que l'entreprise Charles Faraud ne pouvait être qualifiée d'entreprise "mono-produit", en ce que la valeur des ventes en lien avec l'infraction pour l'exercice 2012 représentait 60 % de son chiffre d'affaires total au cours du même exercice, la cour d'appel, qui a retenu une interprétation trop restrictive de cette notion, a violé le communiqué sanctions et l'article L. 464-2 du code de commerce, dans sa version applicable au litige ;

2°/ que, subsidiairement, les sanctions pécuniaires doivent être appréciées au regard de la gravité de l'infraction, de la situation de l'entreprise sanctionnée et de l'éventuelle réitération de pratiques prohibées et être déterminées individuellement pour chaque entreprise dans le respect des principes d'individualisation de la peine, d'égalité et de proportionnalité sans créer de distorsion de concurrence ; qu'à cet effet, doit être prise en considération la situation particulière d'une entreprise dont l'implication dans l'entente est moindre, mais exposée à une sanction plus importante en raison de sa taille et de ce qu'elle réalise la majorité de son activité sur le secteur ou le marché en relation avec l'infraction ; qu'en infligeant à l'entreprise Charles Faraud une sanction de 8 millions d'euros sans rechercher, comme elle était invitée à le faire, si la sanction ainsi prononcée n'était pas, en valeur absolue comme en valeur relative, disproportionnée par rapport à celles infligées aux autres participants, en raison de l'activité de cette entreprise principalement tournée vers les produits objets de l'entente combinée à sa taille, et ce, malgré une implication plus faible dans l'entente et ne créait pas, en conséquence, une distorsion de concurrence à son préjudice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes d'individualisation de la peine, d'égalité et de proportionnalité, et de l'article L. 464-2 du code de commerce, dans sa version applicable au litige. »

Réponse de la Cour

34. L'arrêt énonce que le point 48 du communiqué sanctions permet de tenir compte, pour réduire la sanction encourue, du fait qu'une entreprise est « mono-produit », c'est-à-dire qu'elle réalise l'essentiel de son activité sur le secteur ou marché en relation avec l'infraction, et ce afin d'éviter que la méthode de détermination de la sanction ne donne trop d'importance à la valeur des ventes en relation avec l'infraction et que son montant ne soit pas disproportionné au regard du chiffre d'affaires réalisé par cette entreprise. Il ajoute que ce critère d'adaptation à la baisse de la sanction participe de l'individualisation de la sanction et doit donc être apprécié au regard de la situation propre de chaque entreprise et non par comparaison des parts que représente la sanction dans le chiffres d'affaires des autres entreprises mises en cause.

35. L'arrêt retient ensuite que la valeur des ventes en lien avec l'infraction pour l'exercice 2012 représente 60 % du chiffre d'affaires total réalisé par l'entreprise Charles Faraud au cours du même exercice et que, si ce ratio permet de constater que l'activité de cette entreprise en lien avec l'infraction représente un peu plus de la moitié de son activité globale, il ne permet toutefois pas de considérer qu'elle en constitue l'essentiel. Il retient encore qu'après réformation de la durée de participation individuelle de l'entreprise Charles Faraud à l'infraction, de la proportion de la valeur des ventes et de l'application de l'abattement de 10 % au titre de l'intensité de cette participation, le montant de la sanction apparaît être inférieur au plafond fixé par l'Autorité et non contesté.

36. En l'état de ces énonciations et appréciations, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, appliquant les mêmes critères d'individualisation de l'amende aux entreprises sanctionnées, lesquels en se référant à la valeur des ventes en lien avec l'infraction réalisées par chacune de ces entreprises prennent suffisamment en compte leur taille et leur importance sur le marché, et sans être tenue d'effectuer la recherche invoquée par la seconde branche, que ses constatations et appréciations rendaient inopérante, a retenu que la situation de l'entreprise Charles Faraud ne justifiait pas de s'écarter de ces critères pour fixer le montant de l'amende prononcée à son encontre.

37. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le septième moyen du pourvoi n° F 22-22.679

Enoncé du moyen

38. Les sociétés Délis, Vergers de [Localité 8], Groupe Lactalis et BSA font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à une sanction pécuniaire de 5 709 483 euros, alors « que le principe de l'égalité de traitement ou de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié ; que la fixation du montant de la sanction doit respecter les principes de proportionnalité et de l'égalité de traitement ; qu'en affirmant, pour refuser à l'entreprise Délis une quelconque réduction du montant de base de la sanction en raison d'une moindre participation aux réunions anticoncurrentielles, que "si neuf et non dix réunions multilatérales peuvent être retenues contre Délis, il résulte toutefois des éléments relevés en partie A du présent arrêt, que Délis a eu des échanges téléphoniques non seulement avec Materne et Coroos mais également avec Andros et Conserves France" et que les échanges avec Andros et Materne "ont été nombreux, contrairement à ce qui a été établi à l'égard des entreprises ayant bénéficié d'une réduction", après avoir constaté que la société Charles Faraud à laquelle elle a accordé un abattement de 10 % à ce titre avait elle aussi eu des échanges téléphoniques nombreux avec les sociétés Coroos, Materne, Valade et Andros, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 101 du TFUE, ainsi que les articles L. 420-1 et L. 464-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

39. Après avoir relevé que l'Autorité avait précisé dans sa décision que, pour appliquer une réduction de la sanction au titre de l'intensité de la participation des entreprises aux pratiques infractionnelles, elle tiendrait compte de la nature des échanges auxquels chaque entreprise avait participé et de leur fréquence, l'arrêt retient que, si neuf et non dix réunions multilatérales peuvent être retenues contre l'entreprise Délis, celle-ci a eu des échanges téléphoniques non seulement avec les entreprises Materne et Coroos, mais également avec les entreprises Andros et Conserves France et que, contrairement à ce qui a été établi à l'égard des entreprises ayant bénéficié d'une réduction, ces échanges, et en particulier ceux qu'elle a eu avec les entreprises Andros et Materne, ont été nombreux, de sorte que c'est à juste titre et sans méconnaître ni le principe de proportionnalité ni celui d'égalité de traitement, que l'Autorité a refusé d'accorder une réduction du montant de base de la sanction encourue par l'entreprise Délis.

40. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il ressort que le même critère d'appréciation de l'intensité de la participation des entreprises en cause aux pratiques infractionnelles avait été appliqué à l'ensemble de ces entreprises, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a refusé d'accorder à l'entreprise Délis une réduction de 10 % du montant de base de la sanction encourue.

41. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.